Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

EAUX

3e Civ., 6 avril 2022, n° 21-14.448, (B), FS

Cassation partielle

Usage – Eviction – Eviction au profit d'entreprises d'énergie hydrauliques – Indemnisation – Modalités – Détermination

En application des dispositions de l'article L. 521-14 du code de l'énergie, l'éviction des droits particuliers à l'usage de l'eau, exercés à la date de l'affichage de la demande en concession, ouvre droit à une indemnité. Si, lorsque la restitution en nature est possible, le concessionnaire est, en principe, tenu d'y procéder, il appartient au juge de l'expropriation, en cas de désaccord, de choisir le mode d'indemnisation lui paraissant le plus approprié.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 février 2021), par convention du 29 juin 1929 et ses avenants des 8 et 9 octobre 1930, 22 février 1938, 21 février et 9 mars 1939, [M] [H], titulaire d'un droit d'usage de l'eau de la Garonne fondé en titre, a donné à bail ce droit d'usage à la société Energie électrique de la Haute-Garonne pour une durée de soixante-quatorze ans et un mois à compter du 1er décembre 1934, moyennant le paiement d'une indemnité en argent, le maintien d'un débit d'eau de 500 litres par seconde et la fourniture de l'éclairage et de la force électrique.

2. Le 18 décembre 2008, la société Electricité de France (EDF), substituée à la société Energie électrique de la Haute-Garonne, a obtenu du préfet le renouvellement de la concession d'exploitation.

3. M. [V] [H] et [W] [H], devenus respectivement nu-propriétaire et usufruitière du terrain auquel le droit d'eau est attaché, ont assigné EDF pour obtenir une indemnité sur le fondement de l'article L. 521-14 du code de l'énergie.

4. [W] [H] est décédée en cours d'instance.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [V] [H] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité de 4 959 838 euros, alors « que le titulaire d'un droit d'eau fondé en titre qui en a été dépossédé par EDF peut prétendre à une indemnisation en argent, laquelle peut lui être accordée par décision motivée du juge, quand même une indemnisation en nature demeurerait possible ; qu'en ayant refusé toute indemnisation en argent à M. [H], motif pris de ce qu'une indemnisation en nature était en l'espèce possible, en sorte que le juge était tenu de l'allouer à l'exposant sous cette forme, quand une indemnisation en argent peut toujours être décidée par le juge, quand même une indemnisation en nature serait possible, la cour d'appel a violé l'article L. 521-14 du code de l'énergie. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 521-14 du code de l'énergie :

7. Selon ce texte, lorsque les droits à l'usage de l'eau étaient exercés à la date de l'affichage de la demande en concession, le concessionnaire est tenu, sauf décision contraire du juge, de restituer en nature l'eau ou l'énergie utilisée et, le cas échéant, de supporter les frais des transformations reconnues nécessaires aux installations préexistantes à raison des modifications apportées aux conditions d'utilisation.

En outre, en cas de désaccord sur la nature ou le montant de l'indemnité due, la contestation est portée devant le juge de l'expropriation.

8. Il résulte de ces dispositions que, si, lorsque la restitution en nature est possible, le concessionnaire est, en principe, tenu d'y procéder, il appartient au juge de l'expropriation, en cas de désaccord, de choisir librement le mode d'indemnisation lui paraissant le plus approprié.

9. Pour rejeter la demande de M. Bertrand [H], l'arrêt retient que l'indemnisation en argent constitue une exception et que le juge, qui ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire, doit faire application du principe de l'indemnisation en nature lorsque celle-ci est possible.

10. En statuant ainsi, en s'estimant tenue d'accorder une indemnité en nature, dès lors que celle-ci était possible, alors qu'il lui appartenait de choisir le mode d'indemnisation le plus approprié, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. Bertrand [H] en paiement d'une indemnité de 4 959 838 euros, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 521-14 du code de l'énergie.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.