Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

ENERGIE

Com., 22 mars 2023, n° 22-17.596, (B), FS

Cassation

Electricité – Fournisseurs et distributeurs d'énergie – Contrat conclu entre le gestionnaire de réseau et les founisseurs – Objet – Transfert des coûts au fournisseur – Possibilité (non)

En adoptant les dispositions de l'article L. 121-92 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution. En prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un contrat unique auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, il n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité. Dès lors, les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau.

Il résulte, d'un côté, des dispositions d'ordre public des articles L. 111-92, L. 332-1 et L. 332-3 du code de l'énergie et de l'article 13 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, devenu l'article L. 322-8 du code de l'énergie, de l'autre, de celles de l'article L. 121-92 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, que les contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de laisser à la charge des fournisseurs des coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau, lequel ne saurait, ce faisant, se soustraire à des sujétions et au risque qui lui incombent, comme inhérents à ses missions de service public, notamment celui de devoir supporter le défaut de paiement par les consommateurs finaux des charges d'accès au réseau.

Viole, par conséquent, les textes susvisés, l'arrêt qui rejette la demande en paiement d'un fournisseur d'énergie dirigée contre le gestionnaire d'un réseau, portant sur des sommes dues par les consommateurs au titre des coûts d'acheminement de l'électricité, supportées par ce fournisseur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mars 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com.,19 juin 2019, pourvoi n° 17-28.583), la société GDF Suez, devenue la société Engie, est fournisseur d'électricité sur le marché français auprès de certains clients éligibles définis par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000.

2. La société Electricité Réseau Distribution France (la société ERDF), devenue la société Enedis, est gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité qu'elle exploite pour l'acheminement de l'électricité.

3. En vue de simplifier ses démarches, la loi permet à l'utilisateur final d'opter pour un « contrat unique » par lequel lui sont facturées, par le fournisseur d'énergie, tant la fourniture d'électricité que l'utilisation du réseau public, les relations entre la société ERDF et le fournisseur étant régies par un contrat appelé Contrat GRD-Fournisseur (le contrat GRD-F).

4. Le 3 mars 2006, puis le 20 février 2009, la société Engie a signé avec la société ERDF deux contrats GRD-F précisant, en leur article 7.1, alinéa 3, que, conformément à la communication du 24 décembre 2003 de la Commission de régulation de l'énergie (la CRE), le fournisseur recouvre auprès du client les sommes dues par ce dernier et assume le risque financier de non-paiement pour l'intégralité de la facture.

5. Par une décision du 22 octobre 2010, le comité de règlement et des sanctions de la CRE (le Cordis), saisi par un fournisseur d'électricité d'un différend l'opposant à la société ERDF relativement à cette clause, a estimé que le contrat GRD-F ne pouvait faire supporter par le seul fournisseur l'intégralité du risque d'impayés qui s'attache à l'exercice, par le gestionnaire de réseaux, de sa mission de service public et dit que la société Enedis devra, en conséquence, proposer au fournisseur un nouveau contrat.

6. Soutenant que la société Enedis était tenue de supporter la charge des impayés des clients au titre de la facturation des coûts d'acheminement pour la période du 8 novembre 2007 au 22 décembre 2011 et que son refus d'y procéder était fautif, la société Engie l'a assignée en réparation de son préjudice sur le fondement de l‘article 1382, devenu 1240, du code civil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. La société Engie fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de la somme en principal de 2 531 323,77 euros formée contre la société ERDF, alors « qu'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ; que pour débouter la société Engie de sa demande tendant à la condamnation de la société Enedis sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la cour d'appel a jugé qu'il n'était pas établi que cette dernière ait violé une disposition légale ou réglementaire d'ordre public lui imposant, pour la période litigieuse, de prendre en charge les impayés des clients et rendant ainsi inopposables les stipulations contraires de l'article 7.1 du contrat GRD-F ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'en adoptant les dispositions de l'article L. 121-92 du code de la consommation, le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution, et qu'en prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un « contrat unique » auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, le législateur n'a pas entendu modifier les responsabilités de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité, ce dont il se déduit que les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne sauraient avoir pour objet ni pour effet de laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau, lequel ne saurait, ce faisant, se soustraire à des sujétions et à un risque qui lui incombent, comme inhérents à ses missions de service public, la cour d'appel a violé les articles 6 et 1162 du code civil, ensemble l'article L. 121-92, devenu L. 224-8, du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige et l'article L. 111-92 du code de l'énergie. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 du code civil, les articles L. 111-92, L. 332-1 et L. 332-3 du code de l'énergie, l'article 13 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, devenu l'article L. 322-8 du code de l'énergie et l'article L. 121-92 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 :

