Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 5 avril 2023, n° 21-21.318, (B), FRH

Rejet

Employeur – Détermination – Détachement – Prestation de service sur le territoire français – Règles de coordination – Non-respect par l'employeur étranger – Portée

La circonstance qu'un détachement ne répondrait pas aux conditions définies aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail n'a pour conséquence que l'exclusion des règles de coordination prises en transposition de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Le non-respect, par l'employeur étranger, des règles relatives au détachement, sur le territoire français, d'un de ses salariés, n'a pas pour effet de voir reconnaître la qualité d'employeur à l'entreprise établie sur le territoire national et bénéficiaire dudit détachement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 28 mai 2021), M. [B] a été engagé par la société Leonardo Finmeccanica, établie à [Localité 4] (Italie), le 12 octobre 1979.

2. Il a été détaché, en France, auprès du GIE ATR, à compter du 1er juillet 1995.

3. La société Leonardo Finmeccanica a informé le salarié, par lettre du 14 mars 2016, de sa décision de mettre fin au détachement et de l'affecter en Italie à compter du 1er juin 2016.

Le terme du détachement a été reporté au 31 août 2016 afin de permettre au salarié d'organiser son départ.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 21 juin 2016 et sollicité la condamnation du GIE ATR et de la société Leonardo Finmeccanica au paiement d'une certaine somme en invoquant un abus de détachement, ainsi que la reconnaissance d'un contrat de travail le liant au GIE ATR et sa réintégration au sein de cette dernière entité.

5. Le salarié a été licencié pour faute grave, le 15 septembre 2016, par la société Leonardo Finmeccanica, au motif qu'il ne s'était pas présenté à son poste de travail, en Italie, le 1er septembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, le deuxième moyen et le quatrième moyen

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui, s'agissant du premier moyen, pris en sa troisième branche, est irrecevable et qui, pour le surplus, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'y a pas de contrat de travail entre lui et le GIE ATR et que son licenciement pour faute grave est fondé, de dire que son licenciement n'est pas nul et de le débouter de ses demandes de dommages-intérêts, d'indemnités de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité pour travail dissimulé, alors :

« 1°/ qu'est illicite le détachement d'un salarié sur le territoire national par un employeur non établi en France qui n'est pas une entreprise de travail temporaire, dès lors que ce détachement n'est réalisé ni pour le compte de l'employeur et sous sa direction dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et un destinataire, ni entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe, ni pour le compte de l'employeur sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire ; qu'en retenant que le salarié avait été régulièrement détaché en France quand il ressortait de ses constatations que le détachement ne résultait d'aucune de ces trois situations mais correspondait à une opération de prêt de main d'oeuvre à but non lucratif, ce qui interdisait le recours au détachement, la cour d'appel a violé l'article L. 342-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 1er mai 2008, devenu les articles L. 1262-1 et L. 1262-2 à compter du 1er mai 2008 ;

2°/ que l'employeur non établi France ne peut détacher que temporairement un salarié sur le territoire national ; qu'en retenant que le salarié avait été régulièrement détaché en France du 1er juillet 1995 au 31 août 2016 aux motifs erronés que « la durée d'un détachement n'est pas limitée par la loi et le caractère temporaire du contrat de détachement n'implique pas qu'il soit nécessairement de courte durée » pour en déduire qu'« au cas d'espèce, le détachement a été reconduit par plusieurs avenants depuis 1995, après accord du salarié et pour des durées déterminées et limitées, ce qui n'a pu laisser penser au salarié que le détachement était définitif, quelle que soit sa durée induite par les prorogations convenues par les parties » quand le détachement du salarié en continu sur une période de 21 ans, fusse par une succession d'avenants, excluait manifestement son caractère temporaire, la cour d'appel a violé l'article L. 342-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 1er mai 2008, devenu les articles L. 1262-1 et L. 1262-2 à compter du 1er mai 2008, interprétés à lumière de l'article 2 de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services :

