Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

CONVENTIONS INTERNATIONALES

1re Civ., 5 avril 2023, n° 22-21.863, (B), FS

Cassation

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 25 octobre 1980 – Aspects civils de l'enlèvement international d'enfants – Procédure introduite par le procureur de la République – Obligation de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique (non)

Selon l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

En application des articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, les autorités centrales instituées par la Convention doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants. En particulier, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour immédiat de l'enfant.

Selon l'article 1210-4 du code de procédure civile, l'autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et européens relatifs au déplacement illicite international d'enfants transmet au procureur de la République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu'il ordonne les mesures provisoires prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant.

Compte tenu du rôle central et particulier du ministère public dans la procédure de retour immédiat de l'enfant déplacé de façon illicite qui résulte des articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et 1210-4 du code de procédure civile, une cour d'appel fait preuve d'un formalisme excessif et, partant, viole les textes susvisés en faisant prévaloir, dans la procédure tendant au retour immédiat de ses enfants engagée par un père sur le fondement de la Convention de La Haye, le principe de l'obligation, pour le ministère public, de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions formées par le père en qualité d'appelant incident.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 3 juin 2021), de l'union de M. [E] et de Mme [P], sont nés trois enfants, [D], le 8 avril 2010, [S], le 22 avril 2012, et [T], le 4 mai 2014.

2. La famille s'est installée à l'Ile Maurice en décembre 2014.

3. A l'issue des fêtes de fin d'année 2019, Mme [P], partie avec les enfants en France, s'est opposée à leur retour à l'Ile Maurice.

4. Le 15 janvier 2020, M. [E] a saisi l'autorité centrale de l'Ile Maurice en vue d'obtenir le retour immédiat des enfants, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

5. Le 10 juillet 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Amiens a saisi, à cette fin, le juge aux affaires familiales. M. [E] est intervenu volontairement à l'instance.

6. Par ordonnance de référé du 10 juillet 2020, le juge aux affaires familiales a constaté que le non-retour des enfants à l'Ile Maurice était illicite et rejeté la demande de retour, au motif qu'il existait un risque grave que celui-ci ne les expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne les place dans une situation intolérable.

7. Le ministère public a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. [E] fait grief à l'arrêt de dire irrecevable la déclaration d'appel formalisée le 7 août 2020 par le ministère public et, par voie de conséquence, de ne pas examiner son appel incident, alors « que si l'article 930-1 du code de procédure civile impose, à peine d'irrecevabilité, de transmettre sa déclaration d'appel par voie électronique, constitue une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge le fait déclarer irrecevable, en matière de déplacement illicite d'enfants, un appel formé par le ministère public sur papier et dont la transmission par voie électronique a échoué, privant par là même l'un des parents des enfants de son appel incident, dès lors que la volonté manifeste de former appel du parquet ressortait nettement des constatations de l'arrêt ; qu'en retenant, pour déclarer la déclaration d'appel irrecevable et priver M. [E] du réexamen de l'affaire, que le ministère public avait formalisé cette déclaration d'appel sur papier mais n'a pu être transmise par voie électronique à cause d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse mel accepté par le RPVA » (arrêt, p. 6, § 2), quand il ressortait nettement de ses constatations que le ministère public entendait relever appel de l'ordonnance du 31 juillet 2020 ayant notamment rejeté la demande de retour de [D], [S] et [T] à l'Ile Maurice auprès de leur père, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » ;

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. Mme [P] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient, d'une part, que, n'ayant pas relevé appel principal de l'ordonnance de référé, M. [E] est sans intérêt à contester l'irrecevabilité de la déclaration d'appel du ministère public, d'autre part, que, M. [E] n'ayant pas défendu à l'incident de procédure soulevé par elle tendant à l'irrecevabilité de la déclaration d'appel du ministère public, le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

10. Cependant, d'une part, M. [E] a un intérêt à contester l'irrecevabilité de l'appel principal du ministère public, dès lors que celle-ci a eu pour conséquence que son appel incident n'a pas été examiné.

11. D'autre part, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est de pur droit.

12. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et l'article 1210-4 du code de procédure civile :

13. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

14. En application des deuxièmes, les autorités centrales instituées par la Convention doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants.

En particulier, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour immédiat de l'enfant.

15. Selon le troisième, l'autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et européens relatifs au déplacement illicite international d'enfants transmet au procureur de la République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu'il ordonne les mesures provisoires prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant.

16. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même

17. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Henrioud c. France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11), a retenu qu'au vu des conséquences entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge.

En effet, le requérant n'avait pu voir examiner par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13, a), de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.

