Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

ETRANGER

1re Civ., 15 mars 2023, n° 22-18.147, (B), FS

Rejet

Documents d'identité et d'état civil – Dispense de légalisation – Exclusion – Protection subsidiaire

1- La Convention relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative accordée aux réfugiés, signée à Bâle le 3 septembre 1985, dont l'article 8 prévoit que sont dispensés de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des États liés par la Convention les documents concernant l'identité et l'état civil produits par les réfugiés et émanant de leurs autorités d'origine, ne s'applique pas aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, cette protection ne pouvant être accordée qu'aux personnes ne remplissant pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié.

2- L'article 31, § 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, transposé à l'article L. 561-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), n'impose aux Etats membres de prendre, dès que possible, les mesures nécessaires afin d'assurer la représentation légale d'une personne bénéficiaire d'une protection internationale que si celle-ci est un mineur non accompagné.

Il appartient au juge des tutelles des mineurs, compétent en application de l'article L. 213-3-1, 2°, du code de l'organisation judiciaire, d'apprécier si les conditions d'ouverture d'une mesure de tutelle au profit d'un mineur non accompagné sont réunies et, notamment, si l'intéressé est mineur.

Par ailleurs, il résulte de l'article 1371, alinéa 1, du code civil, applicable, sauf disposition légale spécifique y dérogeant, aux pièces tenant lieu d'actes d'état civil établi par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en application de l'article L. 721-3, alinéas 1 et 2, devenu L. 121-9, alinéas 1 et 2, du CESEDA que les énonciations ne portant pas sur des faits personnellement constatés par l'officier public, telle la mention de la date de naissance, font foi jusqu'à preuve contraire et non jusqu'à inscription de faux.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 7 février 2022), le 17 avril 2020, M. [N], se disant né en 2004 en Afghanistan, s'est présenté au dispositif d'évaluation des mineurs étrangers isolés de [Localité 4] où il a été accueilli en urgence.

2. Par ordonnance du 22 avril 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris a confié provisoirement M. [N] à la direction de l'enfance et de la famille du Maine-et-Loire.

3. Le 23 octobre 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Angers a saisi un juge des tutelles d'une demande d'ouverture d'une mesure de tutelle déférée à l'Etat au profit de M. [N].

4. Par décision du 25 juin 2021, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a accordé à M. [N] le bénéfice de la protection subsidiaire.

5. Le 11 octobre 2021, cet organisme lui a délivré un certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil et mentionnant le [Date naissance 2] 2005 comme date de naissance.

Recevabilité des observations du Défenseur des droits, contestée par la défense

6. Le conseil départemental de Maine-et-Loire conteste la recevabilité des observations du Défenseur des droits, au motif que celles-ci ont été communiquées tardivement.

7. Cependant, si, certes, le pourvoi ayant été formé le 23 juin 2022, le Défenseur des droits, qui n'a pas la qualité de partie intervenante, a communiqué ses observations seulement le 24 février 2023 en vue d'une audience devant se tenir le 28 février 2023, alors qu'il était informé de l'instance en cassation puisqu'étant intervenu devant la cour d'appel, il n'y a pas lieu de déclarer irrecevables ses observations, dès lors que les parties à l'instance ont été en mesure d'y répliquer en temps utile jusqu'au jour de l'audience.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième, sixième, septième, huitième et neuvième branches

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

9. M. [N] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu d'ordonner une mesure de tutelle à son égard, alors « que sont dispensés de toute légalisation ou de toute formalité équivalente les documents concernant l'identité et l'état civil des personnes bénéficiant d'une protection internationale ; que la cour d'appel relève que M. [N] a obtenu la protection subsidiaire en 2021 ; qu'en écartant l'acte de naissance délivré le 17 juin 2020, au motif qu'il aurait dû être surlégalisé soit par les autorités afghanes elles mêmes en France soit par les autorités françaises en Afghanistan, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention de Bâle du 3 septembre 1985 ensemble les articles L. 512-1 et L. 561-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'article 16, II, alinéa 1, de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, alors applicable, sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet.

