Numéro 4 - Avril 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2022

ASSURANCE (règles générales)

3e Civ., 20 avril 2022, n° 21-16.297, (B), FS

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Clause se référant aux circonstances particulières de la réalisation du risque

Il résulte de l'article L. 113-1 du code des assurances que la clause, qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, constitue une clause d'exclusion de garantie.

Viole ce texte la cour d'appel qui, après avoir relevé que le contrat d'assurance contenait une clause selon laquelle il avait pour objet de garantir l'adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourait dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations, retient qu'en commençant les travaux avant l'obtention d'un permis de construire, l'architecte s'est rendu complice d'une infraction pénale, en contravention avec l'article 12 du décret n° 80-217 du 20 mars 1980 devenu le code de déontologie des architectes, de sorte qu'il avait exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur, alors que l'exécution des travaux en violation des règles d'urbanisme imposant l'obtention d'une autorisation de construire constituait une circonstance particulière de la réalisation du risque.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 10 mars 2021), M. [P] a confié à M. [I], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration d'un château endommagé par un incendie.

2. L'exécution d'une première phase de travaux a été confiée à la société Daci-bat, assurée auprès de la société GAN assurances IARD (la société GAN).

3. Les travaux ont débuté avant l'obtention du permis de construire. A la suite du rejet de la demande de permis de construire, le chantier a été arrêté.

4. M. [I] a notifié à M. [P] la résiliation du contrat de maîtrise d'oeuvre, pour perte de confiance.

5. Après expertise, M. [P] a assigné les constructeurs et leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, sur le troisième moyen, pris en sa cinquième branche, et sur les quatrième et sixième moyens, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

7. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation présentée au titre du passage en croix du refend et des têtes de murs, du trouble de jouissance et du surplus de loyers payés, consécutifs au retard du chantier et au titre d'un préjudice moral, alors :

« 1°/ qu'un architecte à qui est confiée une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu d'assurer notamment le suivi du chantier et de surveiller le respect, par les entreprises intervenantes, des instructions et des délais qui leur ont été indiqués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'aucun retard ne pouvait être imputé à faute à M. [I] dès lors que ce dernier n'avait pris aucun engagement en termes de délai et qu'aucun planning n'avait été mis en place avec les entreprises ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le retard puis l'arrêt du chantier résultaient notamment de l'engagement hasardeux par l'architecte de travaux avant l'obtention du permis de construire, d'un défaut de suivi du chantier qui avait notamment conduit aux désordres affectant les acrotères qu'il fallait refaire, et d'un manque de précision des travaux projetés, ce qui avait causé des blocages au printemps 2011 après le rejet de la première demande de permis de construire déposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code ;

3°/ que l'architecte tenu d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l'ouvrage sur la pertinence de l'enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l'impossibilité de parvenir à l'achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu'un budget de 400 000 euros à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'architecte avait manqué à son devoir d'informer le maître de l'ouvrage sur le réalisme de l'enveloppe budgétaire qu'il entendait consacrer au chantier, compte tenu du projet envisagé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

9. Il est jugé que l'entrepreneur est soumis à l'obligation de livrer les travaux dans un délai raisonnable, même lorsque les devis ne mentionnent aucun délai d'exécution et qu'aucun planning n'a été fixé (3e Civ., 16 mars 2011, pourvoi n° 10-14.051, Bull. 2011, III, n° 35).

10. Pour rejeter les demandes d'indemnités formées par M. [P] pour les préjudices causés par l'arrêt du chantier, l'arrêt retient qu'il appartenait au maître de l'ouvrage de contracter avec un nouveau maître d'oeuvre après la rupture du contrat par M. [I], ce qu'il n'avait pas fait, générant par cette carence l'arrêt du chantier.

11. Il retient, ensuite, que M. [I] n'était pas chargé d'une mission d'ordonnancement, pilotage et coordination du chantier, qu'il n'avait pris aucun engagement en termes de délais, qu'aucun planning particulier n'avait été mis en place avec les entreprises, qu'il ne résultait d'aucune pièce ou d'aucun échange que M. [P] entendait disposer de l'immeuble reconstruit à une date particulière et que l'expertise avait mis en évidence que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix du maître de l'ouvrage de ne consacrer qu'un budget de 400 000 euros à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder, alors que le maître de l'ouvrage avait reçu une indemnité d'assurance de 555 467 euros après l'incendie.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'arrêt du chantier n'avait pas pour cause le commencement des travaux par l'architecte avant l'obtention d'un permis de construire, un manque de précision des travaux à réaliser et un manquement de l'architecte à son obligation d'informer le maître de l'ouvrage, avant le début des travaux, de l'inadéquation entre le budget alloué et le projet retenu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

13. M. [P] fait grief à l'arrêt de dire que la garantie de la MAF n'était pas acquise et de rejeter les demandes présentées à son encontre, alors « que constitue une exclusion indirecte de garantie la clause par laquelle le champ de la garantie est limité aux conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de la profession d'architecte, encourues dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations, ce qui exclut la prise en charge des dommages résultant d'une méconnaissance par l'architecte des règles d'urbanisme ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a écarté la garantie de la MAF en retenant que M. [I] n'avait pas exercé la profession d'architecte dans des conditions normales, puisqu'il avait débuté le chantier sans avoir obtenu le permis de construire, et qu'en travaillant dans de telles conditions, il avait exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur, le contrat garantissant M. [I] uniquement « contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations ; qu'en écartant la qualification d'exclusion indirecte de garantie s'agissant de cette clause, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

14. Il résulte de ce texte que la clause, qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, constitue une clause d'exclusion de garantie.