18. Pour déclarer irrecevable l'appel du ministère public formé contre l'ordonnance de référé du 31 juillet 2020, l'arrêt, après avoir énoncé qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, que la communication électronique avec le greffe s'impose au ministère public lorsqu'il est partie principale, celui-ci n'étant autorisé à établir la déclaration d'appel sur support papier qu'en cas d'impossibilité de la transmettre par voie électronique pour une cause étrangère, retient que tel n'est pas le cas en l'espèce, la déclaration d'appel n'ayant été formalisée le 7 août 2020 que sur support papier, sa transmission le même jour au greffe par voie électronique ayant échoué en raison d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse accepté par le réseau privé virtuel des avocats ».

19. En statuant ainsi, en faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée par M. [E] sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le principe de l'obligation, pour le ministère public, qui avait un rôle central et particulier en la matière, de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions tendant au retour des enfants, formées par M. [E] en qualité d'appelant incident, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a, partant, violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ; article 1210-4 du code de procédure civile.

1re Civ., 13 avril 2023, n° 22-13.449, (B), FRH

Rejet

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 4 mai 1971 – Accidents de la circulation routière – Domaine d'application – Loi applicable à l'obligation extracontractuelle – Personne responsable du dommage tenue d'indemniser la victime ou l'assureur subrogé dans les droits de celle-ci

S'il résulte de l'article 2 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière qu'est exclue du champ d'application de la Convention la détermination de la loi applicable à l'obligation contractuelle en vertu de laquelle un assureur est tenu d'indemniser la victime d'un accident de la circulation routière, en revanche, n'est pas exclue de son champ d'application la détermination de la loi applicable à l'obligation extracontractuelle en vertu de laquelle la personne responsable du dommage est tenue d'indemniser la victime ou l'assureur subrogé dans les droits de celle-ci.

C'est donc à bon droit qu'une cour d'appel applique la loi de l'Etat sur le territoire duquel est survenu l'accident à l'action de l'assureur de la victime, agissant en tant que son subrogé, contre le propriétaire de l'autre véhicule impliqué dans l'accident.

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 4 mai 1971 – Accidents de la circulation routière – Domaine d'application – Action de l'assureur de la victime agissant en tant que son subrogé contre le propriétaire de l'autre véhicule impliqué dans l'accident

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 20 janvier 2022), le 6 juin 2015, alors qu'il circulait en Espagne, un camion appartenant à la société Picardie Autotrans, auquel était attelée une remorque assurée par la société Gan assurances, a endommagé un portique de lavage appartenant à une société espagnole.

2. Le 8 décembre 2020, après avoir, en exécution d'une transaction homologuée par une juridiction espagnole le 10 novembre 2016, indemnisé le propriétaire du bien endommagé et son assureur, la société Gan assurances a assigné en responsabilité et indemnisation la société Picardie Autotrans. Celle-ci a invoqué la prescription de l'action en application de la loi espagnole.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Gan assurances fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite sa demande formée à l'encontre de la société Picardie Autotrans, alors « que le recours subrogatoire institué par le second alinéa de l'article R. 211-4-1 du code des assurances a pour objet de voir déclarer l'auteur de l'accident de la circulation causé par un train routier responsable du dommage selon les règles du droit commun, afin qu'il soit condamné à rembourser, en tout ou partie, l'indemnisation prise en charge par l'assureur de l'un véhicule compris dans ce train routier ; que la Convention de La Haye du 4 mai 1971 est, en vertu de son article 2, inapplicable aux recours subrogatoires exercés par les assureurs ; qu'en énonçant cependant que l'action intentée par la société Gan assurances contre la société Autotrans sur le fondement de l'article R. 211-4-1 du code des assurances ne constituait pas un recours subrogatoire au sens de l'article 2 la Convention de La Haye du 4 mai 1974 dès lors qu'elle n'était pas soumise à un régime propre de responsabilité de plein droit mais renvoyait au droit commun de la responsabilité, la cour d'appel a violé les articles R. 211-4, 1, alinéa 2, du code des assurances et 2 de la Convention de La Haye du 4 mai 1974. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 3 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière, la loi applicable à la responsabilité civile extracontractuelle découlant d'un accident de la circulation routière est la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel l'accident est survenu.

6. Toutefois, selon l'article 2 de cette Convention, n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention les recours et les subrogations concernant les assureurs.

7. Il résulte de ce dernier texte qu'est exclue du champ d'application de la Convention la détermination de la loi applicable à l'obligation contractuelle en vertu de laquelle un assureur est tenu d'indemniser la victime d'un accident de la circulation routière.

