Numéro 4 - Avril 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2021

BAIL (règles générales)

3e Civ., 8 avril 2021, n° 19-23.343, (P)

Cassation

Congé – Pluralité de preneurs – Congé donné par l'un d'entre eux – Clause de solidarité – Créance de remise en état des lieux – Action en paiement contre le colocataire sortant – Exclusion – Conditions – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 2 juillet 2019), M. S... a donné à bail à Mme W... et à M. K..., copreneurs solidaires, une maison d'habitation. Mme W... a donné congé à effet au 29 avril 2015.

Le 4 janvier 2016, M. K... a libéré les lieux et un état des lieux de sortie a été établi.

2. M. S... a assigné Mme W... et M. K... en paiement d'un arriéré de loyers et de charges, et de réparations locatives.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme W... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. S... les sommes de 4 091,33 euros et de 2 739 euros, alors « que le dépôt de garantie a pour objet de garantir l'exécution de ses obligations locatives par le locataire, au nombre desquelles figure celle de payer le loyer ; qu'en considérant, pour écarter le moyen tiré de ce que le dépôt de garantie devait être déduit des sommes dues au titre de la dette locative, qu'il n'avait pas vocation à couvrir des échéances de loyer, la cour d'appel a violé l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 7 et 22 de la loi du 6 juillet 1989 :

4. Selon le premier de ces textes, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.

Selon le second, un dépôt de garantie peut être prévu par le contrat de location pour garantir l'exécution de ses obligations locatives par le locataire.

5. Pour condamner Mme W... à payer à M. S... une somme de 4 091,33 euros au titre d'un arriéré de loyers et charges, l'arrêt retient que le dépôt de garantie n'a pas vocation à couvrir des échéances de loyer.

6. En statuant ainsi, alors que le dépôt de garantie a notamment pour objet de garantir le paiement du loyer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen unique, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. Mme W... fait le même grief à l'arrêt, alors « que la solidarité du colocataire qui a donné congé s'éteint au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois après la date d'effet du congé ; que ne peuvent être mis à la charge du colocataire qui a donné congé la réparation de dégradations dont il n'est pas constaté qu'elles sont survenues avant la fin de la période de solidarité ; qu'en mettant à la charge de Mme W..., dont elle constatait qu'elle avait été libérée de ses obligations contractuelles à compter du 29 octobre 2015, un prorata de travaux correspondant à des désordres constatés dans l'état des lieux de sortie établi le 4 janvier 2016 avec le colocataire qui était resté dans les lieux, la cour d'appel a violé l'article 8-1 de la loi du 6 juillet 1989. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 8-1, VI, de la loi du 6 juillet 1989 :

8. Selon ce texte, la solidarité d'un des colocataires prend fin à la date d'effet du congé régulièrement délivré et lorsqu'un nouveau colocataire figure au bail. A défaut, elle s'éteint au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois après la date d'effet du congé.

9. Il en résulte que la solidarité prend fin pour les dettes nées à compter de cette date.

10. Pour condamner Mme W... à payer une somme de 2 739 euros au titre de la régularisation des charges et de réparations locatives, l'arrêt retient que cette somme correspond à un prorata, au 29 octobre 2015, du montant total de 3 553,03 euros arrêté au 4 janvier 2016, suffisamment justifié par un tableau récapitulatif de régularisation des charges et des devis des travaux de remise en état, et que l'état des lieux de sortie du 4 janvier 2016 en présence de son ex-compagnon justifie de la charge de remise en état des désordres correspondant aux devis produits.

11. En statuant ainsi, alors que la créance du bailleur au titre de la remise en état des lieux était née après l'expiration de l'obligation solidaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 8-1, VI, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

3e Civ., 8 avril 2021, n° 20-18.327, (P)

Rejet

Résiliation – Demande en justice – Demande exercée par voie oblique

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à Mme H... L..., M. J... L... et Mme K... L... de la reprise de l'instance à laquelle leur auteur, O... L..., décédé le [...], était partie.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2020), le 24 octobre 2002, MM. C..., T... et Q... L..., O... L... et Mme H... L..., nus-propriétaires, et M... L..., usufruitière, ont donné à bail à la société FMJ Scooter un local commercial, situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, en vue de son utilisation pour l'activité d'achat, vente de cyclomoteurs, réparation de scooters, location de véhicules sans chauffeur et activités connexes.

