Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

EFFET DE COMMERCE

Com., 5 avril 2023, n° 21-19.160, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Aval – Mention portée sur une lettre de change annulée – Acte valant cautionnement – Conditions – Mentions manuscrites prescrites par le code de la consommation

Si l'aval porté sur une lettre de change irrégulière au sens de l'article L. 511-21 du code de commerce peut constituer le commencement de preuve d'un cautionnement solidaire, ce dernier est nul s'il ne répond pas aux prescriptions de l'article L. 341-2 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 20 mai 2021), par acte du 19 février 2014, M. [L], gérant de la société [L], s'est porté avaliste d'une chaîne de lettres de change tirées sur cette société au bénéfice de la société Brossette, son fournisseur. Ces lettres de change n'ayant pas été payées et la société [L] ayant été placée en liquidation judiciaire, la société Brossette a déclaré sa créance puis a assigné en paiement M. [L] en qualité d'avaliste et, à titre subsidiaire, de caution.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [L] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Brossette la somme de 156 708,85 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2017, alors « qu'un aval ne pouvant être donné valablement que pour la garantie d'un engagement cambiaire, l'aval donné par une personne physique au profit d'un créancier professionnel en garantie de lettres de change relevées magnétiques ne peut constituer un cautionnement valable, faute de comporter les mentions manuscrites prévues aux articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ; que la cour d'appel constate que l'aval du 19 février 2014 avait été donné par M. [L] en garantie de lettres de change relevés magnétiques ne constituant pas des lettres de change ; qu'elle constate également que ledit aval, donné au profit de la société Brossette, créancier professionnel, comportait une mention manuscrite « Bon pour aval pour le compte du tiré Eurl [L] à hauteur de la somme de 311 358,93 euros (trois cent onze mille trois cent cinquante-huit euros quatre-vingt-treize centimes) à titre d'engagement cambiaire », laquelle ne répondait pas aux exigences des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ; d'où il suit que l'aval donné par M. [L] le 19 février 2014 ne pouvait constituer un cautionnement valable et qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles précités du code de la consommation, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

3. La société Brossette conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

4. Cependant, ce moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est de pur droit.

5. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 511-21 du code de commerce et l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

6. Aux termes du premier de ces textes, le paiement d'une lettre de change peut être garanti pour tout ou partie de son montant par un aval.

7. Selon le second, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. ».

8. Si l'aval porté sur une lettre de change irrégulière au sens de l'article L. 511-21 du code de commerce peut constituer le commencement de preuve d'un cautionnement solidaire, ce dernier est nul s'il ne répond pas aux prescriptions de l'article L. 341-2 du code de la consommation.

9. Pour condamner M. [L] à payer à la société Brossette, grossiste fournisseur de la société [L], la somme de 156 708,85 euros, l'arrêt, après avoir exclu que l'acte du 19 février 2014 soit qualifié d'aval, au sens du droit cambiaire, retient que les termes de l'engagement de M. [L] figurant dans cet acte, qu'il reproduit, expriment clairement la volonté de ce dernier, gérant et associé unique de la société [L], de s'engager envers la société Brossette à garantir le paiement de la somme globale de 311 358,93 euros, pour une durée de vingt mois, en cas de défaillance de la société [L], que ces mentions répondent aux prescriptions de l'article 2288 du code civil en matière de cautionnement et que l'acte du 19 février 2014 doit donc s'analyser en un commencement de preuve par écrit de l'existence d'un cautionnement, complété par l'élément extrinsèque découlant de la qualité de gérant de M. [L] prouvant son intention de cautionner la société qu'il dirigeait.

10. En se déterminant ainsi, sans constater que l'acte du 19 février 2014 comportait la mention manuscrite exigée à peine du nullité du cautionnement à l'article L. 341-2 du code de la consommation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

11. Ainsi qu'il est suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

13. D'une part, les lettres avalisées sont des lettres de change-relevé magnétique qui ne reposent pas sur un titre soumis aux conditions de validité de l'article L. 511-1 du code de commerce et constituent un simple procédé de recouvrement de créance dont la preuve de l'exécution relève du droit commun.

