Numéro 4 - Avril 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2019

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 17 avril 2019, n° 17-31.339, (P)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 – Articles 7.1 à 7.7 – Changement de prestataire – Transfert du salarié – Maintien de l'emploi – Durée d'affectation sur le marché – Durée de six mois – Présence effective – Nécessité – Portée

Il résulte de l'article 7.2.I de la convention collective des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 que le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi de l'intégralité du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise qui, étant titulaire d'un contrat à durée indéterminée, justifie notamment d'une affectation sur le marché d'au moins six mois et ne pas être absent depuis 4 mois ou plus à la date d'expiration du contrat commercial ou du marché public.

Doit être cassé l'arrêt qui, ayant constaté que le salarié avait été en arrêt de travail pendant plusieurs mois, subordonne la condition d'affectation depuis plus de six mois sur le marché faisant l'objet de la reprise à une présence effective de celle-ci et qui, ayant relevé que le salarié, qui avait été déclaré apte avec réserves à la reprise du travail avant la date d'expiration du marché, n'était plus en arrêt de travail à cette date, a décidé qu'il avait été absent plus de quatre mois à la date d'expiration du contrat commercial.

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 – Articles 7.1 à 7.7 – Changement de prestataire – Transfert du salarié – Maintien de l'emploi – Conditions – Absence inférieure à quatre mois – Cas – Salarié en arrêt de travail – Salarié déclaré apte à la reprise du travail – Moment – Détermination – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme T..., engagée le 1er janvier 2012 par la société Onet en qualité d'agent de service et affectée le 28 août 2013 sur le chantier Adoma à Bourg en Bresse, puis placée en arrêt de travail pour maladie professionnelle du 27 septembre 2013 au 12 mai 2014 inclus et déclarée apte avec réserves lors de la visite de reprise du 13 mai 2014, s'est vu refuser la reprise de son contrat de travail par la société TFN propreté Sud-Est, devenue TFN propreté Rhône-Alpes, nouvelle attributaire à compter du 1er juin 2014, du marché sur lequel elle était affectée, après que son employeur l'ait informée le 26 mai 2014, que son contrat de travail était transféré à cette nouvelle entreprise ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Onet service, pris en sa première branche :

Vu l'article 7-2-I de la convention collective des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi de l'intégralité du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise qui, étant titulaire d'un contrat à durée indéterminée, justifie notamment d'une affectation sur le marché d'au moins six mois à la date d'expiration du contrat commercial ou du marché public ;

Attendu que pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Onet et la condamner à payer à Mme T... ses salaires, jusqu'à la date du jugement, les indemnités au titre du préavis et congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la salariée, en arrêt de travail pour maladie du 27 septembre 2013 au 12 mai 2014, n'a pas été présente sur le marché pendant une période d'au moins six mois avant le 1er juin 2014, date à laquelle le marché a été attribué à la nouvelle société, en sorte que la condition prévue pour le transfert du contrat de travail n'était pas remplie ;

Qu'en statuant ainsi, en subordonnant la condition d'affectation depuis plus de six mois sur le marché faisant l'objet de la reprise à une présence effective de la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Onet service, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 7-2-I de la convention collective des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi de l'intégralité du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise qui, étant titulaire d'un contrat à durée indéterminée, justifie notamment ne pas être absent depuis 4 mois ou plus à la date d'expiration du contrat commercial ou du marché public ;

Attendu que pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Onet et la condamner à payer à Mme T... ses salaires, jusqu'à la date du jugement, les indemnités au titre du préavis et congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la salariée, en arrêt de travail pour maladie du 27 septembre 2013 au 12 mai 2014, a été absente sur le site pour une durée supérieure à quatre mois, en sorte que la condition prévue pour le transfert du contrat de travail n'était pas remplie ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'au jour de la reprise du marché par la société TFN Sud-est, la salariée, qui avait été déclarée apte avec réserves à la reprise du travail le 13 mai 2014, n'était plus en arrêt de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Onet services entraîne, par voie de conséquence, par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif qui rejette les demandes de la salariée à l'encontre de la société TFN propreté Rhône Alpes ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement ayant condamné la société Onet services à payer à Mme T... la somme de 866,47 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement et rejette la demande de Mme T... présentée à ce titre, l'arrêt rendu le 27 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Barbé - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; Me Balat ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article 7.2.I de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