5°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu'en écartant l'existence d'un lien de subordination entre le salarié et le GIE ATR aux motifs que ce dernier ne versait pas lui-même la rémunération, ne gérait pas les augmentations de salaire et le niveau hiérarchique du salarié et n'avait pas usé de son pouvoir de sanction quand elle constatait que « le fait que le salarié ait effectué son travail dans le cadre imposé par la hiérarchie du GIE ATR est inhérent à l'exécution de la mission de détachement et n'est pas de nature à caractériser l'existence d'un lien de subordination à l'égard de celui-ci. À cet égard les diverses diligences et modalités de travail décrites par le salarié s'inscrivent dans une simple exécution de son travail au sein de l'entreprise auprès de laquelle il était détaché, notamment : signatures de document à en-tête d'ATR, suivi des directives de la direction d'ATR, présence dans l'organigramme d'ATR, suivis de formations, permanences réponses techniques pour des clients d'ATR », ce dont il s'évinçait que le salarié était subordonné au GIE ATR, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. D'abord, aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail, un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement.

Le détachement est réalisé : 1° Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France ; 2° Soit entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe ; 3° Soit pour le compte de l'employeur sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire.

9. Aux termes de l'article L. 1262-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie hors du territoire national peut détacher temporairement des salariés auprès d'une entreprise utilisatrice établie ou exerçant sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre l'entreprise étrangère et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement.

10. Ces articles transposent dans le droit français l'article 1er, intitulé « Champ d'application », de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

11. Cette directive a pour base légale les articles 57, § 2, et 66 du Traité instituant la Communauté européenne, selon lesquels le Conseil arrête les directives visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant la libre prestation des services.

12. Elle vise à coordonner les réglementations nationales matérielles relatives aux conditions de travail et d'emploi des travailleurs détachés (CJUE, arrêt du 3 décembre 2014, De Clercq e.a., C-315/13, point 47).

13. Il en résulte que la circonstance qu'un détachement ne répondrait pas aux conditions définies aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail n'a pour conséquence que l'exclusion des règles de coordination prises en transposition de la directive 96/71. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, le non-respect, par l'employeur étranger, des règles relatives au détachement, sur le territoire national, d'un de ses salariés, n'a pas pour effet de voir reconnaître la qualité d'employeur à l'entreprise établie sur le territoire national et bénéficiaire dudit détachement (Soc., 9 janvier 2013, pourvoi n° 11-11.521).

14. Le moyen, qui, en ses deux premières branches, invoque la seule violation des articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail, ne permet pas d'atteindre les chefs du dispositif critiqués de l'arrêt de la cour d'appel, et est, dès lors, inopérant.

15. Il en résulte que la question préjudicielle soumise par le salarié, portant sur l'interprétation de l'article 2 de la directive 96/71, n'est pas utile à la solution du litige.

16. Il n'y a pas lieu en conséquence de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de cette question.

17. Ensuite, l'arrêt retient que le GIE ATR n'est pas signataire du contrat de détachement et de ses avenants de renouvellement, que l'absence alléguée de prolongation par avenant du détachement pour la période allant entre le 1er octobre 2015 et le 14 mars 2016 ne concerne que la société Leonardo Finmeccanica, que la rémunération du salarié a toujours été versée par la société Leonardo Finmeccanica, laquelle a adressé à M.[B] ses bulletins de salaire tout au long de la relation contractuelle, que le salarié ne conteste pas avoir reçu de la société italienne une indemnité de détachement de 30 000 euros par an, une prise en charge de la taxe d'habitation, le remboursement de frais de voyage de retour en Italie, ainsi que des bonus de rémunération calculés sur les résultats de la société italienne et non du GIE ATR, que le salarié admet avoir reçu en France une médaille de travail délivrée par la société Leonardo Finmeccanica en récompense de son ancienneté de 35 ans au service de la société italienne, que la carrière du salarié, s'agissant des augmentations de salaire et de niveau hiérarchique, était gérée par la société italienne, ce dont atteste le tableau récapitulatif de carrière à en tête de la société italienne, que le cadre imposé par la hiérarchie du GIE ATR est inhérent à l'exécution de la mission de détachement, les diverses diligences et modalités de travail décrites par le salarié s'inscrivant dans une simple exécution de son travail au sein d'un GIE dont l'objet est de mettre en oeuvre des moyens destinés à faciliter ou à développer l'activité économique de ses membres sans que celui-ci ne se substitue aux sociétés participantes, qu'il n'est pas démontré que le GIE ATR ait exercé un pouvoir disciplinaire à l'encontre du salarié détaché, qu'en revanche la société Leonardo Finmeccanica a fait usage de son pouvoir de direction en décidant le 14 mars 2016 de la fin du détachement du salarié et de son rapatriement en Italie et de son pouvoir disciplinaire en enjoignant à son salarié de rejoindre son poste de travail en Italie le 7 septembre 2016 ainsi qu'en le sanctionnant par un licenciement pour faute grave le 16 septembre 2016 pour absence injustifiée.

18. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu déduire l'absence de contrat de travail liant le salarié au GIE ATR.

19. Le moyen, pris en sa cinquième branche, n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

20. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à la suite de la résistance de la société Leonardo Finmeccanica à fournir l'attestation Pôle emploi, alors « que le juge doit motiver sa décision ; qu'en rejetant sans motif la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive de l'employeur à son obligation de fournir l'attestation Pôle emploi à la suite du licenciement, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Recevabilité du moyen

21. Sous le couvert d'un grief de défaut de motifs, le moyen dénonce une omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile.

22. Le moyen est donc irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Dit n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail ; directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination de l'employeur en cas de détachement du salarié, à rapprocher : Soc., 24 juin 2015, pourvoi n° 13-25.522, Bull. 2015, V, n° 127 (rejet).

Soc., 19 avril 2023, n° 21-24.051, (B), FRH

Cassation partielle

Harcèlement – Harcèlement moral – Existence – Existence d'un préjudice – Action en réparation – Prescription – Prescription quinquennale – Point de départ – Détermination – Portée

Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 1152-1 du code du travail que, d'une part, est susceptible de caractériser un agissement de harcèlement moral un fait dont le salarié a connaissance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du harcèlement moral ne peut être postérieur à la date de cessation du contrat de travail.

Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, retient que le dernier fait de harcèlement allégué par la salariée est constitué par une lettre de l'employeur datée du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis, sans s'expliquer sur la date à laquelle la salariée a pris connaissance de cette lettre.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), Mme [D] a été engagée le 11 mars 2002 par M. [M], notaire, en qualité d'employée accueil standard qualifiée. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du mois de mars 2008, puis licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 16 juillet 2008.

2. Soutenant notamment avoir subi un harcèlement moral, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 16 septembre 2013, de demandes formées à l'encontre de M. [M] et de la société [M], tendant au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, à la nullité de son licenciement, à sa réintégration avec paiement d'une indemnité d'éviction, subsidiairement à défaut de réintégration, au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, de rappel de salaire du mois de juillet 2008, de remise tardive des documents sociaux, de garantie d'emploi conventionnelle et du droit à l'information sur la formation.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors, « que les faits dont le salarié a connaissance après la fin du contrat de travail ne sauraient être appréhendés par les dispositions des articles L. 1151-1 et L. 1152-1 du code du travail ; que la cour d'appel qui constate que le courrier litigieux est daté du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis conventionnel, ce dont il s'inférait qu'il n'avait pu être reçu par Mme [D] que postérieurement à la fin de ce préavis et donc à la cessation de la relation de travail la liant à M. [M], ainsi au demeurant que Mme [D] l'admettait elle-même dans ses écritures d'appel, ne pouvait, sans s'expliquer sur la date à laquelle Mme [D] avait eu connaissance de ce courrier, retenir celui-ci comme point de départ de la prescription de l'action en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral sans priver sa décision de base légale au regard des articles précités, ensemble les articles 2224 du code civil et L. 1471-1, alinéa 2, du code du travail en sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 1152-1 du code du travail :

5. En application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

6. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

7. Il en résulte que, d'une part, est susceptible de caractériser un agissement de harcèlement moral un fait dont le salarié a connaissance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du harcèlement moral ne peut être postérieur à la date de cessation du contrat de travail.

8. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par l'employeur, l'arrêt retient que le point de départ du délai de prescription est la date du dernier fait de harcèlement allégué par la salariée, de sorte que, celui-ci étant constitué par le courrier de l'employeur du 16 octobre 2008 daté du dernier jour du préavis conventionnel de trois mois, la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, formée le 16 septembre 2013, est recevable.

9. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la lettre de l'employeur était datée du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis, sans s'expliquer sur la date à laquelle la salariée avait pris connaissance de cette lettre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [M] à payer à Mme [D] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et en ce qu'il condamne M. [M] aux dépens, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 1152-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la prescription de l'action en réparation de harcèlement moral, à rapprocher : Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-21.931, Bull., (cassation partielle sans renvoi par voie de retranchement).

Soc., 19 avril 2023, n° 21-21.053, (B) (R), FP

Rejet

Harcèlement – Harcèlement moral – Existence – Faits établis par le salarié la faisant présumer – Appréciation – Office du juge – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 15 avril 2021), Mme [L] a été engagée par l'Association Institution familiale Sainte-Thérèse (l'AIFST) à compter du 28 novembre 2002 en qualité de psychologue, affectée au sein de l'établissement le foyer du [4] qui accueille des adolescents en difficulté.

2. Par lettre du 9 avril 2018, elle a été licenciée pour faute grave.

3. Soutenant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, la salariée a saisi, le 31 octobre 2018, la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l'obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement de la salariée est nul et de le condamner au paiement d'une somme sur ce fondement, alors :

« 1°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c'est à la condition qu'il soit effectivement reproché au salarié d'avoir dénoncé l'existence de faits de « harcèlement moral » ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait à Mme [L] d'avoir adressé à la direction du foyer du [4] un courrier en date du 26 février 2018 au sein duquel elle avait « gravement mis en cause l'attitude et les décisions prises par le directeur, M. [D], tant à [son] égard que s'agissant du fonctionnement de la structure » et y avait « également porté des attaques graves à l'encontre de plusieurs de [ses] collègues, quant à leur comportement, leur travail, mais encore à l'encontre de la gouvernance de l'Association » ; qu'en considérant néanmoins que la formulation de la lettre de licenciement autorisait Mme [L] à revendiquer le bénéfice des dispositions protectrices de l'article L. 1152-2 du code du travail, et en annulant en conséquence le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail ;

2°/ qu'en retenant que « le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement », quand la lettre de licenciement ne reprochait pas à la salariée d'avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement du 9 avril 2018, et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents qu'il examine, en méconnaissance de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, le juge ne peut prononcer la nullité du licenciement qu'à la condition que le salarié ait qualifié les agissements visés de harcèlement moral ; qu'ayant constaté que « en l'espèce, la lettre de licenciement reproche pour l'essentiel à Mme [L] l'envoi d'un courrier, le 26 février 2018, à des membres du conseil de l'administration pour dénoncer le comportement de M. [D], directeur du foyer du [4] en l'illustrant de plusieurs exemples qui ont entraîné selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé », la cour d'appel a décidé que « le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement » ; que partant, en énonçant que Mme [L] avait été licenciée pour un grief « tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée », alors qu'il ne résultait pas de ses propres constatations que la salariée avait relaté dans le courrier du 26 février des faits qualifiés par elle de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1152-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail ;

4°/ que l'AIFST exposait dans ses écritures que Mme [L] ne mentionnait « à aucun moment le terme de harcèlement » dans sa lettre du 26 février 2018, et en déduisait qu'elle ne pouvait conclure à la nullité de son licenciement en considérant que la mesure prise à son encontre aurait été fondée sur un harcèlement moral qu'elle aurait prétendument dénoncé ; qu'en décidant néanmoins que Mme [L] avait été licenciée pour un grief « tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée », sans rechercher, alors qu'elle y était pourtant invitée, si la salariée avait qualifié dans sa lettre du 26 février 2018 le comportement dénoncé de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1152-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

7. Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

8. La Cour de cassation en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement moral emporte à lui seul la nullité du licenciement (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-25.554, Bull. 2015, V, n° 115).

