Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 9 mars 2022, n° 20-21.572, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 – Article 5, § 3 – Compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit – Lieu où le fait dommageable s'est produit – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 10 septembre 2020), le 7 mars 2008, la société française Compagnie du Ponant a conclu avec la société italienne Fincantieri un contrat de construction navale contenant une clause compromissoire.

La société Fincantieri a confié la classification du navire à la société Bureau Veritas par une convention stipulant une clause compromissoire. Elle a commandé les générateurs diesel à la société finlandaise Wärtsilä Finland et le dispositif anti-incendie à la société finlandaise Marioff Corporation.

2. Le 18 novembre 2015, alors que le navire se trouvait au large des îles Falkland, un incendie s'est déclaré dans la salle des machines.

3. Le 18 novembre 2016, les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International et les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox Syndicate 003 (les assureurs « corps et machine »), ainsi que la société Protection & Indemnité Club Steamship Mutual Underwriting Association, assureur de responsabilité civile, subrogés dans les droits du propriétaire du paquebot, ont engagé une action indemnitaire contre la société Fincantieri et contre différentes entités des groupes Marioff, Wärtsilä et Bureau Veritas devant le tribunal de commerce de Mata'Utu (Wallis-et-Futuna), port d'immatriculation du navire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le deuxième moyen, réunis

Enoncé des moyens

5. Par leur premier moyen, pris en sa première branche, les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International, les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox Syndicate 003 et la société Steamship Mutual Underwriting Association font grief à l'arrêt de dire que le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire invoqué par les assureurs à l'encontre de la société Marioff n'est pas démontré, de déclarer bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Marioff et en conséquence de les renvoyer s'agissant de l'action dirigée à l'encontre de la société Marioff à mieux se pourvoir, alors « qu'en matière d'arbitrage international, les parties ont la faculté d'écarter l'application de l'effet négatif du principe compétence-compétence ; qu'en disant le tribunal de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action introduite par les assureurs à l'encontre de la société Marioff aux motifs que « la société Marioff corporation est intervenue dans l'exécution du contrat de construction navale en fournissant un élément de sécurité du navire et est désormais directement impliquée dans le litige né de l'avarie » et que « seul le tribunal arbitral pourra déterminer si la clause litigieuse, qui ne peut être tenue pour manifestement inapplicable au sens de l'article 1448 du code de procédure civile, doit être appliquée aux seules parties signataires du contrat de construction navale ou si la société Marioff corporation peut également en revendiquer le bénéfice », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel, si, en convenant d'un arbitrage à Londres selon la loi de procédure arbitrale anglaise, les parties n'avaient pas entendu exclure l'application de l'effet négatif du principe compétence compétence, de sorte qu'il appartenait au tribunal saisi de se prononcer lui-même sur l'effet de la clause d'arbitrage à l'égard de la société Marioff, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1506 et 1448 du code de procédure civile. »

6. Par leur deuxième moyen, elles font grief à l'arrêt de dire que le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire invoqué par les assureurs à l'encontre de la société Bureau Veritas n'est pas démontré, de déclarer bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Bureau Veritas et de les renvoyer en conséquence, s'agissant de l'action dirigée à l'encontre de la société Bureau Veritas, à mieux se pourvoir, alors « qu'en matière d'arbitrage international, les parties ont la faculté d'écarter l'application du principe compétence-compétence ; qu'en disant le tribunal de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action introduite par les assureurs à l'encontre de la société Bureau Veritas aux motifs que « les parties ignorent le principe compétence-compétence consacré par le code de procédure civile en opposant une précédente sentence du tribunal arbitral de Londres » et qu'« il n'appartient pas à cette cour de préjuger la solution des arbitres sur leur compétence en se livrant à une extrapolation », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel, si, en convenant d'un arbitrage à Londres selon la loi de procédure arbitrale anglaise, les parties à la clause compromissoire n'avaient pas entendu exclure l'application de l'effet négatif du principe compétence-compétence, de sorte qu'il appartenait au tribunal saisi de se prononcer lui-même sur l'effet de la clause d'arbitrage invoquée par la société Bureau Veritas à l'égard des assureurs subrogés dans les droits de la société Compagnie du Ponant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1506 et 1448 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article 1506 du code de procédure civile qu'en matière d'arbitrage international, ont un caractère simplement supplétif les dispositions de l'article 1448 du même code aux termes desquelles, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

