Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE

Com., 19 avril 2023, n° 21-19.563, (B), FRH

Rejet

Liquidation judiciaire – Clôture – Clôture pour insuffisance d'actif – Droit de poursuite individuelle – Action en garantie de paiement exercée par le conjoint coobligé – Recevabilité – Détermination

Il résulte de l'article L. 643-11, II, du code de commerce que l'action en garantie de paiement exercée par un coobligé du débiteur soumis à la procédure collective, qui a payé à la place de ce dernier une somme d'argent fondée sur une créance née antérieurement au jugement d'ouverture, peut être reprise à la clôture de la liquidation judiciaire. Le conjoint coobligé est donc recevable à poursuivre le débiteur au fur et à mesure des paiements qu'il effectue postérieurement à la clôture de la liquidation judiciaire, en remboursement des sommes qu'il doit lui-même régler.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 27 mai 2021), M. [U] et Mme [H], alors mariés sous le régime de la communauté, ont acquis un fonds de commerce à l'aide de deux prêts consentis le 17 avril 2008 par la Caisse d'épargne et de prévoyance des Hauts-de-France (la banque).

Le divorce a été prononcé en 2013 et un acte authentique de partage de communauté du 16 août 2013 a attribué à M. [U] la propriété de l'immeuble commun et du fonds de commerce, à charge pour lui de rembourser les prêts souscrits par les deux époux pendant le mariage ainsi que le passif grevant le fonds de commerce.

Les 27 novembre 2015 et 20 mai 2016, M. [U] a été mis en redressement puis liquidation judiciaires, cette dernière ayant été clôturée pour insuffisance d'actif le 27 avril 2018.

2. Le 4 septembre 2018, faisant valoir qu'elle était l'objet de mesures d'exécution forcée de la part de la banque, Mme [H] a assigné M. [U] pour le voir déclaré seul tenu de rembourser l'intégralité des emprunts contractés pour le fonds de commerce et en garantie de toutes les mesures d'exécution forcée qui seraient engagées contre elle. M. [U] a opposé l'irrecevabilité de la demande.

Examen des moyens

Sur le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [U] fait grief à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir qu'il a opposées à la demande, de dire qu'il sera tenu vis-à-vis de Mme [H] de l'intégralité de la dette solidaire résultant des prêts lorsqu'elle l'aura payée à la banque et de dire qu'il sera tenu de garantir Mme [H] des paiements, y compris les frais, qu'elle a ou aura effectués entre les mains de la banque en vertu des prêts litigieux, alors :

« 1°/ que le jugement d'ouverture d'une liquidation judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas née régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période ; qu'ainsi est soumise à l'interdiction des poursuites l'action de l'ex-époux et co-emprunteur solidaire du débiteur en liquidation visant à être relevé et garanti par le débiteur en liquidation judiciaire, de sommes pouvant être mises à sa charge au titre des emprunts souscrits antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, fondée sur l'engagement pris par ce dernier lors de son divorce de prendre en charge au titre de la contribution à la dette le remboursement de l'intégralité desdits emprunts, une telle demande tendant à la condamnation de ce dernier au paiement de sommes d'argent pour une cause antérieure à l'ouverture de la procédure collective ; qu'en affirmant, pour juger recevable l'action en garantie exercée par Mme [H] contre M. [U], que « Mme [H] demande à être relevée et garantie par M. [U] dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 20 mai 2016, des sommes pouvant être mises à sa charge au titre de crédits et emprunts contractés conjointement durant leur mariage. Cette demande fondée sur l'engagement pris par M. [U] le 16 août 2013, dans l'acte liquidatif de la communauté ayant existé entre eux, a été formée après que la Caisse d'épargne a diligenté, le 26 juin 2018, à l'encontre de Mme [H] une saisie-attribution et qu'a été saisie sur son compte la somme de 1 541,12 euros. Cette demande tend donc à la condamnation de M. [U] à la garantir du paiement de sommes d'argent pour une cause postérieure à l'ouverture de la procédure collective le 25 novembre 2015, de sorte qu'elle n'était pas soumise à l'interdiction des poursuites », cependant que la demande de Mme [H] tendant à être relevée et garantie par M. [U] de sommes pouvant être mises à sa charge au titre des crédits litigieux, fondée sur le prétendu engagement pris par M. [U] dans l'acte de partage de communauté antérieur à l'ouverture de la procédure collective, tendait à la condamnation de ce dernier au paiement de sommes d'argent pour une cause antérieure à l'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'elle était soumise à l'interdiction des poursuites, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, et L. 641-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

