Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

1re Civ., 22 mars 2023, n° 21-16.476, (B), FS

Cassation

Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Méconnaît son office et viole l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, une cour d'appel qui fait application d'une clause d'un contrat de prêt immobilier autorisant la banque à exiger immédiatement, sans mise en demeure ou sommation préalable de l'emprunteur ni préavis d'une durée raisonnable, la totalité des sommes dues au titre de ce prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans examiner d'office le caractère abusif d'une telle clause.

Clauses abusives – Domaine d'application – Prêt d'argent – Exécution – Manquement – Caractérisation – Mise en demeure préalable – Défaut – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 4 mars 2021), par acte notarié du 4 décembre 2009, la société Banque populaire d'Alsace, aux droits de laquelle se trouve la société Banque populaire d'Alsace-Lorraine-Champagne (la banque), a consenti à Mme [S] (l'emprunteuse) un prêt immobilier en francs suisses, garanti par une hypothèque et comportant une clause de soumission à l'exécution forcée immédiate.

2. A la suite du défaut de paiement des échéances de ce prêt, la banque a délivré à l'emprunteuse un commandement aux fins de vente forcée.

3. Le 17 février 2020, le tribunal de l'exécution forcée en matière immobilière a ordonné la vente forcée des immeubles garantis, fixé le montant de la créance de la banque et commis un notaire pour précéder à l'adjudication.

4. L'emprunteuse a formé un pourvoi immédiat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'emprunteuse fait grief à l'arrêt d'ordonner l'adjudication forcée des immeubles inscrits au bureau foncier de [Localité 3] pour avoir paiement d'une certaine somme, de commettre un notaire pour procéder à l'adjudication publique et de dire que l'ordonnance tiendrait lieu de saisie des immeubles et que le bureau foncier de [Localité 3] serait requis d'inscrire la mention de vente forcée, alors « que le juge écarte d'office l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ; qu'est abusive la clause d'un prêt, conclu entre un établissement prêteur professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s'autorise, en raison d'un manquement du débiteur à son obligation de rembourser une seule échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme sans mise en demeure préalable et immédiatement, sans préavis d'une durée raisonnable ni mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement ; que selon l'article 4 des conditions générales du prêt conclu entre madame [S] et la Banque Populaire Alsace, « si bon semble à la Banque, toutes les sommes restant dues au titre du prêt en principal, majorées des intérêts échus et non payés deviennent immédiatement exigibles, sans sommation ni mise en demeure et malgré toutes offres et consignations ultérieures en cas de non-paiement d'une échéance à bonne date » ; qu'en n'écartant pas d'office l'application d'une telle clause, qui revêtait un caractère abusif, la cour d'appel a violé les articles L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce, devenu L. 212-1 du même code depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et R. 632-1 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

6. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

7. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que le juge national était tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l'appliquait pas, sauf si le consommateur s'y opposait (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08).

8. Par arrêt du 26 janvier 2017 (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14), la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

9. Par arrêt du 8 décembre 2022 (CJUE, arrêt du 8 décembre 2022, caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21), elle a dit pour droit que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.

10. Par ailleurs, après avoir relevé que la clause contractuelle en exécution de laquelle la banque avait, dans le cas qui lui était soumis, prononcé la déchéance du terme, n'apparaissait pas relever de la notion d'« objet principal du contrat », ce qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier (points 47 et 48), elle a dit pour droit que l'article 3, § 1, et l'article 4 de la directive 93/13 devaient être interprétés en ce sens que, sous réserve de l'applicabilité de l'article 4, § 2, de cette directive, ils s'opposaient à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoyait, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat pouvait être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d'une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n'avait pas fait l'objet d'une négociation individuelle et créait au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

11. Pour ordonner la vente forcée de l'immeuble et fixer à une certaine somme la créance de la banque, l'arrêt retient que la somme réclamée par celle-ci au titre du capital restant dû et des échéances échues impayées est exigible en application de la clause des conditions générales du contrat de prêt qui, en cas de défaillance de l'emprunteur, prévoit l'exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt.

12. En statuant ainsi, sans examiner d'office le caractère abusif d'une telle clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d'une durée raisonnable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-20.441, Bull., (cassation).

1re Civ., 22 mars 2023, n° 21-16.044, (B), FS

Cassation partielle

Clauses abusives – Définition – Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties – Cas – Clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable

Crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d'un contrat de prêt immobilier qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable. Une telle clause est abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 18 février 2021), par acte notarié du 22 juillet 2008, la société Crédit immobilier de France centre développement, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Credinvest, Compartiment Credinvest 2, a consenti un prêt immobilier à M. et Mme [W] (les emprunteurs). Après déchéance du terme, elle a engagé une procédure d'exécution forcée sur des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ceux-ci ont invoqué le caractère abusif de la clause de déchéance du terme et de la clause pénale.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

2. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes et, en conséquence, de fixer la créance de la banque et d'ordonner la vente forcée par adjudication de leurs immeubles, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant, pour écarter l'argumentation des époux [W] qui soutenaient que la banque avait admis que le titre dont elle se prévalait n'était pas valable, que les pièces n° 18-4 et 18-5 émanées des avocats anglais et français des parties et censées accréditer les dires des époux [W] ne figuraient pas aux dossiers de pièces remis par les parties, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier desdites pièces qui figuraient sur le bordereau de pièces annexé aux conclusions du saisi et dont la communication n'avait pas été contestée, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

4. Il ressort des constatations de la cour d'appel que les positions contraires de la banque, alléguées par les emprunteurs, n'ont pas été adoptées au cours de l'instance.

