Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

APPEL CIVIL

1re Civ., 5 avril 2023, n° 22-21.863, (B), FS

Cassation

Acte de procédure – Transmission par voie électronique – Obligation – Limite – Aspects civils de l'enlèvement international d'enfants – Procédure introduite par le procureur de la République

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 3 juin 2021), de l'union de M. [E] et de Mme [P], sont nés trois enfants, [D], le 8 avril 2010, [S], le 22 avril 2012, et [T], le 4 mai 2014.

2. La famille s'est installée à l'Ile Maurice en décembre 2014.

3. A l'issue des fêtes de fin d'année 2019, Mme [P], partie avec les enfants en France, s'est opposée à leur retour à l'Ile Maurice.

4. Le 15 janvier 2020, M. [E] a saisi l'autorité centrale de l'Ile Maurice en vue d'obtenir le retour immédiat des enfants, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

5. Le 10 juillet 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Amiens a saisi, à cette fin, le juge aux affaires familiales. M. [E] est intervenu volontairement à l'instance.

6. Par ordonnance de référé du 10 juillet 2020, le juge aux affaires familiales a constaté que le non-retour des enfants à l'Ile Maurice était illicite et rejeté la demande de retour, au motif qu'il existait un risque grave que celui-ci ne les expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne les place dans une situation intolérable.

7. Le ministère public a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. [E] fait grief à l'arrêt de dire irrecevable la déclaration d'appel formalisée le 7 août 2020 par le ministère public et, par voie de conséquence, de ne pas examiner son appel incident, alors « que si l'article 930-1 du code de procédure civile impose, à peine d'irrecevabilité, de transmettre sa déclaration d'appel par voie électronique, constitue une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge le fait déclarer irrecevable, en matière de déplacement illicite d'enfants, un appel formé par le ministère public sur papier et dont la transmission par voie électronique a échoué, privant par là même l'un des parents des enfants de son appel incident, dès lors que la volonté manifeste de former appel du parquet ressortait nettement des constatations de l'arrêt ; qu'en retenant, pour déclarer la déclaration d'appel irrecevable et priver M. [E] du réexamen de l'affaire, que le ministère public avait formalisé cette déclaration d'appel sur papier mais n'a pu être transmise par voie électronique à cause d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse mel accepté par le RPVA » (arrêt, p. 6, § 2), quand il ressortait nettement de ses constatations que le ministère public entendait relever appel de l'ordonnance du 31 juillet 2020 ayant notamment rejeté la demande de retour de [D], [S] et [T] à l'Ile Maurice auprès de leur père, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » ;

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. Mme [P] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient, d'une part, que, n'ayant pas relevé appel principal de l'ordonnance de référé, M. [E] est sans intérêt à contester l'irrecevabilité de la déclaration d'appel du ministère public, d'autre part, que, M. [E] n'ayant pas défendu à l'incident de procédure soulevé par elle tendant à l'irrecevabilité de la déclaration d'appel du ministère public, le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

10. Cependant, d'une part, M. [E] a un intérêt à contester l'irrecevabilité de l'appel principal du ministère public, dès lors que celle-ci a eu pour conséquence que son appel incident n'a pas été examiné.

11. D'autre part, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est de pur droit.

12. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et l'article 1210-4 du code de procédure civile :

13. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

14. En application des deuxièmes, les autorités centrales instituées par la Convention doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants.

En particulier, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour immédiat de l'enfant.

15. Selon le troisième, l'autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et européens relatifs au déplacement illicite international d'enfants transmet au procureur de la République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu'il ordonne les mesures provisoires prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant.

16. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même

17. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Henrioud c. France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11), a retenu qu'au vu des conséquences entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge.

En effet, le requérant n'avait pu voir examiner par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13, a), de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.