3. Le 10 septembre 2012, se plaignant de nuisances sonores et olfactives, U... P... et Mme G... P..., propriétaires d'un lot contigu à ce local, ont assigné M... L..., la société FMJ Scooter, ainsi que le syndicat des copropriétaires, en résiliation du bail et expulsion de la société FMJ Scooter et, dans l'attente de celle-ci, en interdiction de toute activité de réparation de scooters dans les locaux pris à bail.

Examen des moyens

Sur les moyens uniques des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques et réunis

Enoncé du moyen

4. La société FMJ Scooter et M. Q... L... font grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors :

« 1°/ qu'un copropriétaire ne peut, sans porter une atteinte excessive à la liberté contractuelle, agir par voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur ; qu'en disant pourtant recevables et bien fondées Mmes G... et Y... P... à agir en résiliation judiciaire du bail consenti par les consorts L... à la société FMJ Scooter, la cour d'appel a violé l'article 1166 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°/ qu'à supposer même qu'un copropriétaire puisse agir par voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur, c'est à la condition de démontrer la carence de son débiteur de nature à compromettre ses droits ; qu'en l'espèce, la société FMJ Scooter soulignait qu'il ne pouvait être imputée à la bailleresse la moindre carence puisqu'à compter de 2008, les consorts P... ne s'étaient jamais adressés aux consorts L... pour exiger d'eux qu'ils enjoignent à leur locataire de respecter le règlement de copropriété ; qu'en retenant pourtant que « Mme L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter n'a pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété », sans aucunement rechercher si une quelconque relance avait été adressée à M... L... depuis 2008, ce qui seul aurait pu établir sa carence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1166 du code civil ;

3°/ qu'à supposer même qu'un copropriétaire puisse agir par voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur, c'est à la condition de démontrer la carence de son débiteur de nature à compromettre ses droits ; que l'existence de diligences du débiteur, seraient-elles indépendantes de toute action en justice, prive de fondement l'action oblique ; qu'en l'espèce, la société FMJ Scooter soulignait que M... L... avait en réalité réalisé de nombreuses diligences afin de limiter les supposées nuisances induites par l'activité de l'exposante ; qu'elle avait ainsi réalisé les travaux de sécurité incendie, puis avait fait inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée des copropriétaires du 28 juin 2010 la demande d'autorisation des travaux à réaliser par la société FMJ Scooter ; qu'elle avait fait voter le 25 juin 2012 l'autorisation de réaliser les travaux : que ses ayants droits avaient encore sollicité le 8 décembre 2019 la réunion à leurs frais d'une nouvelle assemblée générale aux fins de réaliser les travaux ; qu'en retenant pourtant que « Mme L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter n'a pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété », sans aucunement rechercher si ces multiples diligences n'étaient pas exclusives de toute carence du débiteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1166 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. D'une part, aux termes de l'article 1166 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne.

6. En application de ce texte, il est jugé qu'un syndicat de copropriétaires a, en cas de carence du copropriétaire-bailleur, le droit d'exercer l'action oblique en résiliation du bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements, contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux autres copropriétaires (3e Civ., 14 novembre 1985, pourvoi n° 84-15.577, Bull. 1985, III, n° 143).

7. Il est jugé par ailleurs que, le règlement de copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire a le droit d'en exiger le respect par les autres (3e Civ., 22 mars 2000, pourvoi n° 98-13.345, Bull. 2000, III, n° 64).

8. Il en résulte que, titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l'instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d'un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété contenues dans celui-ci.

9. D'autre part, ayant retenu que la résolution n° 12 de l'assemblée générale du 25 juin 2012 autorisant les travaux à réaliser par la société FMJ Scooter était, en ce qu'elle visait à l'acceptation des nuisances provoquées par l'activité de cette société, contraire aux stipulations du règlement de copropriété selon lesquelles chaque copropriétaire devait veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants et que M... L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter, n'avait pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes.

10. La cour d'appel a retenu à bon droit que Mme P... et U... P..., chacun en sa qualité de copropriétaire, étaient recevables à exercer, en lieu et place de M... L..., une action oblique en résiliation de bail à l'encontre de la société FMJ Scooter et a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jariel - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Bénabent ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 1166 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 20 décembre 1994, pourvoi n° 92-19.490, Bull. 1994, III, n° 225 (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 22 mars 2000, pourvoi n° 98-13.345, Bull. 2000, III, n° 64 (cassation partielle) ; 3e Civ., 29 janvier 2003, pourvoi n° 01-10.743, Bull. 2003, III, n° 19 (rejet).

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