5. Il en résulte que la banque était recevable à agir en exécution.

6. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

7. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de fixer la créance de la banque et de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet d'imposer au consommateur qui n'exécute pas ses obligations une indemnité d'un montant manifestement disproportionné ; qu'en retenant que la clause d'un contrat de prêt immobilier par laquelle le consommateur, débiteur défaillant, doit au créancier professionnel une indemnité contractuelle égale à 7 % du capital restant dû et des intérêts échus et non payés n'était pas abusive, faute de disproportion du montant ainsi stipulé, la cour d'appel a violé les articles L. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation ;

2°/ qu'en tout état de cause le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter le montant résultant de l'application d'une clause pénale, si elle est manifestement excessive ou dérisoire, en considération du préjudice subi par le créancier ; qu'en retenant que le montant de la clause pénale correspondant à 7 % des sommes dues par les époux [W] à la banque n'était pas disproportionné, sans caractériser le préjudice subi par la banque du fait de l'absence de paiement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1226 et 1152 du code civil, dans leur rédaction applicable à l'espèce, antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Ayant relevé que la clause stipulant une indemnité contractuelle de 7 %, prévoyait qu'elle était due au titre du capital restant dû et des intérêts échus et non payés et retenu qu'elle n'apparaissait pas manifestement disproportionnée en son montant, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que la clause critiquée ne dérogeait pas aux dispositions du code de la consommation et que les emprunteurs ne démontraient pas qu'elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en a déduit à bon droit, sans être tenue de les suivre dans le détail de leur argumentation, que celle-ci n'était pas abusive.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur les premier et troisième moyens, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

10. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir juger prescrit le titre exécutoire du 22 juillet 2008, en conséquence, de fixer la créance de la banque, de rejeter leurs demandes et d'ordonner la vente forcée par adjudication de leurs immeubles, alors « qu'est abusive la clause d'un prêt, conclu entre un établissement prêteur professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s'autorise, en raison d'un manquement du débiteur à son obligation de rembourser tout ou partie d'une échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure infructueuse d'avoir à régler, sans mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement ; que la cour d'appel a constaté que selon l'offre de prêt acceptée par les époux [W], page 10, § XI, A, d, « le contrat de prêt sera résilié de plein droit et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles, huit jours après une simple mise en demeure adressée l'emprunteur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par acte extrajudiciaire, mentionnant l'intention du prêteur de se prévaloir de la clause de résiliation... au gré du prêteur quel que soit le type de prêt... en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur échéance ou de toute somme avancée par le prêteur » ; que pour retenir que la déchéance du terme était valablement intervenue le 5 août 2014, après mise en demeure du 30 juillet 2014, et en déduire que la prescription de l'action de la banque avait commencé de courir à compter de ce prononcé, et non à compter de chacune des échéances impayées, la cour d'appel a considéré que la clause précitée n'était pas abusive, motif pris de ce qu'elle ne prévoyait pas de faculté de résiliation discrétionnaire et sanctionnait le non-respect de l'obligation essentielle à remboursement, conformément au mécanisme de la clause résolutoire, sans créer aucun déséquilibre significatif, au détriment des emprunteurs consommateurs, entre les droits et obligations des parties, ni n'entraînait une modification majeure de l'économie du contrat ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la clause susmentionnée revêtait un caractère abusif, en ce qu'elle autorisait le prononcé par l'organisme prêteur de la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure d'avoir à régler les impayés éventuels, peu important leur montant, et sans prévision d'un mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement, la cour d'appel a violé les articles L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce, devenu L. 212-1 du même code depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article L. 218-2 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :

11. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

12. Par arrêt du 26 janvier 2017 (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l'article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

13. Par arrêt du 8 décembre 2022 (CJUE, arrêt du 8 décembre 2022, Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21), elle a dit pour droit que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.

14. Pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l'emprunteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur, l'arrêt retient que la déchéance du terme a été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l'obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire.

15. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [W] tendant à voir juger prescrit le titre exécutoire du 22 juillet 2008, en conséquence, fixe la créance de la banque et ordonne la vente forcée par adjudication de leurs immeubles, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Article L. 132-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, du code de la consommation.

1re Civ., 1 mars 2023, n° 21-20.260, (B), FRH

Cassation partielle

Clauses abusives – Exclusion – Cas – Prêts consentis en francs suisses et remboursables dans la même devise avec un emprunteur percevant ses revenus en francs suisses lors de la conclusion des prêts

Ayant relevé que les clauses relatives à l'objet des contrats étaient parfaitement claires, s'agissant de prêts consentis en francs suisses et remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu'il n'existait aucun risque de change, une cour d'appel en déduit exactement que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif.

Clauses abusives – Exclusion – Cas – Prêts consentis en francs suisses et remboursables dans la même devise – Risque de change – Défaut

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 27 mai 2021), en mars 2008 et juillet 2009, le Crédit agricole financement, banque suisse, aux droits duquel vient la société Crédit agricole Next Bank (la banque), a consenti à M. et Mme [R] (les emprunteurs), résidents français percevant des revenus en francs suisses, deux prêts immobiliers libellés et remboursables en francs suisses.

