Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492, (B), FS

Rejet

Employeur – Discrimination entre salariés – Preuve – Moyens de preuve – Administration – Mesure d'instruction in futurum – Mesure admissible – Motif légitime – Conditions – Protection du droit à la preuve et atteinte à la vie personnelle proportionnée au but poursuivi – Portée

Il résulte du point (4) de l'introduction du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dit règlement général sur la protection des données (RGPD), que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité, en particulier le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Doit en conséquence être approuvé l'arrêt qui ordonne à l'employeur de communiquer à une salariée les bulletins de salaires d'autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien avec occultation des données personnelles à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle et de la rémunération, après avoir relevé que cette communication d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), Mme [R] a été engagée en qualité de structureur le 5 janvier 2009 par la société Exane Derivatives, filiale du groupe Exane. Entre le 1er février 2013 et le 22 janvier 2017, elle a occupé le poste de responsable projets transverses dérivés (chief operating officer ou COO) avant d'être nommée, le 23 janvier 2017, directeur stratégie et projets groupe dans la société Exane.

2. Licenciée le 22 février 2019 et considérant avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes de COO, elle a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale, le 31 octobre 2019, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir la communication d'éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

4. Les sociétés font grief à l'arrêt de leur ordonner de communiquer sous astreinte à l'intéressée les bulletins de paie de huit salariés, pour les périodes de février 2013 à janvier 2017 pour les quatre premiers, de mars 2017 à mai 2019 pour le cinquième et de janvier 2017 à mai 2019 pour les trois derniers, avec occultation des données personnelles, à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile, alors :

« 3°/ qu'en application du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD), les données à caractère personnel, collectées par l'employeur pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, doivent être traitées ultérieurement de manière compatible avec ces finalités, de manière licite, loyale et transparente à l'égard de la personne concernée, de façon à garantir un niveau de sécurité adapté permettant leur confidentialité et leur intégrité, et n'être conservées que la durée strictement nécessaire au regard de ces finalités ; que le juge, qui ne peut prononcer, en application de l'article 145 du code de procédure civile, que des mesures d'instruction légalement admissibles, ne peut dès lors ordonner la communication à un tiers de données personnelles dans des conditions contraires au règlement susvisé ; qu'en ordonnant toutefois la communication à la salariée, sur une période comprise entre 2013 et 2019, de bulletins de paie de huit autres salariés, laissant apparaître leurs noms et prénoms, leurs classifications conventionnelles, leurs rémunérations mensuelles détaillées (fixes et variables) et leurs rémunérations brutes totales cumulées par année civile, sans vérifier si cette communication était contraire aux exigences du règlement européen susvisé qui s'impose au juge, en ce qu'elle conduisait à la divulgation à un tiers de l'ensemble des rémunérations des salariés concernés sur plusieurs années dans un but très différent de la finalité légale pour laquelle les ressources humaines les avaient collectées, sans que ces salariés n'aient pu s'y attendre, et sans que le juge n'édicte aucune garantie de sécurité, de confidentialité et de limitation de la durée de conservation, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 145 du code de procédure civile et 4, 5, 6 et 32 du règlement européen susvisé ;

4°/ que le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte à la vie privée des salariés concernés soit proportionnée au but poursuivi ; que tel n'est pas le cas lorsque le salarié est déjà en mesure de présenter des éléments de fait susceptibles de laisser présumer l'existence de la discrimination qu'il allègue ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer que la salariée justifiait d'un motif légitime à la communication des bulletins de paie, quand elle relevait déjà que les rapports égalité hommes/femmes versés aux débats démontraient une proportion de femmes minoritaire dans les effectifs, des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes et un index d'égalité hommes/femmes pour l'année 2018 laissant une marge de progression, sans vérifier si la production supplémentaire qu'elle sollicitait, de huit salariés sur plusieurs années, était indispensable au droit de la preuve de la salariée et proportionnée au droit au respect de la vie privée des salariés concernés, la cour d'appel a violé les articles 145 du code de procédure civile, 9 du code civil, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 1132-1, L. 134-1, L. 1142-1, L. 1144-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte du point (4) de l'introduction du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Il ajoute que le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la Charte, consacrés par les Traités, en particulier le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

6. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.

7. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

8. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de l'inégalité de traitement alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

9. La cour d'appel a relevé que, pour présenter des éléments laissant présumer l'existence de l'inégalité salariale alléguée entre elle et certains de ses collègues masculins, la salariée était bien fondée à obtenir la communication des bulletins de salaires de huit autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien dans des fonctions d'encadrement, commerciales ou de marché, avec occultation des données personnelles à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

10. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a fait ressortir que cette communication d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Seguy - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Point (4) de l'introduction du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, dit règlement général sur la protection des données (RGPD) ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil ; articles 9 et 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la conciliation du droit de la preuve et du droit au respect de la vie personnelle en matière de preuve d'une discrimination à l'égard de salariés, à rapprocher : Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-26.144, Bull., (2) (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 22 mars 2023, n° 21-14.604, (B), FRH

Cassation partielle

Employeur – Redressement et liquidation judiciaires – Créances des salariés – Inscription sur le relevé des créances salariales – Défaut – Réclamation du salarié – Forclusion – Relevé de forclusion – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 février 2021), M. [D] a été engagé par la société Groupe delta sécurité privée (la société GDSP) en qualité d'agent conducteur de chien à compter du 19 juin 2006 et occupait en dernier lieu les fonctions de directeur d'exploitation.

2. Par jugement du 20 septembre 2014, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société et a désigné la société [H]-Goic et associés, en la personne de M. [H] en qualité de liquidateur.

3. Le contrat de travail a été rompu le 13 octobre 2014 à la suite de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle proposé par le liquidateur.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 10 octobre 2016 pour obtenir la fixation de sa créance salariale au titre d'un rappel de salaire lié à une reclassification conventionnelle et d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire irrecevables comme étant forcloses ses demandes en fixation de créances, alors :

« 1°/ qu'en application de l'article R. 625-3 du code du commerce, le représentant des créanciers doit informer le salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées ; qu'en l'absence de cette mention, ou lorsque celle-ci est erronée, le délai de forclusion de l'article L. 625-1 du code du commerce ne court pas valablement à l'encontre du salarié ; qu'en déclarant dès lors irrecevables comme étant forcloses les demandes de M. [D] en fixation de créances au titre d'un rappel de salaire lié à la reclassification conventionnelle et d'un rappel d'heures supplémentaires, cependant que l'information personnelle que le mandataire lui avait fait parvenir par lettre du 14 octobre 2014 ne précisait nullement la nature et le montant des créances admises ou rejetées, ce dont il résultait que la contestation du salarié n'était pas atteinte par la forclusion, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier en sa rédaction issue du décret n° 2009-160 du 12 février 2009, le second en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ;

2°/ qu'en application de l'article R. 625-3 du code du commerce, le représentant des créanciers qui informe le salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées, doit lui rappeler la juridiction compétente et les modalités de sa saisine ; qu'en l'absence de ces mentions, ou lorsque celles-ci sont erronées, le délai de forclusion de l'article L. 625-1 du code du commerce ne court pas ; qu'en déclarant dès lors irrecevables comme étant forcloses les demandes de M. [D] en fixation de créances au titre d'un rappel de salaire lié à la reclassification conventionnelle et d'un rappel d'heures supplémentaires, cependant que l'information personnelle que le mandataire lui avait fait parvenir par lettre du 14 octobre 2014 indiquait que « vous devez saisir, à peine de forclusion, le conseil des prud'hommes du ressort du siège de votre employeur dans un délai de deux mois à compter de la publicité qui paraîtra dans le journal (...)", ce dont il résultait qu'elle ne précisait pas régulièrement la juridiction compétente ni les modalités de sa saisine et, par voie de conséquence, que la contestation du salarié n'était pas atteinte par la forclusion, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés, le premier en sa rédaction issue du décret n° 2009-160 du 12 février 2009, le second en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 625-1 et R. 625-3 du code de commerce :

6. Selon le premier de ces textes, le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur un relevé des créances résultant du contrat de travail établi par le mandataire judiciaire peut saisir, à peine de forclusion, le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de la mesure de publicité de ce relevé.

7. Aux termes du second de ces textes, le mandataire judiciaire informe par tout moyen chaque salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées, lui indique la date du dépôt du relevé des créances au greffe et lui rappelle que le délai de forclusion prévu à l'article L. 625-1 du code du commerce, court à compter de la publication du relevé.

8. En application de ces textes, l'information délivrée par le mandataire judiciaire comprend, au titre des modalités de saisine de la juridiction compétente, l'indication de la saisine par requête de la formation de jugement du conseil de prud'hommes compétent et la possibilité de se faire assister et représenter par le représentant des salariés.

