Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE

Soc., 22 mars 2023, n° 21-14.604, (B), FRH

Cassation partielle

Liquidation judiciaire – Créanciers – Déclaration des créances – Relevé des créances salariales – Inscription – Forclusion – Relevé de forclusion – Condition – Mentions légales figurant dans la lettre du représentant des créanciers – Défaut – Portée

En application des articles L. 625-1 et R. 625-3 du code de commerce, la lettre par laquelle le mandataire judiciaire informe chaque salarié, doit indiquer la nature et le montant des créances admises ou rejetées et lui rappeler le délai de forclusion, lui indiquer la durée de ce délai, la date de la publication prévue au troisième alinéa de l'article R. 625-3, le journal par lequel elle sera effectuée. Elle contient en outre, au titre des modalités de saisine de la juridiction compétente, l'indication de la saisine par requête de la formation de jugement du conseil de prud'hommes compétent et de la possibilité de se faire assister et représenter par le représentant des salariés.

En l'absence de ces mentions, ou lorsqu'elles sont erronées, le délai de forclusion ne court pas.

Dès lors, doit être cassé l'arrêt qui déclare forclose la demande du salarié tout en constatant que la lettre du mandataire judiciaire ne mentionnait pas la nature et le montant des créances admises ou rejetées, ni le lieu et les modalités de saisine de la juridiction compétente.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 février 2021), M. [D] a été engagé par la société Groupe delta sécurité privée (la société GDSP) en qualité d'agent conducteur de chien à compter du 19 juin 2006 et occupait en dernier lieu les fonctions de directeur d'exploitation.

2. Par jugement du 20 septembre 2014, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société et a désigné la société [H]-Goic et associés, en la personne de M. [H] en qualité de liquidateur.

3. Le contrat de travail a été rompu le 13 octobre 2014 à la suite de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle proposé par le liquidateur.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 10 octobre 2016 pour obtenir la fixation de sa créance salariale au titre d'un rappel de salaire lié à une reclassification conventionnelle et d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire irrecevables comme étant forcloses ses demandes en fixation de créances, alors :

« 1°/ qu'en application de l'article R. 625-3 du code du commerce, le représentant des créanciers doit informer le salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées ; qu'en l'absence de cette mention, ou lorsque celle-ci est erronée, le délai de forclusion de l'article L. 625-1 du code du commerce ne court pas valablement à l'encontre du salarié ; qu'en déclarant dès lors irrecevables comme étant forcloses les demandes de M. [D] en fixation de créances au titre d'un rappel de salaire lié à la reclassification conventionnelle et d'un rappel d'heures supplémentaires, cependant que l'information personnelle que le mandataire lui avait fait parvenir par lettre du 14 octobre 2014 ne précisait nullement la nature et le montant des créances admises ou rejetées, ce dont il résultait que la contestation du salarié n'était pas atteinte par la forclusion, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier en sa rédaction issue du décret n° 2009-160 du 12 février 2009, le second en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ;

2°/ qu'en application de l'article R. 625-3 du code du commerce, le représentant des créanciers qui informe le salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées, doit lui rappeler la juridiction compétente et les modalités de sa saisine ; qu'en l'absence de ces mentions, ou lorsque celles-ci sont erronées, le délai de forclusion de l'article L. 625-1 du code du commerce ne court pas ; qu'en déclarant dès lors irrecevables comme étant forcloses les demandes de M. [D] en fixation de créances au titre d'un rappel de salaire lié à la reclassification conventionnelle et d'un rappel d'heures supplémentaires, cependant que l'information personnelle que le mandataire lui avait fait parvenir par lettre du 14 octobre 2014 indiquait que « vous devez saisir, à peine de forclusion, le conseil des prud'hommes du ressort du siège de votre employeur dans un délai de deux mois à compter de la publicité qui paraîtra dans le journal (...)", ce dont il résultait qu'elle ne précisait pas régulièrement la juridiction compétente ni les modalités de sa saisine et, par voie de conséquence, que la contestation du salarié n'était pas atteinte par la forclusion, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés, le premier en sa rédaction issue du décret n° 2009-160 du 12 février 2009, le second en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 625-1 et R. 625-3 du code de commerce :

6. Selon le premier de ces textes, le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur un relevé des créances résultant du contrat de travail établi par le mandataire judiciaire peut saisir, à peine de forclusion, le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de la mesure de publicité de ce relevé.