9. La Cour de cassation a également jugé que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection légale contre le licenciement tiré d'un grief de dénonciation de faits de harcèlement moral que s'il avait lui-même qualifié les faits d'agissements de harcèlement moral (Soc., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-23.045, Bull. 2017, V, n° 134).

10. Postérieurement, la Cour de cassation a énoncé que l'absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n'est pas exclusive de la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle peut être alléguée par l'employeur devant le juge (Soc., 16 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.696, publié au Bulletin).

11. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et que le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul (Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, publié au Bulletin).

12. Dès lors, au regard, d'une part de la faculté pour l'employeur d'invoquer devant le juge, sans qu'il soit tenu d'en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d'autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l'exercice non abusif de sa liberté d'expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l'instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

13. D'abord, ayant constaté, hors toute dénaturation, que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d'avoir adressé à des membres du conseil d'administration de l'AIFST, le 26 février 2018, une lettre pour dénoncer le comportement du directeur du foyer du [4] en l'illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d'agissements de harcèlement moral.

14. Ensuite, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n'était pas démontrée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l'intéressée d'agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Articles L. 1152-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de nécessité pour le salarié de qualifier les faits qu'il rapporte de faits de harcèlement, évolution par rapport à : Soc., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-23.045, Bull. 2017, V, n° 134 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 19 avril 2023, n° 21-21.349, (B), FRH

Rejet

Harcèlement – Harcèlement moral – Préjudice – Réparation – Cas – Salarié protégé – Salarié licencié pour inaptitude physique – Demande d'indemnisation devant le juge prud'homal – Possibilité – Détermination – Portée

Employeur – Discrimination entre salariés – Discrimination syndicale – Effets – Préjudice – Action en réparation – Cas – Salarié protégé – Salarié licencié pour inaptitude physique – Demande d'indemnisation devant le juge prud'homal – Possibilité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 juin 2021), Mme [W] a été engagée en qualité d'employée libre service à compter du mois de juillet 2001 par la société Normande de distribution, aux droits de laquelle vient la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie (la société). Elle a été élue membre titulaire du comité d'entreprise en mars 2011. Elle a été placée en arrêt maladie du 27 novembre 2013 au 3 septembre 2014.

2. Reconnue inapte à la reprise de son poste par deux avis médicaux des 4 et 19 septembre 2014, la salariée a été convoquée le 7 janvier 2015 à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Elle a été licenciée le 18 mars 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l'inspecteur du travail en date du 11 mars 2015, lequel a précisé qu'il n'apparaissait pas que la demande d'autorisation de licenciement serait en lien avec l'exercice de son mandat par la salariée et qu'ainsi l'éventualité d'une discrimination syndicale était exclue.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 7 juillet 2015 en faisant valoir que son inaptitude résultait de faits de harcèlement moral de son employeur liés à une discrimination syndicale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de dire le conseil de prud'hommes de Rouen compétent pour connaître de l'action engagée par la salariée à son encontre et de renvoyer l'affaire devant ledit conseil de prud'hommes, alors « que, s'il n'appartient pas à l'inspecteur saisi d'une demande de licenciement motivée par l'inaptitude du salarié de rechercher la cause de cette inaptitude, l'inspecteur du travail ne peut en revanche autoriser un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale ; que le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est de nature à révéler un tel rapport, de sorte que l'inspecteur du travail doit refuser le licenciement lorsqu'une discrimination syndicale a entraîné un harcèlement et l'inaptitude du salarié ; qu'en conséquence, l'autorisation de licenciement fait obstacle à ce que le juge prud'homal se prononce sur une demande du salarié tendant à voir juger son licenciement nul, comme résultant d'un harcèlement moral en lien avec l'exercice de ses mandats ou son appartenance syndicale ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme [W] soutenait expressément qu'elle fondait ses demandes sur le « fait que son inaptitude a été causée par la faute de l'employeur, et plus précisément par un harcèlement lié à l'exercice de son mandat » et dénonçait de prétendues difficultés liées à l'exercice de son mandat ; qu'en jugeant cependant que le conseil de prud'hommes est compétent pour rechercher si l'inaptitude avait ou non une origine professionnelle, y compris lorsqu'est invoqué devant lui un manquement de l'employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral, cependant que la salariée imputait ce harcèlement moral à des faits de discrimination liés à son mandat, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et l'article L. 2421-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

5. Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude, il appartient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral ou d'une discrimination syndicale dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1132-1, L. 1132-4, L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

6. Dès lors, la cour d'appel a décidé exactement que le contrôle exercé en l'espèce par l'administration du travail, saisie d'une demande d'autorisation administrative de licenciement pour inaptitude, de l'absence de lien entre le licenciement et les mandats détenus par le salarié ne faisait pas obstacle à ce que le juge judiciaire recherche si l'inaptitude du salarié avait pour origine un manquement de l'employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral ou une discrimination syndicale.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; principe de séparation des pouvoirs.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité offerte à un salarié protégé, licencié pour inaptitude après une autorisation accordée par l'autorité administrative, de faire valoir devant les juridictions judiciaires les droits résultant de l'origine de l'inaptitude, à rapprocher : Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.985 (2), Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 15 juin 2022, pourvoi n° 20-22.430, Bull., (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité.

Soc., 13 avril 2023, n° 21-22.455, (B), FS

Cassation partielle

Rémunération complémentaire – Prime de participation aux résultats de l'entreprise – Action en paiement – Prescription – Délai biennal – Détermination

La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée. La demande en paiement d'une somme au titre de la participation aux résultats de l'entreprise, laquelle n'a pas une nature salariale, relève de l'exécution du contrat de travail et est soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 15 juin 2021), Mme [T] a été engagée à compter du 21 septembre 1998 par la société Compagnie réunionnaise des jeux.

2. Une rupture conventionnelle a été conclue le 31 juillet 2017.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 16 septembre 2019, d'une demande de condamnation de son employeur à lui verser une somme au titre de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise pour l'exercice 2004-2005.

Sur le moyen, relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article L. 3245-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

5. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

6. Aux termes du second, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

7. La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.

La demande en paiement d'une somme au titre de la participation aux résultats de l'entreprise, laquelle n'a pas une nature salariale, relève de l'exécution du contrat de travail et est soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail.

8. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande de la salariée au titre de la participation aux résultats de l'entreprise pour l'exercice 2004-2005, l'arrêt constate qu'elle soutient n'avoir appris son droit au titre de la participation qu'à la fin du mois d'octobre 2017. Il retient que l'employeur ne démontre pas que la salariée en aurait été informée plus tôt. Il ajoute que cette dernière a introduit son action en saisissant le conseil de prud'hommes le 16 septembre 2019 et en déduit qu'elle a ainsi agi dans le délai de trois ans ayant suivi le jour où elle a connu le fait le lui permettant.

9. L'arrêt retient, ensuite, que le contrat de travail de la salariée ayant été rompu le 31 juillet 2017, sa demande ne pouvait porter que sur la période non atteinte par la prescription, soit du 31 juillet 2014 au 31 juillet 2017. Il en déduit que la demande en paiement de la salariée au titre de la participation pour l'exercice 2004-2005 est irrecevable comme prescrite.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait application d'un délai de prescription qui n'était pas applicable au litige, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrite la demande en paiement de la participation aux résultats de l'entreprise de Mme [T], en ce qu'il la déboute de sa demande au titre des frais irrépétibles et la condamne à payer à la société Compagnie réunionnaise des jeux la somme de 1 100 euros à ce titre, ainsi que les dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Bénabent ; Me Carbonnier -

Textes visés :

Articles L. 1471-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et L. 3245-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail.

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