Rapprochement(s) :

Sur la condition relative à la durée d'affectation du salarié sur le marché, à rapprocher : Soc., 10 décembre 2015, pourvoi n° 14-21.485, Bull. 2015, V, n° 256 (cassation partielle), et l'arrêt cité. Sur la condition relative à la durée de l'absence du salarié, à rapprocher : Soc., 28 novembre 2000, pourvoi n° 98-42.813, Bull. 2000, V, n° 397 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 17 avril 2019, n° 17-27.096, (P)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs – Avenant n° 31 du 18 décembre 2009 – Article 7.3 – Régime de prévoyance – Souscription par l'employeur – Adhésion à un régime moins favorable que celui prévu par la convention collective – Portée

Ayant relevé que le contrat de garanties collectives prévoyait un capital égal à 100 % des salaires bruts des douze derniers mois précédant l'événement, limité aux tranches A et B, de sorte que la garantie n'était pas conforme à l'avenant n° 31 du 18 décembre 2009 relatif à l'aménagement des garanties du régime de prévoyance ayant modifié l'article 7.3 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs aux termes duquel les entreprises assujetties sont tenues d'assurer à tous leurs salariés un régime de prévoyance comportant les prestations minima prévues, soit un capital égal à 100 % des salaires bruts des douze derniers mois d'activité, une cour d'appel en déduit exactement qu'une faute avait été commise dans la souscription d'une assurance ne garantissant pas le paiement d'un capital décès correspondant aux stipulations de la convention collective et que l'employeur devait indemniser le préjudice en résultant.

Sur le deuxième moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 septembre 2017), que N... W..., engagé par la société Marée du Cotentin le 1er août 1986, est devenu, par l'effet de la prise de contrôle du groupe Pomona sur cette société, salarié de la société Pomona à compter de septembre 2003 en qualité de directeur de la succursale de Tourlaville ; qu'il est décédé le [...] ; que Mme W..., veuve de N... W..., en désaccord avec le montant du capital décès, a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que les sociétés Pomona et Marée du Cotentin font grief à l'arrêt de condamner la société Pomona à payer à Mme W... la somme de 264 025 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du non versement du capital décès prévu par la convention collective des mareyeurs-expéditeurs alors, selon le moyen, que lorsqu'une convention collective de branche étendue octroie la gestion exclusive de son régime de prévoyance à un opérateur d'assurance, la seule obligation de l'employeur est d'assurer ses salariés auprès de l'organisme assureur désigné par l'accord collectif ; que dans l'hypothèse où l'organisme d'assureur couvre insuffisamment les risques garantis par la convention collective, il appartient au salarié d'agir à son encontre pour obtenir le versement d'une prestation complémentaire ; qu'au cas présent, les sociétés Pomoma et Marée du Cotentin faisaient valoir que si une éventuelle discordance apparaissait entre le capital décès défini par la convention collective, et le capital versé par le Groupement National de Prévoyance, il ne pouvait leur être reproché aucun manquement de ce chef et qu'elles avaient satisfait à l'ensemble de leurs obligations en souscrivant un contrat d'assurance auprès du Groupement national de prévoyance, opérateur désigné par la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs, de sorte qu'il incombait à Mme W... d'engager une action en responsabilité contre le Groupement National de Prévoyance ; qu'en jugeant néanmoins que l'employeur avait commis « une faute en ne souscrivant par un contrat d'assurance ne garantissant pas à Mme W... le paiement d'un capital décès correspondant aux stipulations de la convention collective », la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause et les articles 7.3, 7.7 et 7.8 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat de garanties collectives prévoyait un capital égal à 100 % des salaires bruts des douze derniers mois précédant l'événement, limité aux tranches A et B, de sorte que la garantie n'était pas conforme à l'avenant n° 31 du 18 décembre 2009 relatif à l'aménagement des garanties du régime de prévoyance ayant modifié l'article 7.3 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs aux termes duquel les entreprises assujetties sont tenues d'assurer à tous leurs salariés un régime de prévoyance comportant les prestations minima prévues, soit un capital égal à 100 % des salaires bruts des douze derniers mois d'activité, la cour d'appel en a déduit exactement qu'une faute avait été commise dans la souscription d'une assurance ne garantissant pas le paiement d'un capital décès correspondant aux stipulations de la convention collective et que l'employeur devait indemniser le préjudice en résultant ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et troisième moyens, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Avenant n° 31 du 18 décembre 2009 relatif à l'aménagement des garanties du régime de prévoyance ayant modifié l'article 7.3 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs du 15 mai 1990.

