Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

JUGEMENTS ET ARRETS

1re Civ., 1 mars 2023, n° 21-22.091, (B), FRH

Cassation partielle

Déni de justice – Applications diverses – Existence d'un titre exécutoire antérieur – Demande en paiement du prix d'un marché de travaux – Non-lieu à statuer

Il résulte de l'article 4 du code de procédure civile qu'il incombe au juge de trancher la contestation dont il est saisi. Viole ce texte la cour d'appel qui dit n'y avoir lieu de statuer sur une demande en paiement du prix d'un marché de travaux au motif que le créancier disposait déjà d'un titre exécutoire délivré par un huissier de justice en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 juillet 2021), le 17 novembre 2017, M. et Mme [C] ont confié à M. [Z] la conception et la réalisation de travaux intérieurs de rénovation de certaines pièces d'une maison.

Le 5 avril 2018, M. [Z] a établi un bon de commande, puis, en mai, a fait livrer les équipements et matériaux commandés.

2. Le 15 mai 2018, M. et Mme [C] ont émis un chèque de 92 329,27 euros au bénéfice de M. [Z] en paiement du solde du prix du marché.

3. A la suite du défaut de paiement de ce chèque en raison d'une absence de provision suffisante et de la signification à M. et Mme [C] d'un certificat de non-paiement, un huissier de justice a délivré à M. [Z] un titre exécutoire.

4. Le 24 septembre 2019, M. [C] a assigné M. [Z] en annulation du contrat, restitution des sommes versées et indemnisation. M. [Z] a demandé la condamnation de M. [C] à lui payer le solde du prix du marché.

Examen des moyens

Sur les moyens du pourvoi principal, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. M. [Z] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à statuer sur la demande en paiement du solde du prix de la commande du 5 avril 2018, alors « que le titre exécutoire que l'huissier de justice est autorisé à établir en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, en l'absence de justification du paiement du montant d'un chèque et des frais dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la notification d'un certificat de non-paiement au tireur du chèque, ne constitue pas une décision de justice et ne revêt donc pas les attributs d'un jugement ; qu'aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance de sorte que la titularité d'un titre exécutoire établi en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier n'est pas en soi de nature à priver d'objet la demande d'un créancier de condamnation de son débiteur à lui payer sa créance ; qu'en jugeant n'y avoir lieu de statuer sur la demande de M. [Z] tendant à la condamnation de M. [C] à lui payer la somme de 92 329,27 € au titre du solde du marché, au seul motif inopérant qu'il dispose déjà d'un titre exécutoire pour ce montant établi par huissier le 30 août 2008 conformément à l'article L. 131-72 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ce texte qu'il incombe au juge de trancher la contestation dont il est saisi.

8. Pour dire n'y avoir lieu à statuer sur la demande en paiement du solde du prix de la commande du 5 avril 2018, l'arrêt retient que M. [Z] ne peut demander à la cour de condamner M. [C] à lui payer la somme de 92 329,27 euros au titre du solde du marché alors qu'il dispose déjà d'un titre exécutoire pour ce montant établi par huissier de justice le 30 août 2008.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Rejette le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande en paiement du solde du prix de la commande du 5 avril 2018 présentée par [T] [Z], l'arrêt rendu le 5 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 4 du code de procédure civile.

2e Civ., 23 mars 2023, n° 21-15.723, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Notification – Effets – Etendue – Détermination – Litige indivisible – Définition

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [D] du désistement de son pourvoi.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Basse Terre, 11 février 2021), par jugement du 14 décembre 2017, un tribunal de grande instance a condamné solidairement M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], M. [C], Mme [F], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] à payer à la société Compagnie agricole du Comté de Loheac (la société CACL) une certaine somme en réparation du préjudice subi du fait de la perte de sa marge brute d'exploitation outre une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

3. Par déclarations des 2 mai et 5 juin 2018, M. [C] et Mme [BN], d'une part, M. [V] [A], d'autre part, ont relevé appel de ce jugement.

4. Par ordonnance du 11 octobre 2018, un conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel de M. [V] [A].

5. Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 18 octobre 2018, M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] ont été déclarés irrecevables à conclure pour défaut de remise de leurs conclusions dans le délai.

6. Par ordonnance du 30 avril 2019, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d'instance et d'action de M. [C].

