Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 15 mars 2023, n° 22-18.147, (B), FS

Rejet

Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 – Article 31, § 1 – Bénéficiaire d'une protection internationale – Représentation légale – Mesures nécessaires – Condition – Mineur non accompagné

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 7 février 2022), le 17 avril 2020, M. [N], se disant né en 2004 en Afghanistan, s'est présenté au dispositif d'évaluation des mineurs étrangers isolés de [Localité 4] où il a été accueilli en urgence.

2. Par ordonnance du 22 avril 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris a confié provisoirement M. [N] à la direction de l'enfance et de la famille du Maine-et-Loire.

3. Le 23 octobre 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Angers a saisi un juge des tutelles d'une demande d'ouverture d'une mesure de tutelle déférée à l'Etat au profit de M. [N].

4. Par décision du 25 juin 2021, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a accordé à M. [N] le bénéfice de la protection subsidiaire.

5. Le 11 octobre 2021, cet organisme lui a délivré un certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil et mentionnant le [Date naissance 2] 2005 comme date de naissance.

Recevabilité des observations du Défenseur des droits, contestée par la défense

6. Le conseil départemental de Maine-et-Loire conteste la recevabilité des observations du Défenseur des droits, au motif que celles-ci ont été communiquées tardivement.

7. Cependant, si, certes, le pourvoi ayant été formé le 23 juin 2022, le Défenseur des droits, qui n'a pas la qualité de partie intervenante, a communiqué ses observations seulement le 24 février 2023 en vue d'une audience devant se tenir le 28 février 2023, alors qu'il était informé de l'instance en cassation puisqu'étant intervenu devant la cour d'appel, il n'y a pas lieu de déclarer irrecevables ses observations, dès lors que les parties à l'instance ont été en mesure d'y répliquer en temps utile jusqu'au jour de l'audience.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième, sixième, septième, huitième et neuvième branches

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

9. M. [N] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu d'ordonner une mesure de tutelle à son égard, alors « que sont dispensés de toute légalisation ou de toute formalité équivalente les documents concernant l'identité et l'état civil des personnes bénéficiant d'une protection internationale ; que la cour d'appel relève que M. [N] a obtenu la protection subsidiaire en 2021 ; qu'en écartant l'acte de naissance délivré le 17 juin 2020, au motif qu'il aurait dû être surlégalisé soit par les autorités afghanes elles mêmes en France soit par les autorités françaises en Afghanistan, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention de Bâle du 3 septembre 1985 ensemble les articles L. 512-1 et L. 561-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'article 16, II, alinéa 1, de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, alors applicable, sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet.

11. Selon l'article 8 de la Convention de Bâle du 3 septembre 1985 relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative accordée aux réfugiés, sont dispensés de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des États liés par la Convention les documents concernant l'identité et l'état civil produits par les réfugiés et émanant de leurs autorités d'origine.

12. La cour d'appel a exactement retenu que la protection subsidiaire ne pouvait être accordée qu'à une personne ne remplissant pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié.

13. Ayant constaté que M. [N] avait été placé sous la protection de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au titre de la protection subsidiaire, c'est sans encourir le grief du moyen, la Convention précitée ne s'appliquant pas aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, que la cour d'appel a écarté, faute de légalisation, la force probante reconnue par l'article 47 du code civil à l'acte de naissance afghan produit par l'intéressé.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

15. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que dès que possible après l'octroi d'une protection internationale, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour assurer la représentation des mineurs non accompagnés par un tuteur légal ; qu'il en résulte que si l'Etat membre s'est prononcé sur la minorité de la personne, suite à l'octroi d'une protection internationale, notamment par une reconstitution de son acte d'état civil, l'Etat doit assurer sa représentation en sa qualité de mineur non accompagné sans pouvoir remettre en cause sa minorité ; qu'il résulte de la décision attaquée que M. [N] a bénéficié de la protection subsidiaire et que l'OFPRA lui a délivré un certificat de naissance indiquant qu'il est né le [Date naissance 2] 2005 ; qu'en remettant toutefois en cause sa minorité pour refuser d'ordonner une mesure de tutelle à son égard, la cour d'appel a violé l'article 31 de la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