Rapprochement(s) :

Sur les effets d'une adhésion par l'employeur à un régime de prévoyance moins favorable que celui prévu par la convention collective, à rapprocher : Soc., 19 juin 1990, pourvoi n° 87-43.560, Bull. 1990, V, n° 294 (rejet).

Soc., 17 avril 2019, n° 18-15.321, (P)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités du 20 juin 1983 – Avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services – Obligations du nouveau titulaire du marché – Poursuite des contrats de travail – Exclusion – Cas – Contrat de travail d'un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 16 novembre 2017), que M. R..., ressortissant d'un Etat tiers à l'Union européenne, a été engagé en qualité d'employé polyvalent de restauration à compter du 26 mars 2010 par la société Api restauration sans être titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à travailler ; qu'il a été affecté sur le site de la caisse régionale d'assurance-maladie de Bordeaux dont la société Api restauration a perdu le marché et qui a été repris par la société Compass Group France à compter du 1er janvier 2012 ; qu'à la suite du refus de cette dernière de le reprendre à son service, M. R... a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Compass Group France ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son contrat de travail n'a pas été transféré auprès de la société Compass Group France et de le débouter en conséquence de toutes ses demandes dirigées contre cette société alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 3 de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 garantit le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise ; qu'aux termes de l'article 2 d) de ladite directive, le travailleur est défini comme toute personne qui est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l'emploi ; qu'il en résulte que la circonstance que les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, en vertu desquelles le salarié étranger employé irrégulièrement est assimilé à un salarié régulièrement engagé, ne prévoient pas expressément qu'il l'est au regard des obligations de l'employeur définies en matière de transfert de contrat de travail, ne fait pas obstacle à la protection du travailleur dont le contrat, même irrégulier, a été transféré ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 8252-1 du code du travail interprété à la lumière des dispositions de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 ;

2°/ qu'en vertu de l'avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités, une entreprise entrant dans le champ d'application de l'avenant qui se voit attribuer un marché précédemment confié à une autre entreprise entrant également dans le champ d'application dudit avenant est tenue de poursuivre les contrats de travail des salariés de niveau I, II, III, IV et V, employés par le prédécesseur pour l'exécution exclusive du marché concerné ; que l'obligation incombant au nouveau prestataire n'est subordonnée à aucune autre condition, restriction ou exclusion ; que la cour d'appel, tout en constatant que l'exposant était lié à un contrat de travail avec la société Api Restauration, a dit que son contrat de travail n'avait pas été transféré à la société Compass Group ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand l'exposant était lié à la société Api Restauration par un contrat de travail en cours à la date du changement de prestataire, qu'il n'était pas contesté, d'une part, que les deux entreprises entraient dans le champ d'application dudit avenant et, d'autre part, que le salarié, employé pour l'exécution exclusive du marché, appartenait aux catégories de personnel concernées par l'application de l'article 3 a) dudit avenant, ce dont il résultait que la société Compass Group était tenue de poursuivre le contrat du salarié qui était en cours à la date du changement de prestataire, la cour d'appel a violé l'article 3 de l'avenant n°3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités, les articles L. 8251-1, L. 8252-1 et L. 8252-2 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 8251-1 et L. 8252-1 du code du travail qu'un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France n'est pas assimilé à un salarié régulièrement engagé au regard des règles régissant le transfert du contrat de travail ;

Attendu, ensuite, que les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code font obstacle à ce que le nouveau titulaire d'un marché soit tenu, en vertu de dispositions conventionnelles applicables en cas de changement de prestataire de services, à la poursuite du contrat de travail d'un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ;

Et attendu qu'ayant constaté que le salarié ne détenait pas un titre de séjour l'autorisant à travailler à la date du changement de prestataire de services, la cour d'appel a exactement décidé que l'entreprise entrante n'était pas tenue de poursuivre le contrat de travail de l'intéressé en application des dispositions de l'avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités du 20 juin 1983 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième, quatrième et cinquième branches du moyen, ci-après annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Articles L. 8251-1 et L. 8252-1 du code du travail.

