Numéro 4 - Avril 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2019

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 17 avril 2019, n° 17-17.880, n° 17-17.881, n° 17-17.882, n° 17-17.884, n° 17-17.885, n° 17-17.886, (P)

Rejet

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Continuation du contrat de travail – Modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur – Refus du salarié – Obligations de l'employeur – Cas – Licenciement – Nature – Détermination – Portée

Lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer.

La rupture résultant du refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail, proposée par l'employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique.

Dès lors, ayant constaté que la modification du contrat de travail des salariés s'inscrivait dans la volonté du nouvel employeur de ne conserver qu'un seul lieu de production dans le but de réaliser des économies, que l'objectif affiché était la pérennisation de son activité internet et que le motif réel du licenciement résultait donc de la réorganisation de la société cessionnaire à la suite du rachat d'une branche d'activité de la société cédante, une cour d'appel en déduit exactement que le licenciement a la nature juridique d'un licenciement économique.

Modification – Modification imposée par l'employeur – Modification du contrat de travail – Modification pour un motif non inhérent à la personne du salarié – Refus du salarié – Effets – Licenciement économique – Cas – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Refus du salarié d'une modification de son contrat de travail – Conditions – Portée

Vu la connexité, joint les pourvois 17-17.880, 17-17.882, 17-17.884, 17-17.885, 17-17.881 et 17-17.886 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Rennes, 10 mars 2017), que Mmes L..., Y..., G..., R..., J... et D... ont été engagées par la société le Bouquet nantais et exerçaient respectivement en dernier lieu à Nantes les fonctions d'assistantes commerciales, d'assistante de direction, d'assistante marketing, de responsable de fabrication et d'employée libre-service ; que le 12 mai 2012, la société Le Bouquet nantais a cédé son activité de vente et de commercialisation de fleurs par internet à la société Bloom Trade, avec effet au 14 mai 2012, et le contrat de travail des salariées a été transféré au profit de cette dernière ; que le 14 mai 2012, la société Bloom Trade a proposé la modification du lieu d'exécution du contrat de travail à Orléans aux salariées qui lui ont notifié leur refus ; que les salariées ont été licenciées pour refus de modification du lieu d'exécution de travail ; que contestant le motif personnel de leur licenciement, elles ont saisi la juridiction prud'homale pour voir dire leur licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et obtenir diverses indemnités ;

Attendu que l'employeur fait grief aux arrêts de dire que le licenciement de Mmes L..., Y..., G..., R..., J... et D... doit être requalifié en licenciement économique et qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à leur verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile alors, selon le moyen :

1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Bloom Trade faisait valoir dans ses conclusions d'appel que les contrats de travail des salariées défenderesses aux pourvois comportaient une clause de mobilité en vertu de laquelle elles s'étaient engagées à accepter un déplacement de leur lieu de travail au nouveau siège social de l'entreprise si bien que leur refus d'accepter le transfert de leur lieu de travail au siège social de la société Bloom Trade à Orléans constituait une faute justifiant leur licenciement pour motif personnel ; qu'en retenant que la société Bloom Trade avait retenu à tort un motif personnel pour licencier les salariées et que leur licenciement était en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse sans répondre à ce moyen déterminant des conclusions de l'exposante, la cour d'appel a méconnu les exigences posées par l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer ; qu'il appartient alors au cessionnaire, s'il n'est pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions, soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement ; que le refus du salarié dans ces circonstances constitue, pour le repreneur, une cause réelle et sérieuse de licenciement ne relevant pas des dispositions relatives au licenciement économique ; qu'en l'espèce, pour considérer que les licenciements des salariées défenderesses aux pourvois présentaient un caractère manifestement économique et en déduire qu'ils ne reposaient sur aucune cause réelle et sérieuse, la société Bloom Trade ayant invoqué à tort un motif personnel, la cour d'appel a retenu qu'il ressortait des lettres de licenciement des salariées que leur mutation s'imposait au regard de la volonté de l'entreprise de ne conserver qu'un seul lieu de production dans un but de réaliser des économies ; qu'en statuant par ces motifs inopérants alors qu'il ressortait de ses propres constatations que le transfert à la société Bloom Trade, située à Orléans, de l'activité de vente et commercialisation de fleurs par internet exploitée jusque-là par la société Le Bouquet nantais, avait par lui-même entraîné une modification des contrats de travail des salariés transférés à la société Bloom Trade, cette société ne pouvant maintenir les conditions antérieures de travail de ces salariés faute de disposer d'un établissement dans la région de Nantes, si bien que les refus de ces salariés de poursuivre l'exécution de leur contrat de travail à Orléans constituaient, pour la société Bloom Trade, une cause réelle et sérieuse de licenciement ne relevant pas des dispositions relatives au licenciement économique, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1221-1, L. 1224-1 et L. 1233-3 du code du travail ;

