Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

Soc., 2 mars 2022, n° 20-16.683, (B), FS

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Cas – Temps de travail – Prise de dispositions nécessaires par l'employeur – Caractère raisonnable de l'amplitude et la charge de travail – Garantie d'une bonne répartition dans le temps du travail – Défaut de justification par l'employeur – Portée

Viole la loi la cour d'appel qui retient l'absence de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, alors qu'elle avait constaté qu'il ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection et la santé du salarié, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité et que la cour d'appel devait vérifier si un préjudice en avait résulté.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), M. [T] a été engagé, le 3 juillet 2006, par la société Accenture en qualité de médecin du travail.

2. Le 12 novembre 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande au titre de l'exécution du contrat de travail.

3. Le salarié a été licencié le 26 août 2014.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité, alors « que l'inobservation des dispositions légales ou conventionnelles dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours constitue un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'employeur n'avait pas respecté les conditions légales de mise en oeuvre de la convention de forfait-jours et, en conséquence, l'a déclarée nulle, ce dont elle aurait dû déduire que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé l'article L. 4121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail :

5. Il résulte de ce texte que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

6. Pour débouter le salarié de sa demande en dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité l'arrêt relève que les alertes sur la dégradation de l'état de santé du salarié ne sont apparues qu'à partir de juin 2013, les précédents messages adressés à la hiérarchie étant restés centrés sur des demandes de promotion non satisfaites, le salarié exprimant explicitement son attachement à la société et à la mission qui était la sienne.

L'arrêt constate qu'à partir d'août 2013, le salarié fait expressément référence dans ses courriels à une souffrance psychologique dont l'employeur s'est emparé en alertant le médecin du travail sur la gravité de la situation, ce qui contredit l'allégation du salarié selon laquelle la société n'a pas apporté de réponse à une situation de souffrance avérée.

7. L'arrêt retient enfin que l'ensemble des éléments soumis met en évidence un comportement de l'employeur conforme à son obligation de sécurité.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité et de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il le condamne aux dépens de l'instance, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 4121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue de l'obligation de sécurité de l'employeur, à raprocher : Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.444, Bull. 2015, V, n° 234 (cassation partielle).

Soc., 2 mars 2022, n° 20-21.715, (B), FS

Cassation

Services de santé au travail – Examens médicaux – Conclusion du médecin du travail – Avis sur l'aptitude – Contestation – Délai – Point de départ – Notification – Remise en main propre – Remise contre émargement ou récépissé – Nécessité – Détermination – Portée

Il résulte des articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du code du travail, dans leurs dispositions applicables au litige que, pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l'encontre d'un avis d'aptitude ou d'inaptitude rendu par le médecin du travail, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 juin 2019), M. [V] a été engagé le 2 juin 2016 par l‘association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel en qualité d'aide soignant.

2. Le 13 novembre 2018, dans le cadre d'une unique visite de reprise, le médecin du travail l'a déclaré « inapte à son poste de travail d'aide soignant, inapte à tous les postes dans l'entreprise ».

3. Le 29 janvier 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, aux fins de contester l'avis d'inaptitude établi par le médecin du travail et demander l'organisation d'une mesure d'instruction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes relatives à la contestation de l'avis d'inaptitude et à la mesure d'instruction confiée au médecin inspecteur du travail, alors : « que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après l'avoir examiné au moins une fois, puis avoir échangé avec l'employeur et le salarié afin de leur permettre de faire valoir leurs observations sur l'avis qu'il entend prononcer ; qu'en cas de contestation de l'avis émis par le médecin du travail, le conseil de prud'hommes est saisi dans un délai de quinze jours à compter de sa notification faite sous enveloppe ou pli fermé, soit par la voie postale, soit par la remise au destinataire contre émargement ou récépissé ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable le recours du salarié comme tardif, que « les mots notifications employés tant à l'article R. 4624-42 qu'à l'article R. 4624-45 [du code du travail] ne doivent pas s'entendre au sens de l'article 667 du code de procédure civile comme incluant une nécessité formelle de « décharge ou récépissé » », quand la remise au salarié de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, sans émargement ni récépissé et immédiatement à l'issue d'un premier et unique examen par le médecin du travail, ne valait pas notification de cet avis, mais simple information sur l'avis que le médecin du travail entendait émettre, en sorte que le délai pour le contester n'avait pas commencé à courir lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 29 novembre 2018, la cour d'appel a violé les articles R. 4624-42 et R. 4624-45 du code du travail dans sa version applicable en la cause, ainsi que l'article 667 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du code du travail dans leurs dispositions applicables au litige, le premier issu du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017et le second issu du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 :

5. Aux termes du premier de ces textes, en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification.

Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

6. Aux termes du second, l'avis médical d'aptitude ou d'inaptitude émis par le médecin du travail est transmis au salarié ainsi qu'à l'employeur par tout moyen leur conférant une date certaine.

7. Il en résulte que, pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l'encontre d'un avis d'aptitude ou d'inaptitude, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.

8. Pour dire irrecevable le recours du salarié déposé le 29 novembre 2018, l'arrêt retient que le mot notification employé à l'article R. 4624-45 du code du travail a seulement pour objet l'obligation que soient portés à la connaissance des parties tant la nature de l'avis que les délais de recours et la désignation de la juridiction devant en connaître qui doivent figurer sur le document.

9. L'arrêt relève ensuite qu'à l'égard du salarié, cette prise de connaissance s'est manifestée par la remise qui lui a été faite à l'issue de la visite par le médecin du travail de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, ce fait n'étant pas contesté et constituant une date certaine.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2019 entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles R. 4624-45, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017, et R. 4624-55, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de quinze jours déterminé par la notification de l'avis du médecin du travail, à rapprocher : Soc., 2 juin 2021, pourvoi n° 19-24.061, Bull., (cassation partielle).

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