Numéro 4 - Avril 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2019

LOIS ET REGLEMENTS

1re Civ., 17 avril 2019, n° 18-13.894, (P)

Rejet

Application dans le temps – Loi pénale de fond – Loi plus sévère – Non-rétroactivité – Crime contre l'humanité

Les articles 211-1 et 212-1 du code pénal, réprimant les crimes contre l'humanité, sont entrés en vigueur le 1er mars 1994 et ne peuvent s'appliquer aux faits antérieurs à cette date, en raison des principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Application dans le temps – Loi pénale de fond – Loi plus sévère – Non-rétroactivité – Cas – Infraction nouvelle – Reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité

La loi du 21 mai 2001, qui a reconnu l'esclavage et la traite négrière transatlantique comme crime contre l'humanité, ne comporte aucune disposition de nature à permettre une application rétroactive des articles 211-1 et 212-1 du code pénal.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 19 décembre 2017), que par acte du 30 mai 2005, l'association Mouvement international pour les réparations (le MIR) et l'association Conseil mondial de la diaspora panafricaine (le CMDPA) ont assigné l'Etat devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France aux fins d'obtenir une expertise pour évaluer le préjudice subi par le peuple martiniquais du fait de la traite négrière et de l'esclavage et une provision destinée à une future fondation ; qu'au regard des préjudices subis personnellement ou en leur qualité d'ayants droit, plusieurs personnes physiques se sont jointes à cette action ;

Sur les première, deuxième et cinquième à huitième branches du premier moyen et le second moyen, ci-après annexés :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu que le MIR fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes présentées en qualité d'ayants droit par les personnes physiques et de rejeter les autres demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la traite négrière et l'esclavage sont des crimes contre l'humanité, lesquels sont, par nature, imprescriptibles ; qu'en jugeant irrecevables comme prescrites les demandes présentées par les ayants droit d'esclaves, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 21 mai 2001, ensemble les articles 213-4 et 213-5 du code pénal, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 et l'article 2262 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;

2°/ que, justifié par une exigence de sécurité juridique et de protection de la liberté individuelle, le principe de non-rétroactivité de la loi ne saurait être appliqué au bénéfice d'auteurs de crimes contre l'humanité ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ensemble les articles 213-4 et 213-5 du code pénal, l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils ;

Mais attendu que l'arrêt retient, à bon droit, que les articles 211-1 et 212-1 du code pénal, réprimant les crimes contre l'humanité, sont entrés en vigueur le 1er mars 1994 et ne peuvent s'appliquer aux faits antérieurs à cette date, en raison des principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;

Et attendu qu'après avoir énoncé que la loi du 21 mai 2001 n'avait apporté aucune atténuation à ces principes et que l'action sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, de nature à engager la responsabilité de l'Etat indépendamment de toute qualification pénale des faits, était soumise à la fois à la prescription de l'ancien article 2262 du même code et à la déchéance des créances contre l'Etat prévue à l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, devenu l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, la cour d'appel a exactement décidé que cette action, en tant qu'elle portait sur des faits ayant pris fin en 1848 et malgré la suspension de la prescription jusqu'au jour où les victimes, ou leurs ayants droit, ont été en mesure d'agir, était prescrite en l'absence de démonstration d'un empêchement qui se serait prolongé durant plus de cent ans ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles 211-1 et 212-1 du code pénal ; loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 ; article 1 de la loi du 31 décembre 1968 ; article 1382, devenu 1240 du code civil ; article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

Rapprochement(s) :

Crim., 17 juin 2003, pourvoi n° 02-80.719, Bull. crim. 2003, n° 122 (rejet).

3e Civ., 11 avril 2019, n° 18-16.121, (P)

Rejet

Application immédiate – Application aux contrats en cours – Exclusion – Cas – Loi du 18 juin 2014 limitant la clause de garantie solidaire à trois ans à compter de la cession du bail