2°/ que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont valeur d'actes authentiques, qui, de manière dérogatoire, font foi jusqu'à inscription de faux, sans distinguer suivant que ces actes ont été ou non établis sur déclarations ; qu'en jugeant le contraire et en retenant, pour écarter la minorité de M. [N], que dès lors que l'office n'avait fait que reporter les déclarations qui lui avaient été faites, la cour d'appel a violé l'article L. 721-3 ancien, devenu L. 121-9 du CESEDA. »

Réponse de la Cour

16. D'une part, aux termes de l'article 31, § 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, transposé à l'article L. 561-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dès que possible, après l'octroi d'une protection internationale, les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer la représentation des mineurs non accompagnés par un tuteur légal ou, si nécessaire, par un organisme chargé de prendre soin des mineurs et d'assurer leur bien-être, ou par toute autre forme appropriée de représentation, notamment celle qui résulte de la législation ou d'une décision judiciaire.

17. Les dispositions de ce texte n'imposent aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer la représentation légale d'une personne bénéficiaire d'une protection internationale que si celle-ci est un mineur non accompagné.

18. Conformément à l'article L. 213-3-1, 2°, du code de l'organisation judiciaire, l'ouverture d'une mesure de tutelle au profit d'un mineur non accompagné relève de la compétence du juge des tutelles des mineurs dont les fonctions sont exercées par le juge aux affaires familiales.

19. Il appartient à ce juge d'apprécier si les conditions d'ouverture d'une mesure de tutelle sont réunies et, notamment, si l'intéressé est mineur.

20. D'autre part, selon l'article L. 721-3, alinéas 1 et 2, devenu L. 121-9, alinéas 1 et 2, du CESEDA, l'OFPRA est habilité à délivrer aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire, après enquête s'il y a lieu, les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil.

Le directeur général de l'Office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis.

Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques.

21. Aux termes de l'article 1371, alinéa 1, du code civil, l'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté.

22. Il résulte de ce texte, applicable, sauf disposition légale spécifique y dérogeant, aux pièces tenant lieu d'actes d'état civil établis par l'OFPRA, que les énonciations ne portant pas sur des faits personnellement constatés par l'officier public font foi jusqu'à la preuve contraire et non jusqu'à inscription de faux.

23. Saisie d'une demande d'ouverture d'une mesure de tutelle déférée à l'Etat au profit de M. [N], la cour d'appel, devant qui la minorité de l'intéressé était contestée, a justement retenu que la preuve de la minorité constituait un préalable à l'examen de la vacance de la tutelle.

24. Elle a relevé que le bénéfice de la protection subsidiaire avait été accordé à M. [N] parce qu'il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en sa qualité de civil, celui-ci courrait dans son pays un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article L. 512-1, 3°, du CESEDA, indépendamment de la minorité par lui revendiquée.

25. Elle a retenu que la mention de la date de naissance portée sur le certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil délivré par l'OFPRA, en l'absence d'acte probant établi dans le pays d'origine, résultait des déclarations de l'intéressé, ce dont elle a exactement déduit que cette mention ne faisait foi que jusqu'à la preuve contraire.

26. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE recevables les observations du Défenseur des droits ;

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Duval - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de Bâle du 3 septembre 1985 ; article 31, § 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ; articles L. 561-6 et L. 712-3, alinéas 1 et 2, devenu L. 121-9, alinéas 1 et 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ; article L. 213-3-1, 2°, du code de l'organisation judiciaire ; article 1371, alinéa 1, du code civil.

1re Civ., 1 mars 2023, n° 21-23.510, (B), FRH

Rejet

Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 – Article 38 – Demande d'exequatur – Recevabilité – Conditions – Partie intéressée à l'exequatur – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 mars 2021), le 9 novembre 2018, la société Bogdalex Import Export (la société Bogdalex) a signifié à Mme [M], prise en sa qualité d'administratrice de la société SC Biamos com, trois décisions rendues par le tribunal commercial de Cluj (Roumanie) les 22 janvier 2008, 11 février 2010 et 15 avril 2010 et le certificat (sic), délivré le 20 décembre 2016 par le greffier en chef d'un tribunal de grande instance, constatant le caractère exécutoire de ces décisions.

