Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 20 avril 2022, n° 20-20.567, n° 20-20.570, n° 20-20.571, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Action ultérieure portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement – Compétence du juge judiciaire – Etendue – Détermination – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-20.567, 20-20.570 et 20-20.571 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 30 juillet 2020) et les productions, la société Pitney Bowes a établi, dans le cadre d'un projet de réorganisation, un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui a été homologué par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) le 2 juin 2015. Ce plan prévoyait notamment la suppression des 61 postes d'attachés commerciaux, regroupés au sein d'une même catégorie professionnelle et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux, devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés.

3. M. [K] et deux autres salariés, occupant les fonctions d'attaché commercial, licenciés le 15 juillet 2015, ont saisi la juridiction prud'homale afin de contester leur licenciement et obtenir le paiement de dommages-intérêts, à titre principal, pour licenciement abusif et, à titre subsidiaire, pour non-respect des critères d'ordre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief aux arrêts de rejeter l'exception d'incompétence, de dire que le licenciement de chaque salarié est sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer à chaque salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées à la suite du licenciement dans la limite de six mois, alors :

« 1°/ que l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi doit contrôler la définition des catégories professionnelles qui serviront de cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et du nombre de suppressions d'emplois et des catégories professionnelles concernées ; qu'en conséquence, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier la réalité de la suppression du poste du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative et, en particulier, la validation par l'autorité administrative des catégories professionnelles et du nombre de suppressions d'emplois au sein de ces différentes catégories ; qu'en l'espèce, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral qui prévoyait le regroupement, au sein d'une catégorie professionnelle distincte, des 61 postes d'attachés commerciaux, la suppression de ces 61 postes et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés, ce dont il résulte que les critères d'ordre des licenciements ne seraient pas appliqués aux attachés commerciaux ; que, sous couvert de contester la suppression de son emploi, le salarié soutenait que les emplois d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux comportaient des fonctions identiques, de sorte que les postes d'attachés commerciaux n'avaient pas tous été supprimés et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû trouver à s'appliquer ; qu'en affirmant cependant que le juge judiciaire était compétent pour connaître des demandes du salarié, dès lors que ce dernier contestait la réalité de la suppression de son emploi et donc la réalité du motif économique, cependant que cette contestation remettait en cause l'appréciation portée par l'autorité administrative sur le cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et le nombre de suppressions d'emplois, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-2 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;

2°/ que si le juge judiciaire est compétent pour apprécier la réalité de la suppression de l'emploi du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, l'autorité administrative, qui est tenue de contrôler les catégories professionnelles et le nombre de suppressions d'emplois, avait validé le document unilatéral qui distinguait au sein de deux catégories distinctes les postes d'attachés commerciaux existants et les postes d'ingénieurs commerciaux devant être créés et qui prévoyait la suppression de tous les postes d'attachés commerciaux, ce qui impliquait l'inapplication des critères d'ordre des licenciements au sein de cette catégorie professionnelle ; que, cependant, pour dire qu'il n'était pas démontré que le poste d'attaché commercial occupé par le salarié avait été supprimé, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que les postes d'ingénieurs commerciaux créés dans le cadre de la réorganisation n'auraient pas conduit le salarié à occuper les mêmes fonctions que celles qu'il exerçait au poste d'attaché commercial et que le nombre de postes d'ingénieurs commerciaux dans la nouvelle organisation était inférieur au nombre de postes d'attachés commerciaux dans l'ancienne ; qu'en se fondant sur une telle appréciation qui implique, d'une part, que les postes d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux auraient dû être rattachés à la même catégorie professionnelle et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû être mis en oeuvre au sein de cette catégorie professionnelle dès lors que le nombre de postes supprimés était supérieur au nombre de postes créés, et d'autre part, que le nombre de suppression d'emplois au sein de cette catégorie tel qu'indiqué dans le document unilatéral était surévalué, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la décision de la DIRECCTE et violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-4 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les catégories professionnelles devant donner lieu à des suppressions d'emplois sont fixées dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de s'assurer que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

