Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

JUGE DE L'EXECUTION

2e Civ., 2 mars 2023, n° 21-13.545, (B), FRH

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Compétence – Contestation s'élevant à l'occasion de l'exécution forcée – Exclusion – Radiation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP)

En application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, si le juge de l'exécution est compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'exécution forcée, il n'entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de radiation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 février 2021), sur le fondement de prêts notariés des 19 septembre 2006 et 11 mars 2009, la société Record Bank a délivré à M. et Mme [Z] un commandement valant saisie immobilière le 11 janvier 2013 sur un bien immobilier leur appartenant.

2. Par jugement du 21 octobre 2013, un juge de l'exécution a, après avoir rejeté les contestations de M. et Mme [Z], autorisé la vente amiable du bien.

3. Par arrêt du 11 avril 2014, une cour d'appel a confirmé ce jugement, et, y ajoutant, fixé le montant de la créance du poursuivant.

4. Par jugement du 9 février 2015, un juge de l'exécution a constaté la caducité du commandement.

5. Le 3 septembre 2018, la société Centrale Kredietverlening NV (la société CKV), disant venir aux droits de la société Record Bank, a signifié à M. et Mme [Z] un nouveau commandement de payer valant saisie immobilière.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

7. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de les débouter de toutes leurs demandes, de valider la procédure de saisie immobilière entreprise à leur encontre selon commandement valant saisie en date du 3 septembre 2018, publié le 7 septembre 2018 au service de la publicité foncière d'[Localité 6] 1er bureau-volume 2018 n° 60, sur une propriété d'habitation située commune de [Localité 7] (13), [Adresse 5], cadastrée section AW n° [Cadastre 2] pour 19a 39ca, section AW n° [Cadastre 1] pour 0a 61ca et section AW n° [Cadastre 4] pour 11a 43 ca, de fixer le montant de la créance à la somme de 664 781,50 euros, outre intérêts au taux de 4,70 % l'an sur la somme de 644 200,25 euros et au taux légal sur la somme de 20 581,25 euros, ce, à compter du 17 novembre 2020, outre frais et accessoires, jusqu'à parfait paiement, alors « que les juges du fond ne peuvent statuer sur les demandes dont ils sont saisis sans examiner, fût-ce pour les écarter, l'ensemble des éléments de preuve produits par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en se contentant d'énoncer, pour fixer le montant de la créance de la société CKV à l'encontre des époux [Z] à hauteur de 664 781,560 euros, que si ces derniers alléguaient avoir versé de juin 2014 à octobre 2018 une somme globale de 159 283,17 euros par montants trimestriels de 6 579,98 euros, le décompte qu'ils communiquaient (pièce n° 5) constituait une simple affirmation de leur part sans portée probatoire, sans même examiner, fût-ce pour les écarter, les ordres de virement et relevés de compte qu'ils avaient versés aux débats pour établir la réalité des paiements visés dans leur décompte (pièces n° 6 et 7), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

9. Pour fixer la créance du poursuivant à la somme retenue, l'arrêt retient que les époux [Z] affirment avoir versé de juin 2014 à octobre 2018 une somme globale de 159 283,17 euros par montants trimestriels de 6 579,98 euros et que le décompte qu'ils communiquent constitue la pièce n° 5 de leur dossier, et qu'il s'agit, à défaut de pièces justificatives, d'une simple affirmation de leur part qui n'a pas de portée probatoire.

10. En statuant ainsi, sans analyser, même sommairement, les pièces n° 6 et 7 du bordereau de communication de M. et Mme [Z], constitué d'ordres de virement et de relevés de compte sur la période visée par le décompte, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen relevé d'office

11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire :

12. En application de cet article, si le juge de l'exécution est compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'exécution forcée, il n'entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de radiation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

13. Dès lors qu'une telle demande ne constitue pas une contestation de la mesure d'exécution au sens du texte précité, le juge de l'exécution ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci.

14. Or, le défaut de pouvoir juridictionnel d'un juge constitue une fin de non- recevoir, qui peut être proposée en tout état de cause en application de l'article 123 du code de procédure civile.

15. En se déclarant incompétente pour statuer sur la demande de radiation du FICP, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la demande de radiation du FICP.

18. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 12 à 15 qu'il y a lieu de déclarer irrecevable la demande de M. et Mme [Z] tendant à leur radiation du FICP.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a validé la procédure de saisie immobilière entreprise à l'encontre de M. et Mme [Z] selon commandement valant saisie en date du 3 septembre 2018 publié le 7 septembre 2018 au service de la publicité foncière d'Aix en Provence 1er bureau- volume 2018 n° 60, sur une propriété d'habitation située commune de [Localité 7] (13), [Adresse 5], cadastrée section AW n° [Cadastre 2] pour 19 a 39 ca, section AW n° [Cadastre 1] pour 0 a 61 ca et section AW n° [Cadastre 4] pour 11 a 43 ca, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi sur la demande de radiation du FICP ;

Déclare la demande de radiation du FICP irrecevable ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en- Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.

2e Civ., 2 mars 2023, n° 21-10.465, (B), FRH

Rejet

Compétence – Exclusion – Cas – Créance – Déclaration – Régularité – Procédure collective

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 26 novembre 2020) et les productions, par acte notarié du 16 décembre 2004, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la CRCAM) a consenti plusieurs prêts à la société Nemrod (la société).

2. M. et Mme [J] se sont portés cautions solidaires de ses engagements et ont consenti une hypothèque sur certains de leurs biens.

3. Le 5 février 2008, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Nemrod, procédure étendue à M. et Mme [J] pour confusion de patrimoine le 2 décembre 2008.

4. Le 18 février 2008, la CRCAM a effectué une première déclaration de créances au passif de la société et, le 22 décembre 2008, une autre au passif de M. et Mme [J], ces deux déclarations comportant les prêts susmentionnés et d'autres créances.

5. Par ordonnance du 24 septembre 2009, confirmée par l'arrêt d'une cour d'appel du 21 juin 2011, le juge-commissaire a, sur contestation de la société, admis au passif de cette dernière des créances relatives à un plafond de trésorerie et un crédit en compte courant, mais dit qu'il n'avait pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur la contestation relative aux créances nées d'effets de commerce.

Les créances afférentes aux prêts du 16 décembre 2004 ne sont pas visées par cette décision.

6. La Cour de cassation a cassé partiellement cet arrêt en ce que le juge-commissaire avait le pouvoir de statuer sur la créance relative aux effets de commerce (Com., 26 mars 2013, pourvoi n° 11-24.148), et renvoyé l'affaire devant une cour d'appel.

7. Le 6 octobre 2009, un tribunal de grande instance a validé un plan de continuation sur quinze ans.

8. Le 20 mars 2014, à la demande du commissaire à l'exécution du plan, ce tribunal a prononcé la résolution du plan pour non respect des engagements des débiteurs et la liquidation judiciaire de la société et de M. et Mme [J], la SCP Raymond étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

9. Le 1er juillet 2014, une cour d'appel a confirmé la résolution du plan mais infirmé le jugement sur la liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, dit n'y avoir lieu à liquidation judiciaire.

Par arrêt du 18 mai 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre cet arrêt (Com., 18 mai 2016, pourvoi n° 14-23.859).

10. La cour d'appel de renvoi, qui, saisie de la contestation des créances au passif de la société, avait sursis à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi sur la résolution du plan par arrêt du 28 janvier 2016, a, par arrêt distinct du 22 novembre 2018, constaté la péremption d'instance.

11. Le 23 avril 2018, la CRCAM a fait délivrer à M. et Mme [J], sur le fondement de l'acte notarié du 16 décembre 2004, un commandement aux fins de saisie-vente que ceux-ci ont contesté devant un juge de l'exécution.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, et sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

13. M. et Mme [J] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a dit bon et valable le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 23 avril 2018 et, réformant le jugement et statuant à nouveau, validé le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 23 avril 2018 à hauteur de la somme de 228 000 euros, outre les frais à hauteur de la somme de 736,40 euros, soit 228 736,40 euros, alors :

« 1°/ que les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ne sont pas nouvelles, même si leur fondement juridique est différent ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions devant le premier juge, les époux [J] sollicitaient la nullité, pour irrégularité, du commandement de saisie-vente dont ils avaient été les destinataires ; qu'en appel, ils ajoutaient que ce commandement était encore irrégulier, pour reposer sur une déclaration de créance elle-même frappée de nullité ; que la fin recherchée était identique, puisqu'elle tendait à la nullité du commandement, de sorte qu'en jugeant que la demande de nullité de la déclaration de créance était irrecevable comme étant évoquée pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 565 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; qu'en l'espèce, il appartenait donc au juge de l'exécution de se prononcer sur la régularité des déclarations des créances effectuées par la CRCAM le 22 décembre 2008 dans le cadre de l'extension de la procédure collective aux époux [J], puisque les créances litigieuses fondaient les poursuites dirigées contre eux ; qu'en jugeant que la demande de la nullité de la déclaration de créance élevée dans le cadre de la contestation devant le juge de l'exécution était irrecevable, quand elle avait pourtant été élevée à l'occasion de l'exécution forcée, la cour d'appel a violé l'article L. 231-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