9. Il s'ensuit qu'en l'absence de ces mentions, ou lorsqu'elles sont erronées, le délai de forclusion ne court pas.

10. Pour déclarer le salarié irrecevable en ses demandes, l'arrêt retient que le liquidateur judiciaire justifie que le dépôt du relevé des créances salariales de la société GDSP a fait l'objet d'une mesure de publicité dans le quotidien Ouest France édition des Côtes d'Armor du 21 octobre 2014, qu'il avait préalablement informé le salarié le 14 octobre 2014 par courrier recommandé du dépôt du relevé des créances salariales effectué le 23 septembre 2014 auprès du greffe du tribunal de commerce de Saint-Brieuc et que contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, le courrier d'information du 14 octobre 2014 comportait les précisions exigées par la loi s'agissant du délai de forclusion, de la date de la publication, du nom du journal, du nom de la juridiction compétente et des modalités d'assistance et de représentation devant le conseil de prud'hommes. Il relève qu'il a également averti le salarié qu'en cas de contestation de sa part sur le montant et/ou la nature de ses créances inscrites sur le relevé, il lui appartenait de saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes compétent dans un délai de deux mois à compter de la publicité du 21 octobre 2014.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le liquidateur n'avait pas indiqué au salarié la nature et le montant de ses créances admises ou rejetées ni le lieu et les modalités de saisine de la juridiction compétente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence celle des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande en fixation au passif de la liquidation judiciaire d'une indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de délivrance, sous astreinte, de bulletins de salaire rectificatifs, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit irrecevables comme étant forcloses les demandes en fixation de créances de M. [D] au titre d'un rappel de salaire lié à la reclassification conventionnelle et d'un rappel d'heures supplémentaires et déboute M. [D] de sa demande en fixation au passif d'une créance d'indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de délivrance d'un bulletin de salaire rectifié, l'arrêt rendu le 4 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Pietton - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Articles L. 625-1 et R. 625-3 du code du commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le devoir d'information du représentant des créanciers, dans le même sens que : Soc., 7 février 2006, pourvoi n° 03-47.937, Bull. 2006, V, n° 62 (cassation partiellement sans renvoi), et les arrêts cités.

Soc., 29 mars 2023, n° 21-15.472, (B), FRH

Cassation partielle

Maladie – Inaptitude au travail – Inaptitude consécutive à la maladie – Recherche d'une aptitude éventuelle à occuper un autre emploi – Avis du médecin du travail – Recours au télétravail – Mise en oeuvre – Caractère sérieux – Appréciation – Détermination

Il appartient à l'employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Doit être approuvée la cour d'appel qui, après avoir relevé que le médecin du travail avait précisé, dans l'avis d'inaptitude puis en réponse aux questions de l'employeur, que le salarié pourrait occuper un poste en télétravail à son domicile avec aménagement de poste approprié, en a déduit, sans être tenue de rechercher si le télétravail avait été mis en place au sein de la société dès lors que l'aménagement d'un poste en télétravail peut résulter d'un avenant au contrat de travail, que l'employeur n'avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement.

Employeur – Obligations – Obligation de loyauté – Domaine d'application – Reclassement du salarié inapte – Modalités – Aménagement d'un poste en télétravail – Défaut – Caractérisation – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 février 2021), Mme [L] a été engagée en qualité de secrétaire médicale par l'association Gimac santé au travail, à compter du 25 novembre 1982.

La salariée exerçait en dernier lieu les fonctions d'assistante coordinatrice d'équipe pluridisciplinaire.

2. A l'issue de deux examens médicaux des 3 et 17 février 2016, elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail.

3. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 7 décembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, alors :

« 1°/ que l'obligation de reclassement du salarié déclaré inapte à son poste de travail ne porte que sur des postes disponibles existant au sein de l'entreprise, l'employeur n'étant pas tenu de créer spécifiquement un poste adapté aux capacités du salarié ; que l'employeur ne peut dès lors se voir imposer de reclasser le salarié sur un poste en télétravail que si le télétravail a été mis en place au sein de l'entreprise ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le 17 février 2016, Mme [L] avait été déclarée inapte à son poste de travail de secrétaire médicale-responsable de centre, le médecin du travail précisant qu'elle « pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2 j /semaine) en télétravail avec aménagement du poste approprié » ; que l'association Gimac santé au travail faisait valoir et offrait de prouver qu'il n'existait aucun poste en télétravail au sein de l'association et qu'une telle organisation n'était pas compatible avec son activité qui requiert le respect du secret médical ; qu'en affirmant que l'aménagement de poste du salarié par sa transformation en un emploi à domicile faisait partie intégrante de l'obligation de reclassement incombant à l'employeur pour juger que l'association Gimac santé au travail avait manqué à son obligation de reclassement en n'aménageant pas le poste occupé par la salariée en télétravail, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le télétravail avait été mis en place au sein de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-9 et L. 1226-10 du code du travail ;

