Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 11 avril 2022, n° 22-04.241, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige entre personnes privées – Applications diverses – Dispositions d'un accord salarial non relatives à l'organisation du service public – Cas – Contestation relative à la légalité ou l'application et la dénonciation d'une convention collective ou d'un accord d'entreprise

Toute contestation portant sur la validité, les conditions d'application et la dénonciation d'une convention collective ou d'un accord d'entreprise conclu en application des articles L. 2233-1 et L. 2233-2 du code du travail, relève, sauf loi contraire, de la compétence judiciaire, hormis le cas où la contestation concerne des dispositions qui n'ont pas pour objet la détermination des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales des personnels des entreprises et établissements publics visés par ces textes mais qui régissent l'organisation du service public. Les mêmes règles de compétence s'appliquent à l'accord collectif conclu le 14 juin 2016 en application des dispositions de l'article 34 de la loi du 4 août 2014.

Relève dès lors de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire la contestation de la décision implicite de rejet d'une demande tendant à l'abrogation de dispositions relatives à la répercussion des absences sur l'octroi des repos hebdomadaires, périodiques et complémentaires ou supplémentaires venant compléter l'accord collectif du 14 juin 2016 et qui ont pour objet la détermination des conditions de travail des personnels du groupe ferroviaire et non l'organisation du service public ferroviaire.

Vu, enregistrée à son secrétariat, le 20 décembre 2021, l'expédition de la décision du 15 décembre 2021 par laquelle le Conseil d’Etat, saisi d’une demande de la Fédération des syndicats des travailleurs du rail – SUD Rail tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la société nationale SNCF a rejeté sa demande du 11 mars 2020, reçue le 13 mars 2020, tendant à l’abrogation du b) du § 2 des « dispositions diverses » de l’instruction RH00677 du 16 mars 2017 portant dispositions complémentaires à l’accord d’entreprise sur l’organisation du temps de travail du 14 juin 2016, a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er février 2022, présenté par la Fédération des travailleurs du rail - SUD Rail, qui conclut à la compétence de la juridiction administrative aux motifs que l’instruction contestée constitue un acte unilatéral réglementaire et non une convention collective ou un accord collectif et qu’elle intéresse, en outre, l’organisation du service public en ce qu’elle affecte la durée du travail et en ce qu’elle touche à la continuité du service ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2022, présenté par la société nationale SNCF, qui conclut à la compétence de la juridiction administrative aux motifs que les dispositions contestées constituent un acte unilatéral de portée générale relatif au statut du personnel de la SNCF et qu’elles ont trait à l’organisation du service public ferroviaire ;

Vu les observations du 24 janvier 2022 du ministre de la solidarité et de la santé déclarant s’en remettre à la décision du Tribunal ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code des transports ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 ;

Vu la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 ;

Vu l’ordonnance n° 2009-552 du 3 juin 2019 ;

Vu le décret n° 2015-141 du 10 février 2015 ;

Vu le décret n° 2016-755 du 8 juin 2016 ;

Considérant ce qui suit :

Sur les dispositions applicables

1. En premier lieu, l’article L. 2101-1 du code des transports, créé par la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire et applicable à la date de l’instruction en litige, dispose que : « La SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités constituent le groupe public ferroviaire au sein du système ferroviaire national » et que « le groupe remplit une mission, assurée conjointement par chacun des établissements publics dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi, visant à exploiter le réseau ferré national et à fournir au public un service dans le domaine du transport par chemin de fer ».

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a prévu la transformation, à compter du 1er janvier 2020, de ce « groupe public ferroviaire », ainsi que des filiales des entités constituant celui-ci, en un « groupe public unifié », constitué de la société nationale à capitaux publics SNCF, soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes et dont le capital est incessible et intégralement détenu par l’Etat, ainsi que de ses filiales, dont les sociétés SNCF Réseau et SNCF Mobilités, devenue SNCF Voyageurs, également soumises aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes et dont le capital est incessible et intégralement détenu par la société nationale SNCF. L’article L. 2101-1 du code des transports dispose désormais que ce groupe public unifié « remplit des missions de service public dans le domaine du transport ferroviaire et de la mobilité et exerce des activités de logistique et de transport ferroviaire de marchandises, dans un objectif de développement durable, de lutte contre le réchauffement climatique, d'aménagement du territoire et d'efficacité économique et sociale ».