Mais attendu, d'une part, que lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer et, d'autre part, que la rupture résultant du refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail, proposée par l'employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la modification du contrat de travail des salariées s'inscrivait dans la volonté de l'entreprise de ne conserver qu'un seul lieu de production dans le but de réaliser des économies, que l'objectif affiché était la pérennisation de son activité internet et que le motif réel du licenciement résultait donc de la réorganisation de la société cessionnaire Bloom Trade à la suite du rachat d'une branche d'activité de la société le Bouquet nantais, en a exactement déduit, sans être tenue de répondre à un moyen que les termes de la lettre de licenciement rendaient inopérant, que le licenciement avait la nature juridique d'un licenciement économique, ce dont il résultait qu'ayant été prononcé pour motif personnel, il était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ; articles L. 1224-1 et L. 1233-3, dans sa rédaction applicable à la cause, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel le salarié est en droit de s'opposer à une modification de son contrat de travail, autre que le changement d'employeur, faisant suite à l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, à rapprocher : Soc., 30 mars 2010, pourvoi n° 08-44.227, Bull. 2010, V, n° 79 (rejet) ; Soc., 1er juin 2016, pourvoi n° 14-21.143, Bull. 2016, V, n° 122 (rejet). Sur le principe selon lequel la rupture résultant du refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail, proposée par l'employeur, pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique, à rapprocher : Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-12.747, Bull. 2018, V, (cassation), et l'arrêt cité.

Ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442, (P)

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice spécifique d'anxiété – Indemnisation – Demande dirigée contre une société n'entrant pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 – Possibilité – Portée

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Etendue – Détermination – Portée

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. Viole ainsi les textes susvisés, la cour d'appel qui refuse d'examiner les éléments de preuve des mesures que l'employeur prétendait avoir mises en oeuvre.

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Electricité de France, société anonyme, dont le siège est [...],

contre l'arrêt rendu le 29 mars 2018 (RG : 16/01610) par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. L... K..., domicilié [...],

défendeur à la cassation ;

Par ordonnance du 27 juin 2018, le président de la chambre sociale de la Cour de cassation a joint ce pourvoi avec les pourvois n° H 18-17.443, G 18-17.444, J 18-17.445, K 18-17.446, M 18-17.447, N 18-17.448, P 18-17.449, Q 18-17.450, R 18-17.451, S 18-17.452, T 18-17.453, U 18-17.454, V 18-17.455, W 18-17.456, X 18-17.457, Y 18-17.458, Z 18-17.459, A 18-17.460, B 18-17.461, C 18-17.462, D 18-17.463, E 18-17.464, F 18-17.465, H 18-17.466, G 18-17.467, J 18-17.468, K 18-17.469, M 18-17.470, N 18-17.471, P 18-17.472, Q 18-17.473, R 18-17.474, S 18-17.475, T 18-17.476, U 18-17.477, V 18-17.478, W 18-17.479, X 18-17.480, Y 18-17.481, Z 18-17.482, A 18-17.483, B 18-17.484, C 18-17.485, D 18-17.486, E 18-17.487, F 18-17.488, H 18-17.489, G 18-17.490, J 18-17.491, K 18-17.492, M 18-17.493, N 18-17.494, P 18-17.495, Q 18-17.496, R 18-17.497, S 18-17.498, T 18-17.499, U 18-17.500, V 18-17.501, W 18-17.502, X 18-17.503, Y 18-17.504, Z 18-17.505, A 18-17.506, B 18-17.507, C 18-17.508, D 18-17.509, E 18-17.510, F 18-17.511, H 18-17.512, G 18-17.513, J 18-17.514, K 18-17.515, M 18-17.516, N 18-17.517, P 18-17.518, Q 18-17.519, R 18-17.520, S 18-17.521, T 18-17.522, U 18-17.523, V 18-17.524, W 18-17.525, X 18-17.526, Y 18-17.527, Z 18-17.528, A 18-17.529, B 18-17.530, C 18-17.531, D 18-17.532, E 18-17.533, F 18-17.534, H 18-17.535, G 18-17.536, J 18-17.537, K 18-17.538, M 18-17.539, N 18-17.540, P 18-17.541, Q 18-17.542, R 18-17.543, S 18-17.544, T 18-17.545, U 18-17.546, V 18-17.547, W 18-17.548, X 18-17.549 et Y 18-17.500 formés par la société Electricité de France contre cent huit arrêts prononcés le 29 mars 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8) ;