Soc., 3 avril 2019, n° 17-11.970, (P)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Contenu – Principe d'égalité de traitement – Stipulations conventionnelles introduisant une différence de traitement – Présomption générale de justification des différences de traitement – Exclusion – Portée

La reconnaissance d'une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer que celles-ci sont étrangères à toute considération de nature professionnelle, serait, dans les domaines où est mis en oeuvre le droit de l'Union, contraire à celui-ci en ce qu'elle ferait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l'atteinte au principe d'égalité et en ce qu'un accord collectif n'est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement. En outre, dans ces domaines, une telle présomption se trouverait privée d'effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l'Union viendraient à s'appliquer. Partant, la généralisation d'une présomption de justification de toutes différences de traitement ne peut qu'être écartée.

Il en résulte qu'ayant retenu qu'un accord collectif opère, entre les salariés, une différence de traitement en raison uniquement de la date de présence sur un site désigné, que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de cet accord dont l'objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliqués par le transfert des services sur un autre site et d'accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d'emploi et de vie familiale, la cour d'appel en a déduit à bon droit que, s'agissant d'une différence de traitement fondée sur la date de présence sur un site, celle-ci ne saurait être présumée justifiée.

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Contenu – Principe d'égalité de traitement – Stipulations conventionnelles introduisant une différence de traitement – Traitement fondé sur la date de présence sur un site désigné – Eléments objectifs justifiant la différence de traitement – Présomption (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 27 janvier 2017), Mme M..., engagée le 3 mars 1997 par la caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Manche aux droits de laquelle vient la CRCAM de Normandie, a été affectée à compter du 27 août 2012, au poste de coordinateur gestion achats au sein du service expert du site de Saint-Lô. Ce service ainsi que celui du site d'Alençon ont été regroupés sur le site de Caen au cours des mois d'août et de septembre 2014.

2. Se plaignant de subir une différence de traitement injustifiée par rapport à ses collègues bénéficiaires, pour avoir été affectés sur le site de Saint-Lô à la date du 1er juin 2011, des mesures d'accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles prévues par l'accord d'entreprise n° 79, du 5 juillet 2013, relatif aux mesures d'accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles dans le cadre du regroupement des services experts basés à Saint-Lô et Alençon sur le site de Caen de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Coutances afin d'obtenir le bénéfice de ces mesures.

3. Par jugement du 12 novembre 2015, cette juridiction a rejeté les demandes de la salariée aux motifs, d'une part, que, n'étant pas présente sur le site de Saint-Lô le 1er juin 2011, celle-ci ne relevait pas dudit accord et, d'autre part, que les différences de traitement considérées résultaient d'un accord d'entreprise majoritaire.

4. Par arrêt du 27 janvier 2017, ce jugement a été infirmé par la cour d'appel de Caen qui a jugé que le même accord est applicable à la salariée à compter du 15 septembre 2014, celle-ci étant bénéficiaire des stipulations de l'article I-B de cet accord sur le temps de travail partiel compensé, soit de quarante-huit jours de congés pour la période arrêtée au 24 novembre 2016 et d'une journée de congés toutes les deux semaines de travail à compter de cette date.

5. Pour ce faire, la cour d'appel a, d'abord, apprécié l'existence d'une différence de situation au regard du critère de l'objet de l'avantage en cause en retenant que les salariés du site de Saint-Lô sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages institués par l'accord dont l'objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliquée par le transfert des services à Caen et d'accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d'emploi et de vie familiale.

