Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

PRESCRIPTION CIVILE

Com., 29 mars 2023, n° 21-23.104, (B), FRH

Rejet

Applications diverses – Prescription annale – Domaine d'application – Demandes en paiement des prestations de communication

Courtes prescriptions – Principes généraux – Application – Application restrictive

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mai 2021), la société Savigny matériaux a conclu avec la Société commerciale de télécommunications (la SCT) un contrat de fourniture de téléphonie fixe et d'accès à internet pour une durée de soixante-trois mois.

En juin 2015, la société Savigny matériaux a interrompu le paiement des factures et conclu un nouveau contrat avec un opérateur concurrent avec portabilité de son numéro téléphonique.

Le 12 octobre 2016, la SCT l'a mise en demeure de lui payer la somme de 14 508,14 euros au titre des factures de téléphonies et de l'indemnité de résiliation du contrat puis, le 10 janvier 2017, a fait signifier à la société Savigny matériaux une ordonnance d'injonction de payer cette somme.

2. Devant le tribunal saisi de l'opposition à cette ordonnance, la société Savigny matériaux a soulevé la prescription de l'article L. 34-2, alinéa 2, du code des postes et des communications électroniques.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société Savigny matériaux fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une somme de 7 000 euros à titre d'indemnité de résiliation du contrat, alors « que la prescription annale des demandes en paiement du prix des prestations de communications électroniques régit aussi le règlement des frais de résiliation du contrat ; qu'en retenant dès lors, pour considérer que la demande en paiement de l'indemnité de résiliation du contrat n'était pas prescrite, que, étrangère dans son objet à la fourniture de prestations de communications électroniques, elle était régie par la prescription de cinq ans édictée par l'article L. 110-4 du code de commerce applicables aux actes passés entre commerçants, la cour d'appel a violé l'article L. 34-2, alinéa 2, du code des postes et des communications électroniques. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 34-2, alinéa 2, du code des postes et des communications électroniques, la prescription est acquise, au profit de l'usager, pour les sommes dues en paiement des prestations de communications électroniques d'un opérateur appartenant aux catégories visées au précédent alinéa lorsque celui-ci ne les a pas réclamées dans un délai d'un an courant à compter de la date de leur exigibilité.

5. Les dispositions relatives aux courtes prescriptions étant d'application stricte et ne pouvant être étendues à des cas qu'elles ne visent pas expressément, il en résulte que la prescription annale des demandes en paiement du prix des prestations de communications électroniques régit le règlement des frais de résiliation du contrat.

6. Ayant retenu que l'indemnité de résiliation dont le paiement était demandé était étrangère dans son objet à la fourniture des prestations de communications électroniques, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle se trouvait régie par la prescription quinquennale édictée à l'article L. 110-4, I, du code de commerce, de sorte que la demande en paiement de cette indemnité n'était pas prescrite.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 34-2, alinéa 2, du code des postes et des communications électroniques ; article L. 110-4, I, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le principe d'application restrictive des courtes prescriptions, à rapprocher : 1re, Civ., 9 juillet 2015, pourvoi n° 14-21.241, Bull. 2015, I, n° 181 (cassation partielle).

2e Civ., 23 mars 2023, n° 20-18.306, (B), FS

Cassation

Interruption – Acte interruptif – Action en justice – Actions tendant aux mêmes fins – Surendettement – Mesures imposées – Contestation – Créancier

Délai – Suspension – Cas – Demande du créancier – Surendettement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 17 décembre 2019), par acte authentique du 26 décembre 1996, la Société de crédit pour le développement de la Martinique (Sodema), aux droits de laquelle vient la Société financière Antilles Guyane (Sofiag), devenue Soredom, a consenti à M. et Mme [K] un prêt immobilier.

2. M. [K] a saisi une commission de surendettement des particuliers d'une demande de traitement de sa situation financière le 30 juin 2012.

3. À la suite de l'échec de la phase amiable de la procédure, constaté par la commission le 25 juillet 2012, M. [K] a demandé, le 3 août 2012, à bénéficier de mesures recommandées.

4. Le 21 décembre 2012, la commission a établi des mesures recommandées que la Sofiag a contestées le 22 janvier 2013.

5. La contestation formée par la Sofiag a été rejetée par jugement d'un juge de l'exécution du 19 novembre 2013, confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 20 janvier 2015.

