Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

COMPETENCE

1re Civ., 13 avril 2023, n° 22-12.965, (B), FS

Sursis a statuer

Clause attributive – Clause attributive de juridiction – Validité – Détermination – Droit applicable

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 novembre 2021), pour la réalisation d'un ouvrage commandé par M. [L] et Mme [H] (les consorts [L]), la société française Agora a conclu avec la société italienne SPA Italiana Lastre (SIL) un contrat portant sur la fourniture de panneaux de bardage et stipulant : « La compétence du tribunal de Brescia s'appliquera à tout litige qui surgirait du présent contrat ou qui aurait un rapport avec ce dernier. Societa Italiana Lastre se réserve la faculté de procéder à l'égard de l'acheteur devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l'étranger. »

2. En novembre 2019 et janvier 2020, les consorts [L], invoquant des désordres, ont assigné en responsabilité et indemnisation l'ensemble des locateurs d'ouvrages, ainsi que le fournisseur des panneaux.

3. La société SIL a soulevé une exception d'incompétence internationale à l'encontre de la demande de garantie de la société Agora.

4. La cour d'appel a rejeté l'exception d'incompétence en retenant que cette clause donnait à la société SIL un plus grand choix de juridictions à saisir qu'à la société Agora sans préciser les éléments objectifs sur lesquels les parties s'étaient mises d'accord pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie, qu'elle ouvrait donc à la société SIL un choix discrétionnaire qui était contraire à l'objectif de prévisibilité auquel les clauses attributives de juridiction devaient satisfaire et qu'elle était, dès lors, illicite.

Enoncé du moyen

5. La société SIL fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance ayant rejeté l'exception d'incompétence territoriale, alors :

« 1°/ qu'en confirmant le rejet de l'exception d'incompétence territoriale présentée par la société SIL, sans répondre au moyen, péremptoire, tiré de ce qu'en vertu de l'article 25, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, la clause attributive de compétence litigieuse devait être appréciée au regard du droit italien et non du droit français, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la validité d'une convention attributive de juridiction s'apprécie selon le droit de l'Etat dont les juridictions sont désignées ; qu'en considérant que la clause d'élection de for convenue par les parties aurait été illicite, après avoir constaté que cette clause désignait le tribunal de Brescia en Italie, sans faire application du droit italien, la cour d'appel a violé l'article 25, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

Rappel des textes applicables

6. Sous l'empire de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, arrêt du 9 novembre 2000, Coreck Maritime, C-387/98) a dit pour droit que l'article 17, alinéa 1, doit être interprété, en ce qu'il n'exige pas qu'une clause attributive de juridiction soit formulée de telle façon qu'il soit possible d'identifier la juridiction compétente par son seul libellé, qu'il suffit que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d'accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître, que ces éléments, qui doivent être suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s'il est compétent, peuvent être concrétisés, le cas échéant, par les circonstances propres à la situation de l'espèce.

7. Aux termes de l'article 25, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

8. L'article 25, § 1, a introduit un renvoi au droit de l'Etat membre de la juridiction désignée pour apprécier la validité de la clause attributive de juridiction « quant au fond ».

9. Cette précision invite à s'interroger sur la portée de ce renvoi, particulièrement en présence de clauses attributives de juridiction asymétriques offrant à l'une seulement des parties la possibilité d'opter pour une juridiction de son choix, compétente selon les règles de droit commun, autre que celle mentionnée par cette même clause.

10. Si l'autre partie soutient que cette clause est illicite en raison de son imprécision et/ou de son caractère déséquilibré, cette question doit-elle être tranchée au regard de règles autonomes tirées de l'article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis et de l'objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi par ce règlement, ou doit-elle être tranchée en faisant application du droit de l'Etat membre désigné par la clause ? Autrement dit, cette question relève-t-elle, au sens de ce texte, de la validité au fond de la clause ? Faut-il au contraire considérer que les conditions de validité au fond de la clause s'interprètent de manière restrictive et ne visent que les seules causes matérielles de nullité, et principalement la fraude, l'erreur, le dol, la violence et l'incapacité ?

11. Si la question de l'imprécision ou du caractère déséquilibré de la clause doit être tranchée au regard de règles autonomes, l'article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis doit-il être interprété en ce sens qu'une clause qui n'autorise une partie à saisir qu'un seul tribunal, alors qu'elle permet à l'autre de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente selon le droit commun doit ou ne doit pas recevoir application ?

12. Si l'asymétrie d'une clause relève d'une condition de fond, comment faut-il interpréter ce texte et particulièrement le renvoi au droit de l'Etat de la juridiction désignée lorsque plusieurs juridictions sont désignées par la clause, ou lorsque la clause désigne une juridiction tout en laissant une option à l'une des parties pour choisir une autre juridiction et que ce choix n'a pas été encore opéré au jour où le juge est saisi :

 - la loi nationale applicable est-elle celle de la seule juridiction explicitement désignée, peu important que d'autres puissent également être saisies ?

 - en présence d'une pluralité de juridictions désignées, est-il possible de se référer au droit de la juridiction effectivement saisie ?

 - enfin, eu égard au considérant n° 20 du règlement Bruxelles I bis, faut-il comprendre que le renvoi au droit de la juridiction de l'Etat membre désigné s'entend des règles matérielles de cet Etat ou de ses règles de conflit de lois ?