6. Elle a, ensuite, s'agissant d'une différence de traitement fondée sur la date de présence sur le site et non sur l'appartenance à une catégorie professionnelle ou sur une différence de fonctions au sein d'une telle catégorie, écarté l'existence d'une présomption de justification de la différence de traitement considérée.

7. Elle a, enfin, relevé qu'aucune raison objective n'était alléguée par l'employeur.

8. Elle a retenu, par ailleurs, que, en toute hypothèse, la différence de traitement fondée sur la date de présence sur le site est étrangère à toute considération professionnelle.

Examen du moyen

9. La CRCAM de Normandie fait grief à l'arrêt de dire que l'accord n° 79 est applicable à la salariée à compter du 15 septembre 2014 et que celle-ci est bénéficiaire des stipulations de l'article I-B sur le temps partiel compensé, soit de quarante-huit jours de congés pour la période arrêtée au 24 novembre 2016 et d'une journée de congé toutes les deux semaines de travail à compter de cette date, alors :

1°/ que les accords collectifs étant négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, il appartient à celui qui soutient que les différences de traitement qu'ils prévoient portent atteinte au principe d'égalité de traitement de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ; qu'en refusant d'appliquer cette présomption de justification à l'accord collectif réservant des compensations de transfert de lieu de travail aux salariés présents dans l'entreprise à la date du 1er juin 2011, ce qui ne laissait aucune marge d'appréciation à l'employeur, aux motifs inopérants, d'une part que ces salariés ne constituaient pas une catégorie professionnelle ni qu'ils avaient des fonctions distinctes au sein d'une même catégorie professionnelle, et d'autre part que l'employeur n'alléguait aucune raison objective justifiant ce choix et ne démontrait pas que la différence de traitement constatée était étrangère à toute considération professionnelle, la cour d'appel a violé le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe d'égalité de traitement et l'article liminaire, « Champ d'application », de l'accord n° 79 convenu le 5 juillet 2013 au sein de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie ;

2°/ que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en jugeant que l'employeur n'alléguait aucune raison objective justifiant le critère arrêté par l'accord et ne démontrait pas que la différence de traitement constatée était étrangère à toute considération professionnelle, cependant qu'il rappelait que la date retenue par les partenaires sociaux s'expliquait par la coïncidence avec la dénonciation d'un engagement unilatéral de l'employeur, qu'une commission d'examen des demandes individuelles avait validé l'application de l'accord à la salariée et que réserver un avantage conventionnel en fonction de la date de présence dans l'entreprise constituait une différence objective de situations fréquemment retenue dans les accords collectifs, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

3°/ que le critère de la date de présence dans l'entreprise n'est pas étranger à toute considération de nature professionnelle ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement et l'article liminaire, « Champ d'application », de l'accord n° 79 convenu le 5 juillet 2013 au sein de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie ;

Motifs de l'arrêt

10. La première branche du moyen est fondée sur l'existence d'une présomption de justification des différences de traitement opérées par voie d'accord collectif que la Cour est invitée à reconnaître de manière générale, quelles que soient les différences de traitement considérées.

11. À cet égard, il résulte d'une jurisprudence établie que les accords collectifs sont soumis au principe d'égalité de traitement en sorte que la Cour a jugé que les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence (Soc., 1 juillet 2009, pourvoi n° 07-42.675, Bull. 2009, V, n° 168).

12. Cependant, dans la mesure où elles sont opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, la Cour a été conduite à reconnaître que les différences de traitement entre catégories professionnelles sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Soc., 27 janvier 2015, pourvois n° 13-14.773, 13-14.908, Bull. 2015, V, n° 8, Soc., 27 janvier 2015, pourvoi n° 13-22.179, Bull. 2015, V, n° 9 et Soc., 27 janvier 2015, pourvoi n° 13-25.437, Bull. 2015, V, n° 10).

13. En vertu de la même considération, la Cour a établi des présomptions identiques de justification des différences de traitement entre des salariés exerçant, au sein d'une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d'accord collectif (Soc., 8 juin 2016, pourvoi n° 15-11.324, Bull. 2016, V, n° 130), entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d'accord d'entreprise (Soc., 4 octobre 2017, pourvoi n° 16-17.517, Bull. 2017, V, n° 170), ainsi que, de manière spécifique, entre des salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou établissements distincts, opérées par voie d'accord collectif (Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 17-12.925, en cours de publication).