2. En deuxième lieu, l’article L. 1311-1 du code des transports dispose que : « Les dispositions du code du travail s'appliquent aux entreprises de transport ferroviaire (...) ainsi qu'à leurs salariés, sous réserve des dispositions particulières ou d'adaptation prévues par le présent code et sauf mention contraire dans le code du travail ou dans le présent code ».

En vertu de l’article L. 2101-2 du même code, créé par la loi du 4 août 2014, la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités et désormais, depuis le 1er janvier 2020, la société nationale SNCF et les sociétés relevant des activités exercées au 31 décembre 2019 par le groupe public ferroviaire, « emploient des salariés régis par un statut particulier élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat » et « peuvent également employer » ou, désormais, « emploient » « des salariés sous le régime des conventions collectives ». L’article 3 de la loi du 27 juin 2018 a prévu que la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités pouvaient procéder jusqu’au 31 décembre 2019 à des recrutements de personnels soumis à ce statut particulier.

Les dispositions du statut particulier sont, en vertu de l’article 1er du décret du 10 février 2015 relatif à la commission du statut particulier mentionné à l’article L. 2101-2 du code des transports, adoptées par le conseil de surveillance de la SNCF devenu, depuis le 1er janvier 2020, le conseil d’administration de la société nationale SNCF et ne font plus l’objet, depuis cette date, d’une approbation par le ministre intéressé. L’article L. 2101-3 du code des transports prévoit en outre qu’une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel étendu ou élargi peut, par dérogation aux dispositions des articles L. 2233-1 et L. 2233-3 du code du travail réservant l’application de conventions et accords collectifs de travail dans les entreprises publiques aux catégories de personnel qui ne sont pas soumises à un statut particulier, compléter les dispositions statutaires ou déterminer les conditions d’application du statut particulier, dans les limites fixées par ce statut. Enfin, l’article L. 2162-1 dispose qu’une convention collective de branche est applicable aux salariés des établissements publics constituant le groupe public ferroviaire, désormais société nationale SNCF, société SNCF Voyageurs, société SNCF Réseau et certaines de leurs filiales, ainsi qu’à certaines autres entreprises de transport ferroviaire.

3. En troisième lieu, en vertu du premier alinéa de l’article L. 1311-2 du code des transports : « La durée du travail des salariés et la durée de conduite des conducteurs sont fixées par décret en Conseil d'Etat », notamment dans les entreprises de transport ferroviaire, et aux termes de l’article L. 2161-1 du même code : « Un décret en Conseil d'Etat fixe les règles relatives à la durée du travail communes [aux établissements publics constituant le groupe public ferroviaire et, désormais, à la société nationale SNCF, à la société SNCF Voyageurs, à la société SNCF Réseau et à certaines de leurs filiales] / Ces règles garantissent un haut niveau de sécurité des circulations et la continuité du service et assurent la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, en tenant compte des spécificités des métiers, notamment en matière de durée du travail et de repos ». Ce décret socle est intervenu le 8 juin 2016. Enfin, aux termes de l’article 34 de la loi du 4 août 2014 : « A titre transitoire, les salariés de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités conservent leur régime de durée du travail jusqu'à la publication de l'arrêté d'extension de la convention collective du transport ferroviaire ou de l'arrêté d'extension de l'accord relatif à l'organisation et à l'aménagement du temps de travail dans le transport ferroviaire, et au plus tard jusqu'au 1er juillet 2016. Pendant cette période, les organisations syndicales de salariés représentatives du groupe public ferroviaire peuvent négocier un accord collectif relatif à la durée du travail applicable aux salariés de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités. ».