8. La dérogation à ce principe doit être expresse et non équivoque.

9. Dès lors qu'il était soutenu devant elle que la renonciation aux dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile résultait non pas d'une stipulation expresse mais de la seule désignation de Londres comme siège de l'arbitrage et du droit anglais comme loi de la procédure arbitrale, la cour d'appel, qui a écarté l'exception d'incompétence en constatant que la clause compromissoire n'était pas manifestement nulle ou manifestement inapplicable, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles venant aux droits de la société Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International, les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox syndicate 003 et la société Steamship Mutual Underwriting Association font grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de première instance de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action dirigée contre la société Wärtsilä Finland Oy et de les renvoyer à mieux se pourvoir, alors « qu'au sens de l'article 5.3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, le lieu où le fait dommageable s'est produit vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal ; que, s'agissant des dommages provoqués par un incendie qui se sont matérialisés sur un navire en mer, le lieu d'immatriculation du navire dans l'État du pavillon doit nécessairement être considéré comme le lieu où le dommage est survenu ; qu'en jugeant, en l'espèce, le tribunal de première instance de Mata'Utu, port d'immatriculation du navire Le Boréal, incompétent pour statuer sur la demande des assureurs du navire, subrogés dans les droits de son propriétaire, tendant à la réparation des préjudices matériel et financier résultant d'un incendie survenu en mer, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 5.3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :

11. Ce texte dispose :

« Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant : (...)

3. en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit. »

12. Le lieu où le fait dommageable s'est produit s'entend, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, à la fois du lieu où le dommage est survenu et de celui de l'événement causal. Si ces lieux ne sont pas identiques, le défendeur peut être attrait devant le tribunal de l'un d'eux (CJCE, 30 novembre 1976, aff. 21/76). Lorsque les dommages se sont matérialisés à bord d'un navire, l'État du pavillon doit nécessairement être considéré comme le lieu où le fait dommageable a provoqué les préjudices (CJUE, 5 février 2004, aff. C-18/02, pt 44).

13. Pour dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes, l'arrêt retient que l'incendie s'est déclaré et a détruit le système de propulsion du paquebot dans les eaux territoriales des Iles Falkland (Royaume-Uni) et non dans le ressort du tribunal de Mata'Utu.

14. En statuant ainsi, alors que le dommage matérialisé à bord du navire était réputé s'être produit à Wallis-et-Futuna où celui-ci était immatriculé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Comme suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. Le jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence de la société Wärtsilä Finland Oy, la cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le tribunal de première instance de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action dirigée contre la société Wärtsilä Finland Oy et renvoie les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles venant aux droits de la société Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International, les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox syndicate 003 et la société Steamship Mutual Underwriting Association à se mieux pourvoir, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Mata'Utu du 29 mars 2019 en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence internationale soulevée par la société Wärtsilä Finland Oy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Legohérel - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Foussard et Froger ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Articles 1148 et 1506 du code de procédure civile ; article 5, § 3, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.

Com., 16 mars 2022, n° 20-16.257, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne – Applications diverses – Directive n° 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 – Pratiques discriminatoires – Interdiction

Le principe de primauté du droit de l'Union oblige le juge national, chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, à assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure (CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Administration des finances de l'Etat/société anonyme Simmenthal, 106/77).

L'article 32, § 1, de la directive n° 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, interprété conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) fait interdiction aux États membres d'organiser l'accès au réseau de distribution d'une manière discriminatoire, en ce comprises d'éventuelles discriminations sur le plan du coût à supporter pour l'utilisation du réseau de distribution (CJUE, arrêt du 29 septembre 2016, Essent, C-492/14, point 78).

Cette interdiction s'oppose à une pratique qui, en permettant la rémunération de certains fournisseurs assurant des services au gestionnaire du réseau de distribution et en la refusant à d'autres rendant ces mêmes services, sans justification objective, crée une discrimination au regard du coût à supporter pour l'utilisation de ce réseau.

Aux termes de l'article 37, § 10, de cette même directive, les autorités de régulation sont habilitées à demander que les gestionnaires de réseau de transport et de distribution modifient au besoin les conditions, y compris les tarifs ou les méthodes visés au présent article, pour faire en sorte que ceux-ci soient proportionnés et appliqués de manière non discriminatoire.

En conséquence, doit être laissé inappliqué par le juge national l'article L. 452-3-1, II, du code de l'énergie pour l'électricité, issu de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, qui est contraire aux dispositions de la directive 2009/72/CE en ce qu'il maintient les effets d'une pratique discriminatoire en interdisant toute action en réparation au titre de cette pratique.