14. La Cour a jugé également que les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d'accords d'établissement négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Soc., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-18.444, Bull. 2016, V, n° 206).

15. En revanche, la Cour a refusé de reconnaître une présomption de justification au regard du principe d'égalité de traitement au bénéfice d'un accord collectif établissant une différence de traitement en fonction du degré de participation à un mouvement de grève (Soc., 13 décembre 2017, pourvoi n° 16-12.397, en cours de publication).

16. Par ailleurs, le principe d'égalité de traitement constitue également un principe général du droit de l'Union, désormais consacré aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu'elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c'est-à-dire lorsqu'elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (CJUE, arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C-406/15, point 55).

17. Ainsi que l'énonce la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 12 octobre 2004, Wippel (C-313/02, points 54 à 56), tant pour l'interdiction des discriminations fondées sur le sexe, prévue aux articles 2, § 1, et 5, § 1, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail que pour celle des discriminations entre travailleurs à temps plein et à temps partiel prévue à la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à temps partiel annexé à la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l'accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, le principe général d'égalité ne se cantonne pas à l'interdiction de telles discriminations qui n'en est que l'expression spécifique, ce principe s'appliquant, conformément à l'article 51, § 1, de la Charte, dès lors qu'est mis en oeuvre le droit de l'Union.

18. Il s'impose non seulement à l'action des autorités publiques, mais s'étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié (voir, en ce sens, CJUE, arrêts du 8 avril 1976, Defrenne, 43-75, point 39, du 27 juin 1990, Kowlaska, C-33/89, point 13, du 17 juillet 2008, Raccanelli, C-94/07, point 45, du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, point 77).

19. À cet égard, saisie d'une demande préjudicielle d'interprétation de la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 4, point 1, de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, la Cour de justice de l'Union européenne a exclu, dans son arrêt du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso (C-307/05, points 57 et 58), que cette notion puisse être comprise comme autorisant à justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette dernière est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle une convention collective.

20. Le contrôle du respect du principe d'égalité de traitement au sens du droit de l'Union repose sur un mécanisme probatoire tel que lorsqu'un employé fait valoir que ce principe a été violé et établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation dudit principe (CJUE, arrêt du 10 mars 2005, Nikouloudi, C-196/02, point 75).

21. Par ailleurs, en vertu du même principe, le juge national est tenu d'écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination de celle-ci par le législateur, et d'appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les personnes de l'autre catégorie (CJUE, arrêt Milkova, du 9 mars 2017, C-406/15, point 67).

22. Dès lors, d'une part, la reconnaissance d'une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer que celles-ci sont étrangères à toute considération de nature professionnelle, serait, dans les domaines où est mis en oeuvre le droit de l'Union, contraire à celui-ci en ce qu'elle ferait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l'atteinte au principe d'égalité et en ce qu'un accord collectif n'est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement. D'autre part, dans ces domaines, une telle présomption se trouverait privée d'effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l'Union viendraient à s'appliquer. Partant, la généralisation d'une présomption de justification de toutes différences de traitement ne peut qu'être écartée.

23. Il en résulte qu'ayant retenu que l'accord n° 79 opère, entre les salariés, une différence de traitement en raison uniquement de la date de présence sur un site désigné, que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de cet accord dont l'objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliqués par le transfert des services à Caen et d'accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d'emploi et de vie familiale, la cour d'appel en a déduit à bon droit que, s'agissant d'une différence de traitement fondée sur la date de présence sur un site, celle-ci ne saurait être présumée justifiée.

La cour d'appel ayant retenu ensuite qu'aucune raison objective n'était alléguée par l'employeur, elle a, hors toute dénaturation, légalement justifié sa décision.

24. Il s'ensuit que le moyen, inopérant en sa troisième branche en ce qu'il vise des motifs surabondants, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Principe d'égalité de traitement.

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