4. En application des dispositions de l’article 34 de la loi du 4 août 2014, la SNCF et deux organisations syndicales de salariés représentatives au sein du groupe public ferroviaire ont signé, le 14 juin 2016, un accord collectif relatif à l’organisation du temps de travail, applicable dans tous les établissements du groupe public ferroviaire. A cet accord ont été annexés trois textes, dont un groupe de travail paritaire devait préparer l’actualisation sans remise en cause des dispositions compatibles avec le principal de l’accord ou de celles plus favorables aux agents.

Le 16 mars 2017, à l’issue des travaux de ce groupe de travail, le groupe public ferroviaire a adopté une nouvelle instruction RH00677 portant « dispositions complémentaires à l’accord d’entreprise sur l’organisation du temps de travail du 14 juin 2016 ».

Sur le litige

5. La Fédération des syndicats des travailleurs du rail – SUD Rail a demandé au Conseil d’Etat l’annulation de la décision implicite de rejet de sa demande du 13 mars 2020 tendant à l’abrogation des dispositions du b) du § 2 des « dispositions diverses » de cette instruction RH00677 relatives à la répercussion des absences sur l’octroi des repos hebdomadaires, périodiques et complémentaires ou supplémentaires.

Par arrêt du 15 décembre 2021, le Conseil d’Etat a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence au motif qu’elle soulevait une difficulté sérieuse.

6. Les dispositions contestées reprennent celles qui figuraient précédemment dans le règlement du personnel RH0677 « Réglementation du travail, instruction d’application du décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 » annexé à l’accord collectif de l’accord du 14 juin 2016 relatif à l’organisation du temps de travail dans les établissements du groupe public ferroviaire, le décret du 29 décembre 1999, pour sa part, ayant été abrogé par le décret du 8 juin 2016.

7. Ces dispositions, qui procèdent d’un acte unilatéral de portée générale, s’appliquent à l’ensemble des salariés relevant, à la date de son adoption, du groupe public ferroviaire. Ainsi qu’il a été dit au point 2, le personnel des établissements de ce groupe et, désormais, de la société nationale SNCF et des sociétés relevant des activités exercées antérieurement par ce groupe, est constitué à la fois de salariés sous le régime des conventions collectives et de salariés régis par un statut particulier élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, étant précisé que ces derniers ne peuvent cependant plus être recrutés depuis le 1er janvier 2020 et que leur statut, désormais adopté par le seul conseil d’administration de la société nationale SNCF sans être soumis à une approbation ministérielle, peut, sous certaines conditions, être complété par des conventions et accords collectifs de travail.

8. Toute contestation portant sur la validité, les conditions d’application et la dénonciation d’une convention collective ou d’un accord d’entreprise conclu en application des articles L. 2233-1 et L. 2233-2 du code du travail, relève, sauf loi contraire, de la compétence judiciaire, hormis le cas où la contestation concerne des dispositions qui n’ont pas pour objet la détermination des conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales des personnels des entreprises et établissements publics visés par ces textes mais qui régissent l’organisation du service public.

Les mêmes règles de compétence s’appliquent à l’accord collectif conclu le 14 juin 2016 en application des dispositions de l’article 34 de la loi du 4 août 2014.

9. L’accord collectif du 14 juin 2016 a fixé, pour le personnel roulant et le personnel sédentaire, le nombre de jours annuels de repos hebdomadaires, périodiques, complémentaires ou supplémentaires « sous réserve de la répercussion des absences ».

En ce qu’elles viennent compléter cet accord en fixant les règles de répercussion des absences sur ces repos, les dispositions contestées ont pour objet la détermination des conditions de travail des personnels du groupe ferroviaire et non l’organisation du service public ferroviaire.