7. Aux termes du second de ces textes, le mandataire judiciaire informe par tout moyen chaque salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées, lui indique la date du dépôt du relevé des créances au greffe et lui rappelle que le délai de forclusion prévu à l'article L. 625-1 du code du commerce, court à compter de la publication du relevé.

8. En application de ces textes, l'information délivrée par le mandataire judiciaire comprend, au titre des modalités de saisine de la juridiction compétente, l'indication de la saisine par requête de la formation de jugement du conseil de prud'hommes compétent et la possibilité de se faire assister et représenter par le représentant des salariés.

9. Il s'ensuit qu'en l'absence de ces mentions, ou lorsqu'elles sont erronées, le délai de forclusion ne court pas.

10. Pour déclarer le salarié irrecevable en ses demandes, l'arrêt retient que le liquidateur judiciaire justifie que le dépôt du relevé des créances salariales de la société GDSP a fait l'objet d'une mesure de publicité dans le quotidien Ouest France édition des Côtes d'Armor du 21 octobre 2014, qu'il avait préalablement informé le salarié le 14 octobre 2014 par courrier recommandé du dépôt du relevé des créances salariales effectué le 23 septembre 2014 auprès du greffe du tribunal de commerce de Saint-Brieuc et que contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, le courrier d'information du 14 octobre 2014 comportait les précisions exigées par la loi s'agissant du délai de forclusion, de la date de la publication, du nom du journal, du nom de la juridiction compétente et des modalités d'assistance et de représentation devant le conseil de prud'hommes. Il relève qu'il a également averti le salarié qu'en cas de contestation de sa part sur le montant et/ou la nature de ses créances inscrites sur le relevé, il lui appartenait de saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes compétent dans un délai de deux mois à compter de la publicité du 21 octobre 2014.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le liquidateur n'avait pas indiqué au salarié la nature et le montant de ses créances admises ou rejetées ni le lieu et les modalités de saisine de la juridiction compétente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence celle des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande en fixation au passif de la liquidation judiciaire d'une indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de délivrance, sous astreinte, de bulletins de salaire rectificatifs, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit irrecevables comme étant forcloses les demandes en fixation de créances de M. [D] au titre d'un rappel de salaire lié à la reclassification conventionnelle et d'un rappel d'heures supplémentaires et déboute M. [D] de sa demande en fixation au passif d'une créance d'indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de délivrance d'un bulletin de salaire rectifié, l'arrêt rendu le 4 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Pietton - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Articles L. 625-1 et R. 625-3 du code du commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le devoir d'information du représentant des créanciers, dans le même sens que : Soc., 7 février 2006, pourvoi n° 03-47.937, Bull. 2006, V, n° 62 (cassation partiellement sans renvoi), et les arrêts cités.

2e Civ., 2 mars 2023, n° 21-10.465, (B), FRH

Rejet

Organes – Juge-commissaire – Compétence – Créance – Déclaration – Régularité – Compétence exclusive

En application de l'article L. 624-2 du code de commerce, le juge de l'exécution n'est pas compétent pour statuer sur la régularité d'une déclaration de créance effectuée à l'occasion d'une procédure collective, laquelle ressortit à la compétence exclusive du juge-commissaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 26 novembre 2020) et les productions, par acte notarié du 16 décembre 2004, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la CRCAM) a consenti plusieurs prêts à la société Nemrod (la société).

2. M. et Mme [J] se sont portés cautions solidaires de ses engagements et ont consenti une hypothèque sur certains de leurs biens.

3. Le 5 février 2008, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Nemrod, procédure étendue à M. et Mme [J] pour confusion de patrimoine le 2 décembre 2008.

4. Le 18 février 2008, la CRCAM a effectué une première déclaration de créances au passif de la société et, le 22 décembre 2008, une autre au passif de M. et Mme [J], ces deux déclarations comportant les prêts susmentionnés et d'autres créances.