Par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours en annulation ou en réformation contre les décisions prises par le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (le Cordis) sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de l'énergie. Aux termes de l'article R.134-22 de ce code, le recours doit être formé dans le délai d'un mois, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. C'est donc exactement et sans porter atteinte à la substance du droit d'accès au juge que l'arrêt déclare irrecevables des demandes formées, par voie d'observations, par une partie qui n'a pas formé de recours dans les formes et délais précités.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), le 24 février 2016, la société Joul, fournisseur d'électricité sur le marché de détail, a conclu avec la société Enedis, gestionnaire du réseau de distribution (GRD), une convention d'accès au réseau de distribution qui ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle mises à la charge de la première pour le compte de la seconde.

Le 7 septembre 2016, la société Joul a demandé à la société Enedis la mise en place d'un contrat de prestation de services de gestion de clientèle (CPS).

2. Le 4 avril 2017, reprochant à la société Enedis de ne pas accéder à sa demande, la société Joul a saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (le Cordis) afin qu'il constate une infraction au principe de non-discrimination et la rétablisse dans ses droits en enjoignant à la société Enedis de lui transmettre le CPS réclamé.

3. Le 30 décembre 2017, a été adoptée la loi n° 2017-1839, qui a créé, au sein du code de l'énergie, l'article L. 341-4-3 prévoyant que les prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs d'électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture d'électricité puissent donner lieu à une rémunération, dont les éléments et le montant seraient fixés par la Commission de régulation de l'énergie (la CRE), et l'article L. 452-3-1,II disposant que, « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux [...] et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi. Cette validation n'est pas susceptible de donner lieu à réparation ».

4. Par une décision n° 08-38-17 du 13 juillet 2018, le Cordis a dit :

« article 1er :

La société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire prévu à l'article L. 322-8 du code de l'énergie en refusant de faire droit à la demande de la société Joul du 7 septembre 2016 tendant à l'octroi d'une rémunération au titre des prestations fournies pour son compte, tandis que d'autres fournisseurs en bénéficiaient conformément à l'article L. 224-8 du code de la consommation.

article 2 :

Le surplus des demandes de la société Joul est rejeté. »

5. La société Enedis a formé un recours contre cette décision, en demandant l'annulation, subsidiairement la réformation, de son article 1er.

6. La société Joul a, par voie d'observations, demandé à la cour d‘appel de mettre fin à la situation discriminatoire qu'elle subissait en enjoignant à la société Enedis de lui communiquer, sous astreinte, un CPS dans les mêmes conditions de rémunération et de durée que ceux proposés aux autres fournisseurs alternatifs, à compter du 1er juin 2016.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société Joul fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, alors :

« 1°) que les dispositions du code de procédure civile ne cèdent que devant les dispositions expressément contraires du code de l'énergie ou aménageant des modalités propres à l'exercice des recours contre les décisions du Cordis ; qu'en l'espèce, si l'article R. 134-21 du code de l'énergie prévoit que ces recours sont formés, instruits et jugés par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, il ne contient aucune disposition relative à la possibilité de former un recours incident contre la décision du Cordis, de sorte que ce recours peut être formé conformément aux articles 548, 550 et 551 du code de procédure civile, situés au titre XVI du livre 1er du même code ; qu'en jugeant l'inverse, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble les principes d'équivalence et d'effectivité du droit de l'Union européenne ;

2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que le droit à un procès équitable implique l'accès au juge ; qu'en l'espèce, en jugeant que le défendeur à un recours formé sur le fondement de l'article L. 134-21 du code de l'énergie ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief qu'à la condition d'avoir formé lui-même un recours dans les formes et délai prescrits aux articles R. 134-21 et R. 134-22 du même code, de sorte qu'aucun recours incident ne peut être formé contre une décision prise par le Cordis, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°) qu'en jugeant que la société Joul ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief faute pour celle-ci d'avoir formé un recours dans les formes et délai prescrits par les articles L. 134-21, R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, en tant que conséquence de la violation par la société Enedis de son obligation de traitement non discriminatoire, telle que jugée par l'article 1 de la décision attaquée, la demande incidente tendant à la réformation la décision attaquée en ce que son article 2 a refusé de mettre un terme effectif à cette discrimination en enjoignant à la société Enedis de transmettre à la société Joul un projet de contrat de prestations de services équivalent à ceux signés avec les autres fournisseurs, n'était pas rattachée aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 70 et 567 du code de procédure civile ;