14. En application de l'article L. 624-2 du code de commerce, le juge de l'exécution n'est pas compétent pour statuer sur la régularité d'une déclaration de créance effectuée à l'occasion d'une procédure collective, laquelle ressortit à la compétence exclusive du juge-commissaire.

15. C'est, dès lors, à bon droit que l'arrêt retient que la contestation de la déclaration de créance relevait exclusivement de la compétence du juge-commissaire et n'était pas recevable devant la cour d'appel, statuant avec les pouvoirs du juge de l'exécution.

16. Dès lors, le moyen, inopérant en sa première branche en ce qu'il attaque des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 624-2 du code de commerce.

2e Civ., 2 mars 2023, n° 20-21.303, (B), FS

Cassation partielle

Décision – Sursis à exécution – Domaine d'application

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2020) et les productions, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bobigny a, par ordonnance du 3 octobre 2018, autorisé la société Aéroports de Paris (la société ADP), sur le fondement de l'article L. 6123-2 du code des transports, à procéder à la saisie conservatoire de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 4] ou de celui immatriculé [Immatriculation 3], en garantie du paiement de sa créance à l'encontre de la société Primera Air Scandinavia, correspondant au montant de redevances aéroportuaires impayées au titre de cinq aéronefs.

2. Le même jour, la société ADP a fait signifier l'ordonnance à la direction générale de l'aviation civile et procéder à la saisie conservatoire de l'aéronef [Immatriculation 4].

3. Par jugement du 18 octobre 2018, le juge de l'exécution a déclaré recevable la contestation de la saisie conservatoire élevée par la société Aviation Capital Group (la société ACG), en qualité de bénéficiaire d'un trust, ordonné, sous astreinte, la mainlevée immédiate de la saisie conservatoire de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 4] et condamné la société ADP à payer à la société ACG une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour abus de saisie, outre une somme au titre des frais irrépétibles.

4. La société ADP a, le 18 octobre 2018, interjeté appel du jugement et saisi le premier président de la cour d'appel d'une demande de sursis à exécution.

5. Par arrêt du 20 décembre 2018, la cour d'appel a confirmé le jugement et, y ajoutant, liquidé l'astreinte pour la période du 24 octobre au 13 novembre 2018 et condamné la société ADP à payer à la société ACG le montant de l'astreinte ainsi liquidée.

6. Par ordonnance du 20 février 2019, le premier président de la cour d'appel a constaté son dessaisissement par l'effet de la décision du 20 décembre 2018.

7. Le pourvoi formé contre la décision du 20 décembre 2018 a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2020 (1re Civ., 24 juin 2020, pourvoi n° 19-13.021).

8. Entre-temps, le 18 octobre 2018, la société ACG avait, en exécution du jugement du 18 octobre 2018, fait délivrer un commandement de payer aux fins de saisie-vente à la société ADP et fait pratiquer à son encontre, le 29 octobre 2018, une saisie-attribution et une saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières.

9. La société ADP a saisi un juge de l'exécution d'une contestation, la société ACG sollicitant à titre reconventionnel la liquidation de l'astreinte pour la période du 9 novembre au 21 décembre 2018.