10. Il résulte de ce qui précède que le litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la Fédération des syndicats des travailleurs du rail – SUD Rail à la société nationale SNCF.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Taillandier-Thomas - Avocat général : Mme Bokdam-Tognetti (rapporteure publique) - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 2233-1, L. 2233-2 et L. 2233-3 du code du travail ; articles L. 1311-1, L. 1311-2, L. 2101-1, L. 2101-2, L. 2101-3 et L. 2162-1 du code des transports ; loi n° 2014-872 du 4 août 2014 ; loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 ; ordonnance n° 2009-552 du 3 juin 2019 ; décret n° 2015-141 du 10 février 2015 ; décret n° 2016-755 du 8 juin 2016.

Tribunal des conflits, 11 avril 2022, n° 22-04.240, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat de droit privé – Contrat de droit privé – Caractérisation – Cas – Autorisation de dépôt par une personne agréée des matières de vidange des installations d'assainissement

Lorsqu'une collectivité territoriale décide, dans le cadre du service public de l'assainissement et en application du III de l'article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, de permettre aux personnes agréées de déposer en station d'épuration des matières qu'elles ont collectées d'installations non collectives, la personne agréée, qui assure ainsi l'élimination des matières de vidange dont elle a pris la charge, doit être regardée comme un usager de ce service public. La convention par laquelle la collectivité territoriale organise avec la personne agréée le dépôt par cette dernière des matières qu'elle a collectées et transportées ne peut être regardée comme faisant participer cette personne à l'exécution du service public de l'assainissement.

En conséquence les litiges relatifs aux rapports entre ce service public industriel et commercial et ses usagers relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 16 décembre 2021, l’expédition du jugement du 12 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi par renvoi du tribunal de grande instance de Lille de la demande, initialement formée devant ce tribunal, par M. [X] tendant à l’annulation du titre de recette émis à son encontre par la métropole européenne de Lille pour un montant de 33 661,06 euros, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l’ordonnance du 28 janvier 2019 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a déclaré le tribunal de grande instance incompétent pour connaître du litige et renvoyé M. [X] à mieux se pourvoir ;

Vu, enregistré le 27 janvier 2022, le mémoire présenté pour la métropole européenne de [Localité 2] tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente au motif que le contrat en cause a pour objet l’exécution du service public d’assainissement non collectif et qu’il comporte des clauses exorbitantes de droit commun relatives à l’obligation d’information mise à la charge du co-contractant, la pénalité financière que la métropole européenne de [Localité 2] peut infliger en cas de non-conformité des matières dépotées et à la faculté de suspension ou résiliation unilatérale au bénéfice de la métropole européenne de [Localité 2] ;

Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. [X] et le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de la santé publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 juillet 2011, M. [X], exerçant une activité de vidange, curage et réfection de fosses et égoûts, sous la dénomination commerciale Pennel Devrouete, a conclu avec la communauté urbaine de Lille, devenue la métropole européenne de Lille (MEL), une convention portant sur le traitement des matières de vidange issues des installations d’assainissement non collectif. Cette convention permettait à M. [X] de déposer dans certaines stations d’épuration, selon des modalités et un tarif qu’elle fixait, les matières issues des vidanges effectuées dans des systèmes d’assainissement non collectif par son entreprise, en tant que personne agréée.

2. Le 18 avril 2016, la MEL a résilié la convention en raison de manquements reprochés à M. [X], notamment un déversement d’hydrocarbures dans le réseau d’assainissement à [Localité 3] et un autre dans le système d’assainissement pluvial à [Localité 1]. Puis, le 9 avril 2018, la MEL a émis à l’encontre de M. [X] un titre exécutoire portant sur une somme correspondant au coût des opérations d’investigation et de curage rendues nécessaires par ces pollutions d’hydrocarbures.

Par une ordonnance du 28 janvier 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a déclaré ce tribunal incompétent pour statuer sur la demande formée par M. [X] tendant à l’annulation du titre de recette émis à son encontre. Saisi par M. [X], le tribunal administratif de Lille, par un jugement du 12 novembre 2021, a renvoyé au Tribunal, sur le fondement du second alinéa de l’article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

3. D’une part, aux termes du I de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, « Les communes sont compétentes en matière d’assainissement des eaux usées ».