6. Le 21 octobre 2014, la Sofiag a assigné M. et Mme [K] devant un tribunal de grande instance à fin de condamnation en paiement du solde du prêt.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société Soredom fait grief à l'arrêt de constater que l'action qu'elle a intentée est prescrite à l'encontre des époux [K] et de la débouter, en conséquence, de ses demandes en paiement à l'encontre des époux [K], alors « que l'action exercée par le créancier aux fins d'obtenir paiement de sa créance a le même objet et tend au même but que celle contestant les mesures imposées par la commission de surendettement à l'encontre de son débiteur, de telle sorte que le lien entre ces deux actions les soumet aux mêmes règles de prescription ; que l'action en paiement de la Sofiag exercée le 21 octobre 2014 tend au paiement de sa créance comme celle qui avait pour objet de contester les mesures de la commission de surendettement dont l'instance s'est éteinte le 20 janvier 2015 ; que l'interruption de la prescription a produit ses effets jusqu'à cette date à compter de laquelle un nouveau délai de deux ans a commencé à courir, de sorte que l'assignation du 21 octobre 2014 a été délivrée avant l'expiration du délai de prescription ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 137-2 du code la consommation, alors applicable, et 2240, 2241 et 2242 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2241 du code civil :

8. Selon ce texte, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

9. Il résulte de ce texte que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en va autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

10. La contestation par le créancier de mesures recommandées ou imposées par une commission de surendettement constitue une demande en justice qui interrompt le délai de prescription.

11. Cette contestation tendant au même but que la demande en paiement engagée ultérieurement par le créancier, la seconde action est virtuellement comprise dans la première.

12. Pour déclarer prescrite la créance de la Sofiag, l'arrêt retient que si les articles 2241 et 2242 du code civil prévoient effectivement que la demande en justice interrompt la prescription de l'action et que cette interruption produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription en application de l'article 2241 du code civil.

13. En statuant ainsi, alors que l'effet interruptif de prescription de la contestation des mesures recommandées ou imposées s'étendait à l'action en paiement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Brouchot ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

2e Civ., 23 mars 2023, n° 21-20.447, (B), FRH

Cassation

Interruption – Acte interruptif – Exclusion – Cas – Commandement – Commandement valant saisie immobilière – Annulation – Portée

Il résulte des articles 2240 et 2241 du code civil que l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière prive cet acte et tous les actes de procédure subséquents de leur effet interruptif de prescription.

Doit, en conséquence, être censuré l'arrêt d'une cour d'appel ayant retenu que malgré l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière par le juge de l'exécution, l'assignation en date du 3 décembre 2015 à l'audience d'orientation du 12 mai 2015 n'en avait pas pour autant été privée de son effet interruptif.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er avril 2021) et les productions, les 4 et 5 février 2015, la caisse de Crédit mutuel [Adresse 3] (la banque) a fait délivrer à M. et Mme [G] un commandement de payer valant saisie immobilière, puis une assignation à l'audience d'orientation.

2. Un juge de l'exécution a, par jugement du 3 décembre 2015, prononcé la nullité du commandement et de tous les actes de procédure subséquents.

3. La banque ayant fait pratiqué des saisies-attributions sur les comptes M. et Mme [G], ces derniers les ont contestées devant un juge de l'exécution en soutenant que la créance de la banque était prescrite.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M et Mme [G] font grief à l'arrêt de juger que la seconde saisie-attribution pratiquée par le Crédit mutuel le 9 mars 2017 pour obtenir le paiement de la somme de 259.459,24 euros sur le compte PEP n°[XXXXXXXXXX02] devait produire en partie ses effets et permettre l'appréhension de la somme de 133.335,02 euros, alors « que l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière prive cet acte, et tous les actes de procédure subséquents, y compris l'assignation à comparaître au jugement d'orientation, de leur effet interruptif de prescription ; qu'en énonçant, pour juger que la créance de la banque n'était pas prescrite, que la prescription avait été interrompue par l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation en date du 12 mai 2015 dès lors que cet acte n'avait pas été privé de son effet interruptif et ce, même si le juge de l'exécution avait annulé le commandement de payer valant saisie immobilière signifié les 4 et 5 février 2015, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2240 et 2241 du code civil :

6. Il résulte de ces textes que l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière prive cet acte et tous les actes de procédure subséquents de leur effet interruptif de prescription.

7. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. et Mme [G], l'arrêt, après avoir rappelé que la déchéance du terme avait été prononcée le 24 août 2006, retient, par des motifs propres et adoptés, que malgré l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière par le juge de l'exécution, l'assignation en date du 3 décembre 2015 à l'audience d'orientation n'en a pas pour autant été privée de son effet interruptif.

8. En statuant ainsi, alors que l'annulation du commandement valant saisie immobilière avait privé de son effet interruptif de prescription l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation du 12 mai 2015, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bonnet - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 2240 et 2241 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 1er mars 2018, pourvoi n° 16-25.746, Bull. 2018, II, n° 37 (cassation).

1re Civ., 8 mars 2023, n° 20-16.475, (B), FS

Cassation sans renvoi

Interruption – Société en participation – Association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle – Associé coemployeur – Absence de solidarité – Portée

Il résulte des articles 2245 et 1872-1, alinéas 1 et 2, du code civil que, si un contrat de travail conclu avec une association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle confère à ses associés la qualité de coemployeurs en vertu des dispositions légales régissant les sociétés en participation, aucune solidarité n'existe entre associés, de sorte que l'interruption de la prescription de l'action à l'égard d'un coemployeur demeure sans effet à l'endroit de l'autre.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [A] du désistement de son intervention au soutien du pourvoi formé par la SCP [H]-[P]-[Z]-[W]-[S]-[C].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 28 janvier 2020), Mme [X] (l'avocate salariée), engagée le 2 mai 1996 par la Selafa cabinet conseil [L]-[Y], a exercé ses fonctions en qualité d'avocate stagiaire, puis d'avocate salariée.