4°) que l'effet dévolutif opère pour le tout si l'objet du litige est indivisible, et ce même si l'appel est limité ; qu'en l'espèce, en jugeant que la société Joul ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief faute pour celle-ci d'avoir formé un recours dans les formes et délais prescrits par les articles L. 134-21, R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie, lorsque sont indivisibles les demandes tendant, d'une part, au constat tiré d'une pratique discriminatoire imputable à la société Enedis, d'autre part, à ce qu'il soit mis un terme à cette discrimination, la cour d'appel a violé l'article 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt énonce qu'aux termes des articles L. 134-21 et L. 134-24 du code de l'énergie, les décisions prises par le Cordis sont susceptibles d'un recours en annulation ou en réformation relevant de la compétence de la cour d'appel de Paris, que, selon l'article R. 134-21 du code de l'énergie, ces recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de ce code, par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile et qu'aux termes de l'article R. 134-22 du même code, le recours est formé dans le délai d'un mois par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé, qu'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens et que s'agissant du recours dirigé contre les décisions du Cordis autres que les mesures conservatoires, l'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration. Il retient que, s'agissant d'un recours et non d'un appel, l'application de la procédure d'appel est expressément exclue et que les décisions prises par le Cordis ne peuvent être contestées que par la voie du recours spécifique que les dispositions précitées prévoient. Il constate que les demandes de la société Joul ont été formées par voie d'observations, au surplus au-delà du délai de recours d'un mois.

En cet état, c'est exactement, et sans porter atteinte à la substance du droit de la société Joul d'accéder à un juge, que la cour d‘appel a retenu que, faute d'avoir formé elle-même un recours dans les formes et délais prescrits par les articles R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie, cette société était irrecevable en ses demandes.

9.Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

10. La société Joul fait grief à l'arrêt d'annuler l'article 1er de la décision du Cordis n° 08-38-17 du 13 juillet 2018 et, statuant à nouveau, de rejeter son moyen tendant à faire juger que la société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire, alors :

« 1°/ qu'en jugeant que l'article 13 de la loi du 30 décembre 2017, codifié à l'article L. 452-3-1 II du code de l'énergie, empêchait le Cordis d'accueillir le moyen pris du manquement de la société Enedis à son obligation de traitement non discriminatoire, lorsque celui-ci dispose que « sont validées » les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d'électricité, de sorte qu'il ne saurait priver la société Joul de la possibilité de faire constater l'existence d'une pratique discriminatoire résultant, comme en l'espèce, du refus de la société Enedis d'octroyer une rémunération au titre des prestations de gestion de clientèle fournies pour son compte par son cocontractant, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article L. 322-8 du code de l'énergie ;

2°/ qu' en jugeant que l'article 13 de la loi du 30 décembre 2017, entré en vigueur le 1er janvier 2018, empêchait le Cordis d'accueillir le moyen pris du manquement de la société Enedis à son obligation de traitement non discriminatoire, lorsque la demande litigieuse de la société Joul a été introduite devant le Cordis le 4 avril 2017, de sorte qu'elle était antérieure à l'entrée en vigueur de la disposition précitée, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article L. 322-8 du code de l'énergie et l'article 1er du code civil. »

Réponse de la Cour

11. Ayant relevé, d'abord, qu'au soutien de sa demande de conclusion d'un CPS, la société Joul invoquait un traitement discriminatoire résultant de ce que la convention conclue le 24 février 2016 ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle qu'elle devait effectuer pour le compte de la société Enedis, ce que l'article L. 452-3-1, II, du code de l'énergie, issu de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, avait précisément pour objet de valider tout en excluant toute action en réparation de ce chef, puis constaté, ensuite, que ce texte était en vigueur à la date à laquelle le Cordis s'était prononcé, ce dont il résulte que le différend opposant la société Joul à la société Enedis n'avait pas fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée à la date d'entrée en vigueur de cette loi, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le différend soumis au Cordis entrait dans les prévisions de ce texte.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

13. La société Joul fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en privant les fournisseurs d'électricité de la possibilité de faire constater l'existence d'une pratique discriminatoire résultant du fait que certains d'entre eux ont été contraints de supporter des coûts au titre de prestations effectuées pour le compte du gestionnaire de réseau, et ce sans qu'aucune mesure de réparation telle qu'une compensation financière puisse leur être octroyée, l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie est contraire à la directive 2009/72/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, laquelle impose aux autorités de régulation de mettre un terme aux situations discriminatoires ; qu'en ne laissant pas inappliquées ces dispositions de droit national, la cour d'appel a violé la directive 2009/72/CE, l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de primauté du droit de l'Union et les articles 32, § 1, et 37, §10, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité :

14. Par un arrêt du 9 mars 1978, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que « le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure » (CJCE, Administration des finances de l'Etat / société anonyme Simmenthal, 9 mars 1978, 106/77).