6. Il résulte des mêmes articles que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.

7. La cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune contestation portant sur la définition même des catégories professionnelles visées par les suppressions d'emploi au regard des emplois existants dans l'entreprise au moment de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, ni d'une contestation des critères d'ordre et de leurs règles de pondération fixés dans le plan mais qui était saisie d'un litige portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement, a décidé à bon droit, sans méconnaître l'autorité de chose décidée par la DIRECCTE, que la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de cette demande.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait le même grief aux arrêts, alors « que la suppression de l'emploi du salarié n'implique ni la suppression de son poste, ni la suppression de tous les postes de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient ; qu'en cas de suppression d'une partie des postes au sein d'une même catégorie professionnelle, l'employeur doit mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en conséquence, le juge qui constate que l'employeur a effectivement supprimé des postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle le salarié licencié appartient ne peut en déduire que l'emploi de ce salarié n'a pas été supprimé, mais uniquement que l'employeur a méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements s'il n'a pas appliqué les critères d'ordre pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans la nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux dans l'ancienne organisation, de sorte qu'une partie des postes d'attachés commerciaux, à supposer même qu'ils aient été de même nature que les postes d'ingénieurs commerciaux, avait bien été supprimée ; qu'en déduisant de ces constatations que la réalité de la suppression du poste du salarié n'était pas établie et qu'en conséquence son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, quand elle pouvait uniquement en déduire une éventuelle méconnaissance des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail :

10. Il résulte de ces textes que l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements n'a pas pour effet de priver le licenciement d'une cause réelle et sérieuse mais donne lieu à l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de l'emploi du salarié.

11. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts à ce titre, les arrêts énoncent que les postes d'attaché commercial n'ont pas été supprimés, les missions dévolues aux nouveaux ingénieurs commerciaux étant celles occupées par chacun des salariés avant le licenciement et que ceux-ci démontrent d'ailleurs que l'employeur avait envisagé de les recruter sur l'un des postes d'ingénieur commercial nouvellement créés puisqu'ils avaient été reçus par un cabinet de recrutement le 28 mai 2015.

12. Ils soulignent également qu'en mettant en avant que, dans sa nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux MAM était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux, la société reconnaît implicitement qu'elle était confrontée à un problème de sureffectif.

13. Ils en concluent que, faute pour l'employeur de justifier de la suppression effective du poste occupé par chacun des salariés et sans qu'il soit besoin d'examiner la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou encore le respect de son obligation de reclassement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur n'avait effectivement pas supprimé tous les postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle les salariés appartenaient mais seulement un certain nombre puisque le nombre de postes créés, dont les fonctions étaient identiques à celles des postes supprimés, était inférieur au nombre initial de postes d'attachés commerciaux, ce dont il résultait que l'employeur avait méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements en s'abstenant d'appliquer les critères d'ordre fixés pour déterminer les salariés licenciables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnent la société Pitney Bowes à payer à chaque salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, ordonnent à la société Pitney Bowes, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite des licenciements, dans la limite de six mois, condamnent la société Pitney Bowes à payer à chaque salarié une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel et la déboute de sa propre demande d'indemnité de procédure, les arrêts rendus le 30 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le champ de l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative saisie de la demande d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, cf : CE, 22 juillet 2015, n° 383481, publié au Recueil Lebon ; CE, 7 février 2018, n° 409978, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 22 mai 2019, n° 407401, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

Soc., 6 avril 2022, n° 19-25.244, n° 19-25.994, (B), FRH

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Licenciement – Licenciement disciplinaire – Formalités préalables – Formalités prévues par des dispositions conventionnelles ou un règlement intérieur – Saisine d'une instance disciplinaire – Garantie de fond – Violation – Sanction – Nullité du licenciement (non) – Portée

Le conseil de discipline ayant un rôle purement consultatif, ne constitue pas un tribunal au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de sorte que les dispositions de ce texte ne lui sont applicables.

Il en résulte que si l'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié des droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur, elle n'est pas de nature à entacher le licenciement de nullité.