3. A compter du 1er janvier 2016, son contrat de travail a été transféré à l'Association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle [H] 1927 (l'AARPI), créée le 22 décembre 2011, dont les associés étaient, d'une part, la SCP [H]-[J]-[P], devenue la SCP [H]-[P]-[Z]-[W]-[S]-[C] (la société [H]), d'autre part, la Selarl Cabinet conseil [L]-[Y], devenue la Selas [B] [Y] (la société [Y]).

4. Le 19 décembre 2017, l'avocate salariée a été informée par l'AARPI qu'en raison de l'exclusion de la société [Y] de l'AARPI, elle serait employée de nouveau par cette société, ainsi que par l'AARPI à temps partiel.

La société [Y] s'est opposée à sa reprise.

5. Le 7 février 2018, après avoir refusé cette modification de son contrat de travail, l'avocate salariée a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers (le bâtonnier) d'une demande de conciliation dirigée contre l'AARPI, laquelle s'est révélée vaine, et, le 2 mars 2018, a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

6. Le 9 mai 2018, elle a saisi le bâtonnier en application de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et demandé une requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement d'indemnités. Après avoir appelé à l'instance la société [Y], elle a conclu à son encontre les 22 octobre 2018 et 12 mars 2019, sollicitant en dernier lieu une condamnation solidaire de l'AARPI et des sociétés [Y] et [H] au paiement d'indemnités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal et sur le pourvoi incident

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La société [H] fait grief à l'arrêt de dire que l'AARPI dispose de la personnalité civile, de dire que l'action de l'avocate salariée est recevable à son endroit et de la condamner solidairement en conséquence, avec l'AARPI et la société [Y], à payer certaines sommes à la salariée, alors « qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; qu'une association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle est une société créée de fait soumise au régime des sociétés en participation, qui n'a pas de personnalité morale, et à l'encontre de laquelle aucune demande ne peut être dirigée en justice ; qu'en disant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 32 et 122 du code de procédure civile ensemble les articles 1871 à 1873 du code civil et l'article 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, modifié par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007 et les articles 7 et 8 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 32 du code de procédure civile, 1871 à 1873 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :

9. Selon le premier de ces textes, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

10. Il résulte des suivants qu'une AARPI est une société créée de fait qui est soumise au régime des sociétés en participation et qui n'a pas la personnalité morale.

11. Pour déclarer recevable l'action de la salariée à l'encontre de l'AARPI, l'arrêt retient que, si celle-ci constitue une société de fait, n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés et ne dispose pas de la personnalité morale, elle peut avoir un avocat pour salarié ou collaborateur et postuler en justice par le ministère d'un avocat, que le contrat de l'avocate salariée lui a été transféré le 1er janvier 2016, qu'elle lui a fixé sa mission, a établi ses fiches de paie et est immatriculée auprès de l'URSSAF, qu'elle a la personnalité civile qui lui permet d'ester en justice et de défendre à l'action de l'avocate salariée et qu'une condamnation serait exécutable à son encontre puisqu'elle est titulaire d'un compte bancaire et d'avoirs.

12. En statuant ainsi, alors que, l'AARPI n'étant pas une personne morale, aucune demande ne pouvait être dirigée contre elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La société [H] fait grief à l'arrêt de dire que la notification des conclusions de l'avocate salariée à la société [Y] le 22 octobre 2018 a interrompu la prescription et de rejeter en conséquence la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action à son égard et, en conséquence, de la condamner solidairement avec l'AARPI et la société [Y] à payer différentes sommes à l'avocate salariée, alors « que sauf en cas de solidarité parfaite, l'assignation d'un seul des coresponsables n'interrompt pas la prescription contre les autres au prétexte qu'ils seraient tenus in solidum ; que dans une AARPI chaque membre de l'association est tenu vis-à-vis des tiers des actes accomplis par l'un d'entre eux, au nom de l'association, à proportion de ses droits et sans solidarité ; que la qualité de coemployeur est insuffisante à conférer une solidarité parfaite entre les associés d'une AARPI, coemployeurs, vis-à-vis d'un employé ; que l'action dirigée à l'encontre de l'un des coemployeurs ne peut donc avoir pour effet d'interrompre la prescription à l'encontre de l'autre ; qu'en disant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1310, 1312, 1872-1, alinéa 2, 2241 et 2245 du code civil, ensemble L.1471-1 du code du travail et le principe selon lequel il n'y a pas de solidarité sans texte. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2245 et 1872-1, alinéas 1 et 2, du code civil :

14. Selon le premier de ces textes, l'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice interrompt le délai de prescription contre tous les autres.

15. Aux termes du second, chaque associé d'une société en participation contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas.