15. La CJUE juge également que « dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées à défaut de mesures d'application prises dans les délais, à l'encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu' elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l'égard de l'Etat » (CJCE,19 janvier 1982, Becker, 8/81).

16. Aux termes de l'article 32, § 1 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, y compris les entreprises de fourniture, un système d'accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau.

17. Aux termes de l'article 37, § 10, de cette même directive, les autorités de régulation sont habilitées à demander que les gestionnaires de réseau de transport et de distribution modifient au besoin les conditions, y compris les tarifs ou les méthodes visés au présent article, pour faire en sorte que ceux-ci soient proportionnés et appliqués de manière non discriminatoire.

18. Dans un arrêt du 29 septembre 2016, Essent, C-492/14, point 78, la CJUE a énoncé que « l'article 16 [de la directive 96/92 du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité] interdit ainsi aux États membres d'organiser l'accès au réseau de distribution d'une manière discriminatoire, une telle interdiction portant, de manière générale, sur toutes discriminations, en ce comprises, partant, d'éventuelles discriminations sur le plan du coût à supporter pour l'utilisation du réseau de distribution. »

19. Interprétée à la lumière de cet arrêt, l'interdiction de discrimination tarifaire résultant de la directive précitée s'oppose à une pratique consistant, sans justification objective, à accorder une rémunération à certains fournisseurs assurant des services au gestionnaire du réseau de distribution tout en la refusant à d'autres rendant ces mêmes services, créant ainsi, pour l'utilisateur de ce réseau, une discrimination au regard du coût à supporter.

20. Après avoir retenu que l'article L. 452-3-1 II du code de l'énergie, issu de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, était applicable au litige, l'arrêt annule l'article 1er de la décision du Cordis n° 08-38-17 et, statuant à nouveau, rejette le moyen de la société Joul tendant à faire juger que la société Enedis avait méconnu son obligation de traitement non discriminatoire.

21. En statuant ainsi, alors qu'en ce qu'il interdit toute action en réparation au titre de la pratique discriminatoire précitée, l'article L. 452-3-1,II du code de l'énergie, qui en maintient les effets, est contraire aux dispositions de la directive 2009/72/CE, la cour d'appel, qui aurait dû laisser ce texte inappliqué, a violé le principe et les textes susvisés.

22. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions en cause, il n'y a pas lieu de saisir la CJUE des questions préjudicielles proposées par la société Joul.

Portée et conséquences de la cassation

23. Après avis donné aux parties, complété par un courriel du 17 janvier 2022, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

24. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

25. Selon les informations fournies par la société Enedis au Cordis à l'occasion du présent différend, à la date du 1er juin 2016, six fournisseurs d'électricité avaient conclu avec elle un CPS pour la rémunération des frais de gestion de clientèle.

La société Joul, qui a demandé, le 7 septembre 2016, à conclure un contrat similaire en raison des services qu'elle était amenée à rendre dans le cadre de l'exécution du contrat unique avec les consommateur, n'a pu obtenir satisfaction.

26. La société Enedis, qui n'a fait valoir aucun motif justifiant une telle différence de traitement entre les fournisseurs d'électricité, autre que celui invoqué devant la cour d'appel tiré de la date à laquelle ces fournisseurs avaient formulé une demande de CPS, sans pertinence avec la discrimination invoquée, il doit être retenu, ainsi que l'a décidé le Cordis dans sa décision n° 08-38-17 du 13 juillet 2018, qu'en refusant de faire droit à la demande de la société Joul tendant à bénéficier d'un contrat permettant le versement d'une compensation pour les services de gestion de clientèle accomplis au bénéfice de la société Enedis, celle-ci a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire énoncée par l'article L. 322-8, 4° du code de l'énergie, de sorte que le recours formé par la société Enedis contre cette décision doit être rejeté.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule l'article 1er de la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 08-38-17 du 13 juillet 2018 et, statuant à nouveau, rejette le moyen de la société Joul tendant à faire juger que la société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire, et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE le recours formé par la société Enedis contre la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 08-38-17 du 13 juillet 2018 sur le différend qui l'oppose à la société Joul.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles 32, § 1, et 37, § 10, de la directive n° 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ; article L. 452-3-1, II, du code de l'énergie pour l'électricité ; article R. 134-22 du code de procédure civile.

