Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 20 avril 2022, n° 20-20.567, n° 20-20.570, n° 20-20.571, (B), FS

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Licenciement économique – Plan de sauvegarde de l'emploi – Action ultérieure portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement – Office du juge judiciaire – Détermination – Portée

Il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les catégories professionnelles devant donner lieu à des suppressions d'emplois sont fixées dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de s'assurer que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

Il résulte des mêmes articles que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.

C'est dès lors à bon droit, sans méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative, qu'une cour d'appel qui n'était pas saisie d'une contestation portant sur la définition même des catégories professionnelles visées par les suppressions d'emploi, ni d'une contestation des critères d'ordre et de leurs règles de pondération fixés dans le plan, retient la compétence du juge judiciaire pour connaître d'un litige portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-20.567, 20-20.570 et 20-20.571 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 30 juillet 2020) et les productions, la société Pitney Bowes a établi, dans le cadre d'un projet de réorganisation, un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui a été homologué par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) le 2 juin 2015. Ce plan prévoyait notamment la suppression des 61 postes d'attachés commerciaux, regroupés au sein d'une même catégorie professionnelle et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux, devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés.

3. M. [K] et deux autres salariés, occupant les fonctions d'attaché commercial, licenciés le 15 juillet 2015, ont saisi la juridiction prud'homale afin de contester leur licenciement et obtenir le paiement de dommages-intérêts, à titre principal, pour licenciement abusif et, à titre subsidiaire, pour non-respect des critères d'ordre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief aux arrêts de rejeter l'exception d'incompétence, de dire que le licenciement de chaque salarié est sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer à chaque salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées à la suite du licenciement dans la limite de six mois, alors :

« 1°/ que l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi doit contrôler la définition des catégories professionnelles qui serviront de cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et du nombre de suppressions d'emplois et des catégories professionnelles concernées ; qu'en conséquence, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier la réalité de la suppression du poste du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative et, en particulier, la validation par l'autorité administrative des catégories professionnelles et du nombre de suppressions d'emplois au sein de ces différentes catégories ; qu'en l'espèce, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral qui prévoyait le regroupement, au sein d'une catégorie professionnelle distincte, des 61 postes d'attachés commerciaux, la suppression de ces 61 postes et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés, ce dont il résulte que les critères d'ordre des licenciements ne seraient pas appliqués aux attachés commerciaux ; que, sous couvert de contester la suppression de son emploi, le salarié soutenait que les emplois d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux comportaient des fonctions identiques, de sorte que les postes d'attachés commerciaux n'avaient pas tous été supprimés et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû trouver à s'appliquer ; qu'en affirmant cependant que le juge judiciaire était compétent pour connaître des demandes du salarié, dès lors que ce dernier contestait la réalité de la suppression de son emploi et donc la réalité du motif économique, cependant que cette contestation remettait en cause l'appréciation portée par l'autorité administrative sur le cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et le nombre de suppressions d'emplois, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-2 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;

2°/ que si le juge judiciaire est compétent pour apprécier la réalité de la suppression de l'emploi du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, l'autorité administrative, qui est tenue de contrôler les catégories professionnelles et le nombre de suppressions d'emplois, avait validé le document unilatéral qui distinguait au sein de deux catégories distinctes les postes d'attachés commerciaux existants et les postes d'ingénieurs commerciaux devant être créés et qui prévoyait la suppression de tous les postes d'attachés commerciaux, ce qui impliquait l'inapplication des critères d'ordre des licenciements au sein de cette catégorie professionnelle ; que, cependant, pour dire qu'il n'était pas démontré que le poste d'attaché commercial occupé par le salarié avait été supprimé, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que les postes d'ingénieurs commerciaux créés dans le cadre de la réorganisation n'auraient pas conduit le salarié à occuper les mêmes fonctions que celles qu'il exerçait au poste d'attaché commercial et que le nombre de postes d'ingénieurs commerciaux dans la nouvelle organisation était inférieur au nombre de postes d'attachés commerciaux dans l'ancienne ; qu'en se fondant sur une telle appréciation qui implique, d'une part, que les postes d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux auraient dû être rattachés à la même catégorie professionnelle et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû être mis en oeuvre au sein de cette catégorie professionnelle dès lors que le nombre de postes supprimés était supérieur au nombre de postes créés, et d'autre part, que le nombre de suppression d'emplois au sein de cette catégorie tel qu'indiqué dans le document unilatéral était surévalué, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la décision de la DIRECCTE et violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-4 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les catégories professionnelles devant donner lieu à des suppressions d'emplois sont fixées dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de s'assurer que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

