Numéro 4 - Avril 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 8 avril 2019, n° 19-04.154, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Aide sociale – Participation et récupération – Participation des obligés alimentaires – Recouvrement des sommes avancées par la collectivité – Recours des obligés

Il résulte des dispositions de l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et de celle n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que sont transférés à la juridiction judiciaire les recours des obligés alimentaires contestant les décisions prises par l'Etat ou le département pour obtenir le remboursement des sommes avancées par la collectivité. Les recours contre les décisions relatives à l'admission à l'aide sociale continuent en revanche de relever de la juridiction administrative même en présence d'obligés alimentaires.

Il s'ensuit qu'il incombe désormais à la juridiction judiciaire de statuer sur la demande formée par un obligé alimentaire contre le titre exécutoire émis contre lui par le président d'un conseil départemental.

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Recours contre les décisions relatives à l'admission à l'aide judiciaire – Existence d'obligés alimentaires – Absence d'influence

Vu l'expédition de l'arrêt du 7 décembre 2018 par lequel le Conseil d'Etat, saisi en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, du dossier de la requête de Mme U... tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 9 février 2018 par le département de la Drôme en vue du paiement de la somme de 1 400 euros, correspondant à son obligation alimentaire, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu l’ordonnance du 18 avril 2018 par laquelle le président du tribunal administratif de Grenoble a transmis au Conseil d’Etat, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, le dossier de la requête de Mme U... ;

Vu le mémoire présenté par le ministre des solidarités et de la santé tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a entendu créer un bloc de compétence au profit du juge judiciaire en matière d’obligation alimentaire et lui confier l’ensemble des décisions en matière d’aide sociale qui prennent en compte puis mettent en œuvre l’obligation alimentaire ;

Vu les pièces dont il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée à Mme U... et au département de la Drôme qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

Vu le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;

Vu la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

Considérant qu’à la suite de l'admission par le président du conseil départemental de la Drôme de M. S... U... à l’aide sociale pour ses frais d'hébergement au sein d’un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et de deux décisions des 11 juin 2014 et 21 décembre 2016 du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Valence fixant l'obligation alimentaire de Mme P... U... épouse Q..., sa fille, le département de la Drôme a émis à l'encontre de celle-ci, un titre exécutoire en vue du paiement d’une somme de 1 400 euros correspondant à une part des frais d’hébergement de son père ; que, par une requête du 2 mars 2018, Mme U... a demandé l'annulation de ce titre exécutoire au tribunal administratif de Grenoble ; que le Conseil d’Etat, saisi par le Président de ce tribunal, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, du dossier de la requête de Mme U... a, par décision du 7 décembre 2018, renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant qu’aux termes de l'article L. 132-6 du code de l’action sociale et des familles : « Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. (...) / La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire (...) ; que l'article L. 132-7 du même code prévoit, que : « En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l'aide sociale » ;

Considérant qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, il appartenait à la juridiction administrative de connaître, sous réserve, le cas échéant, des questions préjudicielles à l’autorité judiciaire pouvant tenir notamment à l’obligation alimentaire, des contestations relatives au recouvrement des sommes demandées à des particuliers, en raison des dépenses exposées par une collectivité publique au titre de l’aide sociale, que ces contestations mettent en cause les bénéficiaires de l’aide sociale eux-mêmes ou d’autres personnes, en particulier leurs obligés alimentaires ; qu’au sein de la juridiction administrative, cette compétence relevait pour les prestations d’aide sociale entrant dans le champ de l'article L. 134-1 du code de l’action sociale et des familles, des commissions départementales d’aide sociale en premier ressort et de la Commission centrale d’aide sociale en appel ; que la loi du 18 novembre 2016, ayant notamment supprimé les commissions départementales d’aide sociale et la Commission centrale d’aide sociale, a énoncé, d’une part, à l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, applicable à compter du 1er janvier 2019, y compris aux affaires en cours à cette date devant les commissions départementales d'aide sociale, en vertu des dispositions combinées de l’article 114 de cette loi et de l'article 17 du décret du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, que « Le juge judiciaire connaît des contestations formées contre les décisions relatives à : (...) 4° Les recours exercés par l'Etat ou le département en présence d'obligés alimentaires prévus à l'article L. 132-6 », d’autre part, à l’article L. 211-16 du code de l’organisation judiciaire « Des tribunaux de grande instance spécialement désignés connaissent : (...) 3° Des litiges relevant de l'admission à l'aide sociale mentionnés à l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles (...). » ; que l'article L. 134-3 a été, de nouveau, modifié par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et dispose depuis le 25 mars 2019 : « Le juge judiciaire connaît des litiges : 1° Résultant de l’application de l’article L. 132-6 (...) » ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions, applicables au litige opposant Mme U... au département, que sont transférés à la juridiction judiciaire les recours des obligés alimentaires contestant les décisions prises par l’Etat ou le département pour obtenir le remboursement des sommes avancées par la collectivité, les recours contre les décisions relatives à l’admission à l’aide sociale continuant en revanche de relever de la juridiction administrative même en présence d’obligés alimentaires ; qu’il s’ensuit qu’il incombe désormais à la juridiction judiciaire de statuer sur la demande de Mme U... contre le titre exécutoire émis à son encontre par le président du conseil départemental de la Drôme ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant Mme U... au département de la Drôme.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : Mme Duval -Arnould - Avocat général : Mme Cortot-Boucher (Rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code de l'action sociale et des familles ; loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ; décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence des juridictions de l'aide sociale sous l'empire des dispositions antérieures à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, cf. : CE, 1er septembre 1989, n° 103141, publié au recueil Lebon.