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE);

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

1°) En présence d'une clause attributive de juridiction asymétrique offrant à l'une seulement des parties la possibilité d'opter pour une juridiction de son choix, compétente selon les règles de droit commun, autre que celle mentionnée par cette même clause, si l'autre partie soutient que cette clause est illicite en raison de son imprécision et/ou de son caractère déséquilibré, cette question doit-elle être tranchée au regard de règles autonomes tirées de l'article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis et de l'objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi par ce règlement, ou doit-elle être tranchée en faisant application du droit de l'Etat membre désigné par la clause ? Autrement dit, cette question relève-t-elle au sens de cet article, de la validité au fond de la clause ? Faut-il au contraire considérer que les conditions de validité au fond de la clause s'interprètent de manière restrictive et ne visent que les seules causes matérielles de nullité, et principalement la fraude, l'erreur, le dol, la violence et l'incapacité ?

2°) Si la question de l'imprécision ou du caractère déséquilibré de la clause doit être tranchée au regard de règles autonomes, l'article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis doit-il être interprété en ce sens qu'une clause qui n'autorise une partie à saisir qu'un seul tribunal, alors qu'elle permet à l'autre de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente selon le droit commun doit ou ne doit pas recevoir application ?

3°) Si l'asymétrie d'une clause relève d'une condition de fond, comment faut-il interpréter ce texte et particulièrement le renvoi au droit de l'Etat de la juridiction désignée lorsque plusieurs juridictions sont désignées par la clause, ou lorsque la clause désigne une juridiction tout en laissant une option à l'une des parties pour choisir une autre juridiction et que ce choix n'a pas été encore fait au jour où le juge est saisi :

 - la loi nationale applicable est-elle celle de la seule juridiction explicitement désignée, peu important que d'autres puissent également être saisies ?

 - en présence d'une pluralité de juridictions désignées, est-il possible de se référer au droit de la juridiction effectivement saisie ?

 - enfin, eu égard au considérant n° 20 du règlement Bruxelles I bis, faut-il comprendre que le renvoi au droit de la juridiction de l'Etat membre désigné s'entend des règles matérielles de cet Etat ou de ses règles de conflit de lois ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Le Bret-Desaché -

Textes visés :

Article 25, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.

1re Civ., 5 avril 2023, n° 21-25.044, (B), FS

Cassation partielle

Compétence matérielle – Juge aux affaires familiales – Concubinage – Liquidation et partage des intérêts patrimoniaux – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 7 juillet 2020), M. [T], qui a vécu en concubinage avec Mme [F] jusqu'en 2013, a saisi un juge aux affaires familiales en liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.

2. Au cours de l'instance, Mme [F] a sollicité la condamnation de M. [T] au paiement d'une indemnité au titre de son occupation d'un immeuble lui appartenant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [F] fait grief à l'arrêt de la renvoyer à mieux se pourvoir sur sa demande relative à l'indemnité d'occupation, alors « que, en cause d'appel, l'incompétence déduite de la violation d'une règle de compétence d'attribution ne peut être retenue d'office que si l'affaire ressortit à une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française ; qu'en relevant d'office l'incompétence du juge aux affaires familiales pour connaître d'une demande en paiement d'une indemnité d'occupation du chef de l'occupation sans droit ni titre par un concubin de l'immeuble appartenant à son ex-concubine, la cour d'appel a violé l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile :

5. Il résulte de ce texte que la cour d'appel ne peut relever d'office son incompétence que si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française.

6. Pour déclarer, d'office, le juge aux affaires familiales incompétent en application de l'article L. 213-3, 2°, du code de l'organisation judiciaire, l'arrêt retient que la demande d'indemnité d'occupation formée par Mme [F] est fondée juridiquement sur l'occupation sans droit ni titre de son immeuble et non sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des concubins.

7. En statuant ainsi, alors que la demande ne relevait pas de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative et n'échappait pas à la connaissance de la juridiction française, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

8. Mme [F] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les créances entre concubins dans le cadre de la liquidation et du partage de leurs intérêts patrimoniaux ; qu'en déclarant que le juge aux affaires familiales n'était pas compétent pour connaître d'une demande en paiement d'une indemnité d'occupation dès lors qu'elle n'était pas fondée sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux entre concubins, quand la créance était née de leur séparation, la cour d'appel a violé l'article L. 213-3, 2°, du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 213-3, 2°, du code de l'organisation judiciaire :

9. Aux termes de ce texte, le juge aux affaires familiales connaît de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des concubins.

10. Les intérêts patrimoniaux des concubins s'entendent de tous leurs rapports pécuniaires, y compris ceux nés de la rupture du concubinage.

11. Pour renvoyer Mme [F] à mieux se pourvoir sur sa demande d'indemnité d'occupation, après avoir relevé que celle-ci sollicitait la fixation du point de départ de l'indemnité à la date de la séparation du couple, l'arrêt retient que, fondée juridiquement sur l'occupation sans droit ni titre d'un immeuble lui appartenant et non sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des concubins, la demande de Mme [F] ne relève pas de la compétence du juge aux affaires familiales.

12. En statuant ainsi, alors que la demande d'indemnité au titre de l'occupation sans droit ni titre par M. [T] d'un immeuble appartenant à Mme [F] était née de la rupture de leur concubinage et entrait dans le règlement et le partage de leurs intérêts patrimoniaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation du chef de dispositif renvoyant Mme [F] à mieux se pourvoir sur sa demande relative à l'indemnité d'occupation n'emporte pas celle des chefs de dispositif relatifs aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il renvoie Mme [F] à mieux se pourvoir sur sa demande relative à l'indemnité d'occupation, l'arrêt rendu le 7 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L. 213-3, 2°, du code de l'organisation judiciaire.

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