Numéro 4 - Avril 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2021

PRESCRIPTION CIVILE

Com., 8 avril 2021, n° 19-12.741, (P)

Cassation

Délai – Point de départ – Action en responsabilité contractuelle

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 20 décembre 2018, RG n° 18/00336), par un acte notarié du 9 octobre 2009, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la banque) a consenti à la société VM réalisations (la société) une ouverture de crédit en compte courant, garantie, dans le même acte, par le cautionnement solidaire de Mme P..., épouse R....

La société a été mise en redressement judiciaire et a bénéficié d'un plan de redressement.

2. Par un acte du 28 janvier 2015, faisant suite à la résolution du plan et à la mise en liquidation judiciaire de la société, la banque a fait délivrer à la caution un commandement aux fins de saisie-vente.

3. Mme R... ayant, le 10 février 2015, assigné la banque devant le juge de l'exécution en annulation du commandement, la banque lui a opposé la prescription de son action.

Examen du moyen relevé d'office

Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.

Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 :

4. La contestation opposée par une caution, sur le fondement de la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, à une mesure d'exécution forcée engagée par le créancier échappe à la prescription.

5. Pour déclarer Mme R... irrecevable, pour tardiveté, à opposer à la banque la disproportion manifeste de son engagement de caution à ses biens et revenus, l'arrêt, après avoir énoncé que la prescription applicable était celle prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce, retient que le délai quinquennal de « l'action » dont la caution disposait pour contester l'acte fondant les poursuites à son encontre a commencé à courir à compter du 9 octobre 2009, date de conclusion du cautionnement, Mme R... ayant, dès la signature de l'acte, toutes les informations lui permettant de contester la portée ou la validité de son engagement. Il ajoute qu'il importe peu que l'instance ait été introduite par la caution en réponse à un acte d'exécution, dès lors qu'elle a agi par voie principale pour contester l'acte fondant les poursuites entreprises.

6. En statuant ainsi, alors que, tendant à contester la possibilité pour la banque de se prévaloir du titre exécutoire notarié fondant ses poursuites, le moyen tiré de la disproportion manifeste de l'engagement de la caution à ses biens et revenus, que celle-ci invoquait pour s'opposer à la saisie-vente, échappait à la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Mme P..., épouse R..., fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en ce qu'elle oppose à la banque un manquement à son devoir de mise en garde et, en conséquence, de déclarer bon et valable le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 27 janvier 2015, alors « que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée par la caution contre une banque, en raison du manquement de cette dernière à son devoir de mise en garde, se situe au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui a été adressée ou les voies d'exécution qui ont été diligentées à son encontre, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; qu'en fixant au contraire à la date de la conclusion du cautionnement le point de départ du délai quinquennal de prescription, pour en déduire l'irrecevabilité de l'action intentée par Mme P..., épouse R..., en tant qu'elle tendait à voir engager la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. La banque conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Elle soutient que Mme R... n'a pas prétendu, devant la cour d'appel, que le point de départ du délai de prescription de son action, fondée sur la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de mise en garde, devait être fixé à la date de la mise en demeure d'exécuter son engagement de caution.

9. Cependant, tandis que Mme R... opposait, dans ses conclusions d'appel, l'absence de prescription de son action, la cour d'appel a retenu que celle-ci était acquise en fixant le point de départ de son délai à la date de la conclusion de l'acte de cautionnement. Il en résulte que, tiré de ce que la prescription avait commencé à courir, non à ce moment, mais à la date postérieure, mentionnée par l'arrêt, de l'exercice des voies d'exécution par le créancier, le moyen est né de la décision attaquée et, comme tel, recevable.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 2224 du code civil :

11. Le point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de dommages-intérêts formée par la caution contre l'établissement de crédit créancier pour manquement à son devoir de mise en garde est le jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal.

12. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de Mme R... en responsabilité contre la banque pour manquement à l'obligation de mise en garde, l'arrêt se prononce par les motifs précités, fixant le point de départ unique de la prescription à la date de la conclusion de l'acte de cautionnement.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que seul le commandement aux fins de saisie-vente délivré en janvier 2015 avait permis, à défaut d'un acte antérieur de mise en demeure ou d'exécution non mentionné par l'arrêt, à Mme R... de savoir que son engagement de caution allait être mis à exécution, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° RG : 18/00336 rendu le 20 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 110-4 du code de commerce ; article L. 314-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ; article 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le moyen tiré du caractère disproportionné de l'engagement de la caution échappant à la prescription, à rapprocher : 1re Civ., 31 janvier 2018, pourvoi n° 16-24.092, Bull. 2018, I, n° 13 (rejet). Sur le point de départ du délai de prescription d'une action en responsabilité engagée par des cautions contre une banque, à rapprocher : Com., 24 juin 2003, pourvoi n° 00-12.566, Bull. 2003, IV, n° 103 (cassation partielle).

