Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

PRESCRIPTION CIVILE

Soc., 20 avril 2022, n° 19-17.614, (B), FS

Rejet

Délai – Réduction – Action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail – Réduction du délai de prescription – Droit d'accès au juge – Violation (non)

La réduction du délai de prescription par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qui a substitué à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, relatif aux actions personnelles ou mobilières, une prescription biennale prévue à l'article L. 1471-1 du code du travail, selon lequel toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge dès lors que ce délai a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud'homale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 avril 2019), M. [L] a été engagé le 5 juin 1989 en qualité d'agent comptable par la société Intermarché.

En dernier lieu, il exerçait les fonctions d'administrateur financier de gestion, au statut cadre, au sein de la société ITM logistique alimentaire international.

2. Le 21 novembre 2011, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif économique.

3. Le 24 juin 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de ce licenciement et obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son action est prescrite et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que le salarié faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les dispositions de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 réduisant de 5 à 2 ans le délai de prescription de l'action en contestation de toute rupture du contrat de travail, en ce qu'elles apportent une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, sont contraires aux dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant l'action prescrite, sans répondre à ce moyen d'inconventionnalité opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès aux tribunaux n'étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, laquelle peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus.

En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

En outre, elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (notamment CEDH Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, n° 28028/95, § 34).

7. Elle juge notamment que les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit d'accès à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes : garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé (CEDH Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, n° 22083/93 et 22095/93, § 51-52).

8. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a substitué à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil, relatif aux actions personnelles ou mobilières, l'article L. 1471-1 du code du travail selon lequel toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

9. Cette réduction du délai de prescription applicable à toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail ne méconnaît pas les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le délai biennal a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud'homale.

10. Il résulte de ce motif de pur droit que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Pietton - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 1471-1 du code du travail ; article 2224 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la conformité des délais légaux de prescription au droit d'accès à un tribunal, cf : CEDH, arrêt du 22 octobre 1996, Stubbings c. Royaume-Uni, n° 22083/93, §§ 51 et 52.

2e Civ., 7 avril 2022, n° 20-22.360, (B), FRH

Rejet

Prescription triennale – Sécurité sociale – Allocations spéciales – Allocations d'aide aux travailleurs privés d'emploi – Prestations indûments versées – Action en répétition – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 17 septembre 2020) et les productions, M. [C] (l'allocataire) a perçu entre 2008 et 2011, des allocations d'aide au retour à l'emploi et d'aide au retour à l'emploi formation. A la suite d'un contrôle de gendarmerie, il a fait l'objet de poursuites pénales du chef de déclarations mensongères à une administration publique en vue d'obtenir un avantage indu.

Par un jugement définitif du 3 juillet 2014, il a été relaxé des fins de la poursuite.

La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a, par décision administrative du 2 septembre 2013, supprimé, avec effet rétroactif au 1er février 2008, son droit à l'allocation chômage.

2. Le Pôle emploi [Localité 5], aux droits duquel vient le Pôle emploi [Localité 4] (le Pôle emploi), a fait assigner l'allocataire le 27 novembre 2014 devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir la restitution des allocations chômage indûment versées.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le Pôle emploi fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite sa demande de remboursement de l'indu, alors :

« 1°/ que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque la demande est fondée sur une cause différente de celle qui a fait l'objet d'un précédent jugement ; qu'il s'ensuit que l'autorité de chose jugée attachée au jugement relaxant un allocataire du chef de fraude pour l'allocation de prestations indues n'interdit pas au Pôle emploi de se prévaloir d'une fraude ou d'une fausse déclaration de sa part pour exercer pendant dix ans devant les juridictions civiles une action en répétition des allocations indûment versées, sur le fondement d'une décision administrative excluant l'allocataire du bénéfice du revenu de remplacement ; qu'en affirmant qu'en l'état de la décision du tribunal correctionnel devenue définitive, le Pôle emploi ne pouvait revendiquer un délai de prescription de dix ans au motif de déclarations mensongères, fausses ou frauduleuses, la cour d'appel a violé l'ancien article 1351 devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article L. 5422-5 du code du travail ;