Selon le III du même article, les communes assurent le contrôle des installations d'assainissement non collectif ; elles peuvent assurer, avec l'accord écrit du propriétaire, l'entretien, les travaux de réalisation et les travaux de réhabilitation des installations d'assainissement non collectif prescrits dans le document de contrôle ; elles peuvent, en outre, assurer le traitement des matières de vidanges issues des installations d'assainissement non collectif.

Aux termes de l’article L. 2224-11 du même code : « Les services publics (...) d’assainissement sont financièrement gérés comme des services publics à caractère industriel et commercial. ».

4. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 1331-1-1 du code de la santé publique : « Les immeubles non raccordés au réseau public de collecte des eaux usées sont équipés d'une installation d'assainissement non collectif dont le propriétaire assure l'entretien régulier et qu'il fait périodiquement vidanger par une personne agréée par le représentant de l'Etat dans le département, afin d'en garantir le bon fonctionnement.» et aux termes du III du même article : « Les modalités d'agrément des personnes qui réalisent les vidanges et prennent en charge le transport et l'élimination des matières extraites, (...) sont définies par un arrêté des ministres chargés de l'intérieur, de la santé, de l'environnement et du logement.».

Aux termes de l’article 3 de l’arrêté du 7 septembre 2009 définissant les modalités d’agrément des personnes réalisant les vidanges et prenant en charge le transport et l’élimination des matières extraites des installations d’assainissement non collectif : « La demande d'agrément indique notamment la quantité maximale annuelle de matières pour laquelle l'agrément est demandé et justifie, pour cette même quantité, d'un accès spécifique à une ou plusieurs filières d'élimination des matières de vidange. Lorsque l'une des filières d'élimination envisagées est l'épandage agricole, le demandeur joint à sa demande d'agrément une attestation de son engagement à obtenir les éventuelles autorisations administratives correspondantes. ». Il résulte de ces dispositions que le transport et l’élimination des matières de vidange extraites des installations d’assainissement non collectif incombent aux personnes agréées définies à l’article L. 1331-1-1 du code de la santé publique, qui ont le choix entre différentes filières d’élimination.

5. Lorsqu’une collectivité territoriale décide, dans le cadre du service public de l’assainissement et en application du III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, de permettre aux personnes agréées de déposer en station d’épuration des matières qu’elles ont collectées d’installations non collectives, la personne agréée, qui assure ainsi l’élimination des matières de vidange dont elle a pris la charge, doit être regardée comme un usager de ce service public.

La convention par laquelle la collectivité territoriale organise avec la personne agréée le dépôt par cette dernière des matières qu’elle a collectées et transportées ne peut être regardée comme faisant participer cette personne à l’exécution du service public de l’assainissement.

6. Eu égard aux rapports de droit privé nés du contrat qui lie le service public industriel et commercial de l'assainissement à ses usagers, les litiges relatifs aux rapports entre ce service et ses usagers relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire.

7. Il résulte de ce qui précède que la convention liant M. [X] à la métropole européenne de [Localité 2] présente le caractère d’un contrat de droit privé et que le litige relatif à la contestation du titre de recette émis à l’encontre de M. [X] en réparation des préjudices découlant, selon la métropole européenne de [Localité 2], d’une mauvaise exécution de la convention, relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

Au surplus, si, comme M. [X] l’a soutenu, la métropole européenne de [Localité 2] a fondé le titre de recette contesté sur la responsabilité extra-contractuelle de ce dernier, le litige relèverait également de la compétence de la juridiction judiciaire dès lors qu’en l’absence de disposition législative contraire, il n’appartient pas à la juridiction administrative de statuer sur une telle responsabilité encourue par une personne privée à l’égard d’une personne publique.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître de la demande de M. [X].