Par ordonnances du 17 décembre 2018, le premier président a renvoyé l'examen de ce pourvoi devant l'assemblée plénière et ordonné sa disjonction des pourvois susvisés, lesquels restent joints au pourvoi n° H 18-17.443 ;

La demanderesse invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire commun aux cent neuf pourvois, déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Electricité de France ;

Un mémoire de productions a également été déposé par la SCP Sevaux et Mathonnet ;

Un mémoire en défense commun a été déposé par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. K... ;

Le rapport écrit de Mme Vieillard, conseiller, et l'avis écrit de Mme Courcol-Bouchard, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

Une note du 7 mars 2019 du directeur général du travail, adressée au premier avocat général, a été mise à la disposition des parties ;

Sur le rapport de Mme Vieillard, conseiller, assistée de Mme Noël, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, l'avis de Mme Courcol-Bouchard, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. K... a été employé par la société Electricité de France (la société) en qualité de rondier, chaudronnier et technicien, au sein de la centrale de Saint-Ouen ; qu'estimant avoir été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante durant son activité professionnelle, il a saisi, le 11 juin 2013, la juridiction prud'homale afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'anxiété et pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire M. K... recevable en sa demande et de la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen, que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel ; qu'ils ne peuvent demander cette réparation qu'à l'encontre de leur employeur, et dans la mesure où celui-ci entre lui-même dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'il résulte des constatations des arrêts attaqués que la société ne figure pas dans la liste des établissements visés par ce texte et que les salariés n'avaient pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, en sorte qu'ils ne pouvaient prétendre à l'indemnisation par la société d'un préjudice moral au titre de leur exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

Mais attendu que l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle ; que, par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull. n° 106), adopté en formation plénière de chambre et publié au Rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; que la chambre sociale a instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence ;

Qu'elle a néanmoins affirmé que la réparation du préjudice d'anxiété ne pouvait être admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 susmentionné et l'arrêté ministériel pris sur son fondement et dont l'employeur entrait lui-même dans les prévisions de ce texte, de sorte que le salarié qui n'avait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ne pouvait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral au titre de son exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité (Soc., 26 avril 2017, n° 15-19.037, Bull. n° 71) ;

Qu'il apparaît toutefois, à travers le développement de ce contentieux, que de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ou dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel, ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé ;

Que dans ces circonstances, il y a lieu d'admettre, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige ;

Attendu que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés ;

Attendu que, pour condamner la société à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, l'arrêt retient que le demandeur justifie par les pièces qu'il produit, d'une exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante et que, l'exposition du salarié à l'amiante étant acquise, le manquement de la société à son obligation de sécurité de résultat se trouve, par là même, établi, et sa responsabilité engagée, au titre des conséquences dommageables que le salarié invoque du fait de cette inhalation, sans que la société puisse être admise à s'exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu'elle prétend avoir mises en oeuvre ;

Qu'en statuant ainsi, en refusant d'examiner les éléments de preuve des mesures que la société prétendait avoir mises en oeuvre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le même moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que, pour condamner la société à payer au salarié une indemnité en réparation de son préjudice d'anxiété, l'arrêt retient que ce préjudice résultant de l'inquiétude permanente, éprouvée face au risque de déclaration à tout moment de l'une des maladies mortelles liées à l'inhalation de fibres d'amiante, revêt comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le préjudice d'anxiété personnellement subi par M. K... et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, l'arrêt rendu le 29 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

MOYEN ANNEXE :

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Electricité de France.