2. Le 10 juillet 2017, les emprunteurs ont assigné la banque en invoquant le caractère abusif de certaines clauses et un manquement au devoir de mise en garde.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant à voir déclarer abusives et réputées non écrites les clauses des contrats de prêt relatives au montant des prêts et aux modalités de paiement des échéances, alors :

« 1°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le juge doit rechercher si la clause définissant l'objet principal du contrat est rédigée de façon claire et compréhensible et permet au non-professionnel ou consommateur d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui ; qu'en se bornant, pour dire que les clauses litigieuses, à savoir celles relatives aux montants des prêts et aux modalités de remboursement des échéances, qui constituaient l'objet principal de ces contrats, étaient parfaitement claires, à considérer qu'elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu'il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, sans vérifier si les contrats exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référaient les clauses concernées, de sorte que les emprunteurs pouvaient prévoir, sur la base de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour eux, et ce par référence à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation ;

2°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le juge doit rechercher si la clause définissant l'objet principal du contrat est rédigée de façon claire et compréhensible et permet au non-professionnel ou consommateur d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que les clauses litigieuses étaient parfaitement claires, dès lors qu'elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu'il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, quand les intéressés auraient dû être informés de la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt avait été contracté et être en mesure d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières, s'ils venaient à ne plus percevoir des revenus en francs suisses, ce qui avait été le cas à la suite de la perte de leur emploi en 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l'objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu'il n'existait aucun risque de change, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Les emprunteurs reprochent à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes fondées sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, alors « que l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde se prescrit à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime ; que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se manifeste dès la souscription du prêt, sauf à ce que l'emprunteur ait pu légitimement ignorer le dommage lors de cette souscription ; qu'en considérant, pour déclarer prescrite les demandes des emprunteurs fondées sur le manquement de la société Crédit agricole financement, devenue la société Crédit agricole Next Bank, à son devoir de mise en garde, qu'il ne pouvait être retenu que la banque était débitrice d'un nouveau devoir de mise en garde au titre de la suppression, par la Banque centrale suisse, du taux plancher intervenue le 15 janvier 2015, soit plus de sept et huit ans après la conclusion des prêts litigieux, ni que la banque aurait dû anticiper cette suppression lors de la souscription du contrat de crédit, et que, de la même manière, le fait pour l'emprunteur de perdre son emploi en Suisse n'était pas de nature à générer un nouveau devoir de mise en garde à la charge du prêteur, quand il appartenait à l'organisme prêteur de mettre en garde les emprunteurs sur d'éventuels changements de politique de la Banque centrale suisse sur le taux plancher, ainsi que sur les conséquences de l'éventualité, également, d'un changement dans leur situation en cas d'absence de revenus en francs suisses, de sorte que ces événements étaient de nature à retarder le point de départ de la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

7. Il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.

8. Pour déclarer prescrite la demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que les contrats de prêt litigieux ont été souscrits les 13 mars 2008 et 15 juillet 2009 et que les emprunteurs ont recherché la responsabilité de la banque par assignation du 10 juillet 2017, soit plus de cinq années plus tard.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par M. et Mme [R] à l'encontre de la société Crédit agricole Next Bank pour manquement au devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat(s) : SCP Caston ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article L. 212-1 du code de la consommation.

1re Civ., 1 mars 2023, n° 21-17.018, (B), FS

Cassation partielle

Crédit immobilier – Domaine d'application – Opérations de crédit n'en relevant pas – Objet – Détermination – Portée

En application de l'article L. 312-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, un emprunt qui n'est qu'accessoirement affecté au remboursement de précédents crédits immobiliers n'entre pas dans le champ d'application des dispositions du code de la consommation relatives aux crédits immobiliers.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [M] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Nordea Bank, Mme [T] et M. [W].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 4 mars 2021), suivant offre acceptée le 13 avril 2007, réitérée le 16 mai 2007 par acte authentique dressé par Mme [T] avec le concours de M. [W], M. [M] (l'emprunteur) a, par l'intermédiaire de la société Axess finances devenue la société S.U.R.E. finances (l'intermédiaire), souscrit auprès de la société luxembourgeoise Nordea Bank (la banque) un prêt de 3 800 000 euros garanti par une hypothèque.

3. Ce prêt, remboursable in fine au terme de dix années, au taux variable, libellé en euros et converti en francs suisses, était destiné, d'une part, au remboursement par anticipation de prêts immobiliers consentis par la société Crédit immobilier de France à hauteur de 486 420,04 euros, d'autre part, à la satisfaction d'un besoin en trésorerie à hauteur de 600 000 euros, enfin, au placement d'une somme de 2 570 000 euros sur un contrat d'assurance-vie nanti au profit de la banque et souscrit auprès de la société Lombard international assurances (l'assureur).

4. Le 11 janvier 2008, invoquant la méconnaissance de dispositions du code de la consommation relatives aux crédits immobiliers ainsi que l'irrégularité du taux effectif global, l'emprunteur a assigné la banque et l'intermédiaire en nullité du prêt et de la stipulation d'intérêts, subsidiairement en déchéance de la banque de son droit aux intérêts conventionnels, ainsi qu'en responsabilité et indemnisation.

5. En cours d'instance, la banque a été placée en liquidation judiciaire, la société KPMG Luxembourg étant désignée en qualité de liquidateur.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, et sur les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité de la convention de prêt conclue le 13 avril 2007 et, en conséquence, de le condamner à payer à la société KPMG Luxembourg, en sa qualité de liquidateur de la banque, la somme de 4 829 936,32 euros avec intérêts au taux du Libor majoré de 1,8 % à compter du 26 juin 2019, alors :

« 1°/ que sont soumis aux dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier le prêt qui est en partie affecté au remboursement par anticipation de prêts antérieurement souscrits par l'emprunteur pour la réalisation de travaux de réparation et d'amélioration sur l'immeuble qu'il avait acquis ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande en nullité de la convention de prêt conclue le 13 avril 2007 à hauteur de 3 800 000 euros, que ce prêt n'entrait pas, par sa nature, dans le champ d'application des dispositions de l'ancien article L. 312-2 du code de la consommation dès lors qu'il n'avait qu'accessoirement et indirectement contribué à régler des dépenses de nature immobilière, après avoir pourtant constaté que ce prêt était, à hauteur de 437 420 euros, destiné à solder, auprès du Crédit immobilier de France, les deux ouvertures de crédit souscrites les 11 et 24 mars 2003 pour le financement des travaux d'amélioration d'un logement situé [Adresse 6] à [Localité 7], ce dont il résultait que le prêt était en partie destiné à financer les travaux d'amélioration de l'immeuble acquis par M. [M] et que les dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier lui était donc applicable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, dès lors, violé l'article L. 312-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 1993, applicable au litige ;

