Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

SUCCESSION

1re Civ., 13 avril 2022, n° 20-23.530, (B), FS

Rejet

Succession internationale – Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 – Testament étranger – Condition d'exécution sur les biens situés en France – Enregistrement auprès de l'administration fiscale française – Compatibilité

Conformément au considérant 71 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, le certificat successoral européen a une efficacité probatoire, mais ne constitue pas un titre exécutoire, de sorte que, s'il atteste de la qualité et des droits d'héritier, il n'épuise pas nécessairement les formalités à mettre en oeuvre pour obtenir l'exécution de ces droits.

En outre, conformément à son considérant 10, le règlement exclut de son domaine matériel les questions fiscales et administratives.

En conséquence, l'exigence d'enregistrement de tout testament établi à l'étranger, prévue aux articles 1000 du code civil et 655 du code général des impôts, constitue une formalité fiscale dès lors qu'elle relève de l'administration fiscale et donne lieu au paiement d'un droit fixe.

Il s'en déduit qu'une telle exigence, qui ne remet pas en cause l'efficacité probatoire du certificat successoral européen et ne constitue pas une condition d'exécution des testaments prohibée par le règlement, ne porte pas atteinte au principe d'application directe du règlement ni ne le prive de son effet utile.

Dès lors, ne commet pas de faute de nature à engager sa responsabilité la banque qui refuse de remettre les fonds dépendant de la succession à un héritier titulaire d'un certificat successoral européen, mais ne prouvant pas s'être acquitté de la formalité d'enregistrement prévue par les textes précités.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 novembre 2020), [N] [J] est décédée le 24 septembre 2015 à [Localité 2], en l'état d'un testament notarié dressé le 9 octobre 1996 en Allemagne et désignant comme héritier son époux, M. [C].

2. Le 19 septembre 2016, le service notarial des affaires successorales de [Localité 4] (Allemagne) a établi au profit de celui-ci un certificat successoral européen sur le fondement de l'article 67 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable et l'exécution des actes authentiques en matière de succession et à la création d'un certificat successoral européen.

3. Le 5 octobre suivant, M. [C] a adressé à l'agence bancaire [Adresse 3] (la banque) une demande de règlement de la totalité des liquidités de la succession, accompagnée d'une copie du certificat successoral européen.

4. La banque ayant soumis la délivrance des fonds à la preuve de l'enregistrement du testament auprès de l'administration fiscale française par application de l'article 1000 du code civil, M. [C] l'a assignée en libération des fonds et en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [C] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à question préjudicielle auprès de la Cour de justice de l'Union européenne et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 a instauré le certificat successoral européen, afin de, dépassant la diversité des procédures nationales, permettre de faire la preuve de la qualité d'héritier et de mettre en place une procédure commune à tous les États membres qui assure un règlement rapide, aisé et efficace des successions transfrontières au sein de l'Union européenne, notamment en évitant la duplication des documents ; que ce règlement a prévu que le certificat successoral européen produirait ses effets de plein droit dans tous les États membres, sans qu'il ne soit nécessaire de recourir à aucune procédure ou formalité, et a donc entendu lui donner un effet direct et uniforme qui soit suffisant pour permettre l'exécution des successions dans tout l'espace européen sur présentation dudit certificat ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. [C] avait produit un certificat successoral européen dont ni la validité, ni le contenu n'étaient contestés, de sorte que ni sa qualité d'héritier, ni l'étendue de ses droits ne l'étaient, mais ont considéré que la banque pouvait légitimement subordonner la libération des fonds relevant de la succession visée par le certificat à la preuve de l'enregistrement du testament de la de cujus en application des articles 1000 du code civil et 655 du code général des impôts, motifs pris de ce que le certificat successoral européen n'avait d'autre portée que probatoire, qu'il n'épuisait pas les formalités à mettre en oeuvre pour l'exécution des droits successoraux en cause et que l'exigence d'un enregistrement préalable en France constituait une condition fiscale d'exécution des testaments étrangers dont le certificat ne permettait pas de se dispenser ; qu'en statuant ainsi, bien que le certificat ait précisément pour objet de supprimer, dans le cas des testaments européens, les formalités et procédures nationales particulières et toute exigence de production des testaments dans les pays d'exécution pour assurer au certificat un effet uniforme direct dans l'espace européen, la cour d'appel, qui a méconnu l'effet direct du certificat et son objet, le privant ainsi d'effet utile, a violé le préambule et les articles 63 et 69 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 ;

2°/ que l'article 63.2 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 définit ses effets en affirmant qu'il permet « en particulier » à son titulaire de prouver sa qualité d'héritier et « l'attribution d'un bien déterminé ou de plusieurs biens déterminés faisant partie de la succession à l'héritier/aux héritiers », ce dont il se déduit que ses effets probatoires ne sont pas exclusifs, ce que confirme le fait que le règlement assure l'efficacité de plein droit du certificat et protège les tiers de bonne foi qui exécutent les instructions données sur présentation du certificat par le titulaire des droits que ce dernier constate ; qu'en l'espèce, en jugeant que le certificat successoral européen n'avait pas d'autre effet que probatoire, la cour d'appel a violé le préambule et les articles 63.2 et 69 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 ;