5. Par ordonnance du 24 septembre 2009, confirmée par l'arrêt d'une cour d'appel du 21 juin 2011, le juge-commissaire a, sur contestation de la société, admis au passif de cette dernière des créances relatives à un plafond de trésorerie et un crédit en compte courant, mais dit qu'il n'avait pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur la contestation relative aux créances nées d'effets de commerce.

Les créances afférentes aux prêts du 16 décembre 2004 ne sont pas visées par cette décision.

6. La Cour de cassation a cassé partiellement cet arrêt en ce que le juge-commissaire avait le pouvoir de statuer sur la créance relative aux effets de commerce (Com., 26 mars 2013, pourvoi n° 11-24.148), et renvoyé l'affaire devant une cour d'appel.

7. Le 6 octobre 2009, un tribunal de grande instance a validé un plan de continuation sur quinze ans.

8. Le 20 mars 2014, à la demande du commissaire à l'exécution du plan, ce tribunal a prononcé la résolution du plan pour non respect des engagements des débiteurs et la liquidation judiciaire de la société et de M. et Mme [J], la SCP Raymond étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

9. Le 1er juillet 2014, une cour d'appel a confirmé la résolution du plan mais infirmé le jugement sur la liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, dit n'y avoir lieu à liquidation judiciaire.

Par arrêt du 18 mai 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre cet arrêt (Com., 18 mai 2016, pourvoi n° 14-23.859).

10. La cour d'appel de renvoi, qui, saisie de la contestation des créances au passif de la société, avait sursis à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi sur la résolution du plan par arrêt du 28 janvier 2016, a, par arrêt distinct du 22 novembre 2018, constaté la péremption d'instance.

11. Le 23 avril 2018, la CRCAM a fait délivrer à M. et Mme [J], sur le fondement de l'acte notarié du 16 décembre 2004, un commandement aux fins de saisie-vente que ceux-ci ont contesté devant un juge de l'exécution.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, et sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

13. M. et Mme [J] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a dit bon et valable le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 23 avril 2018 et, réformant le jugement et statuant à nouveau, validé le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 23 avril 2018 à hauteur de la somme de 228 000 euros, outre les frais à hauteur de la somme de 736,40 euros, soit 228 736,40 euros, alors :

« 1°/ que les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ne sont pas nouvelles, même si leur fondement juridique est différent ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions devant le premier juge, les époux [J] sollicitaient la nullité, pour irrégularité, du commandement de saisie-vente dont ils avaient été les destinataires ; qu'en appel, ils ajoutaient que ce commandement était encore irrégulier, pour reposer sur une déclaration de créance elle-même frappée de nullité ; que la fin recherchée était identique, puisqu'elle tendait à la nullité du commandement, de sorte qu'en jugeant que la demande de nullité de la déclaration de créance était irrecevable comme étant évoquée pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 565 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; qu'en l'espèce, il appartenait donc au juge de l'exécution de se prononcer sur la régularité des déclarations des créances effectuées par la CRCAM le 22 décembre 2008 dans le cadre de l'extension de la procédure collective aux époux [J], puisque les créances litigieuses fondaient les poursuites dirigées contre eux ; qu'en jugeant que la demande de la nullité de la déclaration de créance élevée dans le cadre de la contestation devant le juge de l'exécution était irrecevable, quand elle avait pourtant été élevée à l'occasion de l'exécution forcée, la cour d'appel a violé l'article L. 231-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

14. En application de l'article L. 624-2 du code de commerce, le juge de l'exécution n'est pas compétent pour statuer sur la régularité d'une déclaration de créance effectuée à l'occasion d'une procédure collective, laquelle ressortit à la compétence exclusive du juge-commissaire.

15. C'est, dès lors, à bon droit que l'arrêt retient que la contestation de la déclaration de créance relevait exclusivement de la compétence du juge-commissaire et n'était pas recevable devant la cour d'appel, statuant avec les pouvoirs du juge de l'exécution.

16. Dès lors, le moyen, inopérant en sa première branche en ce qu'il attaque des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 624-2 du code de commerce.

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