6. Il résulte des mêmes articles que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.

7. La cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune contestation portant sur la définition même des catégories professionnelles visées par les suppressions d'emploi au regard des emplois existants dans l'entreprise au moment de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, ni d'une contestation des critères d'ordre et de leurs règles de pondération fixés dans le plan mais qui était saisie d'un litige portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement, a décidé à bon droit, sans méconnaître l'autorité de chose décidée par la DIRECCTE, que la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de cette demande.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait le même grief aux arrêts, alors « que la suppression de l'emploi du salarié n'implique ni la suppression de son poste, ni la suppression de tous les postes de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient ; qu'en cas de suppression d'une partie des postes au sein d'une même catégorie professionnelle, l'employeur doit mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en conséquence, le juge qui constate que l'employeur a effectivement supprimé des postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle le salarié licencié appartient ne peut en déduire que l'emploi de ce salarié n'a pas été supprimé, mais uniquement que l'employeur a méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements s'il n'a pas appliqué les critères d'ordre pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans la nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux dans l'ancienne organisation, de sorte qu'une partie des postes d'attachés commerciaux, à supposer même qu'ils aient été de même nature que les postes d'ingénieurs commerciaux, avait bien été supprimée ; qu'en déduisant de ces constatations que la réalité de la suppression du poste du salarié n'était pas établie et qu'en conséquence son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, quand elle pouvait uniquement en déduire une éventuelle méconnaissance des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail :

10. Il résulte de ces textes que l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements n'a pas pour effet de priver le licenciement d'une cause réelle et sérieuse mais donne lieu à l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de l'emploi du salarié.

11. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts à ce titre, les arrêts énoncent que les postes d'attaché commercial n'ont pas été supprimés, les missions dévolues aux nouveaux ingénieurs commerciaux étant celles occupées par chacun des salariés avant le licenciement et que ceux-ci démontrent d'ailleurs que l'employeur avait envisagé de les recruter sur l'un des postes d'ingénieur commercial nouvellement créés puisqu'ils avaient été reçus par un cabinet de recrutement le 28 mai 2015.

12. Ils soulignent également qu'en mettant en avant que, dans sa nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux MAM était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux, la société reconnaît implicitement qu'elle était confrontée à un problème de sureffectif.

13. Ils en concluent que, faute pour l'employeur de justifier de la suppression effective du poste occupé par chacun des salariés et sans qu'il soit besoin d'examiner la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou encore le respect de son obligation de reclassement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur n'avait effectivement pas supprimé tous les postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle les salariés appartenaient mais seulement un certain nombre puisque le nombre de postes créés, dont les fonctions étaient identiques à celles des postes supprimés, était inférieur au nombre initial de postes d'attachés commerciaux, ce dont il résultait que l'employeur avait méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements en s'abstenant d'appliquer les critères d'ordre fixés pour déterminer les salariés licenciables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnent la société Pitney Bowes à payer à chaque salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, ordonnent à la société Pitney Bowes, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite des licenciements, dans la limite de six mois, condamnent la société Pitney Bowes à payer à chaque salarié une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel et la déboute de sa propre demande d'indemnité de procédure, les arrêts rendus le 30 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le champ de l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative saisie de la demande d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, cf : CE, 22 juillet 2015, n° 383481, publié au Recueil Lebon ; CE, 7 février 2018, n° 409978, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 22 mai 2019, n° 407401, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

Soc., 21 avril 2022, n° 20-17.496, (B), FS

Rejet

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Bien-fondé de la décision de l'inspecteur du travail – Limites – Cession ultérieure d'une entité économique autorisée par le juge-commissaire – Transfert de plein droit des contrats de travail – Appréciation – Compétence du juge prud'homal – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 mars 2020) et les productions, M. [C] a été engagé le 17 décembre 1993 par la société [Adresse 10], laquelle a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 1er juin 2015, avec maintien de l'activité jusqu'au 5 juin 2015, la société MJA, prise en la personne de Mme [U] étant désignée en qualité de liquidateur.