2°/ qu'en toute hypothèse sont soumis aux dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier le prêt qui est principalement affecté au financement d'une opération de nature immobilière ; qu'en énonçant que le prêt conclu le 13 avril 2007 à hauteur de 3 800 000 euros n'entrait pas, par sa nature, dans le champ d'application des dispositions de l'ancien article L. 312-2 du code de la consommation dès lors qu'il n'avait qu'accessoirement et indirectement contribué à régler des dépenses de nature immobilière, après avoir pourtant constaté que la somme de 437 420 euros était affectée au remboursement de crédits immobiliers et que celle de 2 750 000 euros était destinée à être placée en vue d'effacer les effets négatifs de l'emprunt immobilier en cours, ce dont il résultait que le prêt du 13 avril 2007 était principalement affecté au financement d'une opération de nature immobilière, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, dès lors, violé l'article L. 312-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 1993, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article L. 312-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, les dispositions de ce code relatives aux crédits immobiliers s'appliquent aux prêts qui, quelle que soit leur qualification ou leur technique, sont consentis de manière habituelle par toute personne physique ou morale en vue de financer les opérations suivantes :

1° Pour les immeubles à usage d'habitation ou à usage professionnel d'habitation :

a) Leur acquisition en propriété ou en jouissance.

b) La souscription ou l'achat de parts ou actions de sociétés donnant vocation à leur attribution en propriété ou en jouissance.

c) Les dépenses relatives à leur construction, leur réparation, leur amélioration ou leur entretien lorsque le montant de ces dépenses est supérieur à celui fixé en exécution du dernier alinéa de l'article L. 311-3.

2° L'achat de terrains destinés à la construction des immeubles mentionnés au 1° ci-dessus.

9. Ayant constaté que le prêt litigieux d'un montant 3 800 000 euros avait pour objet de rembourser, à concurrence de 429 800 euros, deux emprunts immobiliers contractés auprès d'une autre banque, de procurer 600 000 euros de trésorerie à l'emprunteur et de financer la souscription simultanée d'un contrat d'assurance-vie à hauteur de 2 750 000 euros, la cour d'appel, qui a retenu que la part consacrée au remboursement des crédits immobiliers était moindre que celle relevant d'un prêt personnel, que l'emprunt était majoritairement constitué de nouveaux fonds mis à la disposition de l'emprunteur et qu'en réalité il s'agissait d'un investissement financier destiné à effacer les effets négatifs du précédent emprunt immobilier, en a exactement déduit que le prêt litigieux, qui n'était qu'accessoirement affecté au remboursement de précédents crédits immobiliers, n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions du code de la consommation relatives aux crédits immobiliers.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de déchéance totale de tout droit, pour la banque, aux intérêts conventionnels et, en conséquence, de le condamner à payer à la société KPMG Luxembourg, en sa qualité de liquidateur de la banque, la somme de 4 829 936,32 euros avec intérêts au taux du Libor majoré de 1,8 % à compter du 26 juin 2019, alors « que les frais relatifs à un contrat d'assurance sur la vie sont intégrés dans la détermination du taux effectif global lorsque la souscription d'un tel contrat est imposée à l'emprunteur comme une condition de l'octroi du prêt ; qu'en énonçant, pour exclure les frais de l'assurance-vie de l'assiette de calcul du taux effectif global, que ceux-ci faisaient l'objet d'un contrat et d'un placement distincts, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a, dès lors, violé l'article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

12. Aux termes de l'article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels.

13. Il en résulte que, lorsque la souscription d'un contrat d'assurance sur la vie est imposée par le prêteur comme condition d'octroi du prêt, la prime d'assurance, qui fait partie des frais indirects au sens du texte susvisé, doit être prise en compte pour la détermination du taux effectif global.

14. Ayant constaté que la majeure partie de la somme empruntée était destinée à financer la souscription du contrat d'assurance-vie et fait ainsi ressortir que cet investissement constituait l'objectif poursuivi par l'emprunteur, la cour d'appel, appréciant souverainement la commune intention des parties, a pu en déduire, nonobstant le motif surabondant critiqué par le moyen, que cette circonstance excluait que la souscription de l'assurance-vie ait été une condition mise à l'octroi du prêt.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. L'emprunteur fait le même grief à l'arrêt, alors « que le taux de période et la durée de la période devant être expressément communiqués à l'emprunteur, le défaut de communication de ces informations est sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts conventionnels ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande de déchéance des intérêts formée par M. [M], que les parties avaient expressément fait référence à l'article R. 313-1 du code de la consommation pour le calcul du taux effectif global et que les exigences de ce texte devaient être respectées mais que la mention du taux de période n'était en revanche pas obligatoire, la cour d'appel a violé l'article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-297 du 10 juin 2002, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 313-4 du code monétaire et financier, L. 313-1 et R. 313-1 du code de la consommation, les deux premiers textes dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et le dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2011-135 du 1er février 2011 :

17. Il résulte de ces textes qu'à l'occasion de la conclusion d'une opération de crédit, le prêteur est tenu de communiquer à l'emprunteur, de manière expresse, le taux de période et la durée de celle-ci.