2°/ que le reclassement du salarié déclaré inapte à son poste de travail ne peut intervenir que sur un poste compatible avec l'avis d'inaptitude et les préconisations du médecin du travail ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le 17 février 2016, Mme [L] avait été déclarée inapte à son poste de travail de secrétaire médicale-responsable de centre, le médecin du travail précisant qu'elle « pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2j/semaine) en télétravail avec aménagement du poste approprié » ; qu'en affirmant que l'association Gimac santé au travail avait manqué à son obligation de reclassement en n'aménageant pas le poste occupé par la salariée en télétravail, lorsque le médecin du travail lui-même n'avait pas estimé que le poste qu'elle occupait auparavant, lequel impliquait des missions de coordination, pourrait être aménagé en un temps partiel de deux jours par semaine en télétravail, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-10 du code du travail ;

3°/ que pour justifier l'impossibilité dans laquelle elle s'était trouvée de proposer un reclassement à Mme [L], l'association faisait valoir et offrait de prouver que le 10 juin 2016, elle avait adressé un courrier en recommandé à la salariée afin que celle-ci lui adresse son CV à jour pour lui permettre de rechercher son reclassement et que Mme [L] n'avait pas daigné lui répondre ; qu'en jugeant que l'association ne justifiait pas d'une recherche sérieuse et loyale de reclassement, sans répondre à ce moyen pris de l'absence totale de coopération de Mme [L] dans ces recherches, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

7. L'article L. 1226-12 du même code dispose que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.

8. Il appartient à l'employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

9. L'arrêt relève que le médecin du travail était parfaitement clair dans l'avis d'inaptitude du 17 février 2016 sur les dispositions à mettre en oeuvre de nature à permettre à la salariée de conserver son emploi en précisant qu'elle pourrait occuper un poste administratif, sans déplacement, à temps partiel, en télétravail à son domicile avec aménagement de poste approprié et en confirmant cet avis le 7 juin 2016 en réponse aux questions de l'employeur.

10. L'arrêt retient encore que la salariée occupait en dernier lieu un poste de « coordinateur », que les missions accomplies et non contestées par l'employeur, d'une part ne supposaient pas l'accès aux dossiers médicaux et, d'autre part, étaient susceptibles d'être pour l'essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le médecin du travail.

11. En l'état de ces constatations, dont elle a déduit que l'employeur n'avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, et sans être tenue d'effectuer la recherche invoquée par le moyen pris en sa première branche dès lors que l'aménagement d'un poste en télétravail peut résulter d'un avenant au contrat de travail, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme à titre de solde de l'indemnité compensatrice, alors « que selon l'article L. 1226-14 du code du travail, l'employeur est tenu de verser au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi occupé précédemment et dont le contrat a été rompu, une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-5 du code du travail ; que l'article L. 5213-9 du code du travail, qui a pour but de doubler la durée du délai-congé en faveur des salariés handicapés, n'est pas applicable à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 1226-14 du code du travail ; qu'en condamnant l'association Gimac santé au travail à verser à Mme [L] un solde d'indemnité compensatrice en application de l'article L. 5213-9 du code du travail, au motif inopérant que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-14, L. 1226-15 et L. 5213-9 du code du travail. »

Réponse de la Cour

13. Lorsqu'une cour d'appel répond à une prétention dans les motifs de son arrêt sans qu'aucun chef du dispositif de celui-ci n'énonce sa décision sur ce point, elle commet une omission de statuer qui peut être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile. Dans une telle hypothèse, les moyens qui critiquent les motifs ne sont pas recevables.

14. Le dispositif de l'arrêt ne contient pas de chef relatif à une condamnation de l'association au paiement du solde de l'indemnité compensatrice équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis. Ce grief, qui s'attaque à des motifs non repris dans le dispositif, est irrecevable.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

15. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts en raison du retard dans le paiement des salaires, alors « que le retard dans le paiement des salaires n'ouvre droit à des dommages-intérêts distincts de l'intérêt au taux légal que lorsque le créancier a subi, par la mauvaise foi du débiteur, un préjudice indépendant du retard ; qu'en se bornant à relever, pour condamner l'employeur à verser une somme de 1 500 euros de dommages-intérêts à raison du retard pris dans le paiement des salaires, que l'employeur avait manqué à son obligation de verser les salaires dus d'une part, que la salariée avait été privée de son salaire d'autre part, la cour d'appel, qui n'a caractérisé ni la mauvaise foi de l'employeur, ni le préjudice indépendant du retard de paiement qu'aurait subi la salariée d'autre part, a violé l'article 1153, devenu 1231-6, du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

16. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il serait nouveau et mélangé de fait et de droit.

