Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

Soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802, (B), FS

Rejet

Respect de la vie privée – Atteinte – Contrat de travail – Production en justice d'éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié – Recevabilité – Conditions – Production indispensable à l'exercice du droit à la preuve et atteinte proportionnée au but poursuivi – Office du juge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 avril 2021), Mme [N] a été engagée, le 22 octobre 2007, en qualité de prothésiste ongulaire par la société 3A Grenelle (la société).

2. Contestant son licenciement, prononcé pour faute grave par lettre du 12 août 2013, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que ses pièces n° 10, 13, et 72 sont inopposables à la salariée, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner, en conséquence, à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, d'indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaires pour la mise à pied conservatoire, de l'indemnité conventionnelle de licenciement et en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que d'ordonner la remise de bulletins de salaire, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; qu'il appartient aux juges du fond de rechercher si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ; qu'en décidant qu'il y avait lieu de constater que l'utilisation de la vidéosurveillance avait porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, et de dire que les pièces n° 10 (procès-verbal de constat de la vidéosurveillance), n° 13 (CD des vidéosurveillances), et n° 72, accessoire de la précédente (détail des extraits de la vidéosurveillance), étaient inopposables à la salariée dans le cadre de la procédure prud'homale au prétexte qu'il résultait des déclarations de l'employeur que la production de la vidéosurveillance n'était pas indispensable à l'exercice de son droit, puisque qu'il existait d'autres éléments susceptibles de révéler les irrégularités reprochées à la salariée quand elle avait pourtant écarté ces autres éléments de preuve rapportés par l'employeur en soulignant leur insuffisance à démontrer la prétention de l'employeur, ce dont il résultait que seuls l'exploitation des images de la vidéosurveillance et le constat d'huissier qu'elle avait déclarés inopposables à la salariée étaient de nature à démontrer la matérialité et la réalité des détournements de fonds et des soustractions frauduleuses commis par la salariée, et partant le bien fondé des prétentions de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché l'atteinte portée à la vie privée d'un salarié par le placement sous vidéosurveillance du magasin où il travaille dans un but de sécurité des personnes et des biens ; qu'en énonçant, pour dire inopposable à la salariée le mode de preuve constitué par les enregistrements provenant du dispositif de vidéosurveillance, que l'installation d'une caméra dans le magasin portait atteinte au droit au respect de sa vie privée, ce qui était disproportionné au but poursuivi sans rechercher, comme elle y était invitée si l'installation de ce dispositif n'avait pas pour but d'assurer la sécurité des personnes et la prévention des atteintes aux biens compte tenu des fréquents faits de vols qui avaient lieu dans les « nail bar », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

6. En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

7. La cour d'appel a d'abord constaté que l'employeur, d'une part, n'avait informé la salariée ni des finalités du dispositif de vidéosurveillance ni de la base juridique qui le justifiait, contrairement aux dispositions de l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 et, d'autre part, n'avait pas sollicité, pour la période considérée, l'autorisation préfectorale préalable exigée par les dispositions, alors applicables, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et des articles L. 223-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, ce dont elle a exactement déduit que les enregistrements litigieux extraits de la vidéosurveillance constituaient un moyen de preuve illicite.

8. Elle a ensuite relevé que, pour justifier du caractère indispensable de la production de la vidéosurveillance, la société faisait valoir que les enregistrements avaient permis de confirmer les soupçons de vol et d'abus de confiance à l'encontre de la salariée, révélés par un audit qu'elle avait mis en place au cours des mois de juin et juillet 2013 et qui avait mis en évidence de nombreuses irrégularités concernant l'enregistrement et l'encaissement en espèces des prestations effectuées par la salariée, tout en constatant que la société ne produisait pas cet audit dont elle faisait également état dans la lettre de licenciement.

9. De ces seules constatations et énonciations, dont il résulte que la production des enregistrements litigieux n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur, dès lors que celui-ci disposait d'un autre moyen de preuve qu'il n'avait pas versé aux débats, peu important qu'elle ait ensuite estimé que la réalité de la faute reprochée à la salariée n'était pas établie par les autres pièces produites, la cour d'appel a pu déduire que les pièces litigieuses étaient irrecevables.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; articles L. 223-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge en matière de recevabilité d'une preuve illicite, à rapprocher : Soc., 30 septembre 2020, pouvoi n° 19-12.058, Bull., (rejet) ; Soc., 25 novembre 2020, pouvoi n° 17-19.523, Bull., (cassation partielle) ; Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.263, Bull., (cassation) ; Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-20.798 (cassation). Sur les conditions de validité d'un procédé de vidéosurveillance, cf. : CEDH, arrêt du 17 octobre 2019, López Ribalda et autres c. Espagne, n° 1874/13 et n° 8567/13.