18. Pour déclarer irrecevable l'appel du ministère public formé contre l'ordonnance de référé du 31 juillet 2020, l'arrêt, après avoir énoncé qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, que la communication électronique avec le greffe s'impose au ministère public lorsqu'il est partie principale, celui-ci n'étant autorisé à établir la déclaration d'appel sur support papier qu'en cas d'impossibilité de la transmettre par voie électronique pour une cause étrangère, retient que tel n'est pas le cas en l'espèce, la déclaration d'appel n'ayant été formalisée le 7 août 2020 que sur support papier, sa transmission le même jour au greffe par voie électronique ayant échoué en raison d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse accepté par le réseau privé virtuel des avocats ».

19. En statuant ainsi, en faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée par M. [E] sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le principe de l'obligation, pour le ministère public, qui avait un rôle central et particulier en la matière, de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions tendant au retour des enfants, formées par M. [E] en qualité d'appelant incident, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a, partant, violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ; article 1210-4 du code de procédure civile.

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-21.242, (B), FRH

Cassation

Délai – Point de départ – Signification – Signification irrégulière – Notification irrégulière – Mentions erronées identité des parties – Voies de recours – Effets

Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit d'accès au juge, qu'un justiciable, fût-il représenté ou assisté par un avocat, ne saurait être tenu pour responsable du non-respect des formalités de procédure imputable à la juridiction. Dès lors, le délai d'appel ne peut pas courir contre la partie qui a reçu une notification du jugement effectuée par le greffe comprenant des mentions erronées sur l'identité des parties. Par conséquent, méconnaît l'article 6, § 1, de la Convention précitée, une cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable une déclaration d'appel, retient qu'une erreur dans l'identité des parties n'a pas pour effet de rendre irrégulière la notification du jugement de première instance opérée par le greffe d'un conseil de prud'hommes, ces mentions ne figurant pas au nombre de celles prévues par les articles 680 du code de procédure civile et R. 1454 du code du travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 18 novembre 2020), la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie (la société) après avoir sanctionné disciplinairement M [U], l'a licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

2. Ce dernier a contesté ce licenciement devant un conseil de prud'hommes.

3. M. [U] a interjeté appel du jugement rendu par ce conseil de prud`hommes le 15 mai 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [U] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme tardif l'appel qu'il a interjeté le 29 août 2019 à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens en date du 15 mai 2019 et de constater le dessaisissement de la cour d'appel d'Amiens de l'instance, alors « que de seconde part et à titre subsidiaire, le droit d'accès à un tribunal, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, impose que les limitations qui y sont apportées ne restreignent pas l'accès ouvert au justiciable à un tribunal d'une manière ou à un point tel que son droit d'accès à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même et poursuivent un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; que la limitation au droit d'accès à un tribunal, résultant de ce que la notification d'un jugement d'un conseil de prud'hommes fait courir le délai d'appel à l'encontre de son destinataire, même si elle comporte une erreur sur l'identité des parties au litige, et de ce que l'appel interjeté par le destinataire d'une telle notification, après avoir interjeté un premier appel qui a été jugé irrecevable pour avoir été dirigé contre une personne qui n'était pas partie au jugement du conseil de prud'hommes et après l'expiration du délai d'appel courant à compter de cette même notification, est irrecevable en raison de sa tardiveté, restreint l'accès du destinataire de la notification à un tribunal d'une manière ou à un point tel que son droit d'accès à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même, ne poursuit pas un but légitime et impose, en tout état de cause, au destinataire de la notification une sanction disproportionnée ; qu'en retenant, par conséquent, pour déclarer irrecevable comme tardif l'appel interjeté le 29 août 2019 par M. [V] [U] à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens en date du 15 mai 2019, qu'une erreur dans l'identité des parties n'a pas pour effet de rendre irrégulière la notification du jugement de première instance opérée par le greffe du conseil de prud'hommes et fait courir le délai d'appel à l'égard de la partie à laquelle cette notification a été faite et qu'en conséquence, l'appel interjeté par cette partie, après avoir interjeté un premier appel qui a été jugé irrecevable pour avoir été dirigé contre une personne qui n'était pas partie au jugement du conseil de prud'hommes et après l'expiration du délai d'appel courant à compter d'une telle notification, était irrecevable en raison de sa tardiveté, la cour d'appel a violé les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. D'une part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d'autres, les arrêts Edificaciones March Gallego S.A. et Pérez de Rada Cavanilles, §§ 34 et 44, respectivement).

