Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2023

BAIL D'HABITATION

3e Civ., 1 mars 2023, n° 21-22.073, (B), FS

Cassation

Bail soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 – Congé – Congé pour vendre – Droit de préemption des locataires ou occupants de logements – Exercice – Commission de l'agent immobilier – Charge – Détermination

Le locataire qui exerce son droit de préemption subsidiaire en acceptant l'offre notifiée par le notaire en application de l'article 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, qui n'avait pas à être présentée par l'agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d'une commission renchérissant le prix du bien.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 11 mai 2021), par acte du 6 juin 2016, M. et Mme [M] ont fait délivrer à MM. [N] et [J], locataires d'une maison d'habitation leur appartenant, un congé pour vendre valant offre d'acquisition au prix de 400 000 euros.

2. Cette offre n'ayant pas été acceptée, les locataires ont quitté les lieux à l'issue du préavis le 9 janvier 2017.

3. Par acte du 20 juillet 2017, M. et Mme [M] ont consenti une promesse de vente sur cet immeuble à M. et Mme [L] par l'entremise de l'agence [Adresse 3] (l'agence immobilière) au prix de 380 000 euros, dont 10 000 euros de commission d'agence.

4. Le 2 août 2017, ce prix a été notifié par le notaire à MM. [N] et [J], qui ont accepté l'offre et conclu la vente.

5. Par acte du 3 mai 2018, MM. [N] et [J] estimant qu'ils avaient indûment payé la commission de l'agence immobilière, l'ont assignée en remboursement de cette somme.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. MM. [N] et [J] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de restitution de la somme de 10 000 euros correspondant à une commission d'agence indue, encaissée par l'agence immobilière, alors :

« 1°/ que l'agent immobilier ne peut prétendre à une commission que lorsqu'il présente un acquéreur à un vendeur ; qu'aucune commission ne peut en revanche être due lorsque la vente intervient à la suite de l'exercice par le locataire de son droit de préemption subsidiaire, l'exercice de cette prérogative légale étant exclusive d'un quelconque rôle d'intermédiation de l'agent qui seul justifierait le paiement d'une commission ; qu'en rejetant néanmoins la demande de MM. [N] et [J], qui n'avaient fait qu'exercer leur droit de préemption subsidiaire, tendant à la condamnation de l'agence [Adresse 3] au remboursement de la commission qu'elle avait perçue à l'occasion de cette vente, la cour d'appel a violé les articles 15, II, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ;

2°/ la circonstance qu'un agent immobilier soit intervenu pour la conclusion d'une cession ne lui permet pas de prétendre à une commission lorsque cette cession n'a pas abouti, les locataires ayant exercé leur droit de préemption subsidiaire ; qu'en retenant, pour condamner MM. [N] et [J], locataires ayant exercé leur droit de préemption subsidiaire, au paiement d'une commission à l'agence [Adresse 3], que l'entremise de cette agence avait permis de parvenir à la signature d'un acte de vente au profit des époux [L], auxquels MM. [N] et [J] s'étaient substitués par l'exercice du droit de préemption subsidiaire, auquel l'agence était étrangère, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation des articles 15, II, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 :

8. Selon le premier de ces textes, dans le cas où le propriétaire, après un refus de l'offre initiale de vente adressée au locataire, décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ces conditions et prix à peine de nullité de la vente et cette notification vaut offre de vente au profit du locataire.

9. Il résulte du second que le droit à rémunération de l'agent immobilier, auquel un mandat de recherche a été confié, suppose une mise en relation entre le vendeur et l'acquéreur.

10. Pour rejeter la demande de remboursement de la commission versée à l'agence immobilière, l'arrêt retient qu'à la suite du refus initial de MM. [N] et [J], les bailleurs ont conclu un mandat avec l'agence immobilière, laquelle a effectué une réelle prestation de recherche d'acquéreurs qu'elle a ensuite présentés aux vendeurs afin que soit signé le « compromis » de vente du 20 juillet 2017, que ce n'est que le 2 août 2017 qu'une offre a été faite à MM. [N] et [J] qui ont exercé leur droit de préemption, que la prestation de l'agence immobilière ne s'est pas limitée à la présentation d'une offre à MM. [N] et [J] et que, compte tenu du caractère déterminant de l'intervention de celle-ci, la commission est justifiée, que MM. [N] et [J], en se substituant aux acquéreurs, ont accepté d'acquérir aux mêmes conditions et en sont redevables.

11. En statuant ainsi, alors que le locataire qui exerce son droit de préemption subsidiaire en acceptant l'offre notifiée par le notaire, qui n'avait pas à être présentée par l'agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d'une commission renchérissant le prix du bien, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Abgrall - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ; article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-19.442, Bull. 2013, III, n° 92 (cassation partielle), et les arrêts cités.

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