16. Il en résulte que, si un contrat de travail conclu avec une AARPI confère à ses associés la qualité de coemployeurs en vertu des dispositions légales régissant les sociétés en participation, aucune solidarité n'existe entre associés.

17. Pour déclarer recevable l'action de l'avocate salariée à l'encontre de la société [H], l'arrêt retient que celle-ci est coemployeur solidaire avec la société [Y] et que la notification à elle, le 22 octobre 2018, des conclusions de l'avocate salariée, dans le délai de la prescription, l'a interrompue à l'égard de la société [H], de sorte que les demandes de l'avocate salariée à son encontre ne sont pas prescrites.

18. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de solidarité entre les deux coemployeurs, l'interruption de la prescription de l'action à l'égard de l'un demeurait sans effet à l'endroit de l'autre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation sur les chefs de dispositifs critiqués par le premier moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen du pourvoi principal, laquelle porte sur les condamnations prononcées à l'encontre de l'AARPI et de la société [H] n'entraîne pas la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif condamnant la société [Y] à payer à l'avocate salariée différentes sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, à titre d'indemnité légale de licenciement, de rappel de salaire et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnant aux dépens et à payer à l'avocate salariée une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, lesquels ne s'y rattachent pas par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sur le fond.

22. Pour les motifs précités, les demandes formées par l'avocate salariée contre l'AARPI et la société [H] sont irrecevables.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'AARPI [H] 1927 dispose de la personnalité civile, rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] tirée de la prescription de l'action à son égard, dit que l'AARPI [H] 1927 et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] sont coemployeurs et solidairement tenus chacun pour le tout des sommes dues à Mme [X], condamne solidairement l'AARPI [H] 1927 et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] à payer à Mme [X] les sommes de 9 736,86 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 973,68 euros au titre des congés payés afférents, 21 096,53 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, 149,78 euros au titre du rappel de salaire et 14,98 euros au titre des congés payés afférents, 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonne à l'AARPI [H] 1927, et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] de remettre à Mme [X] les bulletins de paie afférents aux créances salariales, le certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle Emploi dans le mois de la signification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'être solidairement débiteurs d'une astreinte de 30 euros par jour de retard pendant trois mois, passé lequel délai il serait de nouveau fait droit, condamne in solidum l'AARPI [H] 1927, la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme [X] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevables les demandes formées par Mme [X] contre l'AARPI [H] 1927 et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C].

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Kerner-Menay - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SARL Corlay ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 32 du code de procédure civile ; articles 1871 à 1873 du code civil ; article 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; articles 2245 et 1872-1, alinéas 1 et 2, du code civil.

1re Civ., 29 mars 2023, n° 22-10.875, (B), FRH

Rejet

Prescription de trois mois – Presse – Droit de réponse – Refus d'insertion – Action en réparation du préjudice causé par le refus

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 24 novembre 2021), l'association UFC-Que Choisir (l'association), éditrice du magazine « Que choisir argent », a publié dans le numéro de juillet 2020 un article intitulé « Le (faux) monde enchanté d'Emrys », évoquant les programmes de fidélité proposés par la société Emrys la carte (la société).

Par lettre recommandée du 27 août 2020, la société a adressé à M. [K], directeur de publication du magazine, une réponse qui n'a pas été publiée.

2. Le 23 septembre 2020, la société a assigné en référé l'association et M. [K] aux fins d'insertion forcée sous astreinte de cette réponse.

En appel, l'association et M. [K] ont opposé la prescription de l'action.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de déclarer son action en insertion forcée d'un droit de réponse irrecevable comme prescrite, alors :

« 1°/ que ne peut être appliqué au droit de réponse le délai de prescription trimestrielle prévue, non pour l'exercice d'un droit, mais pour l'exercice d'une action résultant d'un crime, délit ou contravention prévus par la loi du 29 juillet 1881 ; qu'ainsi, a méconnu les articles 6, 10, §§ 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 12, 13 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 2231, 2241 et 2242 du code civil, la cour d'appel qui a jugé irrecevable l'action en insertion forcée d'un droit de réponse, pour cause de prescription, quand l'action exercée tendait, ainsi que son nom l'indique, à l'insertion d'un droit de réponse non soumis à prescription trimestrielle exclusivement prévue par la loi pour « l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions » de la loi de 1881 ;

2°/ que s'il devait être considéré que le délai de prescription trimestrielle était applicable en matière d'insertion forcée d'un droit de réponse, les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 29 juillet 1881, combinées avec celles de l'article 65 de la même loi, contreviendraient aux droits et libertés constitutionnellement garantis et, en particulier, au droit d'accès au juge et à un recours effectif ainsi qu'à l'équilibre des droits des parties, tels qu'ils sont garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra privera de fondement la décision attaquée. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, c'est à bon droit que la cour d'appel a énoncé que l'action en justice afin de faire sanctionner le refus d'insertion d'un droit de réponse est soumise au délai de prescription de trois mois prévu à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