Il est fait grief à chacun des arrêts infirmatifs attaqués d'avoir dit les salariés recevables en leur demande et condamné la société EDF à payer à chacun d'eux la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, outre la somme de 100 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que, sur l'irrecevabilité de la demande, la société EDF soutient encore que la demande [...] est irrecevable car elle tend à l'indemnisation d'un préjudice qualifié de préjudice d'anxiété et, qu'en vertu d'une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, sont seuls recevables à obtenir l'indemnisation de ce préjudice, les salariés travaillant dans certains établissements, inscrits sur une liste dressée par arrêté ministériel, qui ont pour objet la fabrication de matériaux contenant de l'amiante, le flocage et le calorifugeage à l'amiante et la construction et la réparation navales - les salariés concernés bénéficiant d'un régime de retraite particulier (ACAATA) institué par la loi du 21 décembre 1998 ; que si la Cour de cassation a reconnu, il est vrai, en l'absence de toute disposition, un droit à indemnisation du préjudice d'anxiété en faveur des seuls salariés ayant travaillé dans un « établissement listé », force est de constater que [le demandeur] ne prétend pas relever des dispositions de cette loi, puisqu'aussi bien, la société EDF n'est pas inscrite sur la liste des établissements visés par ce texte, mais entend néanmoins obtenir la réparation de son préjudice moral ou d'anxiété, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle et, en particulier, de l'obligation de sécurité dont la société EDF en sa qualité d'employeur, est débitrice envers ses salariés ; que, contrairement à ce que fait plaider la société EDF, il importe peu que ce préjudice ait été qualifié d' « anxiété » par la Cour de cassation, dès lors que ce qualificatif n'emporte en lui-même aucun effet juridique, les termes de « préjudice d'anxiété » étant d'ailleurs retenus et employés dans des situations où la victime invoque l'inhalation de substances nocives autres que l'amiante ; qu'au-delà des mots, qui ne peuvent suffire à créer ou écarter un préjudice, c'est la description de ce préjudice, sa réalité et son imputabilité à la société EDF qui, selon le droit commun de la responsabilité, doivent déterminer l'appréciation par la cour de l'indemnisation requise par l'appelant ; que si, au nom d'un statut social dérogatoire, réservé par la loi à certains salariés, est admis pour ceux-ci un droit à voir indemniser « leur préjudice d'anxiété » dans des conditions également dérogatoires - au regard du caractère systématique de l'indemnisation de ce préjudice qui décharge les salariés concernés du fardeau de toute preuve - les dispositions et le régime général de la responsabilité demeurent, en effet, applicables aux salariés exposés à l'amiante, travaillant pour des entreprises « non listées » ; que, comme les salariés des entreprises « listées », les salariés qui ont travaillé pour la société EDF et ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont en mesure d'éprouver, eux aussi, l'inquiétude permanente de voir se déclarer à tout moment l'une des graves maladies liées à cette inhalation ; que [le demandeur] prétendant remplir les conditions exigées par le régime général de la responsabilité est en conséquence recevable à soumettre à la cour sa demande, quand bien même la société EDF ne figure pas sur la liste précitée ; que [le demandeur] sera dès lors déclaré recevable en cette demande ; que, sur le fond, l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; que, si l'appelant est actuellement indemne de toute maladie liée à l'inhalation de l'amiante, le préjudice d'anxiété qu'il impute à la société EDF réside dans l'inquiétude permanente qu'il déclare éprouver face au risque de déclaration à tout moment de l'une de ces maladies, très souvent mortelles, et ce, en raison de son exposition à l'amiante dans le passé, à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle au sein et pour le compte de la société EDF ; que la société EDF conteste que [le demandeur] ait été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante et prétend qu'il a tout au plus travaillé dans des locaux ou avec des matériaux ou des matériels dans lesquels l'amiante était présente, sans que pour autant les mesures d'empoussièrement effectuées ne traduisent de résultat supérieur à celui toléré par la réglementation en vigueur ; que, certes, pour être admis à rechercher la responsabilité de la société EDF, l'appelant doit établir qu'il a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante, de nature à justifier le préjudice d'inquiétude dont il sollicite réparation ; mais qu'il ressort des pièces et des conclusions que la société EDF délivre à certains de ses salariés en fin de carrière, spontanément ou sur leur demande, une attestation d'exposition ; que l'objet de cette attestation - défini à