Soc., 8 mars 2023, n° 20-21.848, (B), FS

Rejet

Respect de la vie privée – Atteinte – Contrat de travail – Production en justice d'éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié – Recevabilité – Conditions – Production indispensable à l'exercice du droit à la preuve et atteinte proportionnée au but poursuivi – Office du juge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 22 septembre 2020), M. [T] a été engagé, le 4 janvier 1999, par la société Compagnie des transports strasbourgeois (la société) en qualité de conducteur.

2. A la suite d'une plainte déposée par le salarié, qui avait constaté la disparition d'un bloc de tickets dans un des bus qu'il conduisait, l'employeur a remis aux services de police les bandes du système de vidéoprotection équipant les véhicules.

3. Le 19 septembre 2016, les services de police ont remis à l'employeur un procès-verbal, établi en exploitant ces enregistrements, établissant que le salarié avait téléphoné au volant et fumé dans le bus.

4. Le même jour, à la suite de cette révélation, l'employeur a notifié au salarié une mise à pied conservatoire, l'a convoqué à un entretien préalable et l'a invité à se présenter devant le conseil de discipline en vue d'un éventuel licenciement.

Le salarié a été licencié pour faute grave le 4 octobre 2016.

5. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, à rembourser à l'organisme intéressé, dans la limite de six mois, les indemnités chômage versées au salarié du jour de son licenciement à celui de la décision, alors :

« 1°/ que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse du seul fait de l'utilisation, en tant que moyen de preuve, d'un procès-verbal de police illicite car communiqué à un tiers à la procédure pénale sans autorisation et rédigé à partir d'enregistrements transmis aux services de police en violation de la charte de la vidéoprotection applicable dans l'entreprise, sans constater que la production du procès-verbal de police constatant les infractions commises par le salarié sur son lieu et pendant son temps de travail portait une atteinte disproportionnée aux droits du salarié et n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la société CTS, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ si, en vertu du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour obtenir une preuve, l'utilisation d'un procès-verbal qui lui a été spontanément communiqué par les services de police constitue un procédé loyal d'obtention de la preuve ; qu'en jugeant que la société CTS ne pouvait loyalement utiliser les constats tirés par la police dans le procès-verbal car communiqué à un tiers à la procédure pénale sans autorisation et rédigé à partir d'enregistrements transmis aux services de police en violation de la charte de la vidéoprotection de l'entreprise, quand elle constatait expressément que la CTS n'avait pas elle-même sollicité le procès-verbal litigieux aux services de police ni été à l'initiative de sa transmission, ce dont elle déduisait qu'elle n'avait eu recours à aucun stratagème pour l'obtenir et avait agi sans déloyauté, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 9 et 1353 du code civil, ensemble l'article 9 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que la société, qui s'était bornée à faire valoir qu'elle avait respecté le principe de loyauté de la preuve et ne s'était pas procuré irrégulièrement le procès-verbal de police, avait soutenu en substance devant la cour d'appel que le rejet de la preuve illicite pouvait porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

8. D'autre part, aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

9. La cour d'appel a d'abord constaté que la preuve de la faute grave énoncée dans la lettre de licenciement n'était administrée par l'employeur qu'au moyen d'un procès-verbal de police, dressé après que le salarié avait lui-même déposé plainte pour vol de tickets de bus, et que les enquêteurs, en visionnant les enregistrements vidéo du bus conduit par celui-ci, avaient relevé des infractions au code de la route contre ce dernier.

10. Elle a ensuite relevé que, de l'aveu même de l'employeur, la communication du procès-verbal était intervenue dans le cadre informel des relations qu'il entretenait pour les besoins de son activité avec les autorités de police, en sorte qu'au sens de l'article R. 156, alinéa 1, du code de procédure pénale, cette délivrance de pièce issue d'une procédure pénale à laquelle l'employeur était tiers, intervenue sans justification d'une autorisation du procureur de la République, était illicite.

11. Elle a enfin retenu que l'employeur, de manière déloyale et en méconnaissance de ses propres engagements résultant de la charte de la vidéo protection en vigueur dans l'entreprise, d'une part, avait accepté de remettre l'enregistrement à la police au mépris de l'article 4 de cette même charte, alors qu'aucune infraction ou perturbation afférente à la sécurité des personnes n'était en cause s'agissant de l'allégation d'un vol de titres de transport sans violences et, d'autre part, avait utilisé les constats tirés par la police de cet enregistrement contenus dans le procès-verbal dont il avait en outre irrégulièrement été destinataire, pour prouver la faute du salarié et procéder à son licenciement, en violation de l'article 3-3 de la charte, aux termes duquel il s'était engagé à ne pas recourir au système de vidéoprotection pour apporter la preuve d'une faute du salarié lors d'affaires disciplinaires internes.

12. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la première branche, laquelle ne lui était pas demandée, a pu déduire que le procès-verbal litigieux avait été obtenu de manière illicite et était dès lors irrecevable.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 9 du code de procédure civile ; article R. 156, alinéa 1, du code de procédure pénale ; Articles 3-3 et 4 de la charte de la vidéoprotection en vigueur dans l'entreprise.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge en cas de preuve illicite, à rapprocher : Soc., 30 septembre 2020, pouvoi n° 19-12.058, Bull., (rejet) ; Soc., 25 novembre 2020, pouvoi n° 17-19.523, Bull., (cassation partielle) ; Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.263, Bull., (cassation) ; Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-17.802, Bull., (rejet) ; Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-20.798 (cassation).

Soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492, (B), FS

Rejet

Respect de la vie privée – Atteinte – Exclusion – Cas – Mesure d'instruction in futurum – Relations entre l'employeur et le salarié – Communication sous astreinte d'informations non anonymisées – Informations relatives à des salariés – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), Mme [R] a été engagée en qualité de structureur le 5 janvier 2009 par la société Exane Derivatives, filiale du groupe Exane. Entre le 1er février 2013 et le 22 janvier 2017, elle a occupé le poste de responsable projets transverses dérivés (chief operating officer ou COO) avant d'être nommée, le 23 janvier 2017, directeur stratégie et projets groupe dans la société Exane.

2. Licenciée le 22 février 2019 et considérant avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes de COO, elle a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale, le 31 octobre 2019, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir la communication d'éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

4. Les sociétés font grief à l'arrêt de leur ordonner de communiquer sous astreinte à l'intéressée les bulletins de paie de huit salariés, pour les périodes de février 2013 à janvier 2017 pour les quatre premiers, de mars 2017 à mai 2019 pour le cinquième et de janvier 2017 à mai 2019 pour les trois derniers, avec occultation des données personnelles, à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile, alors :

« 3°/ qu'en application du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD), les données à caractère personnel, collectées par l'employeur pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, doivent être traitées ultérieurement de manière compatible avec ces finalités, de manière licite, loyale et transparente à l'égard de la personne concernée, de façon à garantir un niveau de sécurité adapté permettant leur confidentialité et leur intégrité, et n'être conservées que la durée strictement nécessaire au regard de ces finalités ; que le juge, qui ne peut prononcer, en application de l'article 145 du code de procédure civile, que des mesures d'instruction légalement admissibles, ne peut dès lors ordonner la communication à un tiers de données personnelles dans des conditions contraires au règlement susvisé ; qu'en ordonnant toutefois la communication à la salariée, sur une période comprise entre 2013 et 2019, de bulletins de paie de huit autres salariés, laissant apparaître leurs noms et prénoms, leurs classifications conventionnelles, leurs rémunérations mensuelles détaillées (fixes et variables) et leurs rémunérations brutes totales cumulées par année civile, sans vérifier si cette communication était contraire aux exigences du règlement européen susvisé qui s'impose au juge, en ce qu'elle conduisait à la divulgation à un tiers de l'ensemble des rémunérations des salariés concernés sur plusieurs années dans un but très différent de la finalité légale pour laquelle les ressources humaines les avaient collectées, sans que ces salariés n'aient pu s'y attendre, et sans que le juge n'édicte aucune garantie de sécurité, de confidentialité et de limitation de la durée de conservation, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 145 du code de procédure civile et 4, 5, 6 et 32 du règlement européen susvisé ;

4°/ que le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte à la vie privée des salariés concernés soit proportionnée au but poursuivi ; que tel n'est pas le cas lorsque le salarié est déjà en mesure de présenter des éléments de fait susceptibles de laisser présumer l'existence de la discrimination qu'il allègue ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer que la salariée justifiait d'un motif légitime à la communication des bulletins de paie, quand elle relevait déjà que les rapports égalité hommes/femmes versés aux débats démontraient une proportion de femmes minoritaire dans les effectifs, des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes et un index d'égalité hommes/femmes pour l'année 2018 laissant une marge de progression, sans vérifier si la production supplémentaire qu'elle sollicitait, de huit salariés sur plusieurs années, était indispensable au droit de la preuve de la salariée et proportionnée au droit au respect de la vie privée des salariés concernés, la cour d'appel a violé les articles 145 du code de procédure civile, 9 du code civil, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 1132-1, L. 134-1, L. 1142-1, L. 1144-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte du point (4) de l'introduction du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Il ajoute que le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la Charte, consacrés par les Traités, en particulier le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

6. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.

7. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

8. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de l'inégalité de traitement alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

9. La cour d'appel a relevé que, pour présenter des éléments laissant présumer l'existence de l'inégalité salariale alléguée entre elle et certains de ses collègues masculins, la salariée était bien fondée à obtenir la communication des bulletins de salaires de huit autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien dans des fonctions d'encadrement, commerciales ou de marché, avec occultation des données personnelles à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

10. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a fait ressortir que cette communication d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Seguy - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Point (4) de l'introduction du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, dit règlement général sur la protection des données (RGPD) ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil ; articles 9 et 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la conciliation du droit de la preuve et du droit au respect de la vie personnelle en matière de preuve d'une discrimination à l'égard de salariés, à rapprocher : Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-26.144, Bull., (2) (cassation), et l'arrêt cité.

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