Tribunal des conflits, 8 avril 2019, n° 19-04.157, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat de droit privé – Contrat de droit privé – Caractérisation – Cas – Contrat de surveillance et de gardiennage entre un port et un exploitant portuaire

Si l'Etat est responsable de la définition des mesures de sûreté portuaire et s'il incombe à l'autorité portuaire d'élaborer un plan de sûreté portuaire, les mesures visant à assurer la sûreté des opérations portuaires doivent être mises en oeuvre, pour ce qui les concerne, par les exploitants d'installations portuaires.

Le contrat passé entre un port, établissement public de l'Etat, et un exploitant portuaire, par lequel le premier s'engage à exécuter, au profit du second, une prestation de surveillance et de gardiennage, n'a pas pour objet l'organisation ou l'exécution d'une mission de service public incombant au port, ne contient aucune clause qui impliquerait qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, ne comporte pas occupation du domaine public, n'est pas l'accessoire d'une convention d'occupation du domaine public, et, n'ayant pas été conclu pour les besoins du port, ne saurait constituer un marché public.

Par conséquent, un tel contrat présente le caractère d'un contrat de droit privé, dont les litiges relatifs à l'exécution ou relatifs au paiement des prestations exécutées après son expiration relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 23 janvier 2019, l’expédition du jugement du 17 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi de la demande de la société Compagnie nouvelle de manutentions portuaires (CNMP) tendant à l’annulation des titres exécutoires émis par le grand port maritime du Havre le 5 juin 2014, pour un montant de 252 001,49 euros, le 7 juillet 2014, pour un montant de 252 844,31 euros, le 18 décembre 2014, pour un montant de 257 190,52 euros, le 3 avril 2015, pour un montant de 257 190,52 euros, le 18 juin 2015, pour un montant de 257 190,52 euros, le 18 septembre 2015, pour un montant de 260 357,35 euros et le 24 décembre 2015, pour un montant de 260 357,35 euros, et à la condamnation du grand port maritime à lui restituer la somme de 1 539 230,80 euros au titre de la répétition de l’indu, a renvoyé au Tribunal, en application de l’article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l’arrêt du 17 septembre 2015 par lequel la cour d’appel de Rouen a confirmé le jugement du 2 décembre 2014 du juge de l’exécution du tribunal de grande instance du Havre qui s’était déclaré incompétent pour connaître du litige ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 avril 2019, présenté pour le grand port maritime du Havre, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par les motifs que le contrat de prestation de sûreté a le caractère d’un contrat administratif comme constituant une modalité d’exécution du service public et l’accessoire d’un titre d’occupation du domaine public ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la société Compagnie nouvelle de manutentions portuaires (CNMP) et au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code des transports ;