1re Civ., 14 avril 2021, n° 19-21.313, (P)

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Article 2224 du code civil – Créance d'un indivisaire qui a conservé à ses frais le bien indivis – Point de départ – Détermination – Portée

Il résulte des articles 815-13 et 815-17, alinéa 1, du code civil qu'un indivisaire qui a conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l'indivision et être payé par prélèvement sur l'actif indivis, avant le partage.

Cette créance, immédiatement exigible, se prescrit selon les règles de droit commun édictées par l'article 2224 du code civil.

Viole ces textes une cour d'appel qui déclare recevable la demande d'un concubin qui revendiquait une créance sur l'indivision constituée avec sa concubine en raison du remboursement, par lui seul entre 2001 et 2013, des échéances du prêt bancaire ayant permis l'acquisition d'un bien immobilier indivis entre eux. La créance revendiquée par le concubin était exigible dès le paiement de chaque échéance de l'emprunt et la prescription de cinq ans commençait à courir dès ce versement.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société civile professionnelle [Personne physico-morale 1], prise en sa qualité de liquidateur de Mme [W] (le liquidateur), de sa reprise d'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 2 avril 2019), Mme [W] et M. [T] ont acquis en indivision une maison d'habitation et de commerce et souscrit conjointement, à cette fin, un emprunt bancaire.

3. Après ouverture du partage judiciaire de cette indivision, l'immeuble indivis a été vendu et le solde de l'emprunt, remboursé.

Les parties n'ayant pu s'accorder sur la répartition du reliquat du prix, le notaire désigné a, le 18 décembre 2014, dressé un procès-verbal de difficultés.

4. Le 20 juin 2016, M. [T] a assigné Mme [W] pour obtenir, notamment, sa condamnation au paiement de la moitié des sommes versées par lui seul en remboursement de l'emprunt. Celle-ci lui a opposé la prescription de ses demandes.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de recevoir l'ensemble des demandes de M. [T], alors « que l'action de l'indivisaire contre l'indivision, née de ce qu'il a remboursé personnellement partie des échéances des emprunts ayant permis l'acquisition du bien indivis, peut être exercée sans attendre le partage ou l'aliénation du bien ; que la prescription de cette action court à compter de la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance ; qu'en retenant que la prescription de l'action de M. [T] n'avait pas commencé à courir avant la date du partage, la cour d'appel a violé l'article 815-13 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 815-13, 815-17, alinéa 1er, et 2224 du code civil :

7. Il résulte des deux premiers textes qu'un indivisaire qui a conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l'indivision et être payé par prélèvement sur l'actif indivis, avant le partage.

8. Cette créance, immédiatement exigible, se prescrit selon les règles de droit commun édictées par le dernier.

9. Pour déclarer recevable l'ensemble des demandes de M. [T], l'arrêt relève que celui-ci revendique une créance sur l'indivision à raison du paiement de l'intégralité des échéances de l'emprunt bancaire du mois de décembre 2001 au mois de mars 2013 inclus. Il énonce qu'il résulte des termes mêmes de l'article 815-13 du code civil que l'indemnité due à l'indivisaire s'apprécie à la date du partage ou de l'aliénation du bien indivis, indépendamment de la date à laquelle les impenses ont été exposées. Il relève que le partage a été ordonné le 2 avril 2013, que le bien a été vendu le 31 juillet 2014, que la prescription a été interrompue par le procès-verbal de difficultés et par l'assignation.

10. En statuant ainsi, alors que la créance revendiquée par M. [T] était exigible dès le paiement de chaque échéance de l'emprunt immobilier, à partir duquel la prescription commençait à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt qui reçoit M. [T] en l'ensemble de ses demandes entraîne la cassation des chefs de dispositif allouant à celui-ci le solde du prix de vente de l'immeuble litigieux, soit 34 617,81 euros, et condamnant Mme [W] à lui payer la somme complémentaire de 7 421,07 euros, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne Mme [W] à payer à M. [T] la somme de 22 050 euros à titre d'indemnité d'occupation, dit que les sommes dues par Mme [W] à M. [T] porteront intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2017 et statué sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance, l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Mouty-Tardieu - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 815-13, 815-17 et 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 20 février 2001, pourvoi n 98-13.006, Bull. 2001, I, n° 41 (cassation) ; 3e Civ., 14 juin 2006, pourvoi n° 05-14.181, Bull. 2006, III, n° 151 (cassation) ; 1re Civ., 4 juillet 2007, pourvoi n° 06-13.770, Bull. 2007, I, n° 254 (cassation partielle) ; 1re Civ., 28 mars 2018, pourvoi n° 17-14.104, Bull. 2018, I, n° 62 (cassation partielle).

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