11. Selon l'article 8 de la Convention de Bâle du 3 septembre 1985 relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative accordée aux réfugiés, sont dispensés de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des États liés par la Convention les documents concernant l'identité et l'état civil produits par les réfugiés et émanant de leurs autorités d'origine.

12. La cour d'appel a exactement retenu que la protection subsidiaire ne pouvait être accordée qu'à une personne ne remplissant pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié.

13. Ayant constaté que M. [N] avait été placé sous la protection de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au titre de la protection subsidiaire, c'est sans encourir le grief du moyen, la Convention précitée ne s'appliquant pas aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, que la cour d'appel a écarté, faute de légalisation, la force probante reconnue par l'article 47 du code civil à l'acte de naissance afghan produit par l'intéressé.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

15. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que dès que possible après l'octroi d'une protection internationale, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour assurer la représentation des mineurs non accompagnés par un tuteur légal ; qu'il en résulte que si l'Etat membre s'est prononcé sur la minorité de la personne, suite à l'octroi d'une protection internationale, notamment par une reconstitution de son acte d'état civil, l'Etat doit assurer sa représentation en sa qualité de mineur non accompagné sans pouvoir remettre en cause sa minorité ; qu'il résulte de la décision attaquée que M. [N] a bénéficié de la protection subsidiaire et que l'OFPRA lui a délivré un certificat de naissance indiquant qu'il est né le [Date naissance 2] 2005 ; qu'en remettant toutefois en cause sa minorité pour refuser d'ordonner une mesure de tutelle à son égard, la cour d'appel a violé l'article 31 de la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

2°/ que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont valeur d'actes authentiques, qui, de manière dérogatoire, font foi jusqu'à inscription de faux, sans distinguer suivant que ces actes ont été ou non établis sur déclarations ; qu'en jugeant le contraire et en retenant, pour écarter la minorité de M. [N], que dès lors que l'office n'avait fait que reporter les déclarations qui lui avaient été faites, la cour d'appel a violé l'article L. 721-3 ancien, devenu L. 121-9 du CESEDA. »

Réponse de la Cour

16. D'une part, aux termes de l'article 31, § 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, transposé à l'article L. 561-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dès que possible, après l'octroi d'une protection internationale, les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer la représentation des mineurs non accompagnés par un tuteur légal ou, si nécessaire, par un organisme chargé de prendre soin des mineurs et d'assurer leur bien-être, ou par toute autre forme appropriée de représentation, notamment celle qui résulte de la législation ou d'une décision judiciaire.

17. Les dispositions de ce texte n'imposent aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer la représentation légale d'une personne bénéficiaire d'une protection internationale que si celle-ci est un mineur non accompagné.

18. Conformément à l'article L. 213-3-1, 2°, du code de l'organisation judiciaire, l'ouverture d'une mesure de tutelle au profit d'un mineur non accompagné relève de la compétence du juge des tutelles des mineurs dont les fonctions sont exercées par le juge aux affaires familiales.

19. Il appartient à ce juge d'apprécier si les conditions d'ouverture d'une mesure de tutelle sont réunies et, notamment, si l'intéressé est mineur.

20. D'autre part, selon l'article L. 721-3, alinéas 1 et 2, devenu L. 121-9, alinéas 1 et 2, du CESEDA, l'OFPRA est habilité à délivrer aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire, après enquête s'il y a lieu, les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil.

Le directeur général de l'Office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis.

Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques.

21. Aux termes de l'article 1371, alinéa 1, du code civil, l'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté.

22. Il résulte de ce texte, applicable, sauf disposition légale spécifique y dérogeant, aux pièces tenant lieu d'actes d'état civil établis par l'OFPRA, que les énonciations ne portant pas sur des faits personnellement constatés par l'officier public font foi jusqu'à la preuve contraire et non jusqu'à inscription de faux.

23. Saisie d'une demande d'ouverture d'une mesure de tutelle déférée à l'Etat au profit de M. [N], la cour d'appel, devant qui la minorité de l'intéressé était contestée, a justement retenu que la preuve de la minorité constituait un préalable à l'examen de la vacance de la tutelle.