Article 2 : L’ordonnance du 28 janvier 2019 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille est déclarée nulle et non avenue.

Les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal administratif de Lille est déclarée nulle et non avenue, à l’exception du jugement rendu par ce tribunal le 12 novembre 2021.

Article 4 :

La présente décision sera notifiée à M. [X], à la métropole européenne de [Localité 2] et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Bokdam-Tognetti (rapporteure publique) - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 2224-8 et L. 2224-11 du code général des collectivités territoriales ; article L. 1331-1-1 du code de la santé publique.

Tribunal des conflits, 11 avril 2022, n° 22-04.243, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à une opération de police judiciaire – Action en réparation des dommages causés au cours d'une opération de police judiciaire – Dommage causé par un agent ou un collaborateur occasionnel

Le placement en garde à vue est une opération de police judiciaire. Ainsi, les dommages que peuvent causer les agents et collaborateurs occasionnels du service public à l'occasion d'une telle opération, relèvent du fonctionnement défectueux du service de la justice et dès lors, l'action de réparation des préjudices qui en découlent relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 26 janvier 2022, l’expédition du jugement n° 2102333 en date du 20 janvier 2022, par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi des demandes de M. [V] [X], Mme [A] [X], épouse [L], Mme [K] [Y] [D], divorcée [X], Mme [H] [Y], épouse [W], et Mme [P] [M], agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses deux enfants mineurs (les consorts [X]), tendant à la condamnation de l’État à les indemniser des préjudices qu’ils estiment avoir subi en raison du décès en garde à vue de [U] [X], a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l’arrêt du 15 mai 2018, par lequel la cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente pour connaître des demandes d’indemnisation formées par les consorts [X] et les a invités à les porter devant les juridictions de l’ordre administratif ;

Vu, enregistré le 1er mars 2022, le mémoire du Garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à ce que les juridictions de l’ordre judiciaire soient déclarées compétentes pour connaître de ces demandes, par le motif que le médecin ayant examiné [U] [X] en garde à vue et dont les fautes sont à l’origine de son décès était collaborateur occasionnel du service public de la justice ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Considérant ce qui suit :

1. [U] [X] est décédé le [Date décès 1] 2009, alors qu’il était en garde à vue au commissariat de [Localité 2].

Par arrêt du 15 mai 2018, devenu définitif, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris, après avoir retenu que ce décès avait pour cause une faute commise par M. [Z], médecin intervenu en tant que collaborateur occasionnel du service public, et que cette faute n’était pas détachable de sa mission, s’est déclarée incompétente pour connaître des demandes d’indemnisation formées par les consorts [X].

2. Les dommages que peuvent causer les agents et collaborateurs occasionnels du service public dans les opérations de police judiciaire, qui ont pour objet la recherche d'un délit ou d'un crime déterminé, relèvent du fonctionnement défectueux du service public de la justice.

3. Le placement en garde à vue, en application des articles 63 et suivants du code de procédure pénale, d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, a le caractère d'une opération de police judiciaire et il n'appartient par conséquent qu'aux tribunaux judiciaires de connaître des litiges survenus à l'occasion d'un tel placement.

4. Dès lors, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître des demandes des consorts [X] en réparation des préjudices résultant du décès en garde à vue de [U] [X].

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige.

Article 2 : L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 mai 2018 est déclarée nul et non avenu, en tant qu’il déclare cette juridiction incompétente pour connaître des demandes d’indemnisation formées par les parties civiles appelantes et intimées.

La cause et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Paris.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal administratif de Rouen est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu le 26 janvier 2022 par ce tribunal.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Mollard - Avocat général : M. Victor (rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015.