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé du moyen

7. Par son premier moyen, la société CACL fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes formées contre M. [V] [A], alors « que lorsque la demande est formée par ou contre plusieurs coïntéressés, chacun d'eux exerce et supporte pour ce qui le concerne les droits et obligations des parties à l'instance ; que les actes accomplis par ou contre l'un des coïntéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres, sous réserve de ce qui est dit aux articles 475, 529, 552, 553 et 615 du code de procédure civile ; que ce n'est qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties que l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres, même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance ; que le jugement de première instance avait condamné solidairement M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], M. [C], Mme [F], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] à payer à la société CACL la somme de 79 674 euros en réparation de son préjudice ; que l'appel de ce jugement interjeté par M. [V] [A] a été déclaré caduc par une ordonnance du conseiller de la mise en état, confirmée par un arrêt du 11 mars 2019, et ses conclusions d'intimées déclarées irrecevables par l'arrêt attaqué ; que les condamnations prononcées par la juridiction de première instance n'étant pas indivisibles, l'infirmation du jugement sur le seul appel de Mme [F] ne pouvait pas profiter à M. [V] [A] ; qu'en infirmant néanmoins le jugement en ce qu'il avait condamné M. [V] [A], la cour d'appel a violé les articles 323,324 et 552 du code de procédure civile. »

8. Par son deuxième moyen, la société CACL fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes formées contre M. [C], alors « que lorsque la demande est formée par ou contre plusieurs coïntéressés, chacun d'eux exerce et supporte pour ce qui le concerne les droits et obligations des parties à l'instance ; que les actes accomplis par ou contre l'un des coïntéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres, sous réserve de ce qui est dit aux articles 475, 529, 552, 553 et 615 du code de procédure civile ; que ce n'est qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties que l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres, même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance ; que le jugement de première instance avait condamné solidairement M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], M. [C], Mme [F], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] à payer à la SARL CACL la somme de 79 674 euros en réparation de son préjudice ; que M. [C] s'était désisté de son appel de jugement, ce dont une ordonnance du conseiller de la mise en état lui avait donné acte, constatant l'extinction de l'instance d'appel ainsi que le dessaisissement de la cour à l'égard de M. [C] ; que les condamnations prononcées par la juridiction de première instance n'étant pas indivisibles, l'infirmation du jugement sur le seul appel de Mme [F] ne pouvait pas profiter à M. [C] ; qu'en infirmant néanmoins le jugement en ce qu'il avait condamné M. [C], la cour d'appel a violé les articles 323,324 et 552 du code de procédure civile. »

9. Par son troisième moyen, la société CACL fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes formées contre Mme [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A] et Mme [B], alors « que lorsque la demande est formée par ou contre plusieurs coïntéressés, chacun d'eux exerce et supporte pour ce qui le concerne les droits et obligations des parties à l'instance ; que les actes accomplis par ou contre l'un des coïntéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres, sous réserve de ce qui est dit aux articles 475, 529, 552, 553 et 615 du code de procédure civile ; que ce n'est qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties que l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres, même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance ; que le jugement de première instance avait condamné solidairement M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], M. [C], Mme [F], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] à payer à la société CACL la somme de 79 674 euros en réparation de son préjudice ; que par une ordonnance du 18 octobre 2018, confirmé par un arrêt du 11 juin 2019, le conseiller de la mise en état a constaté l'absence de remise de conclusions par MM. [LI], [H], [J], [G] [ZT], [U] [ZT], [L], [N], [MO], [R], [BG] et [T] [A] et Mmes [WD] et [B] les a déclarés irrecevables à conclure ; que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables leurs conclusions déposées le 2 septembre 2019 ; que les condamnations prononcées par la juridiction de première instance n'étant pas indivisibles, l'infirmation du jugement sur le seul appel de Mme [F] ne pouvait pas profiter à MM. [LI], [H], [J], [G] [ZT], [U] [ZT], [L], [N], [MO], [R], [BG] et [T] [A] et Mmes [WD] et [B] ; qu'en infirmant néanmoins le jugement en ce qu'il les avait condamnés, la cour d'appel a violé les articles 323, 324 et 552 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 552 et 553 du code de procédure civile :

10. Aux termes du premier de ces textes, en cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé par l'une conserve le droit d'appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l'instance. Dans les mêmes cas, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler les autres à l'instance.