10. Par jugement du 27 février 2019, le juge de l'exécution a rejeté les demandes de nullité du commandement aux fins de saisie-vente, du procès-verbal de saisie-attribution, du procès-verbal de saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières ainsi que les demandes de mainlevée de ces mesures, liquidé l'astreinte pour la période du 14 novembre 2018 au 21 décembre 2018 à une certaine somme et condamné la société ADP à payer à la société ACG le montant de l'astreinte ainsi liquidée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. La société ADP fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de nullité du commandement aux fins de saisie-vente du 18 octobre 2018, du procès-verbal de saisie-attribution du 29 octobre 2018, du procès-verbal de saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières du 29 octobre 2018, pratiquées à son encontre par la société ACG en exécution du jugement du 18 octobre 2018, et de rejeter les demandes de mainlevée de ces mesures, alors « que lorsque le juge de l'exécution a ordonné la mainlevée d'une mesure, la demande de sursis à exécution adressée au premier président de la cour d'appel suspend l'exécution provisoire attachée à cette décision dès la saisine du premier président jusqu'à son ordonnance, en prorogeant les effets attachés aux mesures conservatoires, sans distinguer selon que la mesure conservatoire a été pratiquée ou non sur autorisation préalable du juge de l'exécution obtenue sur requête : que le droit à un recours effectif devant la cour d'appel implique que l'intéressé puisse exercer un recours contre une décision lui faisant grief, dans des conditions lui permettant d'obtenir, le cas échéant, un redressement approprié de sa situation ; qu'en décidant au contraire que le premier président de la cour d'appel n'était par principe pas compétent pour ordonner le sursis à exécution d'un jugement ayant ordonné la mainlevée d'une saisie conservatoire, au prétexte que la mesure a été pratiquée sur autorisation préalable du juge de l'exécution rendue sur requête, ce qui prive le saisissant de son droit à un recours effectif, la cour d'appel a violé les articles R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 496, alinéa 2, du code de procédure civile, R. 121-5 et R. 121-22, alinéas 1, 2 et 3, du code des procédures civiles d'exécution :

13. Aux termes du premier de ces textes, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

Aux termes du deuxième, sauf dispositions contraires, les dispositions communes du livre Ier du code de procédure civile sont applicables, devant le juge de l'exécution, aux procédures civiles d'exécution à l'exclusion des articles 481-1 et 484 à 492.

Selon le troisième, en cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel.

La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s'il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée. Jusqu'au jour du prononcé de l'ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n'a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.

Le sursis à exécution n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour d'appel.

14. Le premier président de la cour d'appel peut ordonner le sursis à l'exécution de toutes les décisions du juge de l'exécution, à l'exception de celles qui, dans les rapports entre créanciers et débiteurs, statuent sur les demandes dépourvues d'effet suspensif, à moins qu'elles n'ordonnent la mainlevée d'une mesure.

15. L'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution ne distingue pas selon que la mesure a été pratiquée avec ou sans autorisation préalable du juge.

16. Il s'ensuit qu'en cas d'appel du jugement ayant ordonné la mainlevée d'une mesure conservatoire autorisée sur requête, le créancier peut saisir le premier président de la cour d'appel d'une demande de sursis à exécution, cette demande prorogeant, conformément aux dispositions de l'article R. 121-22, alinéa 2, précité, les effets attachés à la mesure.

17. La demande de sursis à exécution, qui proroge les effets de la mesure conservatoire, suspend également la condamnation du créancier au paiement de dommages-intérêts pour abus de saisie ainsi que la condamnation aux dépens et aux frais irrépétibles, qui s'y rattachent par un lien de dépendance.

18. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité du commandement aux fins de saisie-vente, du procès-verbal de saisie-attribution et du procès-verbal de saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières et les demandes de mainlevée de ces mesures, l'arrêt retient qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du premier président d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 18 octobre 2018, ce qui reviendrait à faire produire à nouveau effet à une ordonnance rendue non contradictoirement et rétractée après débat contradictoire, de sorte que la saisine du premier président n'a pu proroger l'exécution provisoire de la mesure conservatoire dont le juge de l'exécution avait ordonné la mainlevée, de ce fait anéantie.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

20. La société ADP fait grief à l'arrêt de liquider à la somme de 1 850 000 euros pour la période allant du 14 novembre 2018 au 21 décembre 2018 l'astreinte ordonnée par le jugement du 18 octobre 2018, et de la condamner à payer cette somme à la société ACG, alors :