3°/ que les exceptions prévues par le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 sont d'interprétation stricte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le certificat successoral européen ne faisait pas échec à l'exigence d'enregistrement des testaments étrangers posée par l'article 1000 du code civil, motifs pris de ce qu'il s'agissait d'une formalité fiscale, que « le règlement (UE) n° 650/2012 a, par ailleurs, expressément limité son champ d'application, puisque son article 10 dispose que « le présent règlement ne devrait pas s'appliquer aux questions fiscales ni aux questions administratives relevant du droit public. Il appartient dès lors au droit national de déterminer, par exemple, comment sont calculés et payés les impôts et autres taxes, qu'il s'agisse d'impôts dus par la personne décédée au moment de son décès ou de tout type d'impôt lié à la succession dont doivent s'acquitter la succession ou les bénéficiaires. Il appartient également au droit national de déterminer si le transfert d'un bien successoral aux bénéficiaires en vertu du présent règlement ou l'inscription d'un bien successoral dans un registre peut, ou non, faire l'objet de paiement d'impôts » et que « l'exigence de paiement d'un impôt ou d'une taxe conditionnant un transfert de tout ou partie d'un actif successoral ne peut donc pas porter atteinte au principe d'application directe du règlement UE n° 650/2012 ayant créé le certificat successoral européen, puisque c'est ce règlement lui-même qui prévoit expressément le maintien des règles fiscales internes » ; qu'en statuant ainsi, bien que l'enregistrement soit un acte tendant à donner date certaine au testament et ayant donc une finalité probatoire, quand bien même il donnerait lieu à perception d'un droit fixe en contrepartie de son exécution, la cour d'appel a donné une interprétation extensive à l'exception prévue par le règlement à son application, l'a ainsi privé d'effet direct utile en France et a donc violé le préambule et les articles 1er et 69 du règlement n° 650/2012 ;

4°/ que le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 prévoit que le certificat successoral européen doit produire les mêmes effets dans tous les États membres ; qu'en décidant que l'exécution en France des testaments européens ayant donné lieu à établissement d'un certificat successoral européen n'était pas dispensée de la formalité d'enregistrement préalable prévue par l'article 1000 du code civil, la cour d'appel a consacré une modalité d'exécution propre à la France et violé le préambule et l'article 69 du règlement susvisé ;

5°/ que la formalité de l'enregistrement du testament étranger a une finalité probatoire rendue inutile, dans le cas d'un testament établi dans un autre État membre de l'Union européenne, par la production d'un certificat successoral européen, lequel procède d'un texte particulier dérogeant nécessairement au droit commun de l'article 1000 du code civil ; qu'en jugeant qu'elle était néanmoins une condition à l'exécution d'un testament établi dans un autre État membre de l'Union européenne, même en cas de présentation d'un tel certificat, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 1000 du code civil et 655 du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a justement retenu que, conformément au considérant 71 du règlement UE n° 650/2012 du 4 juillet 2012, le certificat successoral européen avait une efficacité probatoire mais ne constituait pas un titre exécutoire, de sorte que, s'il attestait de la qualité et des droits d'héritier, il n'épuisait pas nécessairement les formalités à mettre en oeuvre pour obtenir l'exécution de ces droits.

8. Après avoir relevé que le règlement excluait de son domaine matériel les questions fiscales et administratives, son considérant 10 disposant qu'il appartenait au droit national de déterminer, par exemple, comment étaient calculés et payés les impôts et autres taxes, qu'il s'agît d'impôts dus par la personne décédée au moment de son décès ou de tout autre type d'impôt lié à la succession dont devaient s'acquitter la succession ou les bénéficiaire, elle a retenu à bon droit que les dispositions des articles 1000 du code civil et 655 du code général des impôts prévoyant l'enregistrement des testaments faits en pays étrangers, constituaient une formalité fiscale dès lors que celle-ci relevait de l'administration fiscale et donnait lieu au paiement d'un droit fixe de 125 euros.

9. Elle en exactement déduit que l'exigence d'enregistrement de tout testament établi à l'étranger, qui ne remettait pas en cause l'efficacité probatoire du certificat successoral européen et ne constituait pas une condition d'exécution des testaments prohibée par le règlement, ne portait pas atteinte au principe d'application directe du règlement ni ne le privait de son effet utile.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. M. [C] fait encore le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 fait obligation aux organismes bancaires d'effectuer spontanément un paiement ou remettre un bien successoral sur simple présentation des certificats successoraux européens apparemment valides qui leur sont présentés ; qu'en l'espèce, la banque BNP Paribas s'est d'office crue autorisée à exiger le respect d'une formalité de droit interne, quand bien même aucune disposition du règlement ne renvoyait expressément à celle-ci et ne l'y autorisait, faisant ainsi obstacle à l'application du règlement et aux droits que l'exposant en tirait ; qu'en rejetant les demandes indemnitaires de M. [C], aux motifs que la banque n'aurait commis aucune faute, la cour d'appel a violé les articles 1er, 63 et 69 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, ensemble l'article 1240 du code civil ;

2°/ qu'en tout état de cause, le chef de dispositif de l'arrêt ayant rejeté les demandes indemnitaires de M. [C] sera cassé par voie de conséquence de la censure qui sera prononcée au titre des premier et deuxième moyens de cassation ayant considéré que l'enregistrement du testament de Mme [C] était requis avant toute exécution du certificat successoral européen et règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté M. [C] de sa demande de libération des fonds dépendant de la succession de Mme [N] [J], épouse [C], détenus par la SA BNP Paribas, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. D'une part, ayant retenu à bon droit que la banque s'était conformée tant au règlement (UE) n° 650/12 du 4 juillet 2012 qu'aux dispositions internes françaises compatibles avec celui-ci en refusant de remettre les fonds dépendant de la succession à un héritier titulaire d'un certificat successoral européen mais ne prouvant pas s'être acquitté de la formalité d'enregistrement prévue par les articles 1000 du code civil et 655 du code général des impôts, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que celle-ci n'avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.

13. D'autre part, la cassation n'étant pas prononcée sur les premier et deuxième moyens, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.

14. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 1000 du code civil ; article 655 du code général des impôts ; articles 69 et 71 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

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