Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

1re Civ., 5 avril 2023, n° 22-21.863, (B), FS

Cassation

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Droit d'agir – Violation – Cas – Aspects civils de l'enlèvement international d'enfants – Procédure introduite par le procureur de la République – Obligation de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 3 juin 2021), de l'union de M. [E] et de Mme [P], sont nés trois enfants, [D], le 8 avril 2010, [S], le 22 avril 2012, et [T], le 4 mai 2014.

2. La famille s'est installée à l'Ile Maurice en décembre 2014.

3. A l'issue des fêtes de fin d'année 2019, Mme [P], partie avec les enfants en France, s'est opposée à leur retour à l'Ile Maurice.

4. Le 15 janvier 2020, M. [E] a saisi l'autorité centrale de l'Ile Maurice en vue d'obtenir le retour immédiat des enfants, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

5. Le 10 juillet 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Amiens a saisi, à cette fin, le juge aux affaires familiales. M. [E] est intervenu volontairement à l'instance.

6. Par ordonnance de référé du 10 juillet 2020, le juge aux affaires familiales a constaté que le non-retour des enfants à l'Ile Maurice était illicite et rejeté la demande de retour, au motif qu'il existait un risque grave que celui-ci ne les expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne les place dans une situation intolérable.

7. Le ministère public a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. [E] fait grief à l'arrêt de dire irrecevable la déclaration d'appel formalisée le 7 août 2020 par le ministère public et, par voie de conséquence, de ne pas examiner son appel incident, alors « que si l'article 930-1 du code de procédure civile impose, à peine d'irrecevabilité, de transmettre sa déclaration d'appel par voie électronique, constitue une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge le fait déclarer irrecevable, en matière de déplacement illicite d'enfants, un appel formé par le ministère public sur papier et dont la transmission par voie électronique a échoué, privant par là même l'un des parents des enfants de son appel incident, dès lors que la volonté manifeste de former appel du parquet ressortait nettement des constatations de l'arrêt ; qu'en retenant, pour déclarer la déclaration d'appel irrecevable et priver M. [E] du réexamen de l'affaire, que le ministère public avait formalisé cette déclaration d'appel sur papier mais n'a pu être transmise par voie électronique à cause d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse mel accepté par le RPVA » (arrêt, p. 6, § 2), quand il ressortait nettement de ses constatations que le ministère public entendait relever appel de l'ordonnance du 31 juillet 2020 ayant notamment rejeté la demande de retour de [D], [S] et [T] à l'Ile Maurice auprès de leur père, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » ;

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. Mme [P] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient, d'une part, que, n'ayant pas relevé appel principal de l'ordonnance de référé, M. [E] est sans intérêt à contester l'irrecevabilité de la déclaration d'appel du ministère public, d'autre part, que, M. [E] n'ayant pas défendu à l'incident de procédure soulevé par elle tendant à l'irrecevabilité de la déclaration d'appel du ministère public, le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

10. Cependant, d'une part, M. [E] a un intérêt à contester l'irrecevabilité de l'appel principal du ministère public, dès lors que celle-ci a eu pour conséquence que son appel incident n'a pas été examiné.

11. D'autre part, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est de pur droit.

12. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et l'article 1210-4 du code de procédure civile :

13. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

14. En application des deuxièmes, les autorités centrales instituées par la Convention doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants.

En particulier, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour immédiat de l'enfant.

15. Selon le troisième, l'autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et européens relatifs au déplacement illicite international d'enfants transmet au procureur de la République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu'il ordonne les mesures provisoires prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant.

16. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même

17. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Henrioud c. France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11), a retenu qu'au vu des conséquences entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge.

En effet, le requérant n'avait pu voir examiner par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13, a), de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.

18. Pour déclarer irrecevable l'appel du ministère public formé contre l'ordonnance de référé du 31 juillet 2020, l'arrêt, après avoir énoncé qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, que la communication électronique avec le greffe s'impose au ministère public lorsqu'il est partie principale, celui-ci n'étant autorisé à établir la déclaration d'appel sur support papier qu'en cas d'impossibilité de la transmettre par voie électronique pour une cause étrangère, retient que tel n'est pas le cas en l'espèce, la déclaration d'appel n'ayant été formalisée le 7 août 2020 que sur support papier, sa transmission le même jour au greffe par voie électronique ayant échoué en raison d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse accepté par le réseau privé virtuel des avocats ».

19. En statuant ainsi, en faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée par M. [E] sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le principe de l'obligation, pour le ministère public, qui avait un rôle central et particulier en la matière, de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions tendant au retour des enfants, formées par M. [E] en qualité d'appelant incident, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a, partant, violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ; article 1210-4 du code de procédure civile.

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-23.163, (B), FRH

Rejet

Article 6, § 1 – Violation – Défaut – Cas – Déclaration d'appel – Caducité – Absence du délai d'interruption de notification de conclusions par une demande d'aide juridictionnelle postérieure à ladite déclaration

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 juin 2020), M. [I] a relevé appel, le 14 novembre 2018, du jugement d'un conseil de prud'hommes ayant statué dans le litige l'opposant à la société Lancry protection sécurité et à l'organisme AG2R Réunica prévoyance, aux droits de laquelle vient la société AG2R prévoyance, après avoir sollicité, le 8 octobre 2018, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui a été accordée le 26 décembre 2018.

