Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE

Soc., 15 mars 2023, n° 20-21.774, (B), FS

Rejet

Formalités légales – Contrat écrit – Défaut – Effets – Requalification en contrat à durée indéterminée – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

Le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail, lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat, et, lorsqu'elle est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Paris, 9 avril 2019 et 12 février 2020), M. [G] a été engagé en qualité de vendeur par M. [F], exploitant d'un magasin de chaussures, pour effectuer, sans contrat écrit, quelques heures de travail en juin et juillet 2008 et a conclu, le 10 juillet 2008, un contrat à durée déterminée à temps complet pour la période allant du 26 août 2008 au 31 janvier 2009, prorogé, par avenant signé le 29 janvier 2009, jusqu'au 30 juin 2009. A cette dernière date, il a reçu un certificat de travail mentionnant qu'il avait travaillé en qualité de vendeur du 27 juin 2008 au 30 juin 2009 et signé un reçu pour solde de tout compte mentionnant les sommes de fin de contrat perçues au titre du salaire et de la prime de précarité.

2. Le 17 février 2014, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la requalification du contrat à durée déterminée du 10 juillet 2008 en contrat à durée indéterminée à compter du 27 juin 2008, le paiement d'une indemnité de requalification et d'un rappel de salaire jusqu'au 30 septembre 2013, le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et le paiement de diverses sommes au titre de la rupture et pour travail dissimulé.

3. M. [F] étant décédé en cours d'instance, le salarié a dirigé ses demandes à l'encontre de Mme [I], veuve [F], Mme [M] [F] et M. [L] [F], ses ayants droit, qui ont repris l'instance.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui pour le premier n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et pour le second est irrecevable.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt rendu le 9 avril 2019 de le dire irrecevable en toutes ses demandes, alors « que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat ; que pour dire prescrite la demande subsidiaire en requalification du contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 27 juin 2008, l'arrêt retient qu'après avoir été embauché par contrat verbal du 27 juin 2008, le salarié a signé un contrat à durée déterminée le 10 juillet 2008, qui a pris effet le 26 août 2008 et s'est achevé à son terme le 30 juin 2009, que le point de départ du délai de prescription de l'action en requalification du contrat à durée déterminée est fixé au jour du début de la relation en cas d'absence d'écrit et du jour de la signature du contrat à durée déterminée en cas d'irrégularité formelle ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le salarié avait été initialement engagé à compter du 27 juin 2008, sans contrat écrit mentionnant le motif du recours à ce contrat à durée déterminée et le terme de ce dernier ce dont elle aurait dû déduire que l'action en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée n'était pas prescrite dès lors que le délai n'avait commencé à courir qu'à compter du terme du dernier contrat, soit le 30 juin 2009, et n'était pas acquis au 17 février 2014 date de la saisine de la juridiction prud'homale par le salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1 et L. 1245-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, l'article L. 1242-1 du même code ainsi que l'article 2224 du code civil et l'article 21 V de la loi du 14 juin 2013. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

7. En vertu de l'article 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

8. Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

9. Il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail, lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat, et lorsqu'elle est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat.

10. Ayant retenu, par motifs adoptés, que le point de départ du délai de prescription pour l'action en requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée était fixé au début de la relation en cas d'absence d'écrit et du jour de la signature du contrat à durée déterminée en cas d'irrégularité formelle de ce contrat, la cour d'appel, devant laquelle le salarié n'élevait pas de contestation quant au motif de recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat du 10 juillet 2008, en a exactement déduit que l'action en requalification en contrat de travail à durée indéterminée était acquise au plus tard le 10 juillet 2013, ce dont il s'évinçait que le salarié ayant introduit son instance le 17 février 2014, sa demande en requalification et les demandes qui y étaient liées étaient prescrites.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt du 12 février 2020 de le débouter de sa requête en omission de statuer, alors « qu'en l'absence de motivation sur l'un des chefs de conclusions, les formules générales du dispositif de l'arrêt qui déboute une partie de l'ensemble de ses demandes n'a pu viser ce chef particulier, sur lequel il a été omis de statuer ; qu'en l'espèce, en dépit des formules générales de son dispositif qui « confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute M. [G] de ses nouvelles demandes », l'arrêt du 9 avril 2019 s'est abstenu, dans ses motifs, d'examiner la demande du salarié tendant à ce qu'il soit dit et jugé que les parties étaient demeurées liées par un contrat à durée indéterminée conclu verbalement le 27 juin 2008 et que les contrats à durée déterminée conclus postérieurement étaient sans effet ; qu'en jugeant, néanmoins qu'il ne pouvait être prétendu que l'arrêt du 9 avril 2019 avait omis de statuer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 463 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Selon l'article 463 du code de procédure civile, la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s'il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

14. La cour d'appel, qui a retenu que l'action en contestation du contrat à durée déterminée du 10 juillet 2008 était prescrite, n'était pas tenue de répondre à ce qui était, non une demande, mais un moyen inopérant. Elle en a déduit à bon droit que la requête en omission de statuer devait être rejetée.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Melka-Prigent-Drusch ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ de la prescription de l'action fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à rapprocher : Soc., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-26.437, Bull. 2018, V, n° 68 (rejet).

