Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

3e Civ., 30 mars 2023, n° 22-21.763, (B), FS

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 – Article 15, III – Droit de propriété – Article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Propriétaires d'un logement donné à bail en 2012 à M. [M] [N] [K] et Mme [H] (les locataires), M. et Mme [T] [R] [W] (les bailleurs) leur ont délivré, le 20 décembre 2017, un congé aux fins de reprise pour habiter, sans leur proposer un logement correspondant à leurs besoins et à leurs possibilités, dans les limites géographiques déterminées à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948.

2. Les bailleurs ont assigné les locataires en validation de ce congé et en expulsion.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 21 juin 2022 par la cour d'appel de Paris, les bailleurs ont, par mémoire distinct et motivé, demandé le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L'article 15, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, en ce qu'il impose au bailleur personne physique qui justifie d'un motif légitime de reprendre son bien pour l'habiter, de proposer à son locataire âgé de plus de 65 ans et ne disposant que de faibles revenus, un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités dans des limites géographiques déterminées, porte-t-il au droit de propriété consacré à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, compte tenu de l'impossibilité pour le bailleur, lorsque le bail est ancien et que le logement se situe dans une zone où les loyers sont excessivement élevés, de proposer un tel logement, faute qu'il s'en trouve sur le marché locatif privé ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. La disposition contestée est applicable au litige qui porte sur la validité d'un congé.

5. En ce qu'elle détermine les limites géographiques de l'offre de relogement, elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. La question présente un caractère sérieux.

7. En premier lieu, la disposition contestée en ce qu'elle impose au bailleur, qui entend s'opposer au renouvellement du bail, en délivrant congé à un locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond, de lui proposer un relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans un périmètre géographique strictement défini, porte atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété du bailleur.

8. En second lieu, cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que l'état du marché locatif dans le secteur concerné est susceptible de rendre impossible la soumission par le bailleur, personne privée, d'une offre de relogement correspondant aux possibilités de locataires dont les ressources sont inférieures au plafond pour l'attribution de logements locatifs conventionnés.

9. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Grall - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 15, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ; article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

2e Civ., 2 mars 2023, n° 21-11.499, (B), FRH

Cassation

Office du juge – Cour d'appel – Excès de pouvoir – Refus de statuer sur la transmission à la Cour de cassation

Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité, une cour d'appel excède ses pouvoirs en ne statuant pas sur la transmission de celle-ci à la Cour de cassation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 septembre 2020), Mme [S] [W], Mme [A] [W], M. [U] [I], M. [M] [W], M. [O] [C], Mme [H] [C] et M. [P] [W] (les consorts [W] [C]) ont assigné en référé M. [Z] et Mme [N] aux fins notamment de fixer une indemnité d'occupation et d'ordonner une expertise des biens immobiliers occupés par M. [Z] et Mme [N].

2. Ayant été déboutés de leurs demandes par ordonnance de référé du 18 juillet 2019, les consorts [W] [C] en ont relevé appel.

3. La cour d'appel a statué sans audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche et les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. Mme [W] fait grief à l'arrêt de ne pas avoir transmis la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a posée, alors « que le juge qui refuse de statuer est coupable de déni de justice ; qu'en l'espèce, saisi par un mémoire distinct d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, la cour d'appel n'a pas statué par une décision motivée sur la transmission de cette question à la Cour de cassation ; qu'elle a ainsi commis un déni de justice, en violation de l'article 4 du code civil. »

Réponse au moyen

Vu l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 :

6. Selon ce texte, la juridiction, saisie par mémoire distinct d'une question prioritaire de constitutionnalité, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de celle-ci au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours.

Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

7. Saisie par mémoire distinct, déposé le 23 juin 2020, d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, la cour d'appel n'a pas statué sur la transmission de celle-ci à la Cour de cassation.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 17 septembre 2020 ;

Remet l'affaire et les parties en l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

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