5. En second lieu, la Cour de cassation ayant par un arrêt n° 702 F-D du 13 juillet 2022, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles 12, 13, alinéa 1, et 65, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, la seconde branche du moyen est sans portée.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. La société fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'a porté une atteinte excessive au droit d'accès à un juge ainsi qu'au droit à un recours effectif pour permettre la réparation d'une atteinte à sa réputation et a ainsi méconnu les articles 6, 10, §§ 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 12, 13, alinéa 1, et 65, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel qui a jugé irrecevable pour cause de prescription l'action exercée par la société tendant à l'insertion forcée d'un droit de réponse en se bornant, par formalisme excessif, à considérer que cette action était soumise à la prescription trimestrielle sans se prononcer sur l'existence d'un calendrier de procédure et la volonté persistante du demandeur de maintenir son action. »

Réponse de la Cour

7. L'existence d'un court délai de prescription édicté par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 a pour objet de garantir la liberté d'expression et ne prive pas le demandeur à l'action en insertion forcée de tout recours effectif, dès lors qu'il a la faculté d'interrompre la prescription par tout acte régulier de procédure manifestant son intention de continuer l'action. Ces règles sont suffisamment claires et accessibles pour permettre aux parties d'agir en conséquence (CEDH, décision du 29 avril 2008, clinique Sainte Marie c. France, n° 24562/03 ; CEDH, décision du 17 juin 2008, Vally e.a. c. France, n° 39141/04).

8. Dès lors que l'existence d'un calendrier de procédure ne dispense pas le demandeur à l'action en insertion forcée d'un droit de réponse de s'assurer de l'accomplissement dans les délais requis des actes nécessaires à l'interruption de la prescription trimestrielle, le moyen est inopérant.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. La société fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que, n'a pas rempli son office et a méconnu les articles 6, 10, §§ 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 12, 13, alinéa 1, et 65, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, 2231, 2234, 2241 et 2242 du code civil, la cour d'appel qui a jugé l'action irrecevable en se bornant à constater l'absence d'acte interruptif sans jamais examiner si la fixation du calendrier de la procédure ne constituait pas un empêchement d'agir prévu par la loi ou la convention et, partant, un motif valable de suspension de la prescription ;

2°/ que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6, 10, §§ 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 12, 13, alinéa 1, et 65, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, 2231, 2234, 2241 et 2242 du code civil, en jugeant irrecevable l'action exercée en insertion forcée du demandeur sans se prononcer sur l'attitude déloyale du défendeur, seul à l'origine de la prescription opportunément soulevée par lui. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel a, d'abord, énoncé à bon droit qu'un message RPVA adressé par l'avocat des défendeurs à l'action dans lequel ceux-ci sollicitent le renvoi de l'affaire pour permettre de répliquer aux conclusions du demandeur n'est pas de nature à interrompre la prescription trimestrielle.

11. Ayant constaté, ensuite, qu'aucun acte régulier de procédure manifestant son intention de poursuivre l'action n'avait été effectué entre le 10 juin et le 25 septembre 2021 par la société demanderesse à l'action en insertion forcée, elle en exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la prescription était acquise.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 12 mai 1999, pourvoi n° 97-16.826, Bull. 1999, II, n° 92 (cassation) ; 2e Civ., 14 décembre 2000, pourvoi n° 98-22.427, Bull. 2000, II, n° 173 (rejet).

Soc., 15 mars 2023, n° 21-16.057, (B), FS

Cassation partielle

Prescription triennale – Article L. 3245-1 du code du travail – Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 – Article 21, V – Dispositions transitoires – Application – Exclusion – Saisine de la juridiction prud'homale – Saisine postérieure au 15 juin 2016 – Détermination – Portée

À défaut de saisine de la juridiction prud'homale dans les trois années suivant le 16 juin 2013, ce délai expirant le 15 juin 2016 à 24h00, les dispositions transitoires prévues à l'article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ne sont pas applicables en sorte que l'action en paiement de créances de salaire nées sous l'empire de la loi ancienne se trouve prescrite.

Doit dès lors être approuvée la cour d'appel qui, ayant constaté que le salarié avait saisi la juridiction prud'homale le 16 juin 2016, en a déduit que les créances d'heures supplémentaires étaient intégralement soumises aux nouvelles règles de prescription prévoyant un délai d'action de trois ans et qu'elles pouvaient remonter, en application de ces règles, jusqu'à trois années avant la rupture du contrat de travail, soit jusqu'au 3 novembre 2012.

Prescription triennale – Article L. 3245-1 du code du travail – Délai – Computation – Modalités – Détermination – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 9 mars 2021), M. [V] a été engagé en qualité de responsable commercial, par la société Titan containers A-S.

