Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

3e Civ., 30 mars 2023, n° 22-14.163, (B), FS

Rejet

Indemnité – Immeuble – Situation juridique de l'immeuble – Plan local d'urbanisme – Date de référence – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er février 2022), par une délibération du 11 décembre 2013, le conseil municipal de la commune de [Localité 6] a approuvé la création de la zone d'aménagement concerté (ZAC) de l'écoquartier des Orfèvres.

L'aménagement de cette ZAC a été confié à la Société d'équipement du Rhône et de Lyon (la SERL).

2. Par arrêté du 28 janvier 2019, le préfet de l'Ain a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition des terrains nécessaires à l'aménagement de la ZAC et dit que l'arrêté « emporte mise en compatibilité du PLU de la commune de [Localité 6] conformément aux documents joints au dossier d'enquête et qui resteront annexés audit arrêté.

Le dossier de mise en compatibilité devra être annexé au PLU de la commune de [Localité 6] ».

3. Par arrêté du 26 juillet 2019, le préfet de l'Ain a déclaré cessibles les terrains nécessaires à la réalisation du projet, dont la parcelle cadastrée section AH n° [Cadastre 5], situés sur le territoire de la commune de [Localité 6] et appartenant à Mme et M. [O].

4. L'ordonnance d'expropriation est intervenue le 16 octobre 2019.

5. Faute d'accord sur le montant des indemnités de dépossession, la SERL a saisi le juge de l'expropriation du département de l'Ain.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. L'autorité expropriante fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait les indemnités revenant à Mme et M. [O], alors « que lorsque le bien exproprié est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté, est seul pris en considération, pour son estimation, son usage effectif à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique, peu important que le bien soit par ailleurs soumis à un droit de préemption urbain ; qu'en retenant que la date de référence devait être fixée à la date à laquelle était devenu opposable aux tiers le plus récent des actes approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone où se situait la parcelle, soit le 26 février 2019, date de la publication de la dernière « révision » du plan local d'urbanisme, motif pris de ce que le bien exproprié était soumis à un droit de préemption urbain, quand cette date devait être fixée à la date de publication de l'acte créant la zone, le bien étant situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté, la cour d'appel a violé l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, par refus d'application, et les articles L. 213-4 et L. 213-6 du code de l'urbanisme, par fausse application. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que, lorsque le bien exproprié est situé à l'intérieur du périmètre d'une ZAC mentionnée à l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, la date de référence est celle de la publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.

9. Par dérogation, lorsque le bien exproprié, situé à l'intérieur du périmètre d'une telle zone, est soumis au droit de préemption urbain, il résulte de la combinaison des articles L. 213-4, a), et L. 213-6 du code de l'urbanisme que la date de référence prévue à l'article L. 322-2 précité est, pour les biens non compris dans une zone d'aménagement différé, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

10. La cour d'appel a constaté que le bien exproprié, situé dans le périmètre de la ZAC de l'écoquartier des Orfèvres, était soumis au droit de préemption urbain depuis le 12 avril 2017 et en a exactement déduit que la date de référence était celle définie par les articles du code de l'urbanisme.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Brun - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; articles L. 213-4, a), et L. 213-6 du code de l'urbanisme.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 10 juillet 2002, pourvoi n° 01-70.229, Bull. 2002, III, n° 166 (cassation) ; 3e Civ., 10 mai 2007, pourvoi n° 05-20.623, Bull. 2007, III, n° 76 (rejet).

3e Civ., 16 mars 2023, n° 22-11.429, (B), FS

Cassation partielle

Indemnité – Préjudice – Réparation – Immeuble en copropriété – Expropriation de parties communes – Indemnisation du préjudice distinct subi par le copropriétaire – Conditions – Représentation par le syndicat des copropriétaires – Exclusion – Portée

En application des articles L. 321-1 et L. 321-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, un syndicat des copropriétaires ne peut représenter chaque copropriétaire pour la défense de ses droits sur son lot et ne peut donc se voir allouer une indemnité de dépréciation du surplus de l'ensemble de la copropriété.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 décembre 2021), une portion des parties communes de la copropriété [Adresse 4] a fait l'objet d'une procédure d'expropriation en urgence au profit de la société Autoroute Esterel Côte-d'Azur Provence Alpes (la société expropriante).

2. Le juge de l'expropriation a fixé l'indemnité de dépossession revenant au syndicat des copropriétaires de la copropriété [Adresse 4].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société expropriante fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnité pour dépréciation du surplus à une certaine somme, alors « que les indemnités d'expropriation allouées doivent couvrir le seul préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que la détermination du montant de l'indemnité pour dépréciation du surplus ne doit pas excéder le préjudice réellement subi, constitué par la moins-value consécutive à l'expropriation partielle, subie par le surplus non exproprié ; qu'en indemnisant globalement la dépréciation de l'immeuble, comprenant les parties communes et les parties privatives là où elle devait la limiter aux seules parties communes dès lors que l'expropriation portait uniquement sur des parties communes à l'ensemble des copropriétaires et n'était poursuivie qu'à l'encontre du syndicat des copropriétaires, seule partie à l'instance, la cour d'appel, qui a retenu une indemnisation supérieure à la valeur dépréciée du surplus non exproprié des parties communes, seules ici en litige, a violé les dispositions des articles L. 321-1 et L 321-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 321-1 et L. 321-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique :

5. Aux termes du premier de ces textes, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

6. Selon le second, le juge prononce des indemnités distinctes en faveur des parties qui les demandent à des titres différents.

