Numéro 4 - Avril 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2019

URBANISME

3e Civ., 4 avril 2019, n° 18-11.207, n° 18-11.208, (P)

Rejet

Permis de construire – Construction sans permis ou non conforme – Trouble manifestement illicite – Démolition, mise en conformité ou réaffection du sol – Bénéficiaires des travaux – Détermination – Portée

Ayant relevé que les travaux constitutifs d'un trouble manifestement illicite étaient imputables tant au locataire de la parcelle qu'au nu-propriétaire, qui avait consenti en connaissance de cause un bail pour exercer une activité incompatible avec le classement de la parcelle, et à l'usufruitier de cette parcelle, qui en percevait les revenus et était ainsi bénéficiaire des travaux irréguliers réalisés, un cour d'appel a pu les condamner in solidum à cesser les travaux et à remettre les lieux en état.

Joint les pourvois n° 18-11.207 et 18-11.208 ;

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 9 novembre 2017), rendus en référé, que la SCI Les Pacaniers et F... O... étaient respectivement nue-propriétaire et usufruitier d'une parcelle classée en zone A du plan local d'urbanisme, en zone Natura 2000 et en zone rouge du plan de prévention des risques d'inondation ; que, le 1er décembre 2013, la SCI Les Pacaniers a donné à bail la parcelle à la société BTP Azur ; que, soutenant qu'en septembre 2013 des travaux d'exhaussement y avaient été irrégulièrement exécutés, la commune de Fréjus a assigné en référé la SCI Les Pacaniers et F... O..., puis appelé à l'instance la société BTP Azur et son gérant, M. K..., afin d'obtenir la suspension des travaux et la remise en état des lieux ;

Attendu que M. H... T..., venant aux droits d'S... T..., décédé, M. K..., la SCI Les Pacaniers et la société BTP Azur font grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors, selon le moyen, que seul l'auteur du trouble manifestement illicite peut être condamné à le faire cesser ; qu'en l'espèce, pour mettre à la charge d' S... T..., aux droits duquel vient M. H... T..., et de la SCI Les Pacaniers d'une part l'obligation de précéder à la suspension immédiate des travaux d'exhaussement entrepris sur la parcelle cadastrée section [...], d'autre part l'obligation de remettre les lieux en l'état, la cour d'appel a relevé que le premier, usufruitier de la parcelle, en perçoit les revenus et est bénéficiaire des travaux irréguliers litigieux, tandis que la seconde qui a consenti un bail à la société BTP Azur, avait connaissance de l'activité de cette dernière, incompatible avec le classement de la parcelle en zone agricole ; qu'en statuant ainsi quand il résulte de ces énonciations que ni l'un ni l'autre des intéressés n'était l'auteur des travaux litigieux constitutifs du trouble manifestement illicite dénoncé par la commune, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 809 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant exactement retenu, par motifs adoptés, que l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme permettait à la commune de saisir le tribunal de grande instance de l'action civile en vue de faire ordonner la mise en conformité et relevé que les travaux constitutifs d'un trouble manifestement illicite étaient imputables tant à la société BTP Azur, locataire, qu'à la SCI Les Pacaniers, qui avait consenti en parfaite connaissance de cause à cette société un bail pour y exercer une activité de transformation de matériaux et de concassage incompatible avec le classement de la parcelle en zone agricole, et à S... T..., usufruitier de la parcelle, qui en percevait les revenus et était ainsi bénéficiaire des travaux irréguliers réalisés, la cour d'appel a pu en déduire qu'il y avait lieu de les condamner in solidum à cesser les travaux et à remettre les lieux en état ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa première branche, ni sur le second moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article L. 480-14 du code de l'urbanisme.

Rapprochement(s) :

Sur la condamnation des bénéficiaires de travaux réalisés en violation des règles d'urbanisme à une remise en état, à rapprocher : Crim., 29 octobre 1997, pourvoi n° 96-86.093, Bull. crim. 1997, n° 363 (rejet) ; Crim., 6 novembre 2012, pourvoi n° 12-80.841, Bull. crim. 2012, n° 242 (rejet) ; Crim., 8 mars 2016, pourvoi n° 15-82.513, Bull. crim. 2016, n° 70 (rejet) ; Crim., 24 octobre 2017, pourvoi n° 16-87.178, Bull. crim. 2017, n° 235 (rejet).

3e Civ., 18 avril 2019, n° 18-11.414, (P)

Cassation partielle

Plan d'occupation des sols – Terrain réservé pour une voie, un ouvrage public, une installation d'intérêt général ou un espace vert – Délaissement – Mise en oeuvre – Effets – Droit de rétrocession – Défaut – Immeuble n'ayant pas reçu la destination prévue – Revente de l'immeuble – Indemnité – Exclusion – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 septembre 2017), que M. F... et M. J..., propriétaires d'une parcelle de terre située dans un emplacement réservé par le plan d'occupation des sols, ont mis en demeure la commune de Saint-Tropez (la commune) de l'acquérir en application de la procédure de délaissement alors prévue par l'article L. 123-9 du code de l'urbanisme ; qu'aucun accord n'étant intervenu sur le prix de cession, un jugement du juge de l'expropriation du 20 septembre 1982 a ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et un arrêt du 8 novembre 1983 a fixé le prix d'acquisition ; que, le 22 décembre 2008, le terrain a été revendu et, le 18 octobre 2011, a fait l'objet d'un permis de construire ; que Mme A..., venant aux droits de MM. F... et J..., a assigné la commune en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande sur le fondement du droit de rétrocession, alors, selon le moyen :