2°/ que l'action en remboursement de l'allocation d'assurance indûment versée se prescrit par dix ans, en cas de fraude ou de fausse déclaration ; qu'il s'ensuit que même en l'absence d'une fraude en vue d'obtenir une allocation d'assurance-chômage, le fait, pour un bénéficiaire des allocations d'aide aux travailleurs privés d'emploi, de ne pas déclarer à l'institution gestionnaire du régime d'assurance-chômage, l'exercice d'une activité professionnelle caractérise une fausse déclaration permettant à cette institution d'agir en remboursement des allocations indues pendant dix ans à compter de leur versement ; qu'en décidant que l'institution gestionnaire du régime d'assurance-chômage n'était pas fondé à soutenir que la fraude de l'allocataire l'autorisait à agir en répétition des allocations indûment versées depuis dix ans dès lors qu'il avait été relaxé du chef de fraude pour l'obtention d'allocations indues, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à exclure l'existence d'une fausse déclaration autorisant Pôle emploi à agir pendant dix ans ; qu'ainsi, elle a violé l'ancien article 1351 devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article L. 5422-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 5422-5 du code du travail, l'action en remboursement de l'allocation d'assurance indûment versée se prescrit par trois ans.

En cas de fraude ou de fausse déclaration, elle se prescrit par dix ans.

Les délais courent à compter du jour de versement de ces sommes.

5. Il résulte de l'article 441-6, alinéa 2, du code pénal, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, applicable au litige, que le fait, pour un bénéficiaire des allocations d'aide aux travailleurs privés d'emploi, de ne pas déclarer à Pôle emploi l'exercice d'une activité professionnelle caractérise la fraude en vue d'obtenir lesdites allocations.

6. Il résulte des articles 1351, devenu 1355, du code civil, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes que la relaxe prononcée du chef du délit prévu par l'article 441-6, alinéa 2, du code pénal à l'égard de l'allocataire par un jugement définitif est revêtue, au civil, de l'autorité absolue quant à l'absence de fraude ou de fausse déclaration de cet allocataire, au sens de l'article L. 5422-5 du code du travail.

8. Ayant constaté que l'allocataire avait été relaxé des poursuites dont il faisait l'objet du chef de déclarations mensongères à une administration publique en vue d'obtenir un avantage indu, par un jugement définitif, la cour d'appel en a exactement déduit que le Pôle emploi ne pouvait prétendre que le délai de prescription applicable à son action en remboursement était de dix ans, et que celui-ci ayant exercé son action en remboursement plus de trois ans à compter du versement des sommes réclamées, il n'était pas recevable à agir en raison de la prescription.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Labaune - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Boullez ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article L. 5422-5 du code du travail.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 28 mai 2015, pourvoi n° 14-17.773, Bull. 2015, II, n° 133 (rejet).

Ass. plén., 29 avril 2022, n° 18-18.542, n° 18-21.814, (B) (R), PL

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Suspension – Impossibilité d'agir – Applications diverses – Gel d'avoirs iraniens

Sans autorisation préalablement délivrée par l'autorité française compétente, aucune mesure conservatoire ou d'exécution forcée ne peut être diligentée sur des avoirs qui ont été gelés en application d'un règlement de l'Union pris en exécution de la position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran. Il s'ensuit que lorsque les avoirs d'un débiteur sont gelés et que les conditions dans lesquelles l'autorité française compétente peut autoriser le déblocage de certains d'entre eux ne sont pas réunies ou que celle-ci a refusé de les débloquer, la prescription extinctive est suspendue à l'égard des créanciers pendant toute la durée de la mesure de gel.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2018) et les productions, par la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé que la République islamique d'Iran devait suspendre toutes les activités liées à l'enrichissement et au retraitement ainsi que les travaux sur tous projets liés à l'eau lourde, et prendre certaines mesures prescrites par le Conseil des Gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique, que le Conseil de sécurité des Nations unies a jugées essentielles pour instaurer la confiance dans le fait que le programme nucléaire iranien poursuivait des fins exclusivement pacifiques. Afin de persuader l'Iran de se conformer à cette décision contraignante, le Conseil de sécurité a décidé que l'ensemble des États membres des Nations unies devrait appliquer un certain nombre de mesures restrictives. Conformément à la résolution 1737 (2006), la position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 a prévu certaines mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, et notamment le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, des entités et des organismes qui participent, sont directement associés ou apportent un soutien aux activités de l'Iran liées à l'enrichissement, au retraitement ou à l'eau lourde, ou à la mise au point par l'Iran de vecteurs d'armes nucléaires. Ces mesures ont été mises en oeuvre dans la Communauté européenne par le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran.