2. Mme [M] a formé un recours contre de ce certificat.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [M] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité de l'acte de signification du certificat délivré par le greffier en chef du tribunal de grande instance et des décisions juridictionnelles roumaines qui y étaient annexées, alors :

« 1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que cette détermination porte, premièrement, sur l'ordre même des demandes présentées par les parties, en sorte que la cour d'appel, tenue d'examiner ces demandes dans l'ordre fixé par les parties, ne peut pas examiner une demande subsidiaire avant la demande principale ; qu'en l'espèce, Mme [M] avait clairement ordonné sa demande, dans le dispositif de ses conclusions, pour faire juger, « à titre principal », que l'action en recouvrement forcé dirigée contre elle par la société Bogdalex Import Export était prescrite et, « à titre subsidiaire », que l'acte de signification du 9 novembre 2018 était entaché de nullité ; qu'en inversant de son propre chef l'ordre ainsi fixé, pour examiner et juger en premier lieu la demande subsidiaire, la cour a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que le juge ne peut dès lors attribuer à une partie une demande qu'elle ne lui a présentée, ni la débouter sur le fondement du rejet d'un moyen qu'elle n'a pas soutenu ; qu'en l'espèce, si, dans le dispositif de ses écritures, Mme [M] a bien visé « les dispositions du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale » et demandé l'annulation de l'acte de signification du 9 novembre 2018, ce n'est nullement en raison de l'application erronée des dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 aux lieu et place du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, puisqu'elle a fait application du premier de ces deux règlements pour saisir la cour d'appel de sa contestation du certificat du 20 décembre 2016 ; qu'en attribuant dès lors à Mme [M], pour justifier le débouté de sa demande de nullité de l'acte de signification, d'avoir soutenu, à l'appui de cette demande, l'inapplicabilité du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, la cour a derechef violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. C'est sans modifier l'objet du litige que la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche du moyen, a examiné successivement la demande subsidiaire d'annulation de l'acte de signification puis la demande principale tirée de la prescription de l'action en recouvrement, dès lors que ces demandes, indépendantes l'une de l'autre, ont été rejetées.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Mme [M] fait grief à l'arrêt de rejeter son recours à l'encontre du certificat délivré le 20 décembre 2016 par le greffier en chef du tribunal de grande instance de Versailles, alors « que les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ; que l'accueil d'un jugement étranger dans l'ordre juridique français est soumis à trois conditions essentielles, hors le cas d'une convention internationale particulière : le contrôle de la compétence internationale indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité de ce jugement à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; qu'ainsi, seule une partie « intéressée » peut faire constater que la décision doit être reconnue, dans des conditions qui ne soient pas contraires à l'ordre public français ; qu'en l'espèce, Mme [M] avait notamment contesté tout droit de la société Bogdalex Import Export à agir pour demander et obtenir l'exequatur des trois jugements roumains litigieux, dès lors que si une qualité de créancier inscrit avait pu lui être reconnue à l'occasion de la procédure collective roumaine, les jugements en question avaient été rendus en faveur du mandataire liquidateur de la société SC Biamos Com SRL, seul ou avec le représentant des créanciers, dans les droits desquels elle ne pouvait nullement prétendre se substituer ; qu'en se bornant dès lors, pour rejeter le recours de Mme [M] à l'encontre du certificat d'exequatur délivré le 20 décembre 2016, à retenir que l'intérêt de la société Bogdalex Import-Export résultait de sa seule admission à la procédure collective de la société SC Biamos Com SRL, quand cette circonstance ne lui conférait aucun droit de faire exécuter les jugements litigieux, la cour a violé l'article 509 du code de procédure civile, ensemble les articles 33.2 et 34.1 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 38 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I », les décisions rendues dans un Etat membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre Etat membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

8. L'exequatur d'un jugement étranger n'étant pas, en lui-même, un acte d'exécution, c'est à bon droit que la cour d'appel a jugé que la société Bogdalex, qui avait été admise en qualité de créancière à la procédure collective de la société SC Biamos com ouverte en Roumanie, était une partie intéressée à l'exequatur des jugements lui conférant cette qualité et condamnant Mme [M], ancienne administratrice de la société liquidée, à en supporter le passif.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Ancel - Avocat(s) : SCP Le Griel ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Article 38 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

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