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 février 2018), que la société Manoir Aérospace, locataire commercial de différents sites industriels, a fait apport partiel de différentes branches de son activité exercée sur ces sites aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres constituées à cet effet ; que, le 28 décembre 2012, la société Kalkalit Blade, propriétaire bailleur des sites, a assigné Mme I..., en qualité de mandataire liquidateur de la société Manoir Custines, et les autres sociétés bénéficiaires des apports, ainsi que la société Manoir Aérospace, les premières en paiement des loyers et charges dus et la dernière en garantie solidaire ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Lisi Aerospace Forged Integrated Solutions, venant aux droits de la société Manoir Aerospace, fait grief à l'arrêt de dire qu'elle reste garant, solidairement avec les sociétés bénéficiaires des apports, du paiement des loyers et charges au titre des baux commerciaux jusqu'à leur date d'expiration, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge doit respecter la loi des parties ; que la cour d'appel a elle-même relevé que les baux commerciaux avaient été transférés par la société Manoir Aerospace aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres par le biais d'un apport partiel d'actif et non par le biais d'une cession ; qu'en jugeant pourtant que la garantie consentie par la société Manoir Aerospace, qui ne devait jouer qu'en cas de cession de son fonds de commerce ou de tout ou partie de son entreprise, devait être appliquée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que toute partie peut renoncer à un droit dont elle a la libre disposition ; que la cour d'appel a jugé que les stipulations des traités d'apport partiel d'actif excluant toute garantie par la société Manoir Aerospace des entités nouvellement créées n'étaient pas opposables à la société Kalkalit, en raison de l'effet relatif des contrats ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Kalkalit n'avait pas, non seulement en ne s'opposant pas à la réalisation des contrats d'apport partiel d'actif qui avaient été publiés et qui lui avaient été notifiés, mais encore en participant de manière active à la réalisation de l'opération par le biais de la conclusion d'avenants aux baux commerciaux d'origine ayant pour objet d'entériner la nouvelle configuration juridique régissant dorénavant les relations contractuelles entre les parties, renoncé à la garantie solidaire stipulée dans les actes antérieurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'article 7.1 des baux commerciaux se bornait à prévoir que le preneur resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges « dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante » et à préciser les critères relatifs à la notion de « surface financière suffisante » ; qu'en jugeant qu'il résultait d'une telle clause qu'elle faisait peser sur le cédant la charge de prouver que le cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante, la cour d'appel a dénaturé ces baux commerciaux, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ qu'il appartient à celui qui réclame le bénéfice d'une garantie contractuelle de prouver que sont réunies les conditions de mise en oeuvre de cette garantie ; que l'article 7.1 des baux commerciaux stipulant que le preneur ne resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges que « dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante, il appartenait au bailleur, qui réclamait le bénéfice de cette garantie, de prouver que le cessionnaire n'avait pas eu une surface financière suffisante ; qu'en jugeant au contraire qu'il appartenait au cédant de démontrer que le cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante, et en lui reprochant de ne pas rapporter une telle preuve, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la clause 7.1, alinéa 1, des baux conclus entre la société Kalkalit Blade et la société Manoir Aerospace pour chacun des sites industriels stipulait que le preneur pourrait librement céder son droit au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de tout ou partie de son entreprise et que la société Manoir Aérospace avait, par traités d'apport partiel d'actifs placé sous le régime des scissions, cédé les droits au bail aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres, devenues titulaires de plein droit des baux, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche non demandée sur la renonciation du bailleur, a pu en déduire que la clause s'appliquait dans le cas de cessions du droit au bail par voie d'apport partiel d'actifs ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la clause 7.1, alinéa 2, stipulait qu'en cas de cession, le preneur resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir du bail à compter de la date de cession mais seulement dans l'hypothèse où le cessionnaire n'aurait pas une surface financière suffisante, la cour d'appel a souverainement retenu, sans dénaturation ni inversion de la charge de la preuve, que la société cédante ne démontrait pas que la société cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Lisi Aerospace Forged Integrated Solutions, venant aux droits de la société Manoir Aerospace, fait grief à l'arrêt de déclarer inapplicable la limitation de garantie prévue par l'article L. 145-16-2 du code de commerce, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, prévoyant que lorsque la cession du bail commercial s'accompagne d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l'invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, est un texte d'ordre public qui s'applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ; qu'en jugeant au contraire que ce texte n'est pas une disposition impérative applicable aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur, la cour d'appel l'a violé, ensemble l'article 2 du code civil ;

2°/ que la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ; que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, qui limite dans le temps la garantie donnée par le cédant au bailleur, encadre une situation juridique relevant du statut légal des baux commerciaux, qui a pris naissance avant l'entrée en vigueur de la loi et qui n'est pas définitivement réalisée, de sorte que le texte doit immédiatement être appliqué aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16-2 du code de commerce, ensemble l'article 2 du code civil ;

3°/ que la loi qui réduit la durée d'un délai de prescription ou de forclusion est immédiatement applicable ; que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, prévoyant que lorsque la cession du bail commercial s'accompagne d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci « ne peut l'invoquer » que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, instaure un délai de forclusion ou de prescription, plus court que le délai de droit commun antérieur ; qu'en jugeant le contraire pour refuser de faire application du texte, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16-2 du code de commerce, ensemble l'article 2222 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, d'une part, que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, qui revêt un caractère d'ordre public, ne répond pas à un motif impérieux d'intérêt général justifiant son application immédiate, d'autre part, que la garantie solidaire, dont ce texte limite la durée à trois ans, ne constitue pas un effet légal du contrat mais demeure régie par la volonté des parties, la cour d'appel en a exactement déduit que ce texte n'était pas immédiatement applicable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Provost-Lopin - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article L. 145-16-2 du code de commerce.

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