2. Par la résolution 1747 (2007), du 24 mars 2007, le Conseil de sécurité a identifié la société Bank Sepah (la banque Sepah) comme faisant partie des « entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques » de l'Iran auxquelles devait s'appliquer la mesure de gel des avoirs. Cette résolution a été transposée dans le droit communautaire par le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission du 20 avril 2007 modifiant le règlement n° 423/2007.

3. Par arrêt du 26 avril 2007, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a condamné la banque Sepah, ainsi que diverses personnes physiques, à payer à la société Overseas Financial (la société Overseas) la contrevaleur en euros de la somme de 2 500 000 USD, et à la société Oaktree Finance (la société Oaktree) la contrevaleur en euros de la somme de 1 500 000 USD, le tout avec intérêts au taux légal à compter de cet arrêt.

4. La demande des sociétés Overseas et Oaktree de levée partielle de la mesure de gel des avoirs de la banque Sepah a été rejetée par décision implicite du ministre de l'économie et des finances.

5. Le 17 janvier 2016, le Conseil de sécurité a radié la banque Sepah de la liste des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran. Cette décision a été transposée dans le droit de l'Union par le règlement d'exécution (UE) n° 2016/74 du Conseil du 22 janvier 2016, entré vigueur le 23 janvier 2016.

6. En vertu de l'arrêt du 26 avril 2007, les sociétés Overseas et Oaktree ont, le 17 mai 2016, fait délivrer des commandements de payer aux fins de saisie-vente contre la banque Sepah et, le 5 juillet 2016, fait pratiquer entre les mains de la Société générale des saisies-attributions et des saisies de droits d'associés et valeurs mobilières, au préjudice de la banque Sepah, saisies dénoncées le 8 juillet 2016.

7. Les 13 juin et 15 juillet 2016, la banque Sepah a assigné les sociétés Overseas et Oaktree devant un juge de l'exécution aux fins de contester ces mesures d'exécution forcée.

Les deux procédures ont été jointes.

8. Par un arrêt du 10 juillet 2020, la Cour de cassation a joint les pourvois n° 18-18.542, formé par la banque Sepah, et 18-21.814, formé par les sociétés Overseas et Oaktree, rejeté le premier moyen du pourvoi n° 18-18.542, sursis à statuer sur les autres moyens et saisi la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles en interprétation des règlements (CE) n° 423/2007, (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 423/2007, et (UE) n° 267/2012 du Conseil du 23 mars 2012 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010.

9. La Cour de justice a répondu par un arrêt du 11 novembre 2021, Bank Sepah (C-340/20).

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi n° 18-18.542, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ainsi qu'en ses cinquième et sixième branches en tant que celles-ci font grief à l'arrêt de valider les saisies-attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016, ci-après annexé

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur ce moyen, pris en sa sixième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de la banque Sepah tendant à son exonération de la majoration du taux de l'intérêt légal

Enoncé du moyen

11. La banque Sepah fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la voir exonérer de la majoration du taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers et à voir dire et juger que les intérêts dus aux sociétés Overseas et Oaktree seront calculés selon le taux d'intérêt légal à l'exception de toute majoration, alors « que la « situation du débiteur » à l'aune de laquelle le juge de l'exécution doit apprécier l'opportunité de réduire ou de neutraliser la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier s'entend de tous les éléments relatifs à la situation financière du débiteur mais également de toutes difficultés qu'il a pu rencontrer dans le cadre de l'exécution de la décision de condamnation ; qu'en jugeant que les éléments invoqués par la banque Sepah pour démontrer qu'elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter ne constituaient pas, par construction, « un élément de la situation du débiteur » à l'aune duquel devait s'apprécier l'opportunité de mettre en oeuvre le pouvoir modérateur que lui reconnaissait l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la Cour d'appel a violé cette disposition. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier :

12. Aux termes de ce texte, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration du taux de l'intérêt légal prévue à l'alinéa 1er ou en réduire le montant.