2. Licencié le 3 novembre 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 16 juin 2016 de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le cinquième moyen du pourvoi principal du salarié et les quatre moyens du pourvoi incident de l'employeur, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de rappel de salaires pour la période antérieure au 3 novembre 2012, alors :

« 1°/ que, de première part, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a modifié les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, en réduisant de cinq ans à trois ans, à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, le délai de prescription auquel est soumise l'action en paiement ou en répétition d'une créance de salaire ; qu'aux termes de l'article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, issues de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans ; qu'il en résulte, notamment, que, lorsque le salarié a saisi la juridiction prud'homale dans les trois années suivant le 16 juin 2013 d'une action en paiement ou en répétition d'une créance de salaire et lorsqu'à cette date du 16 juin 2013, le délai de prescription quinquennale n'était pas acquis, les dispositions transitoires de l'article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 sont applicables, si bien que l'action du salarié en paiement ou en répétition d'une créance de salaire exigible moins de cinq ans avant la saisine de la juridiction prud'homale n'est pas prescrite ; qu'en énonçant, par conséquent, pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de rappel de salaires formées par M. [S] [V] pour la période antérieure au 3 novembre 2012, que M. [S] [V] avait saisi le conseil de prud'hommes le 16 juin 2016 et que ses créances de salaire pour heures supplémentaires étaient donc intégralement soumises aux nouvelles règles de prescription prévoyant un délai de prescription de trois ans, quand, dès lors que M. [S] [V] avait saisi le conseil de prud'hommes le 16 juin 2016, ses créances de salaire pour heures supplémentaires, puisqu'elles étaient exigibles postérieurement au 16 juin 2011, n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et de l'article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et, par fausse application, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;

2°/ que, de seconde part, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, issues de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, prévoyant, au sujet de l'action en paiement ou en répétition d'une créance de salaire exercée par le salarié, que la demande en paiement peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat, ne sont applicables qu'aux créances nées après l'entrée en vigueur de ces dispositions, soit après le 16 juin 2013 ; qu'en retenant, par conséquent, pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de rappel de salaires formées par M. [S] [V] pour la période antérieure au 3 novembre 2012, que ces demandes étaient intégralement soumises aux nouvelles règles de prescription prévoyant que la demande en paiement peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat, quand les demandes de rappel de salaires formées par M. [S] [V] pour la période antérieure au 3 novembre 2012 étaient nées avant le 16 juin 2013, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et de l'article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et, par fausse application, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. »

Réponse de la Cour

5. À défaut de saisine de la juridiction prud'homale dans les trois années suivant le 16 juin 2013, ce délai expirant le 15 juin 2016 à 24h00, les dispositions transitoires prévues à l'article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ne sont pas applicables en sorte que l'action en paiement de créances de salaire nées sous l'empire de la loi ancienne se trouve prescrite.

6. La cour d'appel ayant constaté que le salarié avait saisi la juridiction prud'homale le 16 juin 2016, elle en a exactement déduit que les créances d'heures supplémentaires étaient intégralement soumises aux nouvelles règles de prescription prévoyant un délai d'action de trois ans et qu'elles pouvaient remonter, en application de ces règles, jusqu'à trois années avant la rupture du contrat de travail, soit jusqu'au 3 novembre 2012.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de salaires pour heures supplémentaires et de congés payés afférents pour la période du 3 novembre 2012 au 1er septembre 2014, alors « que, de première part, il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui est applicable à la cause, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable à la cause, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en conséquence, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, la charge de la preuve n'incombe pas au seul salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, pour débouter M. [S] [V] de ses demandes de rappel de salaires pour heures supplémentaires et de congés payés afférents pour la période du 3 novembre 2012 au 1er septembre 2014, que, pour cette période, le tableau produit par M. [S] [V] se bornait à indiquer pour chaque mois le nombre d'heures de travail prétendument accomplies, sans aucune mention des horaires effectués et que ce seul élément n'était pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, quand, en se déterminant de la sorte, elle se fondait sur les seuls éléments qui étaient produits par M. [S] [V] et faisait peser la charge de la preuve sur M. [S] [V] seul, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui est applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

9. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

10. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

11. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

12. Pour limiter le rappel de salaire pour heures supplémentaires alloué au salarié, l'arrêt retient, pour la période du 3 novembre 2012 au 1er septembre 2014, que le tableau produit par ce dernier se borne à indiquer pour chaque mois le nombre d'heures de travail prétendument accomplies, sans aucune mention des horaires effectués, et que ce seul élément n'est pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié pour la période du 3 novembre 2012 au 1er septembre 2014, a violé le texte susvisé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, et le quatrième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

14. Par son troisième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos et des congés payés afférents, alors « que, de première part, les heures supplémentaires de travail accomplies par le salarié au-delà du contingent annuel ouvrent droit pour le salarié à une contrepartie obligatoire sous forme de repos ; que la cour d'appel ayant énoncé, pour débouter M. [S] [V] de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos et au titre des congés payés afférents, que le contingent annuel d'heures supplémentaires n'avait pas été dépassé, la cassation à intervenir sur le premier et/ou le deuxième moyens de cassation, dès lors qu'elle est de nature à remettre en cause la réponse apportée par la cour d'appel à la question de savoir si le contingent annuel d'heures supplémentaires n'avait pas été dépassé lors des années litigieuses, entraînera la cassation par voie de conséquence, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, de l'arrêt attaqué, en ce qu'il a débouté M. [S] [V] de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos et au titre des congés payés afférents. »