« 1°/ que l'astreinte est une mesure accessoire à une obligation principale, destinée à assurer l'exécution de la condamnation qu'elle assortit ; que pour apprécier si une astreinte doit ou non être supprimée, le juge doit vérifier si le débiteur de l'obligation principale inexécutée n'était pas dans l'impossibilité matérielle ou juridique de l'exécuter ; que la saisie conservatoire d'un aéronef fondée sur l'article L 6123-2 du code des transports n'est pas autorisée par le juge de l'exécution, mais ordonnée judiciairement par celui-ci, et sa décision est transmise aux autorités responsables de la circulation aérienne aux fins d'immobilisation de l'aéronef ; qu'il en résulte que l'immobilisation, comme la libération de l'aéronef en cas de mainlevée de la saisie, relève de la seule compétence de la Direction générale de l'aviation civile, sur transmission, par tout intéressé, de la décision judiciaire ; qu'en affirmant, pour dire que la société ADP ne s'était heurtée à aucune impossibilité matérielle ou juridique d'exécuter l'injonction de donner mainlevée de la saisie conservatoire de l'aéronef [Immatriculation 4] mise à sa charge, « qu'il lui suffisait, pour exécuter l'injonction mise à sa charge par le juge de l'exécution, de notifier à la DGAC le jugement ordonnant la mainlevée sous astreinte, ce qu'elle a fait le 21 décembre 2018 », après avoir constaté que c'est à la société ADP que le jugement du 18 octobre 2018 avait ordonné de donner mainlevée immédiate de la saisie conservatoire sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard, ce dont il résultait que l'injonction mise à sa charge était de procéder elle-même à cette mainlevée, ce qu'elle n'avait pas le pouvoir de faire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L 6123-2 du code des transports et L 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que la saisie conservatoire d'un aéronef réalisée sur le fondement de l'article L 6123-2 du code des transports, n'est pas autorisée par le juge de l'exécution mais ordonnée judiciairement par celui-ci et son ordonnance est transmise aux autorités responsables de la circulation aérienne aux fins d'immobilisation de celui-ci, si bien que son immobilisation, comme sa libération en cas notamment de décision judiciaire ordonnant la mainlevée de la saisie, relève de la seule compétence de la Direction générale de l'aviation civile sur transmission de la décision judiciaire par tout intéressé ou par le greffe ; qu'en affirmant, pour dire que la société ADP ne s'était heurtée à aucune impossibilité matérielle ou juridique d'exécuter l'injonction mise à sa charge sous astreinte, qu'il lui suffisait, pour exécuter l'injonction, de notifier à la DGAC le jugement ordonnant la mainlevée sous astreinte, ce qu'elle avait fait le 21 décembre 2018, quand aucun texte n'imposait à la société ADP de procéder à une telle notification, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles les articles L 6123-2 du code des transports et L 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ;

3°/ que l'astreinte peut être supprimée lorsque le débiteur démontre qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité juridique d'exécuter l'obligation assortie d'une astreinte mise à sa charge ; que la saisie d'un aéronef fondée sur l'article L 6123-2 du code des transports n'est pas autorisée par le juge de l'exécution mais ordonnée judiciairement par celui-ci et son ordonnance est transmise aux autorités responsables de la circulation aérienne aux fins d'immobilisation de celui-ci, si bien que son immobilisation, comme sa libération en cas notamment de décision judiciaire ordonnant la mainlevée de la saisie, relève de la seule compétence de la Direction générale de l'aviation civile, sur transmission de la décision judiciaire par tout intéressé ou par le greffe ; qu'en considérant que les erreurs successivement commises par les parties, l'huissier instrumentaire et les juges, dans l'interprétation du régime juridique de l'article L 6123-1 du code des transports, privait la société ADP de la possibilité de se prévaloir d'une impossibilité juridique d'exécuter l'injonction mise à sa charge, quand la circonstance que cette saisie avait été mise en oeuvre contra legem ne conférait pas pour autant à la société ADP le pouvoir de donner elle-même mainlevée de la saisie conservatoire de l'aéronef [Immatriculation 4], conformément à l'injonction qui lui avait été faite sous astreinte, la cour d'appel a violé de plus fort les articles L 6123-2 du code des transports et L 131-4 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

21. La société ACG conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est, d'une part, nouveau et mélangé de fait, d'autre part, contraire à la thèse développée par la société ADP devant la cour d'appel. Elle invoque par ailleurs le principe de l'estoppel.

22. Cependant, la société ADP faisait valoir dans ses conclusions d'appel, notamment, que le juge de l'exécution a l'obligation légale de supprimer l'astreinte s'il est établi que l'inexécution de l'injonction du juge provient en tout ou partie d'une cause étrangère, laquelle s'étend à tous les cas dans lesquels le débiteur s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle ou juridique de se conformer à l'injonction du juge, et qu'il ressort des dispositions législatives que c'est la direction générale de l'aviation civile qui immobilise l'aéronef en exécution de l'ordonnance de saisie, dès que celle-ci lui est transmise, et qui a seule le pouvoir de mettre ensuite un terme à cette immobilisation dès qu'elle est informée du paiement des redevances ou, comme en l'espèce, d'une mainlevée de la saisie, ordonnée par une décision de justice.