2°/ que le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ; que si, par dérogation, les coobligés peuvent poursuivre le débiteur, ce n'est qu'à la condition d'avoir préalablement payé à la place de celui-ci et dans la limite de ce paiement ; que dès lors, est irrecevable l'action d'un coobligé tendant à être relevé et garanti par le débiteur de sommes susceptibles d'être mises à sa charge au titre de leur dette solidaire ; qu'en retenant, pour juger recevable l'action de Mme [H] tendant à être relevée et garantie par M. [U] de sommes pouvant être mises à sa charge au titre des emprunts litigieux, que « Mme [H] a, par l'effet de la saisie-attribution diligentée par la banque, payé la somme de 990,29 euros (solde du compte saisi moins la somme de 550,93 euros insaisissable) au titre des prêts contractés conjointement avec son ex époux et a donc retrouvé, en sa qualité de coobligée son droit de poursuite individuelle », cependant que l'action de Mme [H], en tant que coobligée, tendant à être relevée et garantie par M. [U] de sommes pouvant être mises à sa charge au titre des crédits souscrits solidairement par les parties était nécessairement irrecevable, peu important que Mme [H] ait par ailleurs déjà payé une somme à la banque, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 643-11 du code de commerce ;

3°/ le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ; que si, par dérogation, les coobligés peuvent poursuivre le débiteur, ce n'est qu'à la condition d'avoir payé à la place de celui-ci et dans la limite de ce paiement ; que dès lors, est irrecevable l'action d'un coobligé tendant à être relevé et garanti par le débiteur de sommes susceptibles d'être mises à sa charge au titre de leur dette solidaire ; qu'en jugeant recevable l'action de Mme [H] tendant à être relevée et garantie par M. [U] de sommes pouvant être mises à sa charge au titre des crédits litigieux aux motifs qu'« en l'espèce, la demande formée par Mme [H] est une demande en garantie qui ne suppose donc pas qu'elle ait préalablement réglé les sommes pour lesquelles elle forme cette demande », cependant que Mme [H] en qualité de coobligée était irrecevable à former une telle demande en garantie contre M. [U], la cour d'appel a violé l'article L. 643-11 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article L. 643-11, II, du code de commerce que l'action en garantie de paiement exercée par un coobligé du débiteur soumis à la procédure collective, qui a payé à la place de ce dernier une somme d'argent fondée sur une créance née antérieurement au jugement d'ouverture, action qui a été arrêtée par ce dernier, peut être reprise à la clôture de la liquidation judiciaire.

6. Si la créance en garantie de paiement de Mme [H], née de l'engagement que M. [U] avait pris dans l'acte du 16 août 2013, est antérieure au jugement de liquidation judiciaire et soumise au principe de l'arrêt des poursuites, contrairement à ce que retient l'arrêt, Mme [H], en sa qualité de coobligée de cette créance, est, en application de l'article L. 643-11, II, du code de commerce, recevable, au fur et à mesure de ses paiements effectués à la suite des demandes de la banque, même postérieurs à la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif de M. [U], à poursuivre ce dernier.

7. L'arrêt constate que Mme [H] poursuit l'exécution de l'engagement pris par M. [U] dans l'acte du 16 août 2013 de rembourser les prêts souscrits par les deux époux pendant le mariage.

8. Il en résulte que Mme [H] est recevable à poursuivre celui-ci, au fur et à mesure des paiements qu'elle effectue auprès de la banque, postérieurement à la clôture de la liquidation judiciaire, en remboursement des sommes ainsi payées.

9. Par ce motif de pur droit substitué aux motifs critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Article L. 643-11, II, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le recours exercé par la caution qui a payé à la place du débiteur dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif, à rapprocher : Com., 12 mai 2009, pourvoi n° 08-13.430, Bull. 2009, IV, n° 67 (rejet) ; Com., 28 juin 2016, pourvoi n° 14-21.810, Bull. 2016, IV, n° 98 (rejet).

Com., 19 avril 2023, n° 21-19.743, (B), FRH

Cassation

Rétablissement professionnel – Clôture – Jugement de clôture – Portée – Effacement des dettes – Limite – Montant indiqué dans l'état chiffré des créances

Selon l'article L. 645-11 du code de commerce, la clôture de la procédure de rétablissement professionnel d'un débiteur entraîne l'effacement de ses dettes à l'égard des créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture de cette procédure, a été portée à la connaissance du juge commis par le débiteur et a fait l'objet de l'information prévue à l'article L. 645-8 de ce code.

Selon l'article R. 645-17 du même code, le jugement de clôture comprend l'état chiffré des créances effacées avec l'indication, selon le cas, du nom ou de la dénomination et du domicile ou siège des créanciers.