1re Civ., 30 mars 2022, n° 19-17.996, (B), FS

Cassation partielle

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Article 6, § 1 – Clauses abusives – Demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur – Prescription – Possibilité (non)

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.

Il s'en déduit qu'une demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

Une banque, qui consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Article 7, § 1 – Clauses abusives – Demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur – Prescription – Possibilité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 avril 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 16 mai 2018, pourvoi n° 17-11.337), suivant offres acceptées les 16 décembre 2008 et 5 octobre 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [X] (les emprunteurs) trois prêts immobiliers, libellés en francs suisses et remboursables en euros, dénommés Helvet Immo et destinés à financer l'acquisition d'appartements et d'emplacements de stationnement.

2. Par acte du 19 janvier 2012, les emprunteurs ont assigné la banque au titre de manquements à ses obligations, puis invoqué le caractère abusif de certaines clauses des contrats.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo, ainsi que les demandes subséquentes, alors « que la demande du consommateur tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en retenant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes des emprunteurs tendant à voir déclarer non écrites les clauses abusives des contrats de prêt Helvet Immo étaient soumises à la prescription quinquennale, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

4. Selon le premier de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

5. Il résulte du second que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.

7. Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

8. Pour déclarer les demandes irrecevables, comme prescrites, l'arrêt retient que l'action engagée par les emprunteurs pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d'abusives, qui relève du droit commun des contrats, est soumise à la prescription quinquennale et que celles-ci ont été formées plus de cinq ans après l'acceptation des offres de prêt.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

10. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires au titre du manquement de la banque à son obligation d'information, alors :

« 3°/ que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'Etat membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour statuer comme elle l'a fait, que les emprunteurs avaient été clairement, précisément, expressément, informés sur le risque de variation du taux de change, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les termes « risque de change » n'étaient pas absents de l'offre de prêt et des documents annexes, ce qui était de nature à démontrer que l'information délivrée par la banque était insuffisante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ qu'en se bornant encore à relever que les emprunteurs avaient reçu une information suffisante sur l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus, qui serait illustrée par les exemples chiffrés annexés à l'offre de prêt, sans constater que l'information et les exemples donnés traitaient de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de l'euro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

12. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt relève, d'abord, que les opérations de change sont clairement décrites dans l'offre, que les clauses « description de votre crédit », « financement de votre crédit », « ouverture de compte interne en euros et d'un compte interne en francs suisses », « opérations de change » font expressément référence aux opérations et aux frais de change, que, dans l'article « opérations de change », il est expressément mentionné que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change et que le taux de change applicable à toutes les opérations de change sera celui de référence publié sur le site internet de la Banque Centrale Européenne. Il retient, ensuite, que cet article explique que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances fixes en euros, que la conversion s'opérera selon un taux de change qui pourra évoluer, que l'amortissement évolue en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels effectués par l'emprunteur, que l'amortissement du capital sera plus ou moins rapide, selon qu'il résulte de l'opération de change une somme supérieure ou inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, de sorte que les emprunteurs ont été clairement, précisément et expressément informés sur le risque de variation du taux de change et sur son influence sur la durée du prêt et donc sur la charge totale de remboursement de ce prêt. Il ajoute que les trois annexes font expressément référence à l'incidence de la variation du taux de change sur le montant des règlements, la durée et le coût total du crédit, qu'il est spécifié que les tableaux et les exemples chiffrés sont prévisionnels et indicatifs, qu'il ne saurait être exigé de la banque qu'elle évalue, très précisément et de manière chiffrée, un risque d'endettement sur la base d'un cours dont elle ne contrôle pas les fluctuations. Il énonce, enfin, que l'information est tout aussi précise sur le taux d'intérêt.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE et ANNULE, mais seulement, en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo, ainsi que les demandes subséquentes, en ce qu'il dit que la société BNP Paribas Personal Finance n'a pas manqué à son obligation d'information et rejette les demandes indemnitaires formées à ce titre par les époux [X], l'arrêt rendu, le 17 avril 2019, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : Me Laurent Goldman ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles L. 110-4 du code de commerce ; article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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