18. Pour rejeter la demande de déchéance de la banque de son droit aux intérêts contractuels, l'arrêt retient que, si les parties ont expressément fait référence, dans leur convention, à l'article R. 313-1 du code de la consommation pour le calcul du taux effectif global et que les exigences de ce texte doivent être respectées, la mention du taux de période n'est, en revanche, pas obligatoire.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur sa demande, la société S.U.R.E. finances dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [M] à payer à la société KPMG Luxembourg, en qualité de liquidateur de la société Nordea Bank, la somme de 4 829 936,32 euros avec intérêts au taux du Libor majoré de 1,8 % à compter du 26 juin 2019 et en ce qu'il condamne M. [M] à payer à la société KPMG Luxembourg, prise en qualité de liquidateur de la société Nordea Bank, la somme 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Met hors de cause la société S.U.R.E. finances ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Cazaux-Charles - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gadiou et Chevallier ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 312-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010.

3e Civ., 1 mars 2023, n° 21-23.176, (B), FS

Rejet

Paiement – Action – Prescription – Délai biennal prévu en matière de biens et services fournis aux consommateurs – Point de départ – Date de connaissance des faits permettant au professionnel d'exercer son action – Détermination

En application des articles 2224 du code civil et L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, l'action en paiement de travaux et services engagée à l'encontre de consommateurs par un professionnel se prescrit à compter de la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d'exercer son action. Cette date est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 mai 2021), Mme [X] a confié des travaux de construction d'un mur de soutènement et de réfection de terrasses à la société Maçonnerie générale Pastorelli (la société Pastorelli).

2. Le 19 décembre 2011, la société Pastorelli lui a adressé une facture du solde des travaux.

3. Par acte du 23 septembre 2014, la société Pastorelli a, après une expertise amiable, assigné Mme [X] en paiement de sa créance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième à cinquième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. La société Pastorelli fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme étant prescrite sa demande en paiement du solde de ses travaux à l'encontre de Mme [X], alors :

« 1°/ que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ; que le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en énonçant que « le point de départ du délai de l'action en paiement engagée par l'entreprise à l'égard du maître d'ouvrage est la date de l'émission de la facture ou, à défaut, la date de la mise en demeure de payer après la réalisation des travaux », pour en déduire « qu'en l'espèce il résulte des pièces produites que les travaux commandés à la société Pastorelli ayant été réalisés en 2011 et facturés le 19 décembre 2011, le point de départ du délai doit être fixé à cette date » quand le point de départ du délai de prescription biennale devait correspondre à la date à laquelle la créance constituée du solde du prix restant dû par Mme [X] était devenue exigible, c'est-à-dire à l'issue de l'expertise amiable diligentée au contradictoire de la société Pastorelli, ayant conduit au rapport établi le 17 décembre 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 137-2 du code de la consommation devenu l'article L. 218-2 du même code suite à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article 2224 du code civil ;

2°/ que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ; que le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'il s'évince des constatations de l'arrêt que Mme [X] « ne produit aucune photographie, ni aucun élément permettant de déterminer l'état des existants manifestement anciens, dont le mur effondré, avant réalisation des travaux par la société Pastorelli, aux abords de sa maison de village, et qu'elle est dans l'incapacité de préciser les travaux qu'elle prétend avoir commandé, puisqu'elle sollicite elle-même, à titre subsidiaire, une expertise avec pour mission de déterminer notamment « quels ont été les travaux commandés », elle ne peut sérieusement soutenir que la société Pastorelli devait effectuer des travaux sur l'escalier de pierre, cette prestation de figurant pas dans la situation de chantier n° 1 susvisée, ni qu'elle aurait démoli la première marche de l'escalier en pierres et que le mur en pierres sèches est affecté de malfaçons, ce qui ne résulte pas des photographies annexées au procès-verbal de constat établi le 22 décembre 2011 par Maître [F] [H], huissier de justice » ; qu'il s'évince de ces mêmes motifs « qu'une mesure d'expertise ne peut avoir pour objet de pallier la carence du maître d'ouvrage à rapporter la preuve des travaux commandés par lui, ni des « désordres » invoqués » ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer prescrite l'action en paiement engagée par l'entreprise à l'égard du maître de l'ouvrage, « qu'il résulte des pièces produites que les travaux commandés à la société Pastoralli ont été réalisés en 2011 et facturés le 19 décembre 2011, le point de départ doit être fixé à cette date » sans rechercher si le refus par Mme [X] de procéder au règlement du solde du prix en raison de prétendus inachèvements et désordres affectant les travaux, suivi de l'organisation d'une expertise amiable à laquelle la société Pastorelli avait accepté de participer, n'avait pas eu pour effet de retarder le point de départ du délai de prescription à la date d'établissement du rapport d'expertise établi le 17 décembre 2012, qui, bien que non communiqué à la société Pastorelli, apportait une réponse technique aux allégations du maître de l'ouvrage qui se sont révélées infondées ainsi qu'il résulte des constatations de l'arrêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 137-2 du code de la consommation devenu l'article L. 218-2 du même code suite à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

7. Selon l'article 2224 du code civil, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. S'il a été jugé que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, conformément à l'article 2224 du code civil, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée (1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.024, Bull. 2015, I, n° 100 ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.278, Bull. 2017, I, n° 111), il a été spécifiquement retenu, comme point de départ, dans le cas d'une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l'établissement de la facture (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 ; 3e Civ., 14 février 2019, pourvoi n° 17-31.466).

9. Cependant, la Cour de cassation retient désormais que l'action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce ou contre un consommateur, soumise à la prescription biennale de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, se prescrit à compter de la date de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d'agir, laquelle peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié au Bulletin ; 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi n° 20-12.520, publié au Bulletin).

10. Au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil dont l'application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, et afin d'harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible.

11. La cour d'appel ayant constaté que les travaux commandés à la société Pastorelli avaient été réalisés en 2011, il en résulte que l'action introduite le 23 septembre 2014, plus de deux ans après leur achèvement, était prescrite.

12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l'arrêt, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Vernimmen - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SARL Corlay ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, Bull., (rejet) ; 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi n° 20-12.520, Bull., (cassation partielle).