6. D'autre part, la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise certes à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique.

Les intéressés doivent s'attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible (CEDH, arrêt du 26 octobre 2000, Leoni c. Italie, n° 43269/98, §§ 22 et 23).

7. Il s'ensuit qu'un justiciable, fût-il représenté ou assisté par un avocat, ne saurait être tenu pour responsable du non-respect des formalités de procédure imputable à la juridiction, l'irrecevabilité de son recours s'analysant en une entrave à son droit d'accès à un tribunal.

8. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt retient que l'erreur dans l'identité des parties n'a pas pour effet de rendre irrégulière la notification opérée par le greffe du conseil de prud'hommes, ces mentions ne figurant pas au nombre de celles prévues par les articles 680 du code de procédure civile et R. 1454 du code du travail.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'acte de notification comportait une mention erronée dans l'identification de la société, imputable à la juridiction, qui avait été reprise par l'appelant dans sa déclaration d'appel, la cour d'appel, qui devait nécessairement en déduire que le délai d'appel n'avait pas couru, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bonnet - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 680 du code de procédure civile ; article R.1454 du code du travail.

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-23.163, (B), FRH

Rejet

Procédure avec représentation obligatoire – Déclaration d'appel – Caducité – Cas – Défaut de notification des conclusions dans le délai imparti – Demande d'aide juridictionnelle déposée après la déclaration d'appel – Absence d'influence

Il résulte de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que le point de départ d'un délai de recours est reporté, au profit de celui qui demande le bénéfice de l'aide juridictionnelle avant l'expiration de ce délai, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d'admission, à la date, si elle est plus tardive, du jour de la désignation d'un auxiliaire de justice en vue d'assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l'exercice de ce recours. Le point de départ des délais impartis pour conclure ou former appel incident est reporté de manière identique au profit des parties à une instance d'appel sollicitant le bénéfice de l'aide juridictionnelle au cours des délais mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile.

Ces règles, qui ne prévoient pas, au profit de l'appelant, un report du point de départ du délai pour remettre ses conclusions au greffe, en application de l'article 908 du code de procédure civile, poursuivent néanmoins un but légitime au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'occurrence la célérité de la procédure et une bonne administration de la justice.

Elles ne placent pas non plus l'appelant dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire dès lors qu'il bénéficie, lorsqu'il forme sa demande d'aide juridictionnelle avant de faire appel, du même report du point de départ de son délai de recours que celui dont bénéficient les intimés pour conclure ou former appel incident lorsqu'ils sollicitent le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

C'est donc sans méconnaître le droit d'accès au juge d'appel ni le principe d'égalité des armes que la cour d'appel a prononcé la caducité de la déclaration d'appel faute pour l'appelant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle d'avoir notifié ses conclusions aux intimés dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel quand bien même le bénéfice de l'aide juridictionnelle, sollicité avant de relever appel, avait été accordé à l'appelant postérieurement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 juin 2020), M. [I] a relevé appel, le 14 novembre 2018, du jugement d'un conseil de prud'hommes ayant statué dans le litige l'opposant à la société Lancry protection sécurité et à l'organisme AG2R Réunica prévoyance, aux droits de laquelle vient la société AG2R prévoyance, après avoir sollicité, le 8 octobre 2018, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui a été accordée le 26 décembre 2018.