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Défaut – Applications diverses – Conseil de discipline – Avis – Garantie de fond – Violation – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-25.244 et 19-25.994 sont joints.

Reprise d'instance

2. Il est donné acte à M. [Y] de sa reprise d'instance contre la SNCF voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF mobilités, devenue la Société nationale SNCF.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 19 septembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-18.241), M. [Y] a été engagé le 1er mars 2007 en qualité d'acheteur expert bâtiment par l'établissement public industriel et commercial SNCF mobilités devenu la Société nationale SNCF.

Les 4 et 5 février 2013, le salarié et sa supérieure hiérarchique ont saisi la direction éthique de la SNCF. Se fondant sur ce rapport, l'employeur a notifié au salarié une mesure de suspension et l'a convoqué devant le conseil de discipline. Il a été licencié le 25 septembre 2013.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi de l'employeur

Enoncé du moyen

4. La Société nationale SNCF fait grief à l'arrêt de dire le licenciement du salarié nul, d'ordonner sa réintégration au sein de la direction régionale de la SNCF à [Localité 3], de la condamner à lui verser une somme au titre de la période d'éviction entre le 28 janvier 2014 et le 30 septembre 2019, à parfaire sur la base de 4 533,69 euros bruts mensuels jusqu'à sa réintégration, ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ qu'après une cassation partielle, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation ; que méconnaît les limites de sa saisine une cour de renvoi qui fait droit à une demande dont le rejet, par la première cour d'appel, n'a pas été atteint par la cassation ; que le rejet, par l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 17 mars 2017, de la demande de nullité du licenciement n'a pas été censuré par l'arrêt de cassation partielle du 4 juillet 2018 ; qu'en faisant droit à cette demande, la cour d'appel de renvoi a méconnu les limites de sa saisine et violé les articles 624 et 638 du code de procédure civile, ensemble l'article 1355 du code civil ;

2°/ qu'il incombe au demandeur de présenter, devant la première cour d'appel, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder sa demande ; qu'il ne peut renouveler, devant la cour de renvoi, une demande dont le rejet, par la première cour d'appel, n'a pas été atteint par la cassation en invoquant un fondement juridique ou un moyen qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile ; qu'en relevant, pour accepter d'examiner la demande de nullité du licenciement du salarié, dont le rejet, par l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 17 mars 2017, n'avait pas été censuré par l'arrêt de cassation partielle du 4 juillet 2018, que celui-ci soulevait un nouveau moyen, sur lequel la Cour de cassation ne s'était pas prononcée, la cour d'appel de renvoi a violé l'article 1355 du code civil, ensemble les articles 624 et 638 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 624, 631, 632 et 633 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation.

Par l'effet de la cassation partielle intervenue, aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la disposition annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans le même état où elles se trouvaient avant l'arrêt précédemment déféré et qu'elles peuvent devant la cour de renvoi, invoquer de nouveaux moyens ou former des prétentions nouvelles qui sont soumises aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été annulée.

6. La cour d'appel de renvoi, tenue de répondre aux prétentions et moyens formulés devant elle, a décidé à bon droit que le salarié, qui avait retrouvé du fait de la cassation prononcée le droit de soumettre de nouveaux moyens, était fondé à contester son licenciement en invoquant sa nullité en raison de la violation d'une liberté fondamentale caractérisée par l'atteinte portée aux droits de la défense, sur lequel la Cour de cassation ne s'était pas prononcée.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, du pourvoi de l'employeur

Enoncé du moyen

8. La Société nationale SNCF fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que le juge ne peut annuler un licenciement pour violation d'une liberté fondamentale que si le motif du licenciement porte atteinte à une telle liberté ; qu'une irrégularité dans la procédure de licenciement ne peut conduire, à elle seule, à l'annulation du licenciement ; qu'en relevant, pour annuler le licenciement, que la procédure disciplinaire était entachée d'une violation des droits de la défense, la cour d'appel, qui s'est fondée, non pas sur le motif du licenciement, mais sur la procédure de sanction, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;