13. Cette majoration ayant pour finalité d'inciter le débiteur à exécuter sans tarder la décision le condamnant, relève de la situation du débiteur, au sens de l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, toute circonstance indépendante de la volonté du débiteur de nature à faire obstacle à l'exécution, par ce dernier, de la décision de justice le condamnant au paiement d'une somme d'argent.

14. Pour rejeter la demande d'exonération de la banque Sepah, l'arrêt énonce que l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant du gel de ses avoirs ne constitue pas un élément de sa situation permettant son exonération.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi n° 18-21.814, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

16. Les sociétés Overseas et Oaktree font grief à l'arrêt de dire prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et de les retrancher des causes des saisies, alors « que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'un tel empêchement se trouve caractérisé en l'absence d'une autorisation administrative requise par la loi pour agir ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree, cependant que le ministre de l'économie avait refusé de leur accorder l'autorisation portant sur le déblocage des fonds appartenant à la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, autorisation requise par l'article 8 règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 puis par l'article 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2234 et 2244 du code civil, 7, § 1, du règlement (CE) n° 423/2007, tel que modifié par le règlement n° 441/2007, et 16, § 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 :

17. Il résulte de la combinaison des deux premiers textes que la prescription extinctive ne court pas ou est suspendue contre le créancier détenteur d'un titre exécutoire qui, par suite d'un empêchement résultant de la loi, est dans l'impossibilité de diligenter une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.

18. Conformément aux deux derniers textes, successivement applicables, est interdit tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds gelés qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, ainsi que toute utilisation de ressources économiques gelées afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque.

19. Répondant aux questions préjudicielles qui lui étaient renvoyées par l'arrêt du 10 juillet 2020, la Cour de justice a dit pour droit :

« 1°) L'article 7, § 1, du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, lu en combinaison avec l'article 1er, sous h) et j), du règlement n° 423/2007, l'article 16, § 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 423/2007, lu en combinaison avec l'article 1er, sous h) et i), du règlement n° 961/2010, et l'article 23, § 1, du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010, lu en combinaison avec l'article 1er, sous j) et k), du règlement n° 267/2012, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soient diligentées, sur des fonds ou des ressources économiques gelés dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, des mesures conservatoires qui instaurent, au profit du créancier concerné, un droit d'être payé par priorité par rapport aux autres créanciers, même si de telles mesures n'ont pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur.

2°) La circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 23 décembre 2006, n'est pas pertinente aux fins de répondre à la première question préjudicielle. »

20. Il ressort de cette réponse qu'aucune sûreté judiciaire ni aucune saisie conservatoire, qui assurent au créancier que sa créance sera réglée par préférence aux autres créanciers sur le bien qui en fait l'objet, ne peut être diligentée sur des avoirs gelés sans autorisation préalablement délivrée par l'autorité française compétente.

21. Ne peuvent a fortiori être réalisées sur de tels avoirs, sans autorisation préalable, des mesures d'exécution forcée qui, à la différence de mesures conservatoires, entraînent un transfert de propriété du patrimoine du débiteur vers celui du créancier.

22. Enfin, dès lors qu'une saisie-vente d'avoirs gelés est impossible, le créancier qui poursuit l'exécution du titre exécutoire dont il dispose n'est pas tenu de délivrer un commandement aux fins de saisie-vente dans l'unique but d'interrompre la prescription.

23. Il s'ensuit que lorsque les avoirs d'un débiteur sont gelés et que les conditions dans lesquelles l'autorité française compétente peut autoriser le déblocage de certains d'entre eux ne sont pas réunies ou que celle-ci a refusé de les débloquer, la prescription extinctive est suspendue à l'égard des créanciers pendant toute la durée de la mesure de gel.