Com., 22 mars 2023, n° 22-17.596, (B), FS

Cassation

Pratiques commerciales réglementées – Contrat portant sur la fourniture et la distribution d'électricité – Contrat unique – Responsabilité du gestionnaire de réseau à l'égard du fournisseur – Applications diverses – Sommes dues par les consommateurs au titre des coûts d'acheminement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mars 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com.,19 juin 2019, pourvoi n° 17-28.583), la société GDF Suez, devenue la société Engie, est fournisseur d'électricité sur le marché français auprès de certains clients éligibles définis par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000.

2. La société Electricité Réseau Distribution France (la société ERDF), devenue la société Enedis, est gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité qu'elle exploite pour l'acheminement de l'électricité.

3. En vue de simplifier ses démarches, la loi permet à l'utilisateur final d'opter pour un « contrat unique » par lequel lui sont facturées, par le fournisseur d'énergie, tant la fourniture d'électricité que l'utilisation du réseau public, les relations entre la société ERDF et le fournisseur étant régies par un contrat appelé Contrat GRD-Fournisseur (le contrat GRD-F).

4. Le 3 mars 2006, puis le 20 février 2009, la société Engie a signé avec la société ERDF deux contrats GRD-F précisant, en leur article 7.1, alinéa 3, que, conformément à la communication du 24 décembre 2003 de la Commission de régulation de l'énergie (la CRE), le fournisseur recouvre auprès du client les sommes dues par ce dernier et assume le risque financier de non-paiement pour l'intégralité de la facture.

5. Par une décision du 22 octobre 2010, le comité de règlement et des sanctions de la CRE (le Cordis), saisi par un fournisseur d'électricité d'un différend l'opposant à la société ERDF relativement à cette clause, a estimé que le contrat GRD-F ne pouvait faire supporter par le seul fournisseur l'intégralité du risque d'impayés qui s'attache à l'exercice, par le gestionnaire de réseaux, de sa mission de service public et dit que la société Enedis devra, en conséquence, proposer au fournisseur un nouveau contrat.

6. Soutenant que la société Enedis était tenue de supporter la charge des impayés des clients au titre de la facturation des coûts d'acheminement pour la période du 8 novembre 2007 au 22 décembre 2011 et que son refus d'y procéder était fautif, la société Engie l'a assignée en réparation de son préjudice sur le fondement de l‘article 1382, devenu 1240, du code civil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. La société Engie fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de la somme en principal de 2 531 323,77 euros formée contre la société ERDF, alors « qu'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ; que pour débouter la société Engie de sa demande tendant à la condamnation de la société Enedis sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la cour d'appel a jugé qu'il n'était pas établi que cette dernière ait violé une disposition légale ou réglementaire d'ordre public lui imposant, pour la période litigieuse, de prendre en charge les impayés des clients et rendant ainsi inopposables les stipulations contraires de l'article 7.1 du contrat GRD-F ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'en adoptant les dispositions de l'article L. 121-92 du code de la consommation, le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution, et qu'en prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un « contrat unique » auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, le législateur n'a pas entendu modifier les responsabilités de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité, ce dont il se déduit que les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne sauraient avoir pour objet ni pour effet de laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau, lequel ne saurait, ce faisant, se soustraire à des sujétions et à un risque qui lui incombent, comme inhérents à ses missions de service public, la cour d'appel a violé les articles 6 et 1162 du code civil, ensemble l'article L. 121-92, devenu L. 224-8, du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige et l'article L. 111-92 du code de l'énergie. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 du code civil, les articles L. 111-92, L. 332-1 et L. 332-3 du code de l'énergie, l'article 13 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, devenu l'article L. 322-8 du code de l'énergie et l'article L. 121-92 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 :

8. Aux termes du premier de ces textes, on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs.

9. Il résulte de la combinaison des troisième et quatrième que les non-professionnels ont la possibilité de conclure un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité pour une puissance électrique égale ou inférieure à 36 kilovoltampères.

10. Le quatrième dispose :

« Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs.

Outre la prestation d'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau.

Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation. »

11. Selon le deuxième, d'une part, les gestionnaires des réseaux publics de distribution concluent, avec toute entreprise qui le souhaite, vendant de l'électricité à des clients ayant exercé leur droit de choisir leur fournisseur, un contrat relatif à l'accès aux réseaux pour l'exécution des contrats de fourniture conclus par cette entreprise avec des consommateurs finals ayant exercé ce droit de choisir leur fournisseur, d'autre part, lorsqu'une entreprise ayant conclu un tel contrat assure la fourniture exclusive d'un site de consommation, le consommateur concerné n'est pas tenu de conclure lui-même un contrat d'accès aux réseaux pour ce site.

12. Selon le cinquième, le gestionnaire de réseau de distribution d'électricité est, dans sa zone de desserte exclusive, notamment chargé d'assurer dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, l'accès à ces réseaux, d'exploiter ces réseaux et d'en assurer l'entretien et la maintenance.

13. En adoptant les dispositions de l'article L. 121-92 précité, le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution.

En prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un contrat unique auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, il n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité. Dès lors, les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau.

14. Il résulte, d'un côté, des dispositions d'ordre public précitées du code de l'énergie, de l'autre, de celles du code de la consommation, que les contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de laisser à la charge des fournisseurs des coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau, lequel ne saurait, ce faisant, se soustraire à des sujétions et au risque qui lui incombent, comme inhérents à ses missions de service public, notamment celui de devoir supporter le défaut de paiement par les consommateurs finaux des charges d'accès au réseau.