l'accord d'entreprise du 15 juillet 1998 sur « la prévention et la réparation de l'exposition au risque d'amiante » - est de voir indiquer sur ce document si le salarié « a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante avant le 1er février 2012 » ; qu'ainsi que le précise la note d'EDF à toutes ses unités, du 27 juin 2000, la détermination de cette exposition est effectuée par le chef d'unité « au cas par cas » et c'est la « réalité de l'exposition » qui conduit à la délivrance des attestations d'exposition ; qu'il résulte des énonciations qui précèdent, que les attestations ne sont donc pas seulement destinées à procurer au salarié un suivi médical, pris en charge par l'assurance maladie, comme le prétend la société EDF, mais qu'elles « attestent » du caractère effectif de l'exposition à l'amiante du salarié pendant son parcours professionnel au sein d'EDF ; qu'en dépit des conclusions de la société EDF, ces attestations, lorsqu'elles mentionnent l'exposition du salarié, ne témoignent donc pas de la fréquentation par l'intéressé de locaux où l'atmosphère présentait un taux d'amiante conforme aux exigences réglementaires que d'ailleurs, non sans contradiction, la société EDF admet simultanément et de façon bien imprécise, dans ses conclusions, que l'attestation est délivrée « aux travailleurs ayant exercé leurs fonctions dans une atmosphère potentiellement amiantée » ; qu'au demeurant, il n'est pas soutenu qu'une telle attestation soit délivrée à tous les salariés travaillant dans la même centrale que l'appelant, alors que le bénéfice du suivi médical, également octroyé aux seuls salariés exposés à l'inhalation des fibres d'amiante, souligne bien la particulière dangerosité de l'activité exercée par ceux-ci ; que la société EDF établit également des fiches d'exposition, qui mentionnent de manière plus détaillée, l'activité effectuée par le salarié et sont synthétisées dans l'attestation précitée ; qu'il existe encore des fiches de services insalubres qui contiennent les mêmes informations que les documents précédents et ont spécialement pour objet de permettre au salarié, à raison de son exposition, de bénéficier de bonifications en matière de retraite - avec cette précision que la fiche de services insalubres individualise les diverses nuisances subies par le salarié, dont l'amiante ; que l'exposition litigieuse ressort aussi des documents établis par la caisse de retraite du personnel des industries électriques et gazières (CNIEG), soit, des relevés de carrière ou de pension, lorsque ceux-ci mentionnent des bonifications pour travaux insalubres en raison d'une exposition à l'amiante ; qu'enfin, certains salariés justifient de fiches d'exposition au risque d'amiante, établies par EDF sur le fondement de l'article 31 du décret n° 96-98 du 7 février 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante ou de courriers de la CPAM considérant comme établie l'exposition au risque professionnel d'inhalation de fibres d'amiante, au vu de la réception d'une attestation d'exposition établie par EDF ; qu'en l'espèce [le demandeur] justifie par les pièces produites d'une telle exposition ; qu'il est dès lors recevable à invoquer la responsabilité de son ancien employeur, du fait de l'inexécution par celui-ci de son obligation de sécurité puisque la société EDF l'a fait travailler dans des conditions qui ont provoqué chez lui, l'inhalation de poussières d'amiante ; que l'exposition à l'amiante du salarié étant dès lors acquise, le manquement de la société EDF à son obligation de sécurité de résultat se trouve, par là même, établi - étant observé qu'à la période où [le demandeur] a travaillé en son sein, EDF n'ignorait pas, et ne prétend d'ailleurs pas avoir ignoré, la gravité des conséquences liées à l'inhalation de poussières d'amiante, pour la santé du salarié ; que la responsabilité de la société EDF se trouve en conséquence engagée envers [le demandeur] au titre des conséquences dommageables que l'appelant invoque du fait de cette inhalation, sans que la société EDF puisse être admise à s'exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu'elle prétend avoir mises en oeuvre et que la cour n'examinera donc pas ; qu'en vain, la société EDF soutient que le préjudice d'anxiété invoqué par l'appelant ne serait pas démontré ; qu'en effet, ce préjudice, résultant, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, de l'inquiétude permanente, éprouvée face au risque de déclaration à tout moment de l'une des maladies mortelles liées à l'inhalation de fibres d'amiante, revêt comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif, qu'il appartient au juge d'apprécier en fonction des éléments objectifs et non contestables à sa disposition ; qu'en l'espèce, le risque et l'anxiété [du demandeur] se rapportant au processus vital, lui-même, la cour est en mesure d'évaluer à la somme de 10 000 euros le montant de l'indemnité réparatrice de ce préjudice ;