2. Il a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de sa déclaration d'appel en application de l'article 908 du code de procédure civile, à défaut pour lui d'avoir signifié ses conclusions dans le délai de trois mois de la déclaration d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche,

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. M. [I] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance déférée ayant prononcé la caducité de sa déclaration d'appel, alors :

« 1°/ Que si le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l'accès ouvert au justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même ; que les règles procédurales, telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l'introduction de recours, ou l'application qui en est faite ne doivent pas empêcher le justiciable d'utiliser une voie de recours disponible ; que l'absence d'effet interruptif ou suspensif de la demande d'aide juridictionnelle régulièrement introduite avant qu'un appel a été formé, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal ; qu'en déclarant caduc l'appel formé le 18 novembre 2018 par M. [I] contre un jugement rendu le 28 mai 2018, après avoir relevé que l'intéressé avait formé sa demande d'aide juridictionnelle le 8 octobre 2018, qu'il avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle le 26 décembre 2018 et qu'il avait notifié ses conclusions d'appelant le 1er mars 2019, la cour d'appel a violé l'article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ Que constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le fait que chaque partie ne se voie pas offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en retenant en l'espèce que « si le décret du 6 mai 2017 a rétabli l'effet interruptif s'agissant des délais pour conclure impartis à l'intimé, cela ne concerne pas les délais de l'appelant pour conclure », la cour d'appel a violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Lancry protection sécurité soutient que le moyen, nouveau et mélangé de fait, n'est pas recevable.

6. Cependant, le moyen est de pur droit dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.

7. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien fondé du moyen

8. Il résulte de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qui a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 abrogé par le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, que le point de départ d'un délai de recours est reporté, au profit de celui qui demande le bénéfice de l'aide juridictionnelle avant l'expiration de ce délai, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d'admission, à la date, si elle est plus tardive, du jour de la désignation d'un auxiliaire de justice en vue d'assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l'exercice de ce recours.

Le point de départ des délais impartis pour conclure ou former appel incident est reporté de manière identique au profit des parties à une instance d'appel sollicitant le bénéfice de l'aide juridictionnelle au cours des délais mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile.

9. Ces règles, qui ne prévoient pas, au profit de l'appelant, un report du point de départ du délai pour remettre ses conclusions au greffe, en application de l'article 908 du code de procédure civile, poursuivent néanmoins un but légitime au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'occurrence la célérité de la procédure et une bonne administration de la justice. Elles sont, en outre, accessibles et prévisibles, et ne portent par une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.

10. En effet, en se conformant à l'article 38 du décret, la partie qui entend former un appel avec le bénéfice de l'aide juridictionnelle est mise en mesure, de manière effective, par la désignation d'un avocat et d'autres auxiliaires de justice, d'accomplir l'ensemble des actes de la procédure.

11. Ce dispositif, dénué d'ambiguïté pour un avocat, permet de garantir un accès effectif au juge d'appel au profit de toute personne dont la situation pécuniaire la rend éligible au bénéfice d'une aide juridictionnelle au jour où elle entend former un appel.

12. Il ne place pas non plus l'appelant dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire dès lors qu'il bénéficie, lorsqu'il forme sa demande d'aide juridictionnelle avant de faire appel, du même report du point de départ de son délai de recours que celui dont bénéficient les intimés pour conclure ou former appel incident lorsqu'ils sollicitent le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

13. La cour d'appel ayant constaté que le salarié n'avait pas notifié ses conclusions aux intimés dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel, c'est dès lors, sans méconnaître le droit d'accès au juge d'appel ni le principe d'égalité des armes, qu'elle a prononcé la caducité de la déclaration d'appel.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ; articles 905-2, 908, 909 et 910 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 4 juin 2020, pourvoi n° 19-24.598, Bull. (rejet).

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-12.852, (B), FS

Cassation partielle

Procédure avec représentation obligatoire – Procédures fondées sur l'article 905 du code de procédure civile – Fixation à bref délai – Voies de recours – Déféré – Office de la cour d'appel – Irrecevabilité de l'appel (non)

Lorsque l'affaire est fixée à bref délai, l'étendue des pouvoirs juridictionnels du président de chambre étant délimitée par l'article 905-2 du code de procédure civile, celui-ci ne peut, dès lors, statuer sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant.