2. Un accord majoritaire portant des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi a été conclu le 16 juin 2015 et validé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi le 18 juin 2015. M. [C] a été licencié pour motif économique le 15 juillet 2015, après autorisation de l'inspecteur du travail.

3. Par ordonnance du 19 août 2015, le juge commissaire a autorisé la reprise de l'activité du site industriel de [Localité 7] par la société [Adresse 8], aux droits de laquelle vient la société Lebronze Alloys (la société).

4. Après avoir vainement demandé sa réembauche auprès de la société Lebronze Alloys, le salarié et le syndicat [Adresse 6] ont saisi la juridiction prud'homale le 12 juin 2017, afin de voir dire le licenciement dépourvu d'effet en vertu de l'article L. 1224-1 du code du travail et obtenir condamnation de la société Lebronze Alloys au paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif ou, subsidiairement, leur fixation au passif de la société [Adresse 10].

Examen des moyens

Sur la première branche du premier moyen et les deuxième et quatrième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. La société Lebronze Alloys fait grief à l'arrêt de déclarer le salarié et le syndicat [Adresse 6] recevables en leurs actions et de la condamner à payer au salarié des dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail et au syndicat des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, alors « que le bien fondé du licenciement d'un salarié protégé intervenu en vertu d'une autorisation administrative définitive ne peut être remis en cause devant le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [C], salarié protégé, avait été licencié après autorisation de l'inspecteur du travail ; que la société Lebronze Alloys avait fait valoir, tant en première instance qu'en appel, qu'il ne pouvait donc, sans heurter le principe de séparation des pouvoirs, solliciter des dommages-et-intérêts pour licenciement abusif au prétexte que son contrat de travail aurait dû être transféré à la société Lebronze Alloys, élément dont il avait au demeurant eu connaissance dans le délai de recours contre l'autorisation de licenciement ; qu'en jugeant la demande du salarié recevable et en lui accordant des dommages et intérêts pour rupture abusive, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

7. En l'absence de toute cession d'éléments d'actifs de la société en liquidation judiciaire à la date à laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement d'un salarié protégé, il appartient à la juridiction judiciaire d'apprécier si la cession ultérieure d'éléments d'actifs autorisée par le juge-commissaire ne constitue pas la cession d'un ensemble d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, emportant de plein droit le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité économique autonome, conformément à l'article L. 1224-1 du code du travail, et rendant sans effet le licenciement prononcé, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d'un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

8. La cour d'appel, qui a relevé que la contestation ne portait pas sur la régularité de la procédure de licenciement, la recherche d'un repreneur et le bien-fondé de la décision rendue par l'inspecteur du travail devenue définitive, mais, à titre principal, sur le non-respect du principe du transfert des contrats de travail par l'effet de la cession d'une entité économique autonome, intervenue après la notification du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail et, à titre subsidiaire, sur la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire dans le cadre de la même opération, a légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. La société Lebronze Alloys fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article L. 1235-7 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cas de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci ; que ce délai est applicable lorsque le salarié conteste la régularité ou la validité de son licenciement pour motif économique intervenu dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif en prétendant que son contrat de travail aurait dû être transféré à un autre employeur sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

10. Le délai de prescription de douze mois prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et applicable du 1er juillet 2013 au 24 septembre 2017, qui court à compter de la notification du licenciement, concerne les contestations, de la compétence du juge judiciaire, fondées sur une irrégularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou sur la nullité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, telles les contestations fondées sur l'article L. 1233-58 II, alinéa 5, du code du travail.

11. Ce délai n'est pas applicable aux actions, relevant de la compétence du juge judiciaire, exercées par les salariés licenciés aux fins de voir constater une violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, de nature à priver d'effet les licenciements économiques prononcés à l'occasion du transfert d'une entité économique autonome, lesquelles sont soumises à la prescription biennale prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

12. Ayant constaté que les salariés avaient saisi la juridiction prud'homale d'une action fondée sur l'article L. 1224-1 du code du travail, étrangère à toute contestation afférente à la validité du plan de sauvegarde de l'emploi et non susceptible d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, la cour d'appel en a exactement déduit que la prescription applicable était celle prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Didier et Pinet ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 1224-1 du code du travail ; principe de séparation des pouvoirs.

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