8. Aux termes du premier de ces textes, on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs.

9. Il résulte de la combinaison des troisième et quatrième que les non-professionnels ont la possibilité de conclure un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité pour une puissance électrique égale ou inférieure à 36 kilovoltampères.

10. Le quatrième dispose :

« Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs.

Outre la prestation d'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau.

Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation. »

11. Selon le deuxième, d'une part, les gestionnaires des réseaux publics de distribution concluent, avec toute entreprise qui le souhaite, vendant de l'électricité à des clients ayant exercé leur droit de choisir leur fournisseur, un contrat relatif à l'accès aux réseaux pour l'exécution des contrats de fourniture conclus par cette entreprise avec des consommateurs finals ayant exercé ce droit de choisir leur fournisseur, d'autre part, lorsqu'une entreprise ayant conclu un tel contrat assure la fourniture exclusive d'un site de consommation, le consommateur concerné n'est pas tenu de conclure lui-même un contrat d'accès aux réseaux pour ce site.

12. Selon le cinquième, le gestionnaire de réseau de distribution d'électricité est, dans sa zone de desserte exclusive, notamment chargé d'assurer dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, l'accès à ces réseaux, d'exploiter ces réseaux et d'en assurer l'entretien et la maintenance.

13. En adoptant les dispositions de l'article L. 121-92 précité, le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution.

En prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un contrat unique auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, il n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité. Dès lors, les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau.

14. Il résulte, d'un côté, des dispositions d'ordre public précitées du code de l'énergie, de l'autre, de celles du code de la consommation, que les contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de laisser à la charge des fournisseurs des coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau, lequel ne saurait, ce faisant, se soustraire à des sujétions et au risque qui lui incombent, comme inhérents à ses missions de service public, notamment celui de devoir supporter le défaut de paiement par les consommateurs finaux des charges d'accès au réseau.

15. Pour rejeter la demande de la société Engie en paiement de la somme principale de 2 531 323,77 euros formée contre la société ERDF, l'arrêt relève que dans le système mis en place par le contrat GRD-F jusque dans sa version 5.1 incluse, conformément à la communication du 24 septembre 2003 de la CRE sur le groupe de travail électricité 2004, le risque d'impayés relatifs au tarif d'utilisation du réseau était supporté par les fournisseurs. Il retient que pour contester l'application de l'article 7.1 des contrats GRD-F litigieux, la société Engie ne vise que des dispositions sans lien avec la charge des impayés, soit celles issues du code de l'énergie ou de la consommation relatives au contrat unique et étrangères aux « irrécouvrables réseau » et à la charge des impayés, celles des articles L. 121-4 et [L. 332-8] du code de l'énergie sur la mission de service public du gestionnaire de réseau, dont l'objet n'est pas la prise en charge « des irrécouvrables réseau », et celles du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité qui ne traite pas davantage de cette question. Il en déduit qu'elle échoue à démontrer que la société Enedis aurait violé une disposition légale ou réglementaire d'ordre public lui imposant, pour la période litigieuse, de prendre en charge les impayés des clients.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs,la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 121-92 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010. articles L. 111-92, L. 332-1 et L. 332-3 du code de l'énergie ; article 13 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, devenu l'article L.322-8 du code de l'énergie.

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