15. Pour rejeter la demande de la société Engie en paiement de la somme principale de 2 531 323,77 euros formée contre la société ERDF, l'arrêt relève que dans le système mis en place par le contrat GRD-F jusque dans sa version 5.1 incluse, conformément à la communication du 24 septembre 2003 de la CRE sur le groupe de travail électricité 2004, le risque d'impayés relatifs au tarif d'utilisation du réseau était supporté par les fournisseurs. Il retient que pour contester l'application de l'article 7.1 des contrats GRD-F litigieux, la société Engie ne vise que des dispositions sans lien avec la charge des impayés, soit celles issues du code de l'énergie ou de la consommation relatives au contrat unique et étrangères aux « irrécouvrables réseau » et à la charge des impayés, celles des articles L. 121-4 et [L. 332-8] du code de l'énergie sur la mission de service public du gestionnaire de réseau, dont l'objet n'est pas la prise en charge « des irrécouvrables réseau », et celles du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité qui ne traite pas davantage de cette question. Il en déduit qu'elle échoue à démontrer que la société Enedis aurait violé une disposition légale ou réglementaire d'ordre public lui imposant, pour la période litigieuse, de prendre en charge les impayés des clients.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs,la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 121-92 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010. articles L. 111-92, L. 332-1 et L. 332-3 du code de l'énergie ; article 13 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, devenu l'article L.322-8 du code de l'énergie.

Com., 22 mars 2023, n° 21-22.925, (B), FS

Rejet

Pratiques commerciales réglementées – Pratiques commerciales trompeuses – Conditions – Incidence sur le comportement économique

La publicité comparative n'est trompeuse, et donc illicite, au sens de l'article L. 121-8 du code de la consommation, interprété à la lumière de l'article 4, point a), de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, que si elle est susceptible d'avoir une incidence sur le comportement économique des personnes auxquelles elle s'adresse.

Publicité – Publicité comparative – Licéité – Publicité comparative trompeuse – Conditions – Incidence sur le comportement économique

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société [Localité 4] distribution du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Opti-mix.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 22 juillet 2021), la société Carrefour hypermarchés (la société Carrefour), qui exploite un hypermarché à [Localité 5], a fait réaliser par la société Opti-mix un relevé de prix au sein de l'hypermarché à enseigne Leclerc, exploité par la société [Localité 4] distribution à [Localité 4], et au sein de l'hypermarché à enseigne Leclerc, exploité par la société [Localité 6] distribution à [Localité 6], aux fins d'établir une publicité comparative. Cette publicité a été publiée dans le journal Ouest-France du 30 janvier 2015.

3. Le 3 avril 2015, la société [Localité 4] distribution a fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier de justice rapprochant les prix relevés sur les justificatifs fournis par la société Carrefour avec ceux enregistrés dans la base de données du système informatique de son magasin et ceux figurant sur les tickets de caisse archivés à la même date.

4. Estimant la publicité inexacte, la société [Localité 4] distribution a assigné la société Carrefour en paiement de dommages et intérêts, notamment sur le fondement des articles L. 121-8, L. 120-1 et L. 121-12 du code de la consommation, dans leur rédaction alors applicable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société [Localité 4] distribution fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en réparation du préjudice subi en raison de la publicité comparative trompeuse effectuée par la société Carrefour, alors :

« 1°/ que constitue une publicité trompeuse et déloyale, partant illicite, la publicité comparative qui, par l'utilisation de prix inexacts, induit en erreur ou est susceptible d'induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse et qui, pour cette raison, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent ; que la cour d'appel a constaté que les 45 prix des produits vérifiés par l'huissier, sur un ensemble global de 247 prix de produits objets de la publicité comparative réalisée par la société Carrefour, étaient faux et qu'à chaque fois le prix relevé était supérieur au prix réel pratiqué dans le magasin sous enseigne E. Leclerc à [Localité 4] ; qu'en déboutant la société [Localité 4] distribution, exploitante de ce magasin, de sa demande en réparation du préjudice subi à raison de la publicité mensongère et déloyale, au motif, erroné en droit, que « l'application combinée des articles 2, point b) et 4 point a) de la directive 2006/114/CE du Parlement et du Conseil en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, renvoyant à l'article 6(1) de la directive 2005/29/CE du Parlement et du Conseil sur les pratiques commerciales déloyales, suppose d'établir deux critères cumulatifs : que la publicité contienne des informations fausses ou susceptibles d'induire en erreur le consommateur moyen et qu'elle soit de nature à amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement », quand le caractère trompeur de la publicité comparative, tel que défini à l'article 2 point b) de la directive 2006/114/CE, ne suppose pas que la publicité soit de nature à amener le consommateur à prendre une décision qu'il n'aurait pas prise autrement, la cour d'appel a violé les articles 2 et 4 de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, ensemble et par fausse application, l'article 6 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ;

2°/ que l'utilisation, dans une publicité comparative axée sur le faible prix des produits comparés, de prix d'un concurrent supérieurs à ceux qu'il pratique effectivement, est nécessairement de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ; que la cour d'appel a constaté que les 45 prix des produits vérifiés par l'huissier, sur un ensemble global de 247 prix de produits objets de la publicité comparative réalisée par la société Carrefour, étaient faux et qu'à chaque fois le prix relevé était supérieur au prix réel pratiqué dans le magasin sous enseigne E. Leclerc à [Localité 4] ; qu'en déboutant néanmoins la société [Localité 4] distribution de sa demande en réparation du préjudice subi à raison de la publicité mensongère et déloyale, au motif qu' « aucun élément ou pièce ne permet d'établir que cette publicité comparative, même reposant sur des éléments faux dans la limite indiquée ci-dessus, ait altérée où ait été de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur », de sorte que la « publicité comparative ne peut être considérée comme trompeuse » et « ne peut donc être considérée comme une pratique commerciale déloyale », la cour d'appel a encore violé l'article L 120-1, dans sa version issue de la loi du 4 août 2008, applicable au litige, l'article L 121-1, dans sa version issue de la loi du 17 mars 2014, applicable au litige, l'article L 121-8 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2011 applicable au litige, ensemble les articles 2 et 4 de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative et l'article 6 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. »

Réponse de la Cour

6. D'une part, selon l'article L. 121-8 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 transposant la directive 2006/114/CE du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, pour être licite, une publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent, ne doit pas être trompeuse ou de nature à induire en erreur.