1°/ que le vendeur d'un bien immobilier qui a fait l'objet d'une cession amiable précédée d'une déclaration d'utilité publique prise en application de l'article 1042 du code général des impôts bénéficie du droit à rétrocession ; qu'en écartant l'existence d'un droit de rétrocession quand elle constatait l'existence d'une déclaration d'utilité publique prise sur le fondement de l'article 1042 du code général des impôts, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles L. 222-2 et L. 421-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ensemble l'article 1042 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ qu'en toute hypothèse, dans ses conclusions d'appel, Mme A... soutenait qu'une rétrocession partielle, reconnue judiciairement, était intervenue en 1993, ce qui privait la commune de Saint-Tropez de la possibilité de contester l'existence d'un droit de rétrocession ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, pourtant opérant, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en vertu de l'article L. 123-9 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la cause, le propriétaire d'un fonds grevé d'un emplacement réservé dispose du droit de délaissement qui consiste à enjoindre à la collectivité publique d'acquérir le bien faisant l'objet de la réserve ;

Attendu que l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, alors applicable, permet à l'exproprié de demander la rétrocession du bien si celui-ci n'a pas reçu dans les cinq ans la destination prévue par l'acte déclaratif d'utilité publique ;

Attendu qu'il est jugé que l'exercice du droit de délaissement, constituant une réquisition d'achat à l'initiative du propriétaire du bien, ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le fondement de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, même lorsque le juge de l'expropriation a donné acte aux parties de leur accord sur la fixation du prix et ordonné le transfert de propriété au profit de la collectivité publique (3e Civ., 26 mars 2014, pourvoi n° 13-13.670, Bull. 2014, III, n° 44) ;

Attendu que, en matière d'expropriation, si le droit de rétrocession est applicable en cas de cession amiable postérieure à une déclaration d'utilité publique, il ne l'est pas en cas de cession antérieure à celle-ci lorsque les cédants n'ont pas demandé au juge de l'expropriation de leur en donner acte en application des dispositions de l'article L. 12-2, devenu L. 222-2, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, une telle cession ne pouvant avoir les mêmes effets qu'une ordonnance d'expropriation (3e Civ., 24 septembre 2008, pourvoi n° 07-13.972, Bull. 2008, III, n° 138) ;

Que, toutefois, le droit de rétrocession est également applicable en cas de cession amiable précédée d'une déclaration d'utilité publique prise en application de l'article 1042 du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 82-1126 du 29 décembre 1982 (3e Civ., 17 juin 2009, pourvoi n° 07-21.589, Bull. 2009, III, n° 146) ;

Attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que les décisions ayant ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et fixé le prix d'acquisition ne faisaient pas état d'une déclaration d'utilité publique et retenu qu'il n'était pas établi qu'un arrêté d'utilité publique de l'acquisition ait été pris par l'autorité administrative, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a exactement retenu, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif aux effets de la déclaration d'utilité publique prise en application de l'article 1042 précité, que Mme A... ne pouvait pas prétendre à la rétrocession du terrain, ni à une indemnité compensatrice, sur le fondement de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, alors applicable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, qui est recevable comme étant de pur droit :

Vu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon ce texte, que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ;

Attendu que Mme A... est fondée à se prévaloir du droit garanti par ce texte, dès lors que la parcelle ayant fait l'objet du droit de délaissement constitue un bien protégé au sens de celui-ci ;

Que la mesure contestée, en ce qu'elle prive de toute indemnisation consécutive à l'absence de droit de rétrocession le propriétaire ayant exercé son droit de délaissement sur le bien mis en emplacement réservé et donc inconstructible, puis revendu après avoir été déclaré constructible, constitue une ingérence dans l'exercice de ce droit ;

Que cette ingérence a une base claire et accessible en droit interne dès lors qu'elle est fondée sur les textes et la jurisprudence précités ;

Qu'elle est justifiée par le but légitime visant à permettre à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l'intérêt général, d'un bien dont son propriétaire a exigé qu'elle l'acquière ;

Que, cependant, il convient de s'assurer, concrètement, qu'une telle ingérence ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en particulier, qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi ;

Qu'à cet égard, il y a lieu de relever qu'un auteur de Mme A... avait, sur le fondement du droit de délaissement et moyennant un prix de 800 000 francs (121 959,21 euros), cédé à la commune son bien, qui faisait alors l'objet d'une réserve destinée à l'implantation d'espaces verts, et que la commune, sans maintenir l'affectation du bien à la mission d'intérêt général ayant justifié sa mise en réserve, a modifié les règles d'urbanisme avant de revendre le terrain, qu'elle a rendu constructible, à une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 euros ;

Qu'il en résulte que, en dépit du délai de plus de vingt-cinq années séparant les deux actes, la mesure contestée porte une atteinte excessive au droit au respect des biens de Mme A... au regard du but légitime poursuivi ;

Que, dès lors, en rejetant la demande en paiement de dommages-intérêts formée par Mme A..., la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement ayant déclaré recevable l'action de Mme A... en qualité d'ayant droit des propriétaires originaires de la parcelle délaissée, l'arrêt rendu le 28 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Renard - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur l'atteinte disproportionnée à l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme en cas de perte de la plus-value générée par un terrain préempté, à rapprocher : 3e Civ., 6 octobre 2016, pourvoi n° 15-25.154, Bull. 2016, III, n° 130 (rejet).

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