Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

COMPENSATION

Com., 15 mars 2023, n° 20-23.552, (B), FS

Rejet

Compensation légale – Exception de compensation – Crédit documentaire – Banque confirmante – Engagement irrévocable d'honorer

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 avril 2020) et les productions, à la demande de la société de droit émirati Fal Oil Co Llc (la société Fal Oil), qui a pour activité l'achat et la revente de produits pétroliers, la société Union de banques arabes et françaises (l'UBAF) a émis, en faveur d'un fournisseur de la société Fal Oil, une lettre de crédit import d'un montant de 32 685 291,87 USD, qu'elle a payée le 20 mai 2011 sur présentation des documents justifiant de la livraison. Tenue de lui rembourser cette somme, la société Fal Oil n'a effectué qu'un versement de 3 999 976,12 USD dans le délai qui lui était imparti.

2. Le 1er juillet 2011, l'UBAF, qui, en exécution d'un accord prévoyant que le règlement des sommes dues par elle se ferait conformément aux Règles et Usances Uniformes de la Chambre de commerce internationale régissant les lettres de crédit (RUU 600), avait confirmé plusieurs lettres de crédit export émises en faveur de la société Fal Oil, pour un montant de 28 637 129,44 USD, payable, à réception des documents conformes, par versement sur le compte de la société Fal Oil ouvert dans les livres de la Société générale, a prétendu payer cette somme par compensation avec sa propre créance.

3. La société Fal Oil l'a alors assignée en responsabilité au motif qu'elle avait manqué aux obligations qu'elle avait souscrites en tant que banque confirmante.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Fal Oil fait grief à l'arrêt, confirmant le jugement, de rejeter ses demandes tendant à voir dire et juger que l'UBAF avait méconnu ses engagements contractuels et commis une faute en procédant à une compensation et à voir condamner l'UBAF au paiement d'une somme de 69 554 913,85 USD au titre du préjudice causé à la société Fal Oil, alors « que, dans le cadre d'un crédit documentaire, la banque confirmante prend un engagement de payer autonome et indépendant par rapport à toute autre relation juridique ; qu'elle ne peut dès lors opposer une condition non documentaire comme la compensation à raison d'une créance dont elle serait personnellement titulaire à l'égard du bénéficiaire ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 8, 15 et 2 des règles et usances uniformes de la chambre de commerce internationale relatives aux crédits documentaires (RUU 600), ensemble l'article 1134 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 1290 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives.

7. Selon l'article 2 des RUU 600, la confirmation signifie un engagement de la banque confirmante s'ajoutant à celui de la banque émettrice d'honorer et honorer signifie payer.

8. Selon l'article 8 des mêmes règles, pour autant que les documents stipulés soient présentés à la banque confirmante ou à toute autre banque désignée, et qu'ils constituent une présentation conforme, la banque confirmante doit honorer.

9. Il résulte du premier de ces textes que la compensation équivaut à un paiement et des deuxième et troisième que la banque confirmante prend l'engagement irrévocable d'honorer. Il s'ensuit que la banque confirmante qui oppose l'exception de compensation légale à raison d'une créance détenue à l'égard du bénéficiaire n'oppose pas une condition non documentaire, mais honore son obligation de paiement née du crédit documentaire.

10. L'arrêt retient que s'il résulte de l'article 4 des RUU 600 que l'engagement de la banque est autonome vis-à-vis du contrat de base conclu entre l'acheteur et le vendeur et de la convention conclue entre le donneur d'ordre et la banque émettrice, cet article n'interdit pas à la banque de se prévaloir des relations entre le bénéficiaire et elle, de sorte que l'UBAF pouvait se prévaloir de l'existence d'une dette de la société Fal Oil envers elle. Il ajoute qu'en compensant sa dette résultant de la confirmation du crédit documentaire irrévocable au profit de la société Fal Oil avec la créance qu'elle détenait à l'égard de cette société, l'UBAF n'a pas révoqué son engagement et ne s'y est pas soustraite, mais, utilisant une modalité d'exécution de l'obligation prévue par la loi, a effectué un paiement.

11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement jugé que l'UBAF, en procédant à cette compensation, avait honoré son engagement de banque confirmante au sens de l'article 8 des RUU 600.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La société Fal Oil fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que les parties peuvent par avance ou a posteriori renoncer à la compensation ; qu'en excluant l'existence d'une renonciation au motif que la seule apposition de coordonnées bancaires ne peut s'analyser en une renonciation expresse ou implicite à utiliser la compensation, sans rechercher si, comme le faisait valoir la société Fal Oil, la renonciation ne découlait pas de l'acceptation par l'UBAF d'intervenir en tant que banque confirmante dans une opération de crédit soumise aux RUU 600 et prévoyant un paiement par acceptation d'une lettre de change, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 8, 15 et 2 des règles et usances uniformes de la chambre de commerce internationale relatives aux crédits documentaires (RUU 600), ensemble l'article 1134 ancien du code civil ;

2°/ que, à tout le moins, en excluant l'existence d'une renonciation au motif que la seule apposition de coordonnées bancaires ne peut s'analyser en une renonciation expresse ou implicite à utiliser la compensation, sans rechercher si, comme le faisait valoir la société Fal Oil, la renonciation ne découlait pas de l'engagement pris par l'UBAF dans les lettres de crédit et dans ses messages de confirmation des lettres de crédit de respecter les instructions émises par la société Fal Oil et la Société Générale, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

13. D'une part, ayant relevé, par des motifs vainement critiqués par le quatrième moyen, que la société Fal Oil reconnaissait que les 131 traites litigieuses qu'elle avait émises n'avaient jamais été considérées par elle ou par l'UBAF comme de véritables lettres de change et qu'elles n'avaient pas été acceptées par l'UBAF, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la première branche, que ses constatations rendaient inopérante.

14. D'autre part, ayant retenu que la société Fal Oil ne démontrait pas avoir donné à l'UBAF d'autres instructions que les seules indications relatives au compte bancaire sur les sommes devant être versées et que la seule apposition de coordonnées bancaires d'un compte dans les lettres de crédit ne pouvait s'analyser en une renonciation expresse ou implicite à utiliser la compensation, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 1290 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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