24. Pour dire prescrits les intérêts courus sur leurs créances antérieurement au 17 mai 2011, l'arrêt retient que rien n'interdisait aux sociétés Overseas et Oaktree d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie-attribution.

25. En statuant ainsi, alors que la demande de déblocage des avoirs gelés de la banque Sepah formée par les sociétés Overseas et Oaktree avait été rejetée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

26. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

27. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la fin de non-recevoir soulevée par la banque Sepah, prise de la prescription des intérêts échus antérieurement au 17 mai 2011.

28. Il y a lieu, pour les motifs exposés au § 23 à 25, de rejeter cette fin de non-recevoir.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, retranche des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et dit que les frais devront être recalculés en conséquence, et en ce qu'il rejette la demande de la société Bank Sepah d'exonération de la majoration du taux de l'intérêt légal, l'arrêt rendu le 8 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Bank Sepah, prise de la prescription des intérêts antérieurs au 17 mai 2011 ;

La rejette ;

Renvoie pour le surplus à la cour d'appel de Paris autrement composée.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi n° 18-18.542 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Bank Sepah

PREMIER MOYEN DE CASSATION

 - sur le paiement des intérêts moratoires -

Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR validé les saisies attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance entre les mains de la Société générale à l'encontre de la Bank Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et d'AVOIR rejeté la demande de la Bank Sepah tendant à voir constater que la décision du Conseil de sécurité de l'ONU du 24 mars 2007 et le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil de l'Union européenne du 19 avril 2007 avaient eu pour effet le gel du patrimoine de la Bank Sepah, de celle tendant à voir dire et juger que le gel du patrimoine avait les effets d'une saisie pénale, de celle tendant à voir dire et juger que les mesures d'embargo prononcées à l'encontre de la Bank Sepah par décision du règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 caractérisaient un cas de force majeure entraînant suspension des intérêts, de celle tendant à voir cantonner le montant des saisies au principal et de celle tendant à voir exonérer la Bank Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Le litige portant sur le décompte des intérêts constitue, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge et à ce que soutiennent les intimées, non pas un litige tendant à voir modifier le dispositif de la décision ou à en suspendre l'exécution, mais un litige qui conduit le juge de l'exécution à rechercher si les faits postérieurs à cette décision sont de nature, ou non, à modifier le montant de la dette, laquelle, selon les intimées, est constituée, notamment des intérêts courus sur le montant de la condamnation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le gel des fonds, tel que défini par l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, porte exclusivement sur les actifs de la Bank Sepah lesquels comprennent « les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs » et non sur le passif de son patrimoine, lequel comprend effectivement les intérêts éventuellement courus sur le montant des condamnations, intérêts qui sont de nature distincte.

Le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission en date du 19 avril 2007 n'a pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007, passé en force de chose jugée, et ses effets, en l'espèce, se sont limités à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah, la cour n'étant, au demeurant, pas saisie des conséquences de cette indisponibilité sur le patrimoine de chacune des parties ;

Au surplus, la résolution 1747 (2007) en date du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la Bank Sepah constitue une sanction prononcée à l'encontre de celle-ci. Dès lors, l'appelante est mal fondée à invoquer l'existence d'une cause étrangère qui l'exonérerait de son obligation d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter de son prononcé. Dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a refusé de retrancher des causes des saisies le montant des intérêts au taux légal » ;

1°) ALORS QUE les intérêts moratoires ne peuvent courir contre le débiteur d'une obligation monétaire qui se trouve temporairement placé dans l'impossibilité absolue d'exécuter de manière licite son obligation ; qu'en l'espèce, la banque Sepah faisait valoir que le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté une résolution 1747(2007) prononçant plusieurs mesures restrictives à l'encontre de la République islamique d'Iran qui incluaient le gel de ses avoirs en tant qu'« entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations, et que des mesures de même nature avaient été adoptées par la Commission européenne dans un règlement n° 441/2007 ; que sans remettre en cause le principe même de sa condamnation, la banque Sepah faisait valoir que du temps où cet embargo était applicable, elle avait été placée dans l'impossibilité absolue d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD « assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision de condamnation », de sorte qu'invoquant la survenance d'un authentique fait du prince, constitutif d'un cas de force majeure, elle faisait valoir que les intérêts moratoires n'avaient pu courir à son encontre sur la période considérée ; qu'en rejetant ce moyen au motif que le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission n'« avait pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007 », cependant que l'invocation par la banque Sepah du régime de gel de ses avoirs et de l'interdiction qui en résultait d'exécuter la condamnation mise à sa charge ne tendait en rien à revenir sur la chose jugée mais seulement à tirer les conséquences d'un cas de force majeure sur les dommages-intérêts moratoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1153-1 et 1148 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause (devenus les articles 1231-6 et 1218 du code civil) ;

