Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

SERVITUDE

3e Civ., 21 avril 2022, n° 21-12.240, n° 21-12.703, (B), FS

Cassation partielle

Prescription acquisitive – Vues – Conditions – Acte illicite ou irrégulier – Portée

L'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement du mur extérieur d'un immeuble soumis au statut de la copropriété par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition par prescription d'une servitude de vue sur le fonds voisin.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-12.703 et 21-12.240 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 10 décembre 2020), M. [B], propriétaire d'un lot à usage professionnel au rez-de-chaussée de la résidence Port des sables, soumise au statut de la copropriété, a créé dans le mur extérieur de cette résidence plusieurs ouvertures donnant sur le fonds appartenant au syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil (le syndicat de la résidence Le Soleil) et a aménagé une terrasse sur ce fonds.

3. Le syndicat de la résidence Le Soleil a assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables (le syndicat de la résidence Port des sables) en suppression desdites ouvertures et en cessation de l'empiétement. Celui-ci a appelé en intervention forcée M. [B].

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi n° 21-12.703, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi n° 21-12.240

Enoncé du moyen

5. Le syndicat de la résidence Port des sables fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec M. [B], à fermer les ouvertures, à supprimer tout empiétement sur le fonds appartenant à la copropriété résidence Le Soleil, à restituer aux lieux leur état initial et à payer au syndicat de la résidence Le Soleil une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice, cependant qu'elle constatait que l'empiétement litigieux est dû à l'installation par M. [B] d'une terrasse empiétant sur le fonds de la résidence Le Soleil et non à l'ouverture pratiquée dans le mur de clôture de la Résidence Port des sables, ce dont il résultait qu'il n'existait aucune relation de cause à effet entre la prétendue négligence imputée au syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des sables et le préjudice invoqué par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le soleil, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légale de ses constatations et a violé l'article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, l'article 544 du code civil, ainsi que le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;

2°/ que le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice, cependant que l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que le syndicat est responsable des dommages causés aux tiers « par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes » et qu'aucune de ces deux situations n'était en cause en l'espèce, la cour d'appel a violé ce texte ;

3°/ alors, enfin, que le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice, cependant qu'elle constatait que « les ouvertures en façade côté espace vert de la Résidence Le Soleil ont été réalisés par (M. [B]) en 1976/1977 », ce dont il résultait qu'il s'était écoulé plus de trente-cinq ans avant que le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil ne songe à reprocher à la copropriété résidence Port des sables une prétendue négligence lors de l'aménagement de ces ouvertures par l'un de ses copropriétaires, une telle durée étant nécessairement exclusive de toute négligence imputable au syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 et le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a exactement retenu qu'il appartenait au syndicat de la résidence Port des sables, informé des ouvertures pratiquées par M. [B] dans un mur partie commune de la copropriété sans son autorisation, donnant sur le fonds voisin appartenant à la résidence Le Soleil et susceptible de préjudicier à cette dernière, de le mettre en demeure de rétablir les lieux dans leur état initial.

7. Ayant ainsi caractérisé la faute du syndicat de la résidence Port des sables dans la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, elle a pu retenir que cette négligence fautive avait contribué à la réalisation du préjudice invoqué par le syndicat de la résidence Le Soleil, résultant de l'atteinte à son droit de propriété et des troubles anormaux de voisinage générés par l'activité commerciale des locataires de M. [B] et en déduire qu'il devait être condamné, in solidum avec M. [B], à le réparer.

8. Le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 21-12.703, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. M. [B] fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec le syndicat de la résidence Port des sables, à fermer les ouvertures, à supprimer tout empiétement sur le fonds appartenant au syndicat de la résidence Le Soleil, à restituer aux lieux leur état initial et à payer au syndicat de la résidence Le Soleil une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors « que les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans ; que la réalisation d'ouverture dans un mur commun sans déclaration préalable, ni autorisation de la copropriété ne constitue pas un acte illicite ou irrégulier de nature à faire obstacle à la prescription acquisitive d'une servitude de vue ; qu'au cas présent, après avoir constaté qu'une porte et deux doubles fenêtres donnant directement sur le fonds de la copropriété Le Soleil avaient été réalisées par M. [B] en 1976-1977, soit il y a plus de trente ans, la cour a relevé que ces ouvertures n'avaient été précédées d'aucune déclaration conformément aux dispositions de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, ni autorisation écrite de la copropriété Port des Sables (percement d'un mur propriété commune) ni celle de la résidence Le Soleil (vues droites et directes en contradiction avec les articles 675 à 678 du code civil), de la Selcy ou de la mairie ; qu'en considérant que cette possession s'établissait sur des actes illicites ou irréguliers pour écarter la prescription et condamner M. [B] et le syndicat Port des sables à fermer ces ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial, cependant qu'une absence de déclaration préalable ou d'autorisation ne constitue pas un acte illicite ou irrégulier pouvant faire échec à la prescription d'une servitude de vue, la cour d'appel a violé l'article 690 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 690 du code civil :

10. Selon ce texte, les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans.

11. Une servitude de vue constitue une servitude continue et apparente qui existe du fait-même de la présence de l'ouverture donnant sur l'héritage d'autrui et dont la possession subsiste tant qu'elle n'est pas matériellement contredite.

12. Pour condamner M. [B] à fermer les ouvertures, l'arrêt énonce que nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers et retient que les vues droites et directes sur la résidence Le Soleil ont été percées dans le mur appartenant à la résidence Port des sables sans son accord et sans déclaration en application des dispositions de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, de sorte que la possession invoquée par M. [B] s'est établie sur des actes irréguliers.

13. En statuant ainsi, alors que l'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition d'une servitude de vue par prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

14. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

15. La cassation de la condamnation de M. [B] à fermer les ouvertures entraîne, par voie de conséquence, celle de la condamnation in solidum du syndicat de la résidence Port des sables du même chef de dispositif, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum M. [B] et le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, sous astreinte, à fermer les ouvertures donnant sur le fonds appartenant au syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, l'arrêt rendu le 10 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Schmitt - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle -

Textes visés :

Article 690 du code civil.

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