Soc., 15 mars 2023, n° 21-17.227, (B), FS

Rejet

Rupture – Rupture anticipée – Rupture par l'employeur – Cas – Faute grave – Faute grave commise antérieurement à la prise d'effet du contrat – Exclusion – Portée

La faute de nature à justifier la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée doit avoir été commise durant l'exécution de ce contrat.

Doit être approuvée la cour d'appel qui retient que l'employeur ne peut justifier la rupture d'un contrat à durée déterminée en se fondant sur des fautes prétendument commises antérieurement à sa prise d'effet.

Rupture – Rupture anticipée – Rupture par l'employeur – Cas – Faute grave – Date d'appréciation – Faute commise antérieurement à la prise d'effet du contrat – Exclusion – Portée

Rupture – Rupture anticipée – Cas – Faute grave – Défaut – Applications diverses – Faute grave commise antérieurement à la prise d'effet du contrat

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 avril 2021), Mme [V] a été engagée en qualité d'assistante administrative senior par la société Gilead sciences (la société), suivant trois contrats à durée déterminée se succédant sans interruption à compter du 30 janvier 2014.

2. Le troisième contrat ayant été rompu de façon anticipée pour faute grave, la salariée a saisi, le 18 juillet 2016, la juridiction prud'homale à l'effet de faire déclarer illicite la rupture anticipée de son contrat de travail et obtenir paiement, à titre principal, d'une indemnité légale de rupture anticipée et d'une indemnité spécifique de précarité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire abusive la rupture anticipée du troisième contrat à durée déterminée et de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive et d'une indemnité spécifique de précarité, alors « que dans l'hypothèse où un salarié est engagé par plusieurs contrats à durée déterminée successifs, l'employeur peut se fonder, pour justifier la rupture anticipée du dernier contrat, sur une ou plusieurs fautes graves commises au cours de l'exécution d'un des contrats précédemment conclus avec le salarié, dès lors qu'il n'avait pas connaissance des faits fautifs au moment de la conclusion du dernier contrat à durée déterminée et qu'il ne les a découverts qu'au cours de l'exécution de ce contrat ; qu'au cas présent, la société faisait valoir et justifiait qu'elle n'avait eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à la salariée qu'au cours de l'exécution du dernier contrat à durée déterminée, suite à une enquête réalisée aux mois de janvier et février 2016, de sorte qu'elle pouvait sanctionner ces faits par la rupture anticipée du dernier contrat de la salariée, quand bien même lesdits faits avaient été commis au cours de l'exécution des précédents contrats à durée déterminée conclus entre les parties ; que pour refuser d'examiner la réalité et la gravité des faits et dire la rupture injustifiée, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la société ne pouvait se fonder sur des fautes prétendument commises antérieurement à la prise d'effet du troisième contrat à durée déterminée pour justifier la rupture anticipée de ce contrat et que les manquements reprochés à la salariée étant antérieurs à son embauche au titre du troisième contrat, au cours duquel aucun manquement professionnel n'a été relevé à son encontre, ces faits ne pouvaient plus faire l'objet d'une sanction ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher à quelle date l'employeur avait eu connaissance des faits litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1243-1, L. 1243-4, L. 1243-8 et L. 1243-10 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 1243-1, alinéa 1, du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

5. Il en résulte que la faute de nature à justifier la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée doit avoir été commise durant l'exécution de ce contrat.

6. La cour d'appel a relevé que le troisième contrat à durée déterminée avait pris effet le 29 janvier 2016, alors que les faits reprochés à la salariée, aux termes de la lettre de « licenciement », remontaient au 8 janvier 2016, soit antérieurement à la prise d'effet de ce troisième contrat.

7. Elle a retenu, à bon droit, que la société ne pouvait se fonder sur des fautes prétendument commises antérieurement à la prise d'effet du contrat pour justifier la rupture de celui-ci.

8. Elle en a exactement déduit que ces fautes ne pouvaient pas faire l'objet d'une sanction.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1243-1, alinéa 1, du code du travail.

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