2°) ALORS en outre QUE l'article 1er du règlement n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la société Bank Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran » lequel, en son article 7, ordonnait le gel de « tous les fonds et ressources économiques » appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner » ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité « à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah » [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;

3°) ALORS en outre QU'en jugeant qu'elle « n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah] » sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD (v. spéc. ses conclusions, p. 14 s.), cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à des fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une « entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations et qu'elle « concourrait » à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction « prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah » et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une « cause étrangère », cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République Islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

 - sur la majoration du taux d'intérêts -

Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR validé les saisies attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance entre les mains de la Société générale à l'encontre de la Bank Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et d'AVOIR rejeté les demandes de la Bank Sepah tendant à voir exonérer la banque Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers et celle tendant à voir dire et juger que les intérêts dus aux sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd seront calculés selon le taux d'intérêt légal à l'exception de toute majoration ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Le litige portant sur le décompte des intérêts constitue, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge et à ce que soutiennent les intimées, non pas un litige tendant à voir modifier le dispositif de la décision ou à en suspendre l'exécution, mais un litige qui conduit le juge de l'exécution à rechercher si les faits postérieurs à cette décision sont de nature, ou non, à modifier le montant de la dette, laquelle, selon les intimées, est constituée, notamment des intérêts courus sur le montant de la condamnation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le gel des fonds, tel que défini par l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, porte exclusivement sur les actifs de la Bank Sepah lesquels comprennent « les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs » et non sur le passif de son patrimoine, lequel comprend effectivement les intérêts éventuellement courus sur le montant des condamnations, intérêts qui sont de nature distincte.

Le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission en date du 19 avril 2007 n'a pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007, passé en force de chose jugée, et ses effets, en l'espèce, se sont limités à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah, la cour n'étant, au demeurant, pas saisie des conséquences de cette indisponibilité sur le patrimoine de chacune des parties ;

Au surplus, la résolution 1747 (2007) en date du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la Bank Sepah constitue une sanction prononcée à l'encontre de celle-ci. Dès lors, l'appelante est mal fondée à invoquer l'existence d'une cause étrangère qui l'exonérerait de son obligation d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter de son prononcé. Dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a refusé de retrancher des causes des saisies le montant des intérêts au taux légal » ;

ET QUE : « l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » ;

1°) ALORS QU'eu égard à sa fonction comminatoire et à son caractère de sanction, la majoration de l'intérêt légal prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ne peut s'appliquer au débiteur qui, du fait de la survenance d'une mesure de gel de ses avoirs, se trouve temporairement dans l'impossibilité de s'exécuter ; que cette exonération est indépendante de l'exercice, par le juge de l'exécution, du pouvoir de modération que lui reconnaît l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier pour tenir compte de la « situation du débiteur » ; qu'en rejetant la demande subsidiaire de la banque Sepah tendant à être exonérée de la majoration prévue par ce texte sur la période au cours de laquelle elle avait été dans l'impossibilité de payer au motif que « l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » sans rechercher, comme elle y était invitée, si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah en conséquence de la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies et du règlement (CE) n° 441/2007, ainsi que l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial Ltd, de recevoir paiement n'exonérait pas en tout état de cause la banque Sepah du paiement des intérêts majorés de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier du temps où elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition et de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ;

2°) ALORS en outre QUE l'article 1er du règlement n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la société Bank Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran » lequel, en son article 7, ordonnait le gel de « tous les fonds et ressources économiques » appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner » ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité « à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah » [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;