17. Cependant, l'employeur a soutenu devant les juges du fond que la salariée n'avait pas subi de préjudice résultant du retard de paiement de ses salaires.

18. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1231-6 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

19. Aux termes de ce texte, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.

Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

20. Pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts en raison du retard dans le paiement des salaires, l'arrêt retient que les manquements de l'employeur sont établis et ont placé la salariée dans la situation de ne disposer que de sa rente invalidité, sans bénéficier du salaire que l'employeur était tenu de lui verser.

21. En statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard apporté dans le paiement des créances, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'association Gimac santé au travail à payer à Mme [L] la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts en raison du retard dans le paiement des salaires, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Salomon - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 1222-9 et L. 1226-10, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement du salarié inapte, à rapprocher : Soc., 23 novembre 2016, pourvoi n° 15-18.092, Bull. 2016, V, n° 222 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 1 mars 2023, n° 21-19.956, (B), FRH

Cassation partielle

Salaire – Maladie du salarié – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Absence de reclassement et de licenciement – Paiement du salaire – Cumul avec le versement d'indemnités journalières – Conditions – Limite

En application de l'article L.1226-4 du code du travail, l'employeur est tenu de verser au salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel, qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail. Il en résulte qu'en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié.

Doit dès lors être cassé l'arrêt qui déduit de cette somme les indemnités journalières perçues par le salarié pendant cette période.

Salaire – Maladie du salarié – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Absence de reclassement et de licenciement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 12 novembre 2020), M. [V] a été engagé le 3 mars 1997 par la société [C] (la société).

2. Par un avis du 11 décembre 2015, le médecin du travail l'a déclaré « inapte à tous les postes », avec danger immédiat.

3. Il a été licencié le 12 juillet 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale en contestation de ce licenciement et a demandé diverses sommes à titre de rappels de salaire et indemnités.

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à 3 159,44 euros nets la somme qui lui a été allouée à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et de le débouter du surplus de sa demande dirigée contre la société s'élevant à la somme de 7 305,87 euros, outre les congés payés afférents, alors « que l'employeur est tenu de verser au salarié déclaré inapte et qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail, sans qu'aucune déduction ne puisse être opérée sur la somme fixée forfaitairement que l'employeur doit verser au salarié ; qu'en affirmant qu'il convenait de déduire les indemnités journalières des sommes dues à M. [V] sur le fondement des dispositions de l'article L. 1226-4 du code du travail, « sauf à permettre définitivement au salarié de percevoir une rémunération plus importante que celle qu'il aurait perçue s'il avait travaillé », la cour d'appel a violé ce texte. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1226-4 du code du travail :

7. Aux termes de ce texte, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail.

8. Il en résulte qu'en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié.

9. Pour limiter la condamnation de l'employeur à la somme de 3 159,44 euros nets, outre 315,94 euros de congés payés afférents, l'arrêt retient que si la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance en raison de l'état de santé du salarié relève des seuls rapports entre ces derniers, les indemnités journalières versées par la sécurité sociale ne peuvent suivre le même régime dès lors que les sommes dues par l'employeur ont la nature de salaire et non de dommages-intérêts. Il ajoute qu'il résulte des articles R. 323-11 et R. 433-12 du code de la sécurité sociale que la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à suspendre le service de l'indemnité journalière lorsque l'employeur maintient à l'assuré, en cas de maladie ou d'accident du travail, tout ou partie de son salaire ou des avantages en nature, soit en vertu d'un contrat individuel ou collectif de travail, soit en vertu des usages, soit de sa propre initiative, seul l'employeur étant subrogé de plein droit à l'assuré. Il en conclut qu'il convient de déduire les indemnités journalières des sommes dues à M. [V], sauf à permettre définitivement au salarié de percevoir une rémunération plus importante que celle qu'il aurait perçue s'il avait travaillé.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

11. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer à au salarié les sommes de 3 159,44 euros nets à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et 315,94 euros nets de congés payés afférents n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société [C] à payer à M. [V] les sommes de 3 159,44 euros nets à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et 315,94 euros nets de congés payés afférents et déboute M. [C] du surplus de sa demande de rappel de salaires et congés payés afférents sur cette période, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Chiron - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 1226-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'application du même principe en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, à rapprocher : Soc., 16 juin 1998, pourvoi n° 96-41.877, Bull. 1998, V, n° 322 (rejet), et les arrêts cités ; Soc., 16 février 2005, pourvoi n° 02-43.792, Bull. 2005, V, n° 51 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 9 janvier 2008, pourvoi n° 06-41.173 ; Soc., 22 juin 2011, pourvoi n° 10-16.064 ; Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 12-13.058 ; Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-10.719, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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