24. Elle a relevé que le bénéfice de la protection subsidiaire avait été accordé à M. [N] parce qu'il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en sa qualité de civil, celui-ci courrait dans son pays un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article L. 512-1, 3°, du CESEDA, indépendamment de la minorité par lui revendiquée.

25. Elle a retenu que la mention de la date de naissance portée sur le certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil délivré par l'OFPRA, en l'absence d'acte probant établi dans le pays d'origine, résultait des déclarations de l'intéressé, ce dont elle a exactement déduit que cette mention ne faisait foi que jusqu'à la preuve contraire.

26. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE recevables les observations du Défenseur des droits ;

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Duval - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de Bâle du 3 septembre 1985 ; article 31, § 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ; articles L. 561-6 et L. 712-3, alinéas 1 et 2, devenu L. 121-9, alinéas 1 et 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ; article L. 213-3-1, 2°, du code de l'organisation judiciaire ; article 1371, alinéa 1, du code civil.

1re Civ., 8 mars 2023, n° 21-24.895, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Mesures d'éloignement – Assignation à résidence – Exclusion – Obligation de quitter le territoire – Mesure non exécutée

Selon les articles L. 551-1, I, et L. 561-2, I, 6°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018, l'étranger qui doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français et qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement peut être assigné à résidence et, à défaut de garanties de représentation effectives, placé en rétention administrative.

Viole ces textes le premier président d'une cour d'appel qui assigne un étranger à résidence alors que l'obligation de quitter le territoire français n'avait pas été exécutée, ce qui excluait toute méconnaissance d'une interdiction de retour.

Mesures d'éloignement – Assignation à résidence – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 29 mars 2021), et les pièces de la procédure, le 24 mars 2021, M. [G], de nationalité albanaise, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français.

2. Le 25 mars 2021, le juge des libertés et de la détention a été saisi par M. [G] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, par le préfet, d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 552-1 du même code.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [G] fait grief à l'ordonnance de déclarer la procédure régulière et d'ordonner son assignation à résidence, alors « que lorsque l'obligation de quitter le territoire français est caduque, et que l'intéressé n'a pas quitté le territoire français, l'interdiction de séjour qui l'accompagne est également caduque et ne saurait fonder une décision de rétention administrative ; qu'en jugeant toutefois que « nonobstant la caducité de l'obligation de quitter le territoire national français », M. [G] pouvait être placé en rétention administrative, le délégué du premier président a violé les articles L. 551-1 et R. 511-5 du CESEDA. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 551-1, I, et L. 561-2, I, 6°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans leur rédaction issue de la loi n° 2018 -187 du 20 mars 2018 :

4. Selon ces textes, l'étranger qui doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français et qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement peut être assigné à résidence et, à défaut de garanties de représentation effective, placé en rétention administrative.

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 26 juillet 2017, Ouhrami, C-225/16, point 49) que, jusqu'au moment de l'exécution volontaire ou forcée de l'obligation de retour et, par conséquent, du retour effectif de l'intéressé dans son pays d'origine, un pays de transit ou un autre pays tiers, au sens de l'article 3, point 3, de la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, le séjour irrégulier de l'intéressé est régi par la décision de retour et non pas par l'interdiction d'entrée, laquelle ne produit ses effets qu'à partir de ce moment, en interdisant à l'intéressé, pendant une certaine période après son retour, d'entrer et de séjourner de nouveau sur le territoire des États membres.

6. Pour déclarer la procédure régulière et assigner à résidence M. [G], l'ordonnance retient que l'interdiction de retour sur le territoire français permet la reconduite d'une personne démunie de titre de séjour dans son pays d'origine, nonobstant la caducité de l'obligation de quitter le territoire national français prise plus d'un an auparavant.

7. En statuant ainsi, alors que l'obligation de quitter le territoire français n'avait pas été exécutée, ce qui excluait toute méconnaissance d'une interdiction de retour, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevable l'appel du ministère public, l'ordonnance rendue le 29 mars 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : Me Balat -

Textes visés :

Articles L. 551-1, I, et L. 561-2, I, 6°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 17 novembre 2021, pourvoi n° 20-17.139, Bull., (cassation partielle sans renvoi).

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