15. Pour rejeter les demandes formées contre la MAF, l'arrêt relève que le contrat d'assurance contient une clause selon laquelle il a pour objet de garantir l'adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations.

16. Il retient qu'en commençant les travaux avant l'obtention d'un permis de construire, M. [I] s'est rendu complice d'une infraction pénale, en contravention avec l'article 12 du décret n° 80-217 du 20 mars 1980 devenu le code de déontologie des architectes, de sorte qu'il a exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur.

17. En statuant ainsi, alors que l'exécution des travaux en violation des règles d'urbanisme imposant l'obtention d'une autorisation de construire constituait une circonstance particulière de la réalisation du risque, de sorte que l'assureur invoquait une exclusion de garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes d'indemnisation de M. [P] au titre du passage en croix du refend et des crêtes de murs, du trouble de jouissance, du surplus de loyers payés et du préjudice moral et en ce qu'il dit que la garantie de la Mutuelle des architectes français n'est pas acquise et rejette les demandes présentées contre elle, l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 18 mars 2004, pourvoi n° 03-10.062, Bull. 2004, II, n° 129 (rejet), et les arrêts cités ; 3e Civ., 19 septembre 2019, pourvoi n° 18-19.616, Bull., (cassation partielle).

2e Civ., 21 avril 2022, n° 20-20.976, (B), FRH

Cassation

Garantie – Instance en cours – Direction du procès – Définition

L'assureur qui défend son assuré à l'occasion d'un litige dont l'objet est de nature à déclencher la mise en oeuvre de sa garantie prend la direction d'un procès intenté à cet assuré, au sens de l'article L. 113-17 du code des assurances, qui prévoit qu'il est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance.

Garantie – Instance en cours – Direction du procès – Effets

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2020), à la suite d'un accident du travail subi par un salarié intérimaire qui avait été embauché par la société Adecco, assurée au titre de sa responsabilité civile par la société Allianz IARD (la société Allianz), et mis à la disposition de la société Manathan, assurée pour sa responsabilité civile auprès de la société Generali IARD (la société Generali), un tribunal des affaires de sécurité sociale a reconnu la faute inexcusable de la société Manathan et mis à la charge de la société Adecco le coût de l'accident du travail.

2. La société Allianz, ayant réglé la somme de 756 144,43 euros à une caisse primaire d'assurance maladie (la caisse), a demandé à la société Generali, condamnée par un arrêt de cour d'appel à garantir la société Adecco des condamnations mises à la charge de cette dernière, de la lui rembourser.

3. Elle a assigné cette dernière, qui lui opposait l'acquisition de la prescription édictée par l'article L. 114-1 du code des assurances, en paiement de la somme versée à la caisse.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Allianz fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la renonciation de la société Generali aux exceptions de garantie, en particulier de la renonciation à l'exception de prescription et, en conséquence, de déclarer prescrite son action à l'encontre de la société Generali, alors « que rien n'interdit à un tiers au contrat d'assurance de se prévaloir de la renonciation de l'assureur ayant pris la direction du procès, aux exceptions à l'égard de son assuré dans la mise en oeuvre de la garantie ; qu'en retenant néanmoins que la société Generali n'avait pas renoncé à l'exception de prescription en prenant la direction du procès, motif pris que « ces dispositions sont applicables uniquement dans les rapports entre assureur et assuré. Allianz IARD, tiers au contrat, n'est en conséquence pas fondée à s'en prévaloir », la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-17 du code des assurances :

6. Aux termes de ce texte, l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.

7. L'arrêt, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la renonciation de la société Generali aux exceptions de garantie, énonce que les dispositions du texte susvisé sont applicables uniquement dans les rapports entre assureur et assuré, et que la société Allianz, étant tiers au contrat, n'est en conséquence pas fondée à s'en prévaloir.

8. En statuant ainsi, alors que l'action directe dont dispose l'assureur de l'entreprise intérimaire contre l'assureur de l'entreprise utilisatrice déclarée responsable d'un accident du travail, aux fins d'obtenir le remboursement des sommes qu'il a payées à un organisme social, peut être exercée tant que le second assureur se trouve exposé au recours de son assuré, et que l'assureur de l'entreprise intérimaire peut se prévaloir à l'encontre de cet assureur, au soutien de la recevabilité de cette action, de la présomption selon laquelle celui-ci, ayant pris la direction du procès fait à son assuré, a renoncé aux exceptions qu'il pouvait opposer à ce dernier, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La société Allianz fait le même grief à l'arrêt, alors « en outre, qu'en retenant que la société Generali n'avait pas renoncé à l'exception de prescription au motif inopérant que « le TASS ne statue pas sur la garantie, de sorte que Generali ne peut soutenir avoir pris la direction du procès intentée à son assurée dès le début de la procédure en 2012 », la société Generali pouvant au contraire prendre la direction du procès intenté à son assurée, la société Manathan, entreprise utilisatrice, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale statuant sur la faute inexcusable de la société sans que la garantie de la société Generali ne soit mise en jeu, la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-17 du code des assurances :

10. Aux termes de ce texte, l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.

11. L'arrêt, pour statuer comme il le fait, énonce que le tribunal des affaires de sécurité sociale ne statue pas sur la garantie, de sorte qu'il ne peut être soutenu que la société Generali aurait pris la direction du procès intentée à son assurée dès le début de la procédure.

