Numéro 4 - Avril 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2021

ASSURANCE DOMMAGES

3e Civ., 1 avril 2021, n° 19-16.179, (P)

Cassation partielle

Assurance dommages-ouvrage – Garantie – Etendue – Paiement des travaux de réparation des dommages couverts par la garantie – Conditions – Désordres relevant de la garantie décennale – Désordres signalés à l'entrepreneur réservés à la réception – Désordres apparus dans le délai de la garantie de parfait achèvement – Travaux non réalisés

En application de l'article L. 242-1, alinéa 8, du code des assurances, l'assurance de dommages obligatoire garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l'entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de gravité décennale, réservés à la réception ou apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement, n'a pas exécuté ses obligations.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 mars 2019), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (l'Ineris) a entrepris la construction d'un bâtiment à structure en bois.

2. L'Ineris a confié une mission d'assistance au maître de l'ouvrage à la société Icade G3A, devenue Icade promotion, la maîtrise d'oeuvre à un groupement solidaire composé de la société Quatreplus architecture, mandataire, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), et de la société Sodeg ingénierie, devenue Artelia bâtiment et industrie, le lot menuiseries extérieures à la société Alexandre, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP, et une mission de contrôle technique à la société Bureau Veritas, aux droits de laquelle vient la société Bureau Véritas construction.

3. Une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Axa France IARD.

4. L'Ineris a pris possession des lieux en juillet 2006.

5. Se plaignant d'infiltrations en provenance des menuiseries extérieures, apparues au mois de décembre 2006, l'Ineris a déclaré le sinistre à l'assureur dommages-ouvrage qui a refusé sa garantie au motif de l'absence de réception.

6. L'Ineris a, après expertise, assigné en indemnisation les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs, ainsi que l'assureur dommages-ouvrage.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi principal, le second moyen du pourvoi principal et le second moyen du pourvoi incident de la société Icade, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. L'Ineris fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de la société Icade promotion pour avoir refusé de prononcer la réception de l'ouvrage, alors « que l'Ineris faisait valoir que, si la réception avait été prononcée, elle aurait pu bénéficier de l'assurance dommages ouvrages, puisque la société Alexandre avait été mise en demeure de remédier aux non-conformités et aux malfaçons qui lui étaient imputables à plusieurs reprises, sans succès ; qu'en rejetant sa demande de dommages-intérêts formée contre la société Icade Promotion au motif que les désordres « ne pouvaient pas entrer dans le champ d'application de la garantie [...] de la société Axa France IARD en sa qualité d'assureur dommage ouvrage », sans rechercher, comme elle y était invitée, si la garantie dommage ouvrage aurait pu être utilement mobilisée si la réception avait été prononcée avec réserves, dès lors que l'entrepreneur avait été mis en demeure de remédier aux désordres objets de réserves, sans succès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1231-1 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 242-1, alinéa 8, du code des assurances :

9. Selon le premier de ces textes, les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

10. En application du second, l'assurance de dommages obligatoire garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l'entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de gravité décennale, réservés à la réception ou apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement, n'a pas exécuté ses obligations.

11. Pour rejeter la demande en réparation formée par l'Ineris, l'arrêt retient que la faute de la société Icade promotion dans l'exécution de son mandat, prise de son refus de procéder à la réception de l'ouvrage avec des réserves, n'a pas causé de préjudice au maître de l'ouvrage, le recours de celui-ci à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage en raison de désordres réservés à la réception étant inéluctablement voué à l'échec.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en l'absence de faute de la société Icade promotion et en l'état de la mise en demeure adressée à l'entreprise, les désordres réservés à la réception et non réparés au titre de la garantie de parfait achèvement ne relèveraient pas, en application de l'article L. 242-1, alinéa 8, du code des assurances, de la garantie de l'assurance dommages-ouvrage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Bureau Veritas

Enoncé du moyen

13. La société Bureau Veritas construction fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à l'Ineris diverses sommes au titre des travaux de reprise des appuis baies, des frais et honoraires de maîtrise d'oeuvre et de ses préjudices immatériels, et de fixer les parts contributives au paiement de la dette à raison de 50 % à la charge de la société Quatreplus architecture, garantie par la MAF, 35 % à la charge de la société Icade promotion et 15 % à la charge de la société Bureau Véritas construction, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation du pourvoi principal, qui vise le chef de dispositif par lequel la cour d'appel a écarté l'action dirigée par l'Ineris à l'encontre de la société Icade, entraînera l'annulation par voie de conséquence des chefs de dispositif par lesquels la cour d'appel a statué sur la responsabilité de la société Bureau Veritas et sur les appels en garantie réciproques entre codéfendeurs, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

14. Selon ce texte, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

15. La cassation sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des dispositions qui sont critiquées par ce moyen.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt qui rejettent la demande principale formée par l'Ineris à l'encontre de la société Icade promotion entraîne la cassation des chefs de dispositif qui statuent sur ses demandes subsidiaires à l'encontre des locateurs d'ouvrage et de leurs assureurs ainsi que les appels en garantie de ceux-ci, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Mise hors de cause

17. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Axa France IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

18. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause les sociétés Artelia bâtiment industrie, Quatreplus architecture et la MAF, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande tendant à voir juger que les travaux ont fait l'objet d'une réception tacite de la part de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques et en ce qu'il rejette les demandes formées à l'encontre de la société Axa France IARD et de la SMABTP, l'arrêt rendu le13 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Met hors de cause la société Axa France IARD ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés Artelia bâtiment industrie, anciennement Sodeg ingénierie, Quatreplus architecture et Mutuelle des architectes français.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Boyer - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Boulloche ; SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Poulet-Odent ; Me Le Prado ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 242-1, alinéa 8, du code des assurances.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 4 juin 1991, pourvoi n° 89-16.060, Bull. 1991, I, n° 176 (rejet), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 3 février 1993, pourvoi n° 90-13.263, Bull. 1993, I, n° 50 (cassation partielle).

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