Alors, de première part, que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel ; qu'ils ne peuvent demander cette réparation qu'à l'encontre de leur employeur, et dans la mesure où celui-ci entre lui-même dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'il résulte des constatations des arrêts attaqués que la société EDF ne figure pas dans la liste des établissements visés par ce texte et que les salariés n'avaient pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, en sorte qu'ils ne pouvaient prétendre à l'indemnisation par la société EDF d'un préjudice moral au titre de leur exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

Subsidiairement,

Alors, de deuxième part, que l'employeur, qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale ; qu'en refusant que la société EDF puisse s'exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu'elle prétend avoir mises en oeuvre et en refusant de les examiner, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;

Alors, de troisième part, qu'en se bornant à relever que les salariés, ayant justifié de leur exposition à l'amiante, sont « en mesure » d'éprouver l'inquiétude permanente de voir se déclarer à tout moment l'une des graves maladies liées à cette inhalation, sans relever que, compte tenu de l'intensité et de la durée de cette exposition, ils étaient exposés à un risque suffisamment élevé de développer une telle affection pour justifier de façon réelle et légitime de l'anxiété spécifique, dans laquelle ils se trouveraient, de développer une telle affection, la cour d'appel a privé ses décisions de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble de l'article 1147 ancien du code civil, désormais article 1231-1 du même code ;

Et alors de quatrième part, qu'en accordant à chacun des 109 défendeurs la même somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice considéré par principe comme « intangible », sans examiner la situation particulière de chacun d'eux face à ce risque, la cour d'appel a de plus fort privé ses décisions de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble de l'article 1147 ancien du code civil, désormais article 1231-1 du même code.

- Président : M. Louvel (premier président) - Rapporteur : Mme Vieillard, assistée de Mme Noël, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : Mme Courcol-Bouchard (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée ; articles L. 4121-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et L. 4121-2 du code du travail ; articles L. 4121-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et L. 4121-2 du code du travail ; articles L. 4121-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et L. 4121-2 du code du travail ; article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité d'agir en réparation du préjudice d'anxiété à l'encontre d'une entreprise n'entrant pas dans les prévisions légales, en sens contraire : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-15.130, Bull. 2017, V, n° 161 (cassation partielle) et les arrêts cités ; Soc., 26 avril 2017, pourvoi n° 15-19.037, Bull. 2017, V, n° 71 (cassation partielle sans renvoi) ; Soc., 3 mars 2015, pourvoi n° 13-26.175, Bull. 2015, V, n° 41 (cassation partielle). Sur l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, à rapprocher de : Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.444, Bull. 2015, V, n° 234 (cassation partielle).

Soc., 17 avril 2019, n° 17-27.096, (P)

Rejet

Employeur – Responsabilité – Faute – Régime de prévoyance – Adhésion à un régime moins favorable que celui prévu par la convention collective – Portée

Employeur – Obligations – Obligations conventionnelles – Affiliation à un régime conventionnel de retraite complémentaire et de prévoyance – Adhésion à un régime moins favorable que celui prévu par la convention collective – Portée