2. Il a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de sa déclaration d'appel en application de l'article 908 du code de procédure civile, à défaut pour lui d'avoir signifié ses conclusions dans le délai de trois mois de la déclaration d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche,

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. M. [I] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance déférée ayant prononcé la caducité de sa déclaration d'appel, alors :

« 1°/ Que si le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l'accès ouvert au justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même ; que les règles procédurales, telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l'introduction de recours, ou l'application qui en est faite ne doivent pas empêcher le justiciable d'utiliser une voie de recours disponible ; que l'absence d'effet interruptif ou suspensif de la demande d'aide juridictionnelle régulièrement introduite avant qu'un appel a été formé, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal ; qu'en déclarant caduc l'appel formé le 18 novembre 2018 par M. [I] contre un jugement rendu le 28 mai 2018, après avoir relevé que l'intéressé avait formé sa demande d'aide juridictionnelle le 8 octobre 2018, qu'il avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle le 26 décembre 2018 et qu'il avait notifié ses conclusions d'appelant le 1er mars 2019, la cour d'appel a violé l'article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ Que constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le fait que chaque partie ne se voie pas offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en retenant en l'espèce que « si le décret du 6 mai 2017 a rétabli l'effet interruptif s'agissant des délais pour conclure impartis à l'intimé, cela ne concerne pas les délais de l'appelant pour conclure », la cour d'appel a violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Lancry protection sécurité soutient que le moyen, nouveau et mélangé de fait, n'est pas recevable.

6. Cependant, le moyen est de pur droit dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.

7. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien fondé du moyen

8. Il résulte de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qui a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 abrogé par le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, que le point de départ d'un délai de recours est reporté, au profit de celui qui demande le bénéfice de l'aide juridictionnelle avant l'expiration de ce délai, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d'admission, à la date, si elle est plus tardive, du jour de la désignation d'un auxiliaire de justice en vue d'assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l'exercice de ce recours.

Le point de départ des délais impartis pour conclure ou former appel incident est reporté de manière identique au profit des parties à une instance d'appel sollicitant le bénéfice de l'aide juridictionnelle au cours des délais mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile.

9. Ces règles, qui ne prévoient pas, au profit de l'appelant, un report du point de départ du délai pour remettre ses conclusions au greffe, en application de l'article 908 du code de procédure civile, poursuivent néanmoins un but légitime au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'occurrence la célérité de la procédure et une bonne administration de la justice. Elles sont, en outre, accessibles et prévisibles, et ne portent par une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.

10. En effet, en se conformant à l'article 38 du décret, la partie qui entend former un appel avec le bénéfice de l'aide juridictionnelle est mise en mesure, de manière effective, par la désignation d'un avocat et d'autres auxiliaires de justice, d'accomplir l'ensemble des actes de la procédure.

11. Ce dispositif, dénué d'ambiguïté pour un avocat, permet de garantir un accès effectif au juge d'appel au profit de toute personne dont la situation pécuniaire la rend éligible au bénéfice d'une aide juridictionnelle au jour où elle entend former un appel.

12. Il ne place pas non plus l'appelant dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire dès lors qu'il bénéficie, lorsqu'il forme sa demande d'aide juridictionnelle avant de faire appel, du même report du point de départ de son délai de recours que celui dont bénéficient les intimés pour conclure ou former appel incident lorsqu'ils sollicitent le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

13. La cour d'appel ayant constaté que le salarié n'avait pas notifié ses conclusions aux intimés dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel, c'est dès lors, sans méconnaître le droit d'accès au juge d'appel ni le principe d'égalité des armes, qu'elle a prononcé la caducité de la déclaration d'appel.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ; articles 905-2, 908, 909 et 910 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 4 juin 2020, pourvoi n° 19-24.598, Bull. (rejet).

2e Civ., 6 avril 2023, n° 21-19.603, (B), FRH

Rejet

Protocole additionnel n° 1 – Article 1 – Protection de la propriété – Sécurité sociale – Assurance vieillesse des travailleurs indépendants – Intangibilité des pensions de retraite – Effets – Non prise en compte des cotisations payées après la liquidation – Conformité – Cas – Versements postérieurs à la date de l'arrêt du compte de l'assuré pour l'ouverture de ses droits à pension

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2021), M. [N] (l'assuré), affilié au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants depuis 2004, a sollicité auprès de la caisse du régime social des indépendants d'Ile-de-France Est, aux droits de laquelle vient la Caisse nationale d'assurance vieillesse (la caisse), la liquidation de ses droits à pension de retraite.

La caisse lui a notifié ses droits à retraite de base et complémentaire à effet au 1er juillet 2014.