11. Aux termes du second de ces textes, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.

12. Il en résulte qu'en l'absence d'impossibilité d'exécuter simultanément deux décisions concernant les parties au litige, l'indivisibilité, au sens de l'article 553 du code de procédure civile n'étant pas caractérisée, l'appel de l'une des parties ne peut pas produire effet à l'égard d'une partie, qui ne s'est pas jointe à l'appel.

13. Par conséquent, en l'absence d'indivisibilité au sens de l'article 553 du code de procédure civile, l'infirmation de la décision de condamnation sur l'appel formé par l'une des parties condamnées solidairement ne produit pas d'effet à l'égard des autres parties condamnées.

14. L'arrêt infirme le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], M. [C], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] à payer à la société CACL la somme de 79 674 euros en réparation de son préjudice ainsi que la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

15. En statuant ainsi, alors qu'elle n'était saisie que du seul appel relevé par Mme [BN] et qu'aucune indivisibilité au sens de l'article 553 du code de procédure civile n'étant caractérisée, seule l'appelante pouvait profiter de l'infirmation de la décision de condamnation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. La cassation prononcée, par voie de retranchement, n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en tant qu'infirmant le jugement en toutes ses dispositions, il déboute la société Compagnie agricole du Comté de Loheac de ses demandes tendant à voir condamner solidairement M. [LI], M. [H], M. [J], M. [G] [ZT], M. [X], M. [L], M. [N], M. [C], Mme [WD], M. [MO], M. [R], M. [U] [ZT], M. [BG], M. [T] [A], M. [V] [A] et Mme [B] à payer à la société Compagnie agricole du Comté de Loheac de toutes leurs demandes [lire en réalité : la somme de 79 674 euros en réparation du préjudice subi et celle de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile], l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 553 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 novembre 2022, pourvoi n° 20-19.782, Bull. (cassation) ; 3e Civ., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-15.217, Bull. (cassation partielle).

2e Civ., 23 mars 2023, n° 21-18.252, (B), FS

Annulation

Voies de recours – Recevabilité – Conditions – Article 528-1 du code de procédure civile – Recours en révision – Application (non)

Les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile, selon lesquelles, si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai, doivent être interprétées à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte qu'elles ne s'appliquent pas au recours en révision qui, selon l'article 595 du code de procédure civile, n'est ouvert que pour l'une des causes prévues à ce texte, et dont le délai de deux mois ne court qu'à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 mai 2021), M. [W] a fait construire une maison d'habitation par la société Bolmont Frères, assurée auprès de la Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics (CAMBTP), sous la maîtrise d'oeuvre de M. [P] [S], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF).

2. Après expertise judiciaire, ordonnée en l'état de fissures apparues sur les murs extérieurs de la maison et au cours de laquelle a été avéré que la construction ne respectait pas les normes parasismiques, M. [W] a assigné les constructeurs et leurs assureurs, respectivement en indemnisation et garantie.

3. Par arrêt du 22 octobre 2012, une cour d'appel a déclaré M. [P] [S] et la société Bolmont Frères responsables in solidum de la non-conformité de la maison aux normes de construction parasismiques, a ordonné une expertise concernant la reprise des désordres, a débouté M. [P] [S] et la MAF de leur action en garantie contre la CAMBTP et a déclaré irrecevable la demande en garantie de M. [W] contre la CAMBTP.

4. Sur l'opposition de la société Bolmont Frères, un arrêt d'une cour d'appel du 7 janvier 2014 a fixé à 50 % la part des responsabilité incombant respectivement à M. [P] [S] et à la société Bolmont Frères dans la réalisation du dommage.

5. Par arrêt du 9 octobre 2017, une cour d'appel, statuant sur le préjudice de M. [W], a condamné in solidum M. [P] [S], garanti par la MAF, et la société Bolmont Frères à lui payer diverses sommes en réparation de son préjudice matériel et de jouissance et a rejeté la demande de M. [W] en démolition-reconstruction.