Sur le deuxième moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 septembre 2017), que N... W..., engagé par la société Marée du Cotentin le 1er août 1986, est devenu, par l'effet de la prise de contrôle du groupe Pomona sur cette société, salarié de la société Pomona à compter de septembre 2003 en qualité de directeur de la succursale de Tourlaville ; qu'il est décédé le [...] ; que Mme W..., veuve de N... W..., en désaccord avec le montant du capital décès, a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que les sociétés Pomona et Marée du Cotentin font grief à l'arrêt de condamner la société Pomona à payer à Mme W... la somme de 264 025 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du non versement du capital décès prévu par la convention collective des mareyeurs-expéditeurs alors, selon le moyen, que lorsqu'une convention collective de branche étendue octroie la gestion exclusive de son régime de prévoyance à un opérateur d'assurance, la seule obligation de l'employeur est d'assurer ses salariés auprès de l'organisme assureur désigné par l'accord collectif ; que dans l'hypothèse où l'organisme d'assureur couvre insuffisamment les risques garantis par la convention collective, il appartient au salarié d'agir à son encontre pour obtenir le versement d'une prestation complémentaire ; qu'au cas présent, les sociétés Pomoma et Marée du Cotentin faisaient valoir que si une éventuelle discordance apparaissait entre le capital décès défini par la convention collective, et le capital versé par le Groupement National de Prévoyance, il ne pouvait leur être reproché aucun manquement de ce chef et qu'elles avaient satisfait à l'ensemble de leurs obligations en souscrivant un contrat d'assurance auprès du Groupement national de prévoyance, opérateur désigné par la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs, de sorte qu'il incombait à Mme W... d'engager une action en responsabilité contre le Groupement National de Prévoyance ; qu'en jugeant néanmoins que l'employeur avait commis « une faute en ne souscrivant par un contrat d'assurance ne garantissant pas à Mme W... le paiement d'un capital décès correspondant aux stipulations de la convention collective », la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause et les articles 7.3, 7.7 et 7.8 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat de garanties collectives prévoyait un capital égal à 100 % des salaires bruts des douze derniers mois précédant l'événement, limité aux tranches A et B, de sorte que la garantie n'était pas conforme à l'avenant n° 31 du 18 décembre 2009 relatif à l'aménagement des garanties du régime de prévoyance ayant modifié l'article 7.3 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs aux termes duquel les entreprises assujetties sont tenues d'assurer à tous leurs salariés un régime de prévoyance comportant les prestations minima prévues, soit un capital égal à 100 % des salaires bruts des douze derniers mois d'activité, la cour d'appel en a déduit exactement qu'une faute avait été commise dans la souscription d'une assurance ne garantissant pas le paiement d'un capital décès correspondant aux stipulations de la convention collective et que l'employeur devait indemniser le préjudice en résultant ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et troisième moyens, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Avenant n° 31 du 18 décembre 2009 relatif à l'aménagement des garanties du régime de prévoyance ayant modifié l'article 7.3 de la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs du 15 mai 1990.

Rapprochement(s) :

Sur les effets d'une adhésion par l'employeur à un régime de prévoyance moins favorable que celui prévu par la convention collective, à rapprocher : Soc., 19 juin 1990, pourvoi n° 87-43.560, Bull. 1990, V, n° 294 (rejet).

Soc., 3 avril 2019, n° 17-15.568, (P)

Cassation

Employeur – Responsabilité – Préjudice – Préjudice résultant du non-paiement par l'employeur de cotisations retraite – Action en réparation – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

En application des dispositions de l'article 2232 du code civil interprétées à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 2224 du même code, le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite complémentaire et de régler les cotisations qui en découlent, court à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action.

Attendu selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 16 mars 1976 par la société Dumez Bâtiment aux droits de laquelle vient la société Vinci constructions grands projets, (la société Vinci), M. Y... a occupé à compter de 1979 un poste de géomètre-topographe avec des missions à l'étranger et a été affilié en ce qui concerne le régime de retraite, au régime de base de la Caisse de retraite des expatriés ; que lors de la liquidation de ses droits à la retraite le 1er juillet 2012, considérant qu'à l'occasion de ses missions d'expatrié certains trimestres n'avaient pas été validés et que l'employeur aurait dû l'affilier à l'AGIRC, il a sollicité le 5 décembre 2013 devant la juridiction prud'homale la condamnation de la société Vinci à lui payer diverses sommes en réparation du préjudice résultant de l'absence d'affiliation au régime général et au régime AGIRC durant son expatriation ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 2232 du même code interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu qu'en application du premier de ces textes, le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite complémentaire et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil ;