2. Contestant les modalités de calcul de ses droits, l'assuré a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux dernières branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, la troisième branche étant irrecevable et la deuxième n'étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'assuré fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants ; que le mode de calcul des droits à pension dans les régimes d'assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles et commerciales issu de l'article R. 351-10 du code de la sécurité sociale, rendu applicable par l'article D. 634-1 du même code, et de l'article 5 du règlement du régime complémentaire d'assurance vieillesse des indépendants approuvé par arrêté du 9 février 2021, en ce qu'il exclut la possibilité, pour les travailleurs non-salariés de ces professions, de prendre en compte les cotisations d'assurance vieillesse versées pour les périodes antérieures à l'entrée en jouissance de la pension, postérieurement au dernier jour du trimestre civil précédant la date de cette entrée en jouissance, portant une atteinte excessive au droit de propriété des assurés affiliés à ces régimes en considération du but qu'il poursuit et ne ménageant pas un juste équilibre entre les intérêts en présence, la cour d'appel, en faisant application de ces dispositions pour juger que la caisse nationale d'assurance vieillesse était légitime à ne retenir au titre de l'année 2013, pour le calcul de la pension de l'assuré, que les seules cotisations provisionnelles versées avant le 1er juillet 2014, à l'exclusion des cotisations de régularisation exigibles au 5 novembre 2014 versées par l'assuré, a violé l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

6. Le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application des dispositions susvisées, qui impliquent un rapport raisonnable de proportionnalité, exprimant un juste équilibre entre ce droit individuel et le droit reconnu aux Etats de réglementer sa mise en oeuvre conformément à l'intérêt général.

7. L'article R. 351-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les droits à l'assurance vieillesse sont déterminés en tenant compte des cotisations versées au titre de la législation sur les assurances sociales et arrêtées au dernier jour du trimestre civil précédant la date prévue pour l'entrée en jouissance de la pension, rente ou allocation de solidarité aux personnes âgées.

8. Selon l'article R. 351-10 du même code, la pension ou la rente liquidée dans les conditions prévues aux articles R. 351-1 à R. 351-9 n'est pas susceptible d'être révisée pour tenir compte des versements afférents à une période postérieure à la date à laquelle a été arrêté le compte de l'assuré pour l'ouverture de ses droits à l'assurance vieillesse dans les conditions définies à l'article R. 351-1.

9. L'article R. 351-11 du même code prévoit, toutefois, qu'il est tenu compte, pour l'ouverture du droit et le calcul des pensions de vieillesse prévues aux articles L. 351-1, L. 351-7 et L. 352-1, de toutes les cotisations d'assurance vieillesse versées pour les périodes antérieures à la date d'entrée en jouissance de la pension, quelle que soit la date de leur versement.

10. L'article D. 634-1 du code de la sécurité sociale, pris sur le fondement de l'article L. 634-2 du même code, rend applicables, en matière d'assurance vieillesse, aux travailleurs indépendants, les dispositions des articles R. 351-1 et R. 351-10 mais il exclut l'application à ce régime de celles de l'article R. 351-11.

11. Par ailleurs, l'article 5 du règlement du régime complémentaire d'assurance vieillesse des indépendants, artisans, industriels et commerçants, approuvé par arrêté du 9 février 2012, prévoit de la même manière que les cotisations afférentes à des périodes antérieures à la date d'arrêt du compte, versées au régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire après cette date d'arrêt du compte, ne sont pas productives de droits.

12. Ces deux dernières dispositions, en tant qu'elles excluent la prise en considération, pour le calcul de la pension de retraite de base et de la pension de retraite complémentaire, des cotisations d'assurance vieillesse acquittées par les travailleurs indépendants après la date d'entrée en jouissance de la pension, même lorsqu'elles se rapportent à une période antérieure à cette entrée en jouissance, constituent une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés à ce régime en portant atteinte à la substance de leurs droits à pension.

13. Cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne, accessibles, précises et prévisibles, poursuit un motif d'intérêt général dès lors qu'elle contribue à assurer l'intangibilité des droits à pension liquidés.

14. En outre, le défaut de prise en compte des cotisations payées par les travailleurs indépendants après la liquidation du droit à pension, qu'elles se rapportent à une période postérieure ou à une période antérieure à la date d'arrêt des comptes, ménage un juste équilibre entre les intérêts en présence en ce qu'il neutralise les effets sur le montant de la pension de l'annualité des cotisations d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants, que ces effets soient favorables ou défavorables à l'assuré, de sorte que les dispositions litigieuses ne portent pas une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but d'intérêt légitime qu'elles poursuivent.

15. Ayant constaté que la pension de retraite de l'assuré avait pris effet au 1er juillet 2014 et que des cotisations de régularisation pour l'année 2013, exigibles au 5 novembre 2014, avaient été versées par celui-ci après la date d'entrée en jouissance de la pension, la cour d'appel en a exactement déduit que la caisse était fondée à ne retenir, pour le calcul des droits à pension de l'assuré, que les seules cotisations provisionnelles versées pour l'année 2013 avant la date d'entrée en jouissance de la pension.

16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Taillandier-Thomas (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 634-2 et D. 634-1 du code de la sécurité sociale ; article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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