15. Par son quatrième moyen, il fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, alors « que la demande de M. [S] [V] d'indemnité pour travail dissimulé étant, en partie, fondée sur le fait que la société Titan containers avait intentionnellement mentionné sur ses bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui qu'il avait réellement accompli, la cassation à intervenir sur le premier et/ou le deuxième moyens de cassation entraînera la cassation par voie de conséquence, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, de l'arrêt attaqué, en ce qu'il a débouté M. [S] [V] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

16. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant le salarié de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos, des congés payés afférents, et de l'indemnité pour travail dissimulé, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Sur le sixième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

17. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité de licenciement en ce que cette demande tendait au paiement d'une somme excédant 16 589,56 euros, alors « que les indemnités consécutives à la rupture du contrat de travail doivent être calculées sur la base de la rémunération que le salarié aurait dû percevoir et non sur celle de la rémunération qu'il a effectivement perçue du fait des manquements de l'employeur à ses obligations ; que la rémunération à prendre en considération est, aux termes de l'article R. 1234-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement, soit le tiers des trois derniers mois ; qu'il en résultait, en l'espèce, que l'indemnité légale de licenciement due à M. [S] [V] devait être calculée en prenant en considération le rappel de salaires d'un montant de 8 000 euros brut pour heures supplémentaires que la cour d'appel a alloué à M. [S] [V], au titre la période de douze mois ayant précédé son licenciement, dès lors que cette formule était plus avantageuse pour M. [S] [V] que le tiers des trois derniers mois ; qu'en ne prenant, dès lors, pas en considération, pour calculer l'indemnité légale due à M. [S] [V], le rappel de salaires d'un montant de 8 000 euros brut pour heures supplémentaires qu'elle avait alloué à M. [S] [V], la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-4, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1234-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article R. 1234-4 du même code, dans sa réaction antérieure au décret n° 2017-1398 du 25 septembre 2017 :

18. Selon le second de ces textes, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

19. Pour fixer l'indemnité de licenciement due au salarié, l'arrêt se fonde sur le salaire mensuel de base de 6 380,60 euros.

20. En statuant ainsi, alors que les indemnités consécutives à la rupture du contrat de travail doivent être calculées sur la base de la rémunération que le salarié aurait dû percevoir et non sur celle de la rémunération qu'il a effectivement perçue du fait des manquements de l'employeur à ses obligations, la cour d'appel, qui n'a pas tenu compte du rappel de salaire qu'elle avait condamné l'employeur à payer au salarié au titre des heures supplémentaires accomplies dans les douze mois ayant précédé la rupture, a violé les textes susvisés.

Et sur le septième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

21. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre de la contrepartie de la clause de non-concurrence en ce que cette demande tendait au paiement d'une somme excédant 19 141,80 euros, alors « que la clause de non-concurrence du contrat de travail de M. [S] [V] stipulait qu'en cas d'absence de levée de la clause de non-concurrence dans les huit jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail, le salarié percevrait une indemnité mensuelle égale à 5/10ème de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuelles dont le salarié avait bénéficié au cours des douze derniers mois de présence dans la société Titan containers, pendant la durée de la clause de non-concurrence et tant que celle-ci serait strictement respectée ; qu'en ne prenant, dès lors, pas en considération, pour calculer la contrepartie de la clause de non-concurrence due à M. [S] [V], le rappel de salaires d'un montant de 8 000 euros brut pour heures supplémentaires qu'elle avait alloué à M. [S] [V] au titre la période des douze mois ayant précédé son licenciement, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

22. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

23. Pour fixer la contrepartie financière due au salarié au titre de la clause de non-concurrence dont il n'avait pas été délié, l'arrêt se fonde sur le salaire mensuel de base de 6 380,60 euros.

24. En statuant ainsi, alors que la clause de non-concurrence stipulait que le salarié percevrait une indemnité mensuelle égale à cinq dixièmes de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuelles dont il avait bénéficié au cours des douze derniers mois de présence dans la société, la cour d'appel, qui n'a pas tenu compte du rappel de salaire qu'elle avait condamné l'employeur à payer au salarié au titre des heures supplémentaires accomplies dans les douze mois ayant précédé la rupture, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite les condamnations de la société Titan containers A-S à payer à M. [V] les sommes de 16 589,56 euros à titre d'indemnité de licenciement, 19 141,80 euros au titre de la contrepartie de la clause de non-concurrence et 8 000 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre congés payés afférents, et en ce qu'il déboute M. [V] de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos, des congés payés afférents, et de l'indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 9 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Techer - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 21, V, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ; article L. 3245-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'application des dispositions transitoires de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, à rapprocher : Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 17-10.227, Bull. 2018, V, n° 101 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-12.788, Bull., (cassation).