12. En statuant ainsi, alors que l'assureur qui défend son assuré à l'occasion d'un litige dont l'objet est de nature à déclencher la mise en oeuvre de sa garantie prend la direction d'un procès intenté à cet assuré, au sens de l'article L. 113-17 susvisé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. La société Allianz fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action à l'encontre de la société Generali, alors « qu'en application des articles L. 452-3 et L. 412-6 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice de main d'oeuvre est en droit d'obtenir des indemnités complémentaires dont le paiement incombe aux organismes de sécurité sociale qui disposent d'un recours subrogatoire contre l'entreprise de travail temporaire, employeur, ou son assureur, qui a elle-même une action en remboursement de même nature contre l'entreprise utilisatrice sur laquelle pèse la charge définitive du paiement des indemnités dont la victime est créancière ; que par ailleurs, l'action de la caisse tendant à récupérer contre un employeur ou l'assureur de celui-ci, en cas d'accident de travail dû à une faute inexcusable, le capital correspondant aux arrérages à échoir de la rente, demeure soumise, à défaut de texte particulier, à la prescription de droit commun ; que par conséquent, l'action de l'entreprise de travail temporaire à l'encontre de l'entreprise utilisatrice étant de même nature que celle dont dispose la caisse contre elle ou son assureur, le même délai de prescription de droit commun s'applique dans les rapports de l'entreprise de travail temporaire et de l'assureur de l'entreprise utilisatrice ; qu'en déclarant prescrite l'action de la société Allianz, assureur de l'entreprise de travail temporaire (société Adecco), contre la société Generali, assureur de la société Manathan, entreprise utilisatrice déclarée responsable, motif pris qu'il s'agit d'une action dérivant du contrat d'assurance soumise à la prescription de deux ans de l'article L. 114-1 du code des assurances, cependant que, subrogée dans les droits de la CPAM, la société Allianz disposait d'une action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice déclarée responsable, ou de son assureur, de même nature que celle dont bénéficie la caisse à l'encontre de l'employeur, ou de son assureur, à savoir une action qui ne dérive pas du contrat d'assurance et qui est soumise au délai de prescription de droit commun, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 241-5-1, L. 412-6 et R. 242-6-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil, L. 452-2, L. 452-3, L. 452-4, alinéa 3, et L. 412-6 du code de la sécurité sociale, et L. 124-3 du code des assurances :

14. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

15. Selon les deuxième et troisième, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la caisse primaire d'assurance maladie récupère auprès de celui-ci les compléments de rente et indemnités versés par elle à la victime.

16. Aux termes du quatrième, l'employeur peut s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable ou de la faute de ceux qu'il s'est substitué dans la direction de l'entreprise ou de l'établissement.

17. Il résulte du cinquième que l'entreprise de travail temporaire peut exercer une action en remboursement contre l'auteur de la faute inexcusable.

18. Aux termes du dernier, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

19. Il en découle, en premier lieu, qu'en l'absence de texte spécifique, l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur, auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil et que son action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur se prescrit par le même délai (2e Civ., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-15.732).

20. Il en résulte, en second lieu, que l'action en remboursement des compléments de rente et indemnités versés à la caisse que l'assureur de l'entreprise de travail temporaire peut exercer contre l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable, se prescrit également par cinq ans en application du même texte. Son action directe à l'encontre de l'assureur de cette entreprise se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre cet assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.

21. Pour déclarer prescrite l'action de la société Allianz contre la société Generali, l'arrêt retient d'abord que l'action de l'entreprise de travail temporaire contre l'assureur des conséquences financières de la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime dans les droits de laquelle l'entreprise de travail temporaire et l'organisme de sécurité sociale sont subrogés.

22. Il relève ensuite qu'en l'espèce, l'action de la société Allianz, tiers lésé, est une action directe à l'encontre de la société Generali, assureur garantissant la responsabilité civile de la société utilisatrice dont la responsabilité a été reconnue dans l'accident du travail et que cette action est soumise à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances.

23. En statuant ainsi, alors que la prescription de l'action de la société Allianz était soumise au délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil et que l'action pouvait être exercée contre la société Generali au-delà de ce délai tant que celle-ci restait exposée au recours de son assuré, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un texte inapplicable au litige, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 113-17 et L. 124-3 du code des assurances ; articles L. 452-2, L. 452-3, L. 452-4, alinéa 3, et L.412-6 du code de la sécurité sociale ; article 2224 du code civil.

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