8. En revanche, n'est pas exclue du champ d'application de la Convention la détermination de la loi applicable à l'obligation extracontractuelle en vertu de laquelle la personne responsable du dommage est tenue d'indemniser la victime ou l'assureur subrogé dans les droits de celle-ci.

9. Ayant constaté que la société Gan assurances, assureur de la remorque, agissait en tant que subrogée dans les droits de la victime contre le propriétaire du tracteur impliqué dans un accident survenu en Espagne, la cour d'appel en a exactement déduit que, conformément à l'article 2 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, la loi espagnole soumettant l'action en responsabilité à un délai de prescription d'un an à compter de la découverte par la victime de la faute ayant causé le dommage était applicable, de sorte que l'action introduite par la société Gan assurances était irrecevable comme prescrite.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Articles 2 et 3 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière.

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-21.242, (B), FRH

Cassation

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Interprétation – Article 6 – Violation – Notification irrégulière

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 18 novembre 2020), la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie (la société) après avoir sanctionné disciplinairement M [U], l'a licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

2. Ce dernier a contesté ce licenciement devant un conseil de prud'hommes.

3. M. [U] a interjeté appel du jugement rendu par ce conseil de prud`hommes le 15 mai 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [U] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme tardif l'appel qu'il a interjeté le 29 août 2019 à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens en date du 15 mai 2019 et de constater le dessaisissement de la cour d'appel d'Amiens de l'instance, alors « que de seconde part et à titre subsidiaire, le droit d'accès à un tribunal, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, impose que les limitations qui y sont apportées ne restreignent pas l'accès ouvert au justiciable à un tribunal d'une manière ou à un point tel que son droit d'accès à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même et poursuivent un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; que la limitation au droit d'accès à un tribunal, résultant de ce que la notification d'un jugement d'un conseil de prud'hommes fait courir le délai d'appel à l'encontre de son destinataire, même si elle comporte une erreur sur l'identité des parties au litige, et de ce que l'appel interjeté par le destinataire d'une telle notification, après avoir interjeté un premier appel qui a été jugé irrecevable pour avoir été dirigé contre une personne qui n'était pas partie au jugement du conseil de prud'hommes et après l'expiration du délai d'appel courant à compter de cette même notification, est irrecevable en raison de sa tardiveté, restreint l'accès du destinataire de la notification à un tribunal d'une manière ou à un point tel que son droit d'accès à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même, ne poursuit pas un but légitime et impose, en tout état de cause, au destinataire de la notification une sanction disproportionnée ; qu'en retenant, par conséquent, pour déclarer irrecevable comme tardif l'appel interjeté le 29 août 2019 par M. [V] [U] à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens en date du 15 mai 2019, qu'une erreur dans l'identité des parties n'a pas pour effet de rendre irrégulière la notification du jugement de première instance opérée par le greffe du conseil de prud'hommes et fait courir le délai d'appel à l'égard de la partie à laquelle cette notification a été faite et qu'en conséquence, l'appel interjeté par cette partie, après avoir interjeté un premier appel qui a été jugé irrecevable pour avoir été dirigé contre une personne qui n'était pas partie au jugement du conseil de prud'hommes et après l'expiration du délai d'appel courant à compter d'une telle notification, était irrecevable en raison de sa tardiveté, la cour d'appel a violé les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. D'une part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d'autres, les arrêts Edificaciones March Gallego S.A. et Pérez de Rada Cavanilles, §§ 34 et 44, respectivement).

6. D'autre part, la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise certes à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique.

Les intéressés doivent s'attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible (CEDH, arrêt du 26 octobre 2000, Leoni c. Italie, n° 43269/98, §§ 22 et 23).

7. Il s'ensuit qu'un justiciable, fût-il représenté ou assisté par un avocat, ne saurait être tenu pour responsable du non-respect des formalités de procédure imputable à la juridiction, l'irrecevabilité de son recours s'analysant en une entrave à son droit d'accès à un tribunal.

8. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt retient que l'erreur dans l'identité des parties n'a pas pour effet de rendre irrégulière la notification opérée par le greffe du conseil de prud'hommes, ces mentions ne figurant pas au nombre de celles prévues par les articles 680 du code de procédure civile et R. 1454 du code du travail.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'acte de notification comportait une mention erronée dans l'identification de la société, imputable à la juridiction, qui avait été reprise par l'appelant dans sa déclaration d'appel, la cour d'appel, qui devait nécessairement en déduire que le délai d'appel n'avait pas couru, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bonnet - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 680 du code de procédure civile ; article R.1454 du code du travail.

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