Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 7 avril 2022, n° 20-19.746, (B), FRH

Cassation

Choses dont on a la garde – Exonération – Fait de la victime – Cause exclusive du dommage – Applications diverses

Il résulte de l'article 1242 du code civil que seul le fait de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à l'examen de la responsabilité du gardien de la chose.

Viole le texte susvisé la cour d'appel qui retient que la victime, alcoolisée et ayant consommé du cannabis, ayant chuté depuis le 5e étage d'un immeuble après s'être assise sur le rebord d'une fenêtre, a commis une faute déterminante dans la survenance du dommage et que la fenêtre ne pouvait être considérée comme instrument du dommage, alors qu'elle constatait que la fenêtre, située à 42 centimètres du sol de l'appartement, était dépourvue de garde-corps susceptible d'empêcher une chute, ce dont il se déduisait que l'imprudence de la victime n'était pas la cause exclusive du dommage.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 23 juin 2020), le [Date décès 4] 2014, [V] [I], alors qu'il était assis et fumait une cigarette sur le rebord de la fenêtre de l'appartement de Mme [F], a basculé dans le vide et trouvé la mort.

2. Les parents de [V] [I], sa soeur, Mme [L] [I] et la société MACIF ont assigné devant un tribunal de grande instance M. [J], propriétaire de l'appartement où est survenu l'accident, en réparation des préjudices subis du fait de la mort de [V] [I].

3. Le bailleur a appelé en garantie la société Citya Montchalin, chargée de la gestion du logement et l'assureur de cette dernière, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes à l'encontre de M. [J], alors « que seule la faute d'imprudence de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte ; qu'en considérant, pour écarter la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « s'est montré particulièrement imprudent et est seul à l'origine de la réalisation de son propre dommage » pour s'être assis, alcoolisé et ayant consommé du cannabis, sur un rebord de fenêtre au 5e étage ce dont toute personne normalement avisée concevrait le danger, après avoir cependant constaté que cette fenêtre se trouvait à 42 cm du sol, mesurait 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportait aucun garde-corps malgré l'étage élevé de l'appartement, ce dont il résultait que le comportement de [V] [I] n'était pas à l'origine exclusive de sa chute, puisque la présence d'un garde-corps l'aurait nécessairement empêchée, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384, alinéa 1, du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1242, alinéa 1er, du code civil :

5. Seul le fait de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à l'examen de la responsabilité du gardien de la chose, prévue au texte susvisé.

6. Pour écarter la responsabilité de M.[J], l'arrêt retient qu'il y a eu une faute d'imprudence de la victime, alcoolisée et ayant consommé du cannabis, à s'asseoir en pleine nuit au 5ème étage d'un immeuble, sur un rebord de fenêtre, qui habituellement n'est pas fait pour s'asseoir, alors qu'elle ne connaissait pas les lieux, sans s'assurer qu'il n'y avait pas de risque de chute.

7. L'arrêt en déduit que la faute de la victime apparaît déterminante dans la survenance du dommage et que, par conséquent, la fenêtre, même basse et dépourvue de garde-corps, ne peut être considérée comme étant anormale, et dès lors comme instrument du dommage.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la fenêtre située au 5ème étage et à 42 cm du sol de l'appartement, était dépourvue de garde-corps susceptible d'empêcher une chute, ce dont il se déduisait que l'imprudence de la victime n'était pas la cause exclusive du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 23 juin 2020, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Article 1242 du code civil.

Soc., 6 avril 2022, n° 20-22.918, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Dommage – Réparation – Indemnité – Montant – Calcul – Dispositions fiscales frappant les revenus – Absence d'incidence – Portée

Les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation de la victime.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 novembre 2020), M. [U], engagé à compter du 1er octobre 2001 par la société XPO Supply Chain (la société) en qualité de conducteur routier, occupant en dernier lieu un poste de magasinier cariste, titulaire de différents mandats, a été licencié le 19 novembre 2013. A l'issue des recours devant les juridictions administratives, il a été réintégré le 1er février 2016 au poste de cariste.

2. Le 6 février 2017, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir diverses sommes concernant la période entre son licenciement et sa réintégration, notamment une somme à titre de dommages-intérêts pour majoration d'impôt sur le revenu.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième, cinquième et sixième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour majoration de l'impôt sur le revenu, alors « que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié protégé a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision ; que la majoration de l'impôt sur le revenu qui est dû au titre de cette indemnité ne constitue pas un préjudice réparable ; qu'en mettant à la charge de l'employeur la majoration de l'impôt sur le revenu de M. [U] résultant du versement en une seule fois de cette indemnité représentant près de deux années de salaire, la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2422-4 du code du travail, l'article 1241 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe de réparation intégrale du préjudice :

5. Il résulte du premier de ces textes que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié, titulaire d'un mandat, a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice, tant matériel que moral, subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

6. Il résulte du second de ces textes et du principe susvisé que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit.

7. Pour faire droit à la demande de dommages-intérêts pour majoration d'impôt sur le revenu présentée par le salarié, réintégré après annulation définitive de l'autorisation de licenciement, l'arrêt retient que le salarié justifie, par la production de ses avis d'imposition 2015, 2016 et 2017 et de simulations pour ces mêmes années, qu'il a subi un surcoût d'impôt de 2 136 euros, lequel se trouve être la conséquence du versement par l'employeur de l'indemnisation, ayant pesé sur une seule et même année d'imposition (2017, pour les revenus 2016), alors que cette somme, s'il n'y avait pas eu éviction, aurait été étalée sur les années concernées, n'entraînant pas de surcoût d'impôt, de sorte que, cette charge étant directement en lien avec le versement de l'indemnisation de l'éviction fautive, l'employeur sera condamné à verser ce montant au salarié en réparation du préjudice causé.

8. En statuant ainsi, alors que les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation de la victime, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Le salarié doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de la majoration d'impôt sur le revenu.

12. La cassation du chef de dispositif condamnant la société à payer au salarié une somme à ce titre n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiées par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

13. Il convient de condamner la société qui succombe pour l'essentiel aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société XPO Supply Chain à payer à M. [U] la somme de 2 136 euros à titre de dommages-intérêts pour majoration de l'impôt sur le revenu, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute M. [U] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la majoration de l'impôt sur le revenu.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; Me Haas -

Textes visés :

Article L. 2422-4 du code du travail ; article 1241 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; principe de réparation intégrale du préjudice.

Rapprochement(s) :

Sur le principe que les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation de la victime, dans le même sens que : 2e Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-16.173, Bull., 2004, II, n° 392 (cassation), et les arrêts cités. Sur les modalités de calcul de l'indemnité en réparation du préjudice subi par le salarié protégé licencié avec une autorisation de l'inspecteur du travail par la suite annulée, à rapprocher : Soc., 12 novembre 2015, pourvoi n° 14-10.640, Bull. 2016, V, n° 232 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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