Attendu que pour dire l'action du salarié irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient que le délai d'action de cinq ans, dont le point de départ est variable puisqu'il ne commence à courir que du jour de la connaissance de son droit par celui qui en est titulaire, et qui est quant à lui susceptible de report, de suspension ou d'interruption dans les conditions prévues aux articles 2233 et suivants et 2240 et suivants du code civil, est lui-même enserré dans le délai butoir de vingt ans, qui commence à courir du jour de la naissance du droit, que le titulaire de ce droit l'ait ou non connu, et qui est quant à lui non susceptible de report, de suspension ou d'interruption, sauf les cas limitativement énumérés au deuxième alinéa de l'article 2232 du code civil, qu'il convient de constater que le salarié a engagé son action le 5 décembre 2013 pour faire reconnaître des droits nés sur la période de janvier 1977 à juillet 1986, qui ont été couverts par la prescription extinctive au plus tard le 1er août 2006 ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Richard - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article 2232 du code civil interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de prescription d'une action pour insuffisance de déclaration d'un employeur à un organisme de retraite, à rapprocher : Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n° 16-20.029, Bull. 2018, V, (cassation) ; Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-12.605, Bull. 2018, V, (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 17 avril 2019, n° 17-31.339, (P)

Cassation partielle

Suspension – Accident du travail ou maladie professionnelle – Terme de la suspension – Détermination

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme T..., engagée le 1er janvier 2012 par la société Onet en qualité d'agent de service et affectée le 28 août 2013 sur le chantier Adoma à Bourg en Bresse, puis placée en arrêt de travail pour maladie professionnelle du 27 septembre 2013 au 12 mai 2014 inclus et déclarée apte avec réserves lors de la visite de reprise du 13 mai 2014, s'est vu refuser la reprise de son contrat de travail par la société TFN propreté Sud-Est, devenue TFN propreté Rhône-Alpes, nouvelle attributaire à compter du 1er juin 2014, du marché sur lequel elle était affectée, après que son employeur l'ait informée le 26 mai 2014, que son contrat de travail était transféré à cette nouvelle entreprise ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Onet service, pris en sa première branche :

Vu l'article 7-2-I de la convention collective des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi de l'intégralité du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise qui, étant titulaire d'un contrat à durée indéterminée, justifie notamment d'une affectation sur le marché d'au moins six mois à la date d'expiration du contrat commercial ou du marché public ;

Attendu que pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Onet et la condamner à payer à Mme T... ses salaires, jusqu'à la date du jugement, les indemnités au titre du préavis et congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la salariée, en arrêt de travail pour maladie du 27 septembre 2013 au 12 mai 2014, n'a pas été présente sur le marché pendant une période d'au moins six mois avant le 1er juin 2014, date à laquelle le marché a été attribué à la nouvelle société, en sorte que la condition prévue pour le transfert du contrat de travail n'était pas remplie ;

Qu'en statuant ainsi, en subordonnant la condition d'affectation depuis plus de six mois sur le marché faisant l'objet de la reprise à une présence effective de la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Onet service, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 7-2-I de la convention collective des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi de l'intégralité du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise qui, étant titulaire d'un contrat à durée indéterminée, justifie notamment ne pas être absent depuis 4 mois ou plus à la date d'expiration du contrat commercial ou du marché public ;

Attendu que pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Onet et la condamner à payer à Mme T... ses salaires, jusqu'à la date du jugement, les indemnités au titre du préavis et congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la salariée, en arrêt de travail pour maladie du 27 septembre 2013 au 12 mai 2014, a été absente sur le site pour une durée supérieure à quatre mois, en sorte que la condition prévue pour le transfert du contrat de travail n'était pas remplie ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'au jour de la reprise du marché par la société TFN Sud-est, la salariée, qui avait été déclarée apte avec réserves à la reprise du travail le 13 mai 2014, n'était plus en arrêt de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Onet services entraîne, par voie de conséquence, par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif qui rejette les demandes de la salariée à l'encontre de la société TFN propreté Rhône Alpes ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement ayant condamné la société Onet services à payer à Mme T... la somme de 866,47 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement et rejette la demande de Mme T... présentée à ce titre, l'arrêt rendu le 27 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Barbé - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; Me Balat ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article 7.2.I de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

Rapprochement(s) :

Sur la condition relative à la durée d'affectation du salarié sur le marché, à rapprocher : Soc., 10 décembre 2015, pourvoi n° 14-21.485, Bull. 2015, V, n° 256 (cassation partielle), et l'arrêt cité. Sur la condition relative à la durée de l'absence du salarié, à rapprocher : Soc., 28 novembre 2000, pourvoi n° 98-42.813, Bull. 2000, V, n° 397 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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