La cour d'appel a jugé sur ce point que l'appelante ne s'était heurtée à aucune impossibilité matérielle ou juridique d'exécuter l'injonction mise à sa charge.

23. Il en résulte que le moyen n'est ni nouveau, ni incompatible avec la thèse antérieurement soutenue devant la cour d'appel, ni ne traduit, de la part de la société ADP, des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induiraient en erreur son adversaire sur ses intentions.

24. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

25. Ayant relevé, en premier lieu, que le juge de l'exécution avait autorisé la société ADP, par ordonnance du 3 octobre 2018, à procéder à la saisie conservatoire, à son choix, de l'un des deux aéronefs visés dans cette décision, en deuxième lieu, que, par jugement du 18 octobre 2018, le juge avait ordonné sous astreinte la mainlevée de la saisie pratiquée sur l'aéronef immatriculé [Immatriculation 4] et, en troisième lieu, que la saisie conservatoire avait été effectuée à la requête de la société ADP par un huissier de justice qui avait posé des scellés et apposé des placards sur l'aéronef et qu'il en était de même de la mainlevée de la saisie effectuée, le 21 décembre 2018, par l'huissier de justice qu'elle avait mandaté à cet effet et qui avait procédé au bris des scellés et au retrait des placards, l'appelante ayant notifié le même jour cette mainlevée à la direction générale de l'aviation civile, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel en a déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que la société ADP ne s'était heurtée à aucune impossibilité matérielle ou juridique d'exécuter l'injonction mise à sa charge.

26. Dès lors, le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le moyen relevé d'office

27. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 131-2, alinéa 1er, R. 131-1 et R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution :

28. Selon le premier de ces textes, l'astreinte est indépendante des dommages-intérêts.

Aux termes du deuxième, l'astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire. Toutefois, elle peut prendre effet dès le jour de son prononcé si elle assortit une décision qui est déjà exécutoire.

Selon le troisième, en cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel. Jusqu'au jour du prononcé de l'ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n'a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.

29. Ainsi qu'il est dit au paragraphe 16, en cas d'appel du jugement ayant ordonné la mainlevée d'une mesure conservatoire autorisée sur requête, le créancier peut saisir le premier président de la cour d'appel d'une demande de sursis à exécution, cette demande prorogeant, conformément aux dispositions de l'article R. 121-22, alinéa 2, précité, les effets attachés à la mesure.

30. Il en résulte que l'astreinte dont est assortie l'obligation de mainlevée ne commence ou ne recommence à courir, selon le cas, qu'à compter de la notification de l'ordonnance du premier président de la cour d'appel rejetant la demande de sursis ou, si l'arrêt d'appel confirmant le jugement est rendu auparavant, du jour où celui-ci devient exécutoire, à moins que les juges d'appel n'en fixent un point de départ postérieur.

31. Pour liquider l'astreinte pour la période du 14 novembre 2018 au 21 décembre 2018 et condamner la société ADP à payer à la société ACG le montant de l'astreinte ainsi liquidée, l'arrêt retient que le jugement du 18 octobre 2018 était exécutoire depuis sa signification du 23 octobre 2018.

32. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

33. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif rejetant, d'une part, les demandes de nullité du commandement aux fins de saisie-vente du 18 octobre 2018, du procès-verbal de saisie-attribution du 29 octobre 2018 et du procès-verbal de saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières du 29 octobre 2018, d'autre part, les demandes de mainlevée de ces mesures, entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la société ADP au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du 27 février 2019, il rejette les demandes de nullité du commandement aux fins de saisie-vente du 18 octobre 2018, du procès-verbal de saisie-attribution du 29 octobre 2018 et du procès-verbal de saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières du 29 octobre 2018, rejette les demandes de mainlevée de ces mesures, liquide l'astreinte prononcée par le jugement du 18 octobre 2018 à la somme de 1 850 000 euros pour la période du 14 novembre 2018 au 21 décembre 2018, condamne la société Aéroports de Paris à verser à la société Aviation Capital Group la somme de 1 850 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte et condamne la société Aéroports de Paris à verser à la société Aviation Capital Group la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-17.931, Bull. (rejet) ; 2e Civ., 18 décembre 1996, pourvoi n° 95-12.602, Bull. 1996, II, n° 305 (cassation sans renvoi).

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