6. Le pourvoi de M. [W] formé contre cet arrêt a été rejeté (3e Civ., 14 février 2019, pourvoi n° 18-11.836).

7. Les 26 et 30 décembre 2020, M. [W] a assigné M. [P] [S] et la MAF en révision de l'arrêt du 9 octobre 2017 aux fins de rétractation et de condamnation de M. [P] [S], sous la garantie de la MAF, à lui payer différentes sommes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. M. [W] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable le recours en révision, alors :

« 1°/ que l'article 528-1 du code de procédure civile, aux termes duquel, si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal, ayant pour objet d'éviter que les voies de recours ouvertes à l'encontre d'un jugement au cours de ce délai puissent l'être indéfiniment au motif que la décision n'a pas été notifiée, est donc inapplicable au recours en révision, dont le délai d'exercice, qui ne court qu'à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision, ne dépend pas d'une telle notification ; qu'en retenant que le recours en révision exercé par M. [W] en décembre 2019 était irrecevable dès lors qu'il était dirigé contre un arrêt du 9 octobre 2017, qui n'avait pas été notifié dans le délai de deux ans suivant son prononcé, la cour d'appel a violé l'article 528-1 du code de procédure civile, par fausse application, et l'article 596 du code de procédure civile, par refus d'application ;

2°/ qu'en toute hypothèse, si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, ces limitations ne peuvent porter atteinte à sa substance même, et ne se concilient avec l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elles tendent à un but légitime, et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; que si les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile poursuivent le but légitime d'éviter que les voies de recours à l'encontre d'un jugement soient indéfiniment ouvertes au motif que la décision n'a pas été notifiée, leur application au recours en révision, dont le délai ne court pas à compter de la notification de la décision, mais de la cause justifiant son exercice, ne présente pas un rapport raisonnable de proportionnalité avec ce but ; qu'en faisant néanmoins application de ce texte, pour déclarer irrecevable le recours en révision exercé par M. [W], la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 528-1 et 595 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 528, 528-1, 593, 595 et 596 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

9. Selon le premier de ces textes, le délai à l'expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n'ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement.

Selon le deuxième, si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai.

10. Aux termes du troisième, le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.

Aux termes du quatrième, le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes : 1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; 2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ; 3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ; 4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement. Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.

11. Selon le cinquième de ces textes, le délai du recours en révision court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.

12. La Cour de cassation a jugé (2e Civ., 7 juillet 2005, pourvoi n° 03-15.662, Bull. 2005,II, n° 183 ; 2e Civ., 17 mai 2018, pourvoi n° 16-28.742, Bull. 2018, II, n° 104) que l'article 528-1 du code de procédure civile s'appliquant aux voies de recours ordinaires et extraordinaires, une partie qui a comparu n'est pas recevable, en application de ces dispositions, à former un recours en révision contre un jugement qui n'a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé.

13. Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette interprétation.

14. D'une part, l'article 528-1 du code de procédure civile a été créé, par le décret n° 89-511 du 20 juillet 1989, afin d'éviter, pour des préoccupations tenant à la sécurité juridique, qu'un jugement qui n'a pas été notifié demeure susceptible d'un recours, sans limite dans le temps, dans les cas où, en application de l'article 528 du même code, le délai de recours court à compter de la notification du jugement.

15. Le recours en révision tend à faire rétracter, ainsi qu'il est dit à l'article 593 du code de procédure civile, un jugement passé en force de chose jugée, lequel se définit comme celui qui n'est susceptible, conformément à l'article 500 du même code, d'aucun recours suspensif d'exécution.

16. Le délai de recours en révision, qui n'est ouvert que pour l'une des causes limitativement énumérées à l'article 595 du code de procédure civile, court à compter, non de la date de notification du jugement, mais du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.

17. L'objectif du recours en révision, destiné à faire obstacle au maintien d'une décision de justice, serait-elle irrévocable, qui aurait été obtenue par fraude ou selon un déroulement déloyal de la procédure, est étranger à celui poursuivi par l'article 528-1 du code de procédure civile.

18. D'autre part, interdire à la partie à l'encontre de laquelle le jugement a été rendu la faculté d'agir en révision, faute pour celui-ci d'avoir été notifié dans les deux ans de son prononcé, méconnaîtrait, eu égard à la finalité du recours en révision, tant le droit d'accès au juge que le droit à un procès équitable, garantis par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

19. Il en résulte que l'exercice du recours en révision ne saurait être entravé par les dispositions de l'article 528-1 précité.

20. Il apparaît, dès lors, nécessaire d'interpréter désormais les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile à la lumière des dispositions conventionnelles rappelées plus haut, en ce sens qu'elles ne s'appliquent pas au recours en révision.

21. Pour déclarer irrecevable le recours en révision de M. [W], l'arrêt retient qu'il est admis que les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile s'appliquent tant aux voies de recours ordinaires que extra-ordinaires et qu'ainsi, un recours en révision contre un jugement qui n'a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé est irrecevable.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles 528-1 et 595 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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