Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

1re Civ., 13 avril 2022, n° 21-23.234, (B), FS

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Code de la santé publique – Article L. 6323-1-9, alinéa 2 – Interdiction de publicité au profit des centres de santé – Principe d'égalité devant la loi – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Code de la santé publique – Article L. 6323-1-9, alinéa 2 – Interdiction de publicité au profit des centres de santé – Liberté d'entreprendre – Article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel – Caractère sérieux – Défaut

Faits et procédure

1. L'Association pour le développement de l'accès aux soins dentaires Addentis (l'association), dont l'objet est la création et la gestion de centres de santé dentaires, a ouvert en Seine-Saint-Denis, à [Localité 8], le centre du [Adresse 9], dont le journal Le Parisien, la revue Reflets et d'autres médias, notamment l'émission Capital, diffusée sur la chaîne de télévision M6, se sont fait l'écho, puis, à [Localité 6], le centre des [Localité 11] et, à [Localité 7], le centre [Adresse 10]. Elle a également créé un site internet et des plaquettes de présentation.

2. Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et la Confédération nationale des syndicats dentaires devenue le Syndicat des chirurgiens-dentistes de France, estimant que l'association avait recouru à des procédés publicitaires pour promouvoir son activité au détriment des cabinets dentaires situés à proximité et ainsi commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre des chirurgiens-dentistes exerçant à titre libéral, l'ont assignée afin d'obtenir le paiement de dommages-intérêts, la publication de la décision et une injonction de cesser immédiatement tout acte publicitaire et tout acte de concurrence déloyale.

La Fédération nationale des centres de santé et le Syndicat des chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis sont intervenus volontairement à l'instance.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

3. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Paris, l'association a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« 1°/ L'alinéa 2 de l'article L. 6323-1-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018, est-il contraire à la Constitution en ce que, en interdisant de manière absolue et générale toute forme de publicité au profit des centres de santé, il porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, telle que garantie par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ?

2°/ L'alinéa 2 de l'article L. 6323-1-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018, est-il contraire à la Constitution en ce que, en interdisant de manière absolue et générale toute forme de publicité au profit des centres de santé, alors même que les professions médicales peuvent désormais recourir à la publicité, il porte une atteinte injustifiée au principe d'égalité garanti par la Constitution ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

Première question prioritaire de constitutionnalité

4. Les dispositions contestées sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

5. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

7. D'autre part, elle ne présente pas un caractère sérieux.

8. En effet, les dispositions contestées, qui interdisent de manière générale et absolue toute forme de publicité au profit des centres de santé, poursuivent l'objectif d'intérêt général de bonne information des patients et, par suite, de protection de la santé publique. De plus, l'article L. 6323-1-9, alinéa 1er, du code de la santé publique prévoit que les centres de santé assurent une identification du lieu de soins à l'extérieur et l'information du public sur les activités et les actions de santé publique ou sociales mises en ?uvre, sur les modalités et les conditions d'accès aux soins, ainsi que sur le statut du gestionnaire, de sorte qu'il ne peut être utilement invoqué que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

9. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

Seconde question prioritaire de constitutionnalité

10. Les dispositions contestées sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

11. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

12. La question posée présente un caractère sérieux, dès lors qu'à la suite de décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, ayant dit pour droit que l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (CJUE, arrêt du 4 mai 2017, C-339/15 ; CJUE, ordonnance du 23 octobre 2018, C-296/18), et d'un arrêt du Conseil d'Etat annulant en conséquence la décision implicite du ministre des solidarités et de la santé refusant notamment d'abroger l'article R. 4127-215, alinéa 5, du code de la santé publique (CE, 6 novembre 2019, Mme [T], n° 420225), le décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 a modifié l'article R. 4127-215 du code de la santé publique pour mettre fin à cette interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité par les chirurgiens-dentistes, de sorte que l'interdiction de toute forme de publicité, désormais édictée à l'égard des seuls centres de santé, est susceptible de porter atteinte au principe d'égalité.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité n° 1 ;

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité n° 2.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 6323-1-9, alinéa 2, du code de la santé publique.

Soc., 13 avril 2022, n° 20-22.993, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Statuts professionnels particuliers – Employés domestiques – Employé de maison – Durée du travail – Article L. 7221-2 du code du travail – Principe d'égalité devant la loi – Question nouvelle et sérieuse (non) – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Travail réglementation, durée du travail – Travail à temps partiel – Article L. 3123-14 du code du travail – Principe d'égalité devant la loi – Question nouvelle et sérieuse (non) – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Mme [E] [R] a été engagée en qualité d'aide à domicile par [C] [Y], les relations contractuelles relevant de la convention collective du particulier employeur du 24 novembre 1999.

2. [C] [Y] a été placée en tutelle par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris 16e du 6 juillet 2012, qui a désigné Mme [K], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en qualité de tutrice.

3. La tutrice a notifié un changement d'horaire à la salariée, que celle-ci a refusé.

4. Licenciée le 23 avril 2014, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail, sollicitant notamment la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

5. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris, la salariée a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions combinées des articles L. 3123-14 et L. 7221-2 du code du travail, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, méconnaissent-elles le principe d'égalité devant la loi, garanti par les articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, en ce qu'elles excluent l'application des dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et au travail à temps partiel aux employés qui travaillent au domicile privé de leur employeur, et plus particulièrement, en ce qu'elles prévoient qu'un employé de maison travaillant au domicile privé de son employeur ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

6. L'article L. 7221-2 du code du travail dispose que sont seules applicables au salarié défini à l'article L. 7221-1 les dispositions relatives :

1° Au harcèlement moral, prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel, prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu'à l'exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l'article L. 1154-2 ;

2° A la journée du 1er mai, prévues par les articles L. 3133-4 à L. 3133-6 ;

3° Aux congés payés, prévues aux articles L. 3141-1 à L. 3141-33, sous réserve d'adaptation par décret en Conseil d'Etat ;

4° Aux congés pour événements familiaux, prévues à la sous-section 1 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie ;

5° A la surveillance médicale définie au titre II du livre VI de la quatrième partie.

7. La chambre sociale déduit de ce texte, combiné avec l'article L. 3123-14 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et au travail à temps partiel ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 (Soc., 7 décembre 2017, pourvoi n° 16-12.809, Bull. 2017, V, n° 210 ; Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-21.584, publié).

8. Ces dispositions législatives, ainsi interprétées, sont applicables au litige.

9. Elle n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

12. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

13. Le particulier employeur, entendu comme une personne physique qui emploie un salarié à son domicile privé pour réaliser des travaux à caractère familial ou ménager, sans poursuivre un but lucratif, n'est pas dans la même situation que l'employeur, personne morale ou personne physique, agissant dans le cadre professionnel.

14. L'exclusion par la loi de l'application des dispositions relatives à la durée du travail au salarié du particulier employeur, qui ne lui interdit pas d'obtenir le paiement des heures de travail qu'il a effectuées, dont la preuve relève du régime probatoire spécifique prévu par l'article L. 3171-4 du code du travail (Soc., 19 mars 2003, pourvoi n° 00-46.686, Bull. 2003, V, n° 103 ; Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 17-11.131, 17-10.622 publiés), est justifiée par la différence de situation entre le particulier employeur et l'employeur agissant dans le cadre de son activité professionnelle.

15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pecqueur - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Principe d'égalité devant la loi ; articles L. 3123-14, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 7221-2 du code du travail.

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