Il en résulte qu'une dette n'est susceptible d'être effacée par la clôture de la procédure qu'à concurrence du montant indiqué dans cet état chiffré des créances.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 18 mai 2021), le 7 avril 1989, la société civile immobilière L'Olivier d'Aude (la SCI) a consenti à Mme [G] un bail portant sur un local commercial moyennant le paiement d'un loyer, payable mensuellement et d'avance par termes égaux de 4 000,00 francs (702,33 euros).

2. Le 8 novembre 2019, la SCI a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer la somme de 36 429,40 euros en principal, cet acte reproduisant la clause résolutoire incluse au contrat de bail.

3. Par un jugement du 3 décembre 2019, Mme [G] a bénéficié d'une procédure de rétablissement professionnel.

4. Le 9 mars 2020, la SCI a assigné en référé Mme [G] en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et en paiement d'une somme provisionnelle égale aux loyers impayés.

5. Entre-temps, un jugement du 21 juillet 2020 a ordonné la clôture de la procédure de rétablissement professionnel de Mme [G] et dit que cette clôture entraînait l'effacement des dettes figurant sur la liste des créances déclarées annexée au jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de résiliation du bail et de paiement d'un arriéré de loyers ainsi que d'une indemnité d'occupation, alors « que la clôture de la procédure de rétablissement professionnel entraîne effacement des dettes à l'égard des créanciers dont la créance, née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, a été portée à la connaissance du juge commis par le débiteur et a fait l'objet de l'information prévue à l'article L. 645-8 du code de commerce ; que la cour d'appel a constaté que, dans le cadre de la procédure de rétablissement professionnel, « la débitrice a indiqué (...) devoir (à la SCI L'Olivier d'Aude) la somme de 18 330,58 euros » ; que, néanmoins, elle a infirmé l'ordonnance de référé entreprise en ce qu'elle avait constaté que le commandement de payer du 8 novembre 2019, visant la clause résolutoire et portant sur la somme de 36 774,87 euros, dont 36 429,40 euros au titre du principal de la créance de loyers, était demeuré infructueux un mois après sa signification, constaté que la clause résolutoire était acquise au bailleur à compter du 8 décembre 2019 et constaté la résolution du bail signé le 7 avril 1989 et, statuant à nouveau, a débouté la SCI de ses demandes à ce titre ; qu'en considérant ainsi la dette d'un montant de 36 429,40 euros comme ayant été effacée en totalité par la clôture du rétablissement professionnel, quand cette dette n'avait été portée par la débitrice à la connaissance du juge commis qu'à concurrence de 18 330,58 euros, la cour n'a pas déduit de ses propres constatations les conséquences qui s'en déduisaient nécessairement au regard de l'article L. 645-11 du code de commerce, que, par suite, elle a violé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 645-11 et R. 645-17 du code de commerce :

8. Selon le premier de ces textes, la clôture de la procédure de rétablissement professionnel entraîne effacement des dettes à l'égard des créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, a été portée à la connaissance du juge commis par le débiteur et a fait l'objet de l'information prévue à l'article L. 645-8 du code de commerce.

9. Selon le second, le jugement de clôture comprend l'état chiffré des créances effacées avec l'indication, selon le cas, du nom ou de la dénomination et du domicile ou siège des créanciers.

10. Il en résulte qu'une dette n'est susceptible d'être effacée par la clôture de la procédure qu'à concurrence du montant indiqué dans cet état chiffré des créances.

11. Pour rejeter les demandes de constat de la résiliation du bail et de paiement de l'arriéré des loyers formées par la SCI, l'arrêt retient que la dette de loyer de la locataire existait avant le 8 novembre 2019, date du commandement de payer, que, par une lettre du 6 avril 2020, le mandataire au rétablissement professionnel de Mme [G] a invité la SCI à lui adresser sa déclaration de créance dans les délais légaux, lui exposant que la débitrice avait indiqué lui devoir la somme de 18 330,58 euros, et que la créance de loyers ne fait pas partie des créances exclues de l'effacement.

12. En statuant ainsi, alors que la créance portée à la connaissance du juge commis et faisant l'objet du jugement de clôture de la procédure de rétablissement professionnel de Mme [G], emportant son effacement, était de 18 330,58 euros, tandis que la SCI se prévalait d'un commandement de payer portant sur un arriéré de loyers d'un montant supérieur, de 36 429,40 euros en principal, la cour d'appel, en retenant l'effacement intégral de la dette de Mme [G], a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Riffaud - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 645-11 et R. 645-17 du code de commerce.

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