3°) ALORS en outre QU'en jugeant qu'elle « n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah] » sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD (v. spéc. ses conclusions, p. 14 s.), cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une « entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations et qu'elle « concourrait » à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction « prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah » et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une « cause étrangère », cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU ;

5°) ALORS subsidiairement QUE le juge de l'exécution peut, en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ou en réduire le montant ; que le juge de l'exécution est tenu de s'expliquer sur les circonstances invoquées par le débiteur pour solliciter la réduction ou la neutralisation de la majoration encourue sur le fondement de ce texte ; qu'en refusant d'exercer son pouvoir de modération au motif que « l'indisponibilité de la créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » sans rechercher, comme elle y était invitée (v. ses conclusions, p. 15), si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah et l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial Ltd, de recevoir paiement ne justifiaient pas à tout le moins l'exercice du pouvoir modérateur prévu par l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition ;

6°) ALORS enfin et en tout état de cause QUE la « situation du débiteur » à l'aune de laquelle le juge de l'exécution doit apprécier l'opportunité de réduire ou de neutraliser la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier s'entend de tous les éléments relatifs à la situation financière du débiteur mais également de toutes difficultés qu'il a pu rencontrer dans le cadre de l'exécution de la décision de condamnation ; qu'en jugeant que les éléments invoqués par la banque Sepah pour démontrer qu'elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter ne constituaient pas, par construction, « un élément de la situation du débiteur » à l'aune duquel devait s'apprécier l'opportunité de mettre en oeuvre le pouvoir modérateur que lui reconnaissait l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé cette disposition. Moyen produit au pourvoi n° 18-21.814 par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour les sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd ;

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et d'avoir retranché des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 ;

Aux motifs propres que « A l'appui de cette fin de non-recevoir, qui peut être soulevée en tout état de cause, la Bank Sepah soutient que les créanciers poursuivants ne peuvent obtenir le recouvrement des intérêts au-delà des cinq années précédant la délivrance des deux commandements de payer du 17 mai 2016 ;

Si depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le créancier peut poursuivre pendant dix ans l'exécution du jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, le recouvrement des arriérés échus postérieurement à la décision est soumis au délai de prescription applicable en raison de la nature de la créance. Il en résulte que le délai d'exécution d'un titre exécutoire, prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, n'est pas applicable aux créances périodiques nées en application de ce titre exécutoire, en l'espèce aux intérêts, lesquels se prescrivent par cinq ans par application de l'article 2224 du code civil.

Rien n'interdisait aux intimées, contrairement à ce qu'elles soutiennent, d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie-attribution.

Les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, en l'absence de toute cause interruptive de prescription invoquée par les intimées, antérieure à la signification des commandements de payer en date du 17 mai 2016, sont donc prescrits et il convient de les retrancher des causes des saisies. »

1°) Alors que, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'une loi prononçant une mesure de gel de fonds, laquelle s'entend comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, empêche le créancier d'une personne visée par une telle mesure d'engager toute mesure d'exécution portant sur les fonds gelés, y compris à titre conservatoire, toute mesure conservatoire étant constitutive d'une modification des fonds ayant pour conséquence un changement de leur destination ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree dès lors que rien ne leur interdisait d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, à l'encontre de la société Bank Sepah, cependant que de telles mesures étaient prohibées par les dispositions légales ayant opéré le gel des fonds détenus par cette société, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil, ensemble les articles 1 et 7 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, repris par les articles 1 et 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 ;

2°) Alors que, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'un tel empêchement se trouve caractérisé en l'absence d'une autorisation administrative requise par la loi pour agir ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree, cependant que le ministre de l'économie avait refusé de leur accorder l'autorisation portant sur le déblocage des fonds appartenant à la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, autorisation requise par l'article 8 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 puis par l'article 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil.

Arrêt rendu en Assemblée plénière.

- Président : Mme Arens (premier président) - Rapporteur : M. Mollard, assisté de Mme Ploffoin, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : MM. Molins (procureur général) et Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier.

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