4°/ que le fait, pour le conseil de discipline de la SNCF, de se fonder de manière déterminante sur des témoignages anonymes pour donner son avis sur la sanction qu'il convient de prononcer ne caractérise pas la violation d'une liberté fondamentale entraînant la nullité du licenciement pris à la suite de cet avis ; qu'en considérant, pour annuler le licenciement, que, du fait de l'anonymat des témoignages, celui-ci n'avait pu apporter, devant le conseil de discipline, des explications circonstanciées sur les griefs qui lui étaient reprochés et que le conseil de discipline ne pouvait fonder sa décision de manière déterminante sur un rapport composé de témoignages anonymes, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et, par fausse application, l'article 6, § 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. Vu l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 1121-1 du code du travail :

10. Le conseil de discipline, ayant un rôle purement consultatif, ne constitue pas un tribunal au sens de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de sorte que les dispositions de ce texte ne lui sont pas applicables.

11. Il en résulte que si l'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié des droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur, elle n'est pas de nature à entacher le licenciement de nullité.

12. Pour dire le licenciement nul, l'arrêt retient que s'il résulte du procès-verbal du conseil de discipline que celui-ci a entendu les explications du salarié et a pris connaissance de ses pièces, il apparaît cependant que sa décision repose largement sur le contenu du rapport de l'éthique puisqu'il n'est fait mention d'aucune autre audition. Il ajoute que ce rapport d'enquête de la direction de l'éthique du mois de septembre 2013 qui a été un élément déterminant dans la prise de décision du conseil de discipline, s'analyse en une compilation de témoignages anonymes et que dans ces conditions, même si le salarié a eu connaissance du contenu de ce rapport, à l'évidence, il n'a pas pu apporter des explications circonstanciées sur tous les griefs qui lui étaient reprochés avant que ne soit prise la mesure de licenciement.

13. Il poursuit en ajoutant que de la même manière que la haute juridiction a considéré que la cour d'appel de Rennes ne pouvait fonder sa décision de manière déterminante sur des témoignages anonymes, pour justifier le licenciement, il convient de considérer que le conseil de discipline ne pouvait fonder sa décision de manière déterminante sur le rapport de l'éthique principalement composé de témoignages anonymes et en conclut que la procédure disciplinaire mise en oeuvre par la société SNCF mobilités ayant violé les droits de la défense, le licenciement doit donc être déclaré nul.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la

Cour de cassation statue au fond.

17. Selon le référentiel RH00144 interne à la SNCF, lorsqu'une majorité absolue de voix converge vers un niveau de sanction, ce niveau constitue l'avis du comité de discipline, il y a alors un seul niveau, le directeur ne peut prononcer une sanction plus sévère. Lorsqu'aucun niveau de sanction ne recueille la majorité des voix, le conseil a émis plusieurs avis. Dans ce cas, il y a lieu de tenir compte des avis émis par le conseil pour déterminer une majorité, ou tout au moins le partage des avis en deux parties. Pour ce faire, les voix qui se sont portées sur la plus sévère des sanctions s'ajoutent à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés, jusqu'à avoir trois voix.

Le directeur peut prononcer une sanction correspondant à l'avis le plus élevé ainsi déterminé.

18. En conséquence, en cas de partage de voix en deux parties égales de trois voix chacune, la sanction la plus sévère n'ayant pas recueilli la majorité absolue des voix exprimées, il y a lieu d'ajouter les voix qui se sont portées sur cette sanction à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés.

Le directeur peut prononcer une sanction correspondant à l'avis le plus élevé ainsi déterminé.

19. Il ressort des constatations des juges du fond que le conseil de discipline s'était prononcé à égalité pour et contre le licenciement, soit trois voix pour et trois voix contre, et dans les mêmes conditions pour un dernier avertissement avec une mise à pied de douze jours et un déplacement, ce dont il résulte que le directeur ne pouvait prononcer un licenciement.