Tribunal des conflits, 11 avril 2022, n° 22-04.242, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Pratiques anticoncurrentielles – Décision prise par l'Autorité de la concurrence – Cas – Demande tendant à interdire la publication d'une décision de sanction

La demande tendant à interdire la publication d'une décision de sanction prise par l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce est indissociable de cette décision elle-même. Dès lors, sa contestation relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

Vu, enregistrée le 10 janvier 2022 à son secrétariat, l’expédition de l’arrêt du 5 janvier 2022 par lequel la Cour de cassation, saisie par la société Roche SAS d’un pourvoi contre l’ordonnance rendue le 12 mai 2021 par le premier président de la cour d’appel de Paris, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider de la question de la compétence ;

Vu l’ordonnance du 12 mai 2021 par laquelle le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes présentées par la société Roche à l’encontre de la communication de l’Autorité de la concurrence relative à la décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 ;

Vu, enregistré le 8 février 2022, le mémoire de l’Autorité de la concurrence tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître de ces demandes, par le motif que les exceptions à la compétence de principe du juge administratif s’agissant des décisions de l’Autorité de la concurrence dans le domaine de la répression des pratiques anticoncurrentielles ou du contrôle des concentrations doivent être interprétées strictement ;

Vu, enregistré le 14 février 2022, le mémoire de la société Roche tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître de ces demandes, par le motif que dès lors que le juge judiciaire est compétent pour connaître du recours formé contre une décision de l’Autorité de la concurrence, le même juge doit être également compétent pour statuer sur la publicité faite par l’Autorité de la concurrence autour d’une décision de sanction frappée de recours, cette publicité produisant les mêmes effets qu’une injonction de publication et étant indissociable de la décision frappée de recours, et ce alors que la communication faite par l’Autorité de la concurrence autour de l’une de ses décisions frappée de recours porte nécessairement atteinte à la présomption d’innocence et à l’effectivité du recours en annulation ou en réformation formé devant la cour d’appel de Paris ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée au ministre de l’économie et des finances, qui n’a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de commerce ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020, l’Autorité de la concurrence a sanctionné, sur le fondement de l’article L. 464-2 du code de commerce, plusieurs sociétés du groupe Novartis et du groupe Roche, dont la société Roche, pour avoir abusé de leur position dominante collective sur le marché du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge exsudative, en mettant en oeuvre plusieurs pratiques contraires aux articles 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420-2 du code de commerce.

2. Les sociétés du groupe Roche ont formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Paris.

Par ailleurs la société Roche a attrait l’Autorité de la concurrence devant le délégué du premier président de cette juridiction en demandant, sur le fondement de l’article L. 464-8 du code de commerce, qu’il soit enjoint à cette autorité de cesser toute publication relative à sa décision n° 20-D-11 et, à titre subsidiaire, qu’il lui soit enjoint, d’une part, de mentionner dans toute déclaration relative à cette décision l’existence d’un recours devant la cour d’appel de Paris et, d’autre part, de s’abstenir d’initier toute démarche, courrier ou autre forme de communication, adressée à des tiers spécifiquement ciblés.

3. Par une ordonnance du 12 mai 2021, le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour statuer sur les demandes présentées contre la communication de l’Autorité de la concurrence relative à la décision n° 20-D-11.

4. Par une décision du 5 janvier 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation, estimant que ce litige posait une difficulté sérieuse, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence, en application de l’article 35 du décret du 27 février 2015.

5. En vertu de l’article L. 464-8 du code de commerce, les décisions prises par l’Autorité de la concurrence sur le fondement de l’article L. 464-2 du code de commerce peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris.

6. Si les actions de communication de l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, relèvent en principe de la compétence de la juridiction administrative, la diffusion par l’Autorité de la concurrence, concomitamment à la mise en ligne d’une décision de sanction sur son site internet, d’une vidéo et de commentaires se rapportant uniquement à cette sanction particulière n’est pas dissociable de la décision de sanction elle même. Dès lors, le présent litige relève de la cour d'appel de Paris.

7. Le présent litige ressortit, par suite, à la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société Roche à l’Autorité de la concurrence.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Maugüé - Avocat général : M. Lecaroz (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 464-2 et L. 464-8 du code de commerce.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.