2e Civ., 2 mars 2023, n° 21-18.771, (B), FRH

Cassation

Suspension – Causes – Mesure d'instruction ordonnée avant tout procès – Domaine d'application – Etendue – Détermination

Il résulte de l'article 2239 du code civil que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

Si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

Tel est le cas d'une demande d'expertise en référé visant à identifier les causes des sinistres subis et à déterminer s'ils sont atteints d'un vice rédhibitoire, qui tend au même but que l'action en inexécution de l'obligation de délivrance conforme.

Suspension – Causes – Mesure d'instruction ordonnée avant tout procès – Bénéficiaire – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 avril 2021), ayant rencontré des difficultés avec des moteurs acquis auprès de la société Cummins France (la société Cummins) entre octobre 2005 et octobre 2006, la société Vandel a obtenu, le 20 novembre 2009, une ordonnance d'un juge des référés prescrivant une mesure d'expertise sur ces moteurs en application de l'article 145 du code de procédure civile.

L' expert a établi son rapport le 26 février 2015.

2. Par acte du 4 mars 2016, la société Vandel a assigné la société Cummins en paiement au titre du manquement à son obligation de délivrance conforme sur ces trois moteurs et à son obligation de conseil et d'information.

3. Par jugement du 19 mars 2018, le tribunal de commerce a notamment condamné la société Cummins à payer à la société Vandel diverses sommes à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice matériel.

La société Cummins a interjeté appel par acte du 6 avril 2018.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Vandel fait grief à l'arrêt de juger irrecevable comme prescrite l'action en délivrance qu'elle a engagée à l'encontre de la société Cummins, alors « que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès ; que la mesure d'instruction ordonnée suspend le délai de prescription de l'action au fond lorsque la demande d'expertise tend au même but que la demande formulée devant la juridiction du fond, c'est-à-dire lorsqu'il apparaît que les résultats de l'expertise diligentée ou que les documents obtenus permettent à la juridiction saisie ultérieurement au fond de se prononcer, quel que soit le fondement sur la base duquel la mesure a pu être ordonnée ; qu'en déclarant irrecevable comme prescrite l'action en délivrance engagée par la société Vandel, motifs pris que « l'action au fond a été engagée plus de 5 ans plus tard le 4 mars 2016, et le délai n'a pu être suspendu en application de l'article 2239 du même code à raison de l'instance en référé ayant ordonné une mesure d'instruction avant tout procès, initiée par acte du 2 janvier 2009 et qui a donné lieu au dépôt du rapport de l'expert [H] le 26 février 2015, puisque cette action en référé a été sollicitée, et obtenue, en vue de rechercher l'existence de vices rédhibitoires, comme l'établit la mission de l'expert judiciaire [H] rappelée en p. 4 et 5 de son rapport et notée dans les écritures de l'appelante.

L'expert ne pouvait d'ailleurs pas s'écarter des termes de sa mission. Cette instance in futurum n'avait donc pas le même objet que celui de la présente instance au fond. Aucun effet suspensif, encore moins interruptif comme plaidé par Vandel, n'en résulte », cependant que conformément au critère d'« identité de but », la demande d'expertise in futurum, bien qu'elle ait eu pour objet de déterminer si les moteurs étaient atteints de vice rédhibitoire, permettait en toute hypothèse dans le cadre d'une action ultérieure au fond, fondée sur le défaut de délivrance conforme, d'établir si les moteurs étaient effectivement affectés d'une non-conformité, les constatations et conclusions matérielles de l'expert étant utiles pour déterminer le bien-fondé d'une action fondée sur un défaut de conformité, quel qu'ait été le fondement juridique envisagé au stade de la demande de mesure d'instruction avant tout procès, la cour d'appel a violé l'article 2239 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Cummins conteste la recevabilité du grief comme nouveau.

6. Cependant, il résulte des conclusions des parties devant la cour d'appel que la société Vandel, répliquant à la fin de non-recevoir soulevée par la société Cummins tirée de la prescription de l'action au fond, a invoqué en substance la suspension de la prescription quel que soit le fondement juridique de l'action en référé.

7. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 2239 du code civil :

8. Selon ce texte, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

9. Si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action en inexécution de délivrance conforme, l'arrêt retient que l'instance en référé a été initiée par acte du 2 janvier 2009 et donné lieu au dépôt du rapport de l'expert le 26 février 2015 en vue de rechercher l'existence de vices rédhibitoires, que l'instance in futurum n'ayant pas le même objet que celui de la présente instance au fond en inexécution de délivrance conforme n'a pas d'effet suspensif sur cette dernière.

11. En statuant ainsi, alors que la demande d'expertise en référé tendant à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s'ils sont atteints d'un vice rédhibitoire tend au même but que l'action en inexécution de l'obligation de délivrance conforme, la cour d'appel, qui aurait dû constater que la mesure d'instruction ordonnée avait suspendu la prescription de l'action au fond, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 2239 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, Bull. (rejet) ; 3e Civ., 17 octobre 2019, pourvoi n° 18-19.611, Bull. (cassation) ; 2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.316, Bull. (cassation).

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