Il résulte de l'article 916 du code de procédure civile que saisie par le déféré formé contre l'ordonnance du président de chambre, la cour d'appel ne statue que dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier.

Doit, dès lors, être cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, saisie par le déféré contre une ordonnance d'un président de chambre, statue sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 18 janvier 2021), le 1er juillet 2019, la société Omnium foncier et de participation immobilière (la société OFPI) a relevé appel d'une ordonnance d'un juge-commissaire ayant autorisé la vente des droits et biens immobiliers de la société Phy promotion, en liquidation judiciaire, au profit de la SCI du Donjon.

2. Le 3 octobre 2019, la SCI du Donjon et M. [H] ont déposé, devant le président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée, des conclusions d'intervention volontaire et une requête en irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité à agir et tardiveté.

3. Le 15 novembre 2019, la société OFPI a conclu à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la SCI du Donjon et de M. [H].

4. Le 6 décembre 2019, Mme [L], en qualité de mandataire liquidateur de la société Phy promotion, a saisi la présidente de la chambre d'une requête tendant à l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité à agir de l'appelante.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société OFPI fait grief à l'arrêt, rendu sur déféré de l'ordonnance du président de la formation collégiale, en l'état d'une fixation à bref délai, de déclarer irrecevable l'appel qu'elle avait relevé de l'ordonnance du 25 février 2019 par lequel le juge-commissaire du tribunal de grande instance de Strasbourg avait autorisé la vente des droits et biens immobiliers de la société Phy promotion au profit de la SCI du Donjon, alors « que dans les hypothèses de fixation à bref délai, l'étendue des pouvoirs juridictionnels du président de chambre est déterminée par les premiers alinéas de l'article 905-2 du code de procédure civile qui ne lui permettent pas de relever l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant ; qu'il s'ensuit que la formation collégiale de la cour d'appel qui, saisie par le déféré formé contre l'ordonnance du président de la chambre, statue dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier, ne peut pas se prononcer sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que l'ordonnance entreprise du président de la formation collégiale était entachée d'un excès de pouvoir, pour avoir constaté l'irrecevabilité de l'appel de la société OFPI en raison d'un défaut de qualité de sa part, « pour des motifs étrangers aux prévisions de ces dispositions » ; qu'en décidant cependant qu'il lui appartenait de trancher la question de la recevabilité de l'appel préalablement, le cas échéant, à celle de la recevabilité des interventions volontaires, au vu des articles 122 et 123 du code de procédure civile, dans leur version applicable en la cause, et dès lors qu'elle était saisie dans le cadre d'un « circuit court » ne supposant pas l'intervention du conseiller de la mise en état, la cour d'appel a violé les articles 905-1, 905-2 et 916 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 905-2 et 916 du code de procédure civile :

6. Lorsque l'affaire est fixée à bref délai, l'étendue des pouvoirs juridictionnels du président de chambre étant délimitée par le premier de ces textes, celui-ci ne peut, dès lors, statuer sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant.

7. Il résulte du second de ces textes que, saisie par le déféré formé contre l'ordonnance du président de chambre, la cour d'appel ne statue que dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier.

8. Pour déclarer irrecevable l'appel relevé par la société OFPI, l'arrêt retient que, dès lors qu'elle est saisie dans une procédure de « circuit court » ne supposant pas l'intervention du conseiller de la mise en état, de la question de la recevabilité de l'appel de la société OFPI, il appartient bien à la cour d'appel de trancher cette question, fût-ce sur saisine en déféré.

9. En statuant ainsi, alors que saisie par le déféré contre une ordonnance d'un président de chambre, la cour d'appel, qui, statuant dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier, ne pouvait pas statuer sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'appel interjeté par la société Omnium foncier et de participation immobilière, l'arrêt rendu le 18 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 905-2 et 916 du code de procédure civile.

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