7. Pour allouer au syndicat des copropriétaires [Adresse 4] une indemnité de dépréciation du surplus, l'arrêt retient que la dévalorisation du surplus de la copropriété résulte de la disparition de près d'un tiers des emplacements de parking matérialisés, ce qui, en zone urbaine, est de nature à dissuader fortement les candidats acquéreurs et à diminuer la valeur marchande au mètre carré de la copropriété de sorte que cette dépréciation, évaluée à 20 %, doit s'appliquer au prix moyen de vente au mètre carré d'après des exemples de ventes de lots privatifs au sein de la copropriété.

8. En statuant ainsi, alors que le syndicat des copropriétaires ne peut représenter chaque copropriétaire pour la défense de ses droits sur son lot et ne peut donc se voir allouer une indemnité de dépréciation du surplus de l'ensemble de la copropriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe l'indemnité pour dépréciation du surplus à la somme de 326 152 euros et condamne la société Escota à payer au syndicat des copropriétaires de la copropriété [Adresse 4] la somme de 365 727,46 euros, en ce qu'elle comprend celle de 326 152 euros, l'arrêt rendu le 2 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Brun - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles L. 321-1 et L. 321-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

3e Civ., 1 mars 2023, n° 22-12.455, (B), FS

Rejet

Rétrocession – Terrains agricoles – Droit de priorité pour leur acquisition – Domaine d'application – Détermination

Le droit de priorité prévu par l'article L. 424-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, qui ne trouve sa cause qu'en cas de non-affectation de la parcelle expropriée au but d'intérêt général défini par la déclaration d'utilité publique, se rattache au droit de rétrocession prévu à l'article L. 421-1 du même code et, comme lui, ne s'applique pas aux portions de parcelles non utilisées pour l'usage prévu par la déclaration d'utilité publique lorsque l'essentiel des parcelles expropriées a reçu cette destination.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 décembre 2021), plusieurs terrains agricoles appartenant à M. et Mme [N] ont été expropriés au profit du département de l'Essonne (le département), aux fins de réalisation d'une infrastructure routière déclarée d'utilité publique.

2. Après réalisation des travaux, le département a vendu à la société Pomona des reliquats de parcelles non utilisés ayant appartenu à M. et Mme [N].

3. Ces derniers ont assigné le département en indemnisation des préjudices résultant de la méconnaissance de leur droit de priorité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors :

« 1°/ que lorsque les immeubles expropriés sont des terrains agricoles au moment de leur expropriation et qu'une partie de ces terrains, non utilisée pour l'opération envisagée, est ensuite cédée par l'expropriant, les anciens propriétaires disposent d'une priorité pour leur acquisition ; que ce droit de priorité n'est pas subordonné à la démonstration de la non affectation de l'essentiel des parcelles expropriées à l'usage prévu par la déclaration d'utilité publique ; que la méconnaissance de ce droit de priorité des anciens propriétaire oblige l'expropriant à réparer le préjudice qui en est résulté ; qu'en déboutant pourtant, en l'espèce, les expropriés qui reprochaient à l'expropriant de n'avoir pas respecté leur droit de priorité, au prétexte que la condition de non-affectation à l'usage prévu n'était pas remplie, la cour d'appel a violé l'article L. 424-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique par refus d'application, ensemble l'article L. 421-1 du même code par fausse application, et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que toute personne a droit au respect de ses biens et ne peut en être privée que dans les conditions prévues par la loi et pour cause d'utilité publique ; que porte une atteinte disproportionnée à ce droit l'expropriant qui, après l'expropriation, n'utilise pas une partie des terrains expropriés et les revend en réalisant un profit important, sans les avoir proposés préalablement à leur ancien propriétaire ; qu'en jugeant pourtant que le département de l'Essonne avait pu revendre les terrains dont les époux [N] avaient été expropriés et qui n'avaient pas été utilisés pour l'usage prévu par la déclaration d'utilité publique, pour un prix plus de 3,5 fois supérieur à l'indemnité d'expropriation, sans les avoir proposés préalablement à leurs anciens propriétaires expropriés, la cour d'appel a consacré une atteinte disproportionnée aux droits des époux [N] au respect de leurs biens, en violation de l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. D'une part, la cour d'appel a relevé, à bon droit, que le droit de priorité prévu par l'article L. 424-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne trouve sa cause qu'en cas de non-affectation de la parcelle expropriée au but d'intérêt général défini par la déclaration d'utilité publique et se rattache au droit de rétrocession prévu à l'article L. 421-1 du même code et, comme lui, ne s'applique pas aux portions de parcelles non utilisées pour l'usage prévu par la déclaration d'utilité publique si l'essentiel des parcelles expropriées a reçu cette destination.

6. Ayant retenu que les anciennes parcelles de M. et Mme [N] non affectées à l'usage prévu par la déclaration d'utilité publique ne représentaient que 3,2 % de la surface totale de l'opération d'expropriation, elle en a exactement déduit que la condition de non-affectation à l'usage prévu n'était pas remplie et que les expropriés ne bénéficiaient pas d'un droit de priorité lors de la cession à un tiers des parcelles concernées.

7. D'autre part, la cour d'appel, qui a retenu que l'expropriant avait réalisé l'opération en conformité avec le projet déclaré d'utilité publique, que les biens expropriés avaient été affectés dans leur quasi-totalité à l'usage prévu par ce projet d'intérêt général et que, dans ces conditions, les expropriés ne bénéficiaient pas d'un droit de priorité, n'a pas indûment privé ces derniers d'une plus-value ni porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de leurs biens garanti par l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles L. 421-1 et L. 424-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

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