Considérant que la société Compagnie nouvelle de manutentions portuaires (CNMP), qui tient d’une convention signée le 3 juin 2004 l’autorisation d’occuper des dépendances du domaine public du port du Havre situées au terminal de l’Atlantique de ce port, a conclu, le 17 juin 2005, avec le port autonome du Havre, devenu ultérieurement le grand port maritime du Havre, une convention intitulée « contrat de prestation de service de sûreté » du terminal de l’Atlantique ; que ce contrat a été conclu initialement à compter du 1er avril 2005 pour une durée de trois ans ; qu’il a été renouvelé par des avenants pour les périodes du 1er avril 2008 au 1er avril 2009, du 1er avril 2009 au 1er avril 2010, du 1er avril 2010 au 1er avril 2011 ; que si les avenants proposés par le port pour les périodes ultérieures n’ont pas été signés par la société CNMP, les prestations de surveillance ont continué d’être exécutées par le port ; que les factures correspondantes, émises trimestriellement, ont été réglées par la société CNMP jusqu’au début de l’année 2014 mais ont cessé de l’être ensuite ; que le port a émis un premier titre exécutoire le 5 juin 2014 correspondant aux prestations effectuées pendant le quatrième trimestre de 2013 ; que le port a ultérieurement émis six autres titres exécutoires, les 7 juillet 2014, 18 décembre 2014, 3 avril 2015, 18 juin 2015, 18 septembre 2015 et 24 décembre 2015, aux fins d’obtenir le paiement des prestations effectuées au cours des années 2014 et 2015 ; que, saisi d’une demande de mainlevée de la saisie-attribution fondée sur le premier titre exécutoire émis le 5 juillet 2014, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance du Havre a décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du bien-fondé de la créance par un jugement du 2 décembre 2014 ; que la cour d’appel de Rouen, par un arrêt du 17 septembre 2015, a confirmé ce jugement ; que le tribunal administratif de Rouen, ultérieurement saisi d’une demande d’annulation des sept titres exécutoires émis par le grand port maritime du Havre, a renvoyé au Tribunal, sur le fondement de l’article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant, en vertu des dispositions désormais codifiées au code des transports, que si l’Etat est responsable de la définition des mesures de sûreté portuaire et s’il incombe à l’autorité portuaire d’élaborer un plan de sûreté portuaire, les mesures visant à assurer la sûreté des opérations portuaires doivent être mises en œuvre, pour ce qui les concerne, par les exploitants d’installations portuaires ; qu’il appartient, en particulier, à ces exploitants de prendre les mesures de sûreté permettant d’interdire l’accès des installations dont ils ont la charge aux personnes non autorisées et d’y empêcher l’introduction d’objets ou produits prohibés ;

Considérant que, par le « contrat de prestation de service de sûreté » conclu, pour le terminal de l’Atlantique, le 17 juin 2005 entre la société CNMP et le port du Havre, le port s’est engagé, contre rémunération, à exécuter une prestation de surveillance et de gardiennage consistant à contrôler l’accès aux installations du terminal de l’Atlantique, essentiellement par la mise à disposition en permanence de deux agents au poste de contrôle situé à l’entrée principale du terminal, afin de contrôler les personnes, véhicules et conteneurs entrant et sortant du terminal par cet accès et de vérifier les dispositifs de fermeture des accès au périmètre des installations ;

Considérant que le contrat ainsi conclu entre le port du Havre et la société CNMP n’a pas pour objet l’organisation ou l’exécution d’une mission de service public incombant au port ; qu’il ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquerait, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ;

Considérant que ce contrat ne comporte pas, par lui-même, occupation du domaine public et n’est pas l’accessoire de la convention du 3 juin 2004 ayant autorisé la société CNMP à occuper des dépendances du domaine public portuaire situées au terminal de l’Atlantique ; que, par ailleurs, il ne concerne pas la réalisation de travaux publics ;

Considérant, enfin, que, n’ayant pas été conclu pour les besoins du port, il ne saurait constituer un marché public ; qu’il ne peut, par suite, présenter le caractère d’un contrat administratif par détermination de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le contrat conclu le 17 juin 2005 entre la société CNMP et le port du Havre présente le caractère d’un contrat de droit privé ; qu’il appartient, par suite, à la juridiction judiciaire de connaître d’un litige relatif à son exécution ; qu’il en va de même du litige relatif au paiement des prestations prévues par le contrat qui ont continué d’être exécutées alors même que la société CNMP n’a pas signé d’avenant au contrat pour la période postérieure au 1er avril 2011 ; que le litige relève, dès lors, de la compétence de la juridiction judiciaire ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société Compagnie nouvelle de manutentions portuaires (CNMP) au grand port maritime du Havre.

Article 2 : L’arrêt de la cour d’appel de Rouen du 17 septembre 2015 est déclaré nul et non avenu.

La cause et les parties sont renvoyées devant cette cour.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal administratif de Rouen est déclarée nulle et non avenue, à l’exception du jugement rendu par ce tribunal le 17 janvier 2019.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : M. Stahl - Avocat général : Mme Vassallo-Pasquet (Rapporteur public) - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code des transports.

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