Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

TRANSPORTS ROUTIERS

2e Civ., 31 mars 2022, n° 20-15.448, (B), FS

Cassation

Marchandises – Responsabilité – Dommage – Réparation – Applicabilité de la loi du 5 juillet 1985 – Exclusion

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 11 février 2020), par un ordre d'affrètement du 4 avril 2016, la société Colas rail, assurée auprès de la société Generali, a confié à la société T2L le transport d'une grue-pelle « rail-route » lui appartenant. Parvenu sur le lieu de livraison, alors que le chauffeur de la société T2L, aux commandes de la grue-pelle, la conduisait pour la faire descendre de la remorque ayant servi à son transport, l'engin a basculé et chuté au sol.

2. Après avoir indemnisé la société Colas rail, la société Generali et son assurée ont, sur le fondement de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, assigné devant un tribunal de grande instance la société T2L et ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, afin d'obtenir leur condamnation à leur payer, à la première, le montant de l'indemnité versée, à la seconde, celui de la franchise restée à charge et des frais d'expertise.

3. La société T2L et ses assureurs ont soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce.

4. Le juge de la mise en état a rejeté cette exception et retenu la compétence du tribunal de grande instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société T2L et ses assureurs font grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce, alors que « la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation ne s'applique pas dans les rapports entre le transporteur et le propriétaire d'une marchandise endommagée lors du déchargement, liés par un contrat de transport ; qu'en retenant dès lors, pour écarter l'exception d'incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce, que la grue-pelle de la société Colas rail transportée par la société T2L et endommagée lors du déchargement était impliquée dans un accident de la circulation, la cour d'appel a violé les articles L. 132-8 et suivants du code du commerce par refus d'application et les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et les articles L. 110-1,5°, L. 132-8 et L. 721-3, 1°, du code de commerce :

6. Il résulte du premier de ces textes, tel qu'interprété par la jurisprudence, que la loi du 5 juillet 1985 instaure un régime autonome et d'ordre public d'indemnisation, excluant l'application du droit commun de la responsabilité, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle, qui fait peser sur le conducteur du véhicule impliqué, soumis à une obligation d'assurance, la charge de cette indemnisation.

7. Cette loi, qui tend à assurer une meilleure protection des victimes d'accidents de la circulation par l'amélioration et l'accélération de leur indemnisation, dès lors qu'est impliqué un véhicule terrestre à moteur, n'a pas pour objet de régir l'indemnisation des propriétaires de marchandises endommagées à la suite d'un tel accident, survenu au cours de leur transport par le professionnel auquel elles ont été remises à cette fin, en exécution d'un contrat de transport.

Les conditions et modalités de la réparation de tels préjudices, d'ordre exclusivement économique, sont déterminées par ce contrat et les dispositions du code de commerce qui lui sont applicables.

8. Aux termes du second de ces textes, la loi répute acte de commerce toute entreprise de transport par terre ou par eau.

Selon le troisième, la lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire.

Aux termes du quatrième, les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants.

9. Pour confirmer l'ordonnance déférée, l'arrêt énonce que la grue-pelle, dont la nature de véhicule terrestre à moteur n'est pas contestée par les parties, a été endommagée alors qu'elle était en mouvement, conduite par le chauffeur de la société T2L, pour être déchargée.

10. Il ajoute, par motifs adoptés, que la chute de la grue-pelle a eu lieu alors qu'elle roulait sur la rampe de déchargement de la remorque et relève que c'est la manoeuvre de l'engin pour le descendre de cette dernière qui a eu pour effet de le déséquilibrer et de le faire chuter.

11. Il retient enfin que l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985 et en déduit que, peu important l'existence d'un contrat de transport liant les sociétés T2L et Colas rail, le tribunal de grande instance est compétent, en application des dispositions de l'article R. 212-8 du code de l'organisation judiciaire.

12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les dommages matériels occasionnés à la marchandise transportée, dont il était demandé réparation, étaient survenus lors des opérations de déchargement de celle-ci, effectuées en exécution du contrat de transport liant les parties au litige, dont la qualité de commerçant n'était pas contestée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ; article R. 212-8 du code de l'organisation judiciaire.

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