L'engagement souscrit par M. [L] le 19 février 2014 ne peut donc pas constituer un aval au sens du droit cambiaire. D'autre part, il résulte des productions que l'acte du 19 février 2014 ne comporte pas les mentions manuscrites prévues à l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, cet engagement ne peut être requalifié en cautionnement. Dès lors, la demande en paiement de la société Brossette doit être rejetée.

14. En application de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner la société Brossette à verser à M. [L] la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés lors de l'instance de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Statuant à nouveau ;

Rejette la demande en paiement de la société Brossette.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 511-21 du code de commerce ; article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

S'agissant d'une lettre de change annulée, à rapprocher : Com., 27 septembre 2016, pourvoi n° 14-22.013, Bull. 2016, IV, n° 119 (cassation).

Com., 5 avril 2023, n° 21-17.319, (B), FRH

Cassation partielle

Billet à ordre – Aval – Effets – Rapports entre le donneur d'aval et le porteur – Exceptions opposables – Manquement au devoir d'information (non)

Il résulte des articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce que l'aval, en ce qu'il garantit le paiement d'un titre dont la régularité n'est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque, bénéficiaire du billet à ordre, pour manquement à un devoir d'information.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 30 mars 2021), le 20 juillet 2017, la société Banque CIC-Est (la banque) a consenti à la société Troisième ligne (la société) un crédit de trésorerie de 70 000 euros, matérialisé par l'établissement d'un billet à ordre sur lequel M. [E], dirigeant de la société, a porté son aval. A la suite de la défaillance de la société, la banque a assigné l'avaliste en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La banque fait grief à l'arrêt d'ordonner de lever la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé n° 000200753 pour un montant initial de 70 000 euros, de prononcer l'annulation de l'aval et de rejeter sa demande de condamnation de M. [E] au titre de l'aval, alors « que l'aval, qui garantit le paiement d'un titre cambiaire est gouverné exclusivement par les règles propres du droit du change, de sorte que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque, bénéficiaire du billet à ordre, pour manquement à une obligation précontractuelle d'information ; que, pour annuler l'aval et débouter le CIC-Est de sa demande en paiement du billet avalisé par le dirigeant de la société Troisième Ligne, l'arrêt retient que la banque était débitrice de l'obligation précontractuelle d'information créée par l'article 1112-1 du code civil, lequel s'applique au billet à ordre et à l'aval en l'absence de toute règle dérogatoire du code de commerce à cette obligation légale, qui est d'ordre public ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé et, par refus d'application, l'article L. 511-21 du code de commerce auquel renvoie l'article L. 512-4 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce :

3. Il résulte de ces textes que l'aval, en ce qu'il garantit le paiement d'un titre dont la régularité n'est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque, bénéficiaire du billet à ordre, pour manquement à un devoir d'information.

4. Pour ordonner la levée de la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire, correspondant au billet à ordre impayé du même montant, prononcer l'annulation de l'aval porté sur ce billet et rejeter la demande de la banque de condamnation de M. [E] au titre dudit aval, l'arrêt, après avoir énoncé que l'obligation précontractuelle d'information prévue à l'article 1112-1 du code civil est d'ordre public et qu'aucune disposition du code de commerce ne prévoyant de règles dérogatoires, elle s'applique au billet à ordre et à l'aval, retient que la banque n'a pas délivré une information efficiente à M. [E] quant à la portée de son aval.

5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce l'annulation de l'aval, en ce que, confirmant le jugement, il ordonne de lever la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé n° 000200753 pour un montant initial de 70 000 euros et déboute la société Banque CIC-Est de sa demande de condamnation de M. [E] au titre de l'aval, et en ce qu'il rejette la demande de la société Banque CIC-Est fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux entiers dépens d'appel, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat général : M. Crocq - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la recherche de responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde, à rapprocher : Com., 20 avril 2017, pourvoi n° 15-14.812, Bull. 2017, IV, n° 53 (rejet).

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