7.Selon l'article 4, point a), de la directive précitée, une publicité comparative est licite si elle n'est pas trompeuse au sens de l'article 2, point b), de cette directive ou de l'article 6 de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur.

8. L'article 2, point b), de la directive 2006/114/CE dispose qu'est trompeuse toute publicité qui, d'une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d'induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse ou qu'elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d'affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent.

9. Aux termes de l'article 6 de la directive 2005/29/CE, une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu'elle est donc mensongère ou que, d'une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l'autre, elle l'amène ou est susceptible de l'amener à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.

10. Par conséquent, la publicité comparative n'est trompeuse, et donc illicite, au sens de l'article L. 121-8 précité, interprété à la lumière de l'article 4, point a), de la directive 2006/114/CE, précitée, que si elle est susceptible d'avoir une incidence sur le comportement économique des personnes auxquelles elle s'adresse.

11. Le moyen, pris en sa première branche, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

12. D'autre part, ayant relevé que la publicité comparative réalisée par la société Carrefour reposait sur 45 prix erronés sur les 227 cités par la publicité, que le prix du panier de l'hypermarché Leclerc de [Localité 4] restait donc 13 % plus cher que celui du panier de l'hypermarché Carrefour d'[Localité 5], et qu'il n'était pas établi que le consommateur, informé que le prix du panier du concurrent était de 13 % plus cher et non de 15,9 % plus cher comme indiqué dans la publicité, aurait pour autant modifié son comportement, la cour d'appel a pu retenir qu'il n'était pas démontré que cette publicité comparative, même reposant sur des éléments faux dans la limite précédemment indiquée, ait été de nature à modifier le comportement économique du consommateur.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article L. 121-8 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'exigence d'une altération substantielle du comportement économique du consommateur, à rapprocher : Com., 1 mars 2017, pourvoi n° 15-15.448, Bull. 2017, IV, n° 33 (cassation partielle).

2e Civ., 23 mars 2023, n° 20-18.306, (B), FS

Cassation

Surendettement – Commission de surendettement – Mesures recommandées – Contestation par les parties – Créancier – Effet – Prescription – Interruption

La contestation par le créancier de mesures recommandées ou imposées par une commission de surendettement constitue une demande en justice qui interrompt le délai de prescription.

L'interruption de la prescription s'étend à la demande en paiement ultérieurement engagée par le créancier, les deux demandes tendant aux mêmes fins.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 17 décembre 2019), par acte authentique du 26 décembre 1996, la Société de crédit pour le développement de la Martinique (Sodema), aux droits de laquelle vient la Société financière Antilles Guyane (Sofiag), devenue Soredom, a consenti à M. et Mme [K] un prêt immobilier.

2. M. [K] a saisi une commission de surendettement des particuliers d'une demande de traitement de sa situation financière le 30 juin 2012.

3. À la suite de l'échec de la phase amiable de la procédure, constaté par la commission le 25 juillet 2012, M. [K] a demandé, le 3 août 2012, à bénéficier de mesures recommandées.

4. Le 21 décembre 2012, la commission a établi des mesures recommandées que la Sofiag a contestées le 22 janvier 2013.

5. La contestation formée par la Sofiag a été rejetée par jugement d'un juge de l'exécution du 19 novembre 2013, confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 20 janvier 2015.

6. Le 21 octobre 2014, la Sofiag a assigné M. et Mme [K] devant un tribunal de grande instance à fin de condamnation en paiement du solde du prêt.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société Soredom fait grief à l'arrêt de constater que l'action qu'elle a intentée est prescrite à l'encontre des époux [K] et de la débouter, en conséquence, de ses demandes en paiement à l'encontre des époux [K], alors « que l'action exercée par le créancier aux fins d'obtenir paiement de sa créance a le même objet et tend au même but que celle contestant les mesures imposées par la commission de surendettement à l'encontre de son débiteur, de telle sorte que le lien entre ces deux actions les soumet aux mêmes règles de prescription ; que l'action en paiement de la Sofiag exercée le 21 octobre 2014 tend au paiement de sa créance comme celle qui avait pour objet de contester les mesures de la commission de surendettement dont l'instance s'est éteinte le 20 janvier 2015 ; que l'interruption de la prescription a produit ses effets jusqu'à cette date à compter de laquelle un nouveau délai de deux ans a commencé à courir, de sorte que l'assignation du 21 octobre 2014 a été délivrée avant l'expiration du délai de prescription ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 137-2 du code la consommation, alors applicable, et 2240, 2241 et 2242 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2241 du code civil :

8. Selon ce texte, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

9. Il résulte de ce texte que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en va autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

10. La contestation par le créancier de mesures recommandées ou imposées par une commission de surendettement constitue une demande en justice qui interrompt le délai de prescription.

11. Cette contestation tendant au même but que la demande en paiement engagée ultérieurement par le créancier, la seconde action est virtuellement comprise dans la première.

12. Pour déclarer prescrite la créance de la Sofiag, l'arrêt retient que si les articles 2241 et 2242 du code civil prévoient effectivement que la demande en justice interrompt la prescription de l'action et que cette interruption produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription en application de l'article 2241 du code civil.

13. En statuant ainsi, alors que l'effet interruptif de prescription de la contestation des mesures recommandées ou imposées s'étendait à l'action en paiement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Brouchot ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

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