20. Il y a lieu en conséquence de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE sauf en ce qu'il condamne la SNCF mobilités, aux droits de laquelle vient la Société nationale SNCF, aux dépens et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef du licenciement ;

DIT que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

Remet, sur les points restant en litige, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée, pour qu'il soit statué sur les conséquences indemnitaires de ce licenciement.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Le Lay - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 1121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel un licenciement prononcé en violation d'une procédure constituant une garantie de fond est dépourvu de cause réelle et sérieuse, à rapprocher : Soc., 12 septembre 2018, pourvoi n° 16-26.853, Bull. 2018, V, n° 149 (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 6 avril 2022, n° 20-22.918, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Annulation par la juridiction administrative – Préjudice – Indemnisation – Montant – Calcul – Dispositions fiscales frappant les revenus – Absence d'incidence – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 novembre 2020), M. [U], engagé à compter du 1er octobre 2001 par la société XPO Supply Chain (la société) en qualité de conducteur routier, occupant en dernier lieu un poste de magasinier cariste, titulaire de différents mandats, a été licencié le 19 novembre 2013. A l'issue des recours devant les juridictions administratives, il a été réintégré le 1er février 2016 au poste de cariste.

2. Le 6 février 2017, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir diverses sommes concernant la période entre son licenciement et sa réintégration, notamment une somme à titre de dommages-intérêts pour majoration d'impôt sur le revenu.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième, cinquième et sixième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour majoration de l'impôt sur le revenu, alors « que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié protégé a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision ; que la majoration de l'impôt sur le revenu qui est dû au titre de cette indemnité ne constitue pas un préjudice réparable ; qu'en mettant à la charge de l'employeur la majoration de l'impôt sur le revenu de M. [U] résultant du versement en une seule fois de cette indemnité représentant près de deux années de salaire, la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2422-4 du code du travail, l'article 1241 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe de réparation intégrale du préjudice :

5. Il résulte du premier de ces textes que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié, titulaire d'un mandat, a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice, tant matériel que moral, subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

6. Il résulte du second de ces textes et du principe susvisé que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit.

7. Pour faire droit à la demande de dommages-intérêts pour majoration d'impôt sur le revenu présentée par le salarié, réintégré après annulation définitive de l'autorisation de licenciement, l'arrêt retient que le salarié justifie, par la production de ses avis d'imposition 2015, 2016 et 2017 et de simulations pour ces mêmes années, qu'il a subi un surcoût d'impôt de 2 136 euros, lequel se trouve être la conséquence du versement par l'employeur de l'indemnisation, ayant pesé sur une seule et même année d'imposition (2017, pour les revenus 2016), alors que cette somme, s'il n'y avait pas eu éviction, aurait été étalée sur les années concernées, n'entraînant pas de surcoût d'impôt, de sorte que, cette charge étant directement en lien avec le versement de l'indemnisation de l'éviction fautive, l'employeur sera condamné à verser ce montant au salarié en réparation du préjudice causé.

8. En statuant ainsi, alors que les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation de la victime, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Le salarié doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de la majoration d'impôt sur le revenu.

12. La cassation du chef de dispositif condamnant la société à payer au salarié une somme à ce titre n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiées par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

13. Il convient de condamner la société qui succombe pour l'essentiel aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société XPO Supply Chain à payer à M. [U] la somme de 2 136 euros à titre de dommages-intérêts pour majoration de l'impôt sur le revenu, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute M. [U] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la majoration de l'impôt sur le revenu.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; Me Haas -

Textes visés :

Article L. 2422-4 du code du travail ; article 1241 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; principe de réparation intégrale du préjudice.

Rapprochement(s) :

Sur le principe que les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation de la victime, dans le même sens que : 2e Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-16.173, Bull., 2004, II, n° 392 (cassation), et les arrêts cités. Sur les modalités de calcul de l'indemnité en réparation du préjudice subi par le salarié protégé licencié avec une autorisation de l'inspecteur du travail par la suite annulée, à rapprocher : Soc., 12 novembre 2015, pourvoi n° 14-10.640, Bull. 2016, V, n° 232 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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