Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

TRANSPORTS MARITIMES

Com., 23 mars 2022, n° 19-16.466, (B) (R), FS

Cassation

Marchandises – Responsabilité – Action en responsabilité – Action du chargeur contre le transporteur – Recevabilité – Conditions – Existence d'un préjudice (non)

Il résulte de l'article 31 du code de procédure civile que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action. En conséquence, le chargeur, partie au contrat de transport, est recevable à agir en responsabilité contre le transporteur maritime, en invoquant le préjudice qu'il subit du fait d'une avarie de transport, la preuve de l'existence de ce préjudice n'étant que la condition du succès de son action en réparation. En outre, le chargeur tenant son droit d'action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n'y a pas lieu, pour apprécier l'ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l'émission d'un connaissement ou d'une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents.

Marchandises – Responsabilité – Action en responsabilité – Action du chargeur contre le transporteur – Fondement – Responsabilité contractuelle tirée du contrat de transport – Portée – Connaissement ou lettre de transport maritime – Absence d'influence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 mars 2019), la société mexicaine Frutas y Hortalizas Organicas de Michoacan Mexico (la société FRHOMIMEX), ayant vendu à la société néerlandaise OTC (Organic Trade Company) - Holland (la société OTC) des avocats frais, en a confié le transport maritime entre les ports d'[Localité 2] (Mexique) et de [Localité 4] (Pays-Bas) à la société CMA CGM.

La marchandise ayant été endommagée, la société FRHOMIMEX a assigné cette dernière en indemnisation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société FRHOMIMEX fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'action en responsabilité formée par un chargeur contre le transporteur maritime, alors « qu'en cas de transport sans connaissement, le chargeur dispose, en sa seule qualité de partie au contrat, d'un intérêt à agir contre le transporteur en cas d'avaries subies par les marchandises ; qu'en soumettant le droit d'agir du chargeur à la démonstration d'un préjudice tout en constatant que le contrat avait donné lieu à l'émission de trois lettres de transport (« waybills ») et non pas de connaissements, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 du code de procédure civile :

3. Il résulte de ce texte que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.

En conséquence, le chargeur, partie au contrat de transport, est recevable à agir en responsabilité contre le transporteur maritime, en invoquant le préjudice qu'il subit du fait d'une avarie de transport, la preuve de l'existence de ce préjudice n'étant que la condition du succès de son action en réparation.

En outre, le chargeur tenant son droit d'action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n'y a pas lieu, pour apprécier l'ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l'émission d'un connaissement ou d'une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents.

4. Pour déclarer irrecevable l'action de la société FRHOMIMEX, l'arrêt retient que cette dernière, agissant en qualité de chargeur aux trois « waybills » (lettres de transport maritime), peut agir en indemnisation pour les avaries subies par les avocats contre le transporteur maritime, la société CMA CGM, mais à la condition d'avoir subi un préjudice et d'en justifier, même si elle n'a pas été la seule victime. Puis, il relève que les trois factures de vente émises par la société FRHOMIMEX envers la société OTC ainsi que les trois comptes de vente établis par celle-ci à l'égard de celle-là ne démontrent aucunement que les avaries à la marchandise sont supportées, même partiellement, par la société FRHOMIMEX, faute pour cette dernière de communiquer des pièces relatives aux flux financiers entre elle et la société OTC.

5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 31 du code de procédure civile.

Com., 23 mars 2022, n° 19-19.103, (B), FRH

Cassation partielle

Marchandises – Transport international – Convention de Bruxelles du 25 août 1924 – Limitation – Indemnité – Colis ou unité – Constatation nécessaire

Aux termes de l'article 4.5 de la Convention de Bruxelles originaire du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement, le transporteur comme le navire, ne seront tenus en aucun cas des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant pour une somme dépassant 100 livres sterling par colis ou unité, ou l'équivalent de cette somme en autre monnaie, à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n'aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée au connaissement.

A privé sa décision de base légale la cour d'appel qui, après avoir indiqué que la marchandise confiée au transporteur maritime avait donné lieu à un contrat de vente portant sur 56 000 épis de maïs pour un poids total de 19 040 kg, a limité à 823,26 DTS l'indemnité due par le transporteur maritime en retenant que les 56 000 épis de maïs, empotés en vrac dans le conteneur, sans être conditionnés dans des cartons, des caisses ou des sacs pouvant être individualisés et manutentionnés séparément, constituaient un colis ou une unité unique, sans préciser si les parties au contrat de transport s'étaient référées, dans le connaissement, à une unité de fret et, dans l'affirmative, laquelle avait été choisie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 mai 2019), la société sénégalaise Société de cultures légumières - SCL (la société SCL) a vendu à la société britannique Barfoots of Botley (la société Barfoots) plusieurs conteneurs de maïs doux, dont un renfermant 56 000 épis en vrac d'un poids de 19 040 kg, au prix de 12 185,60 euros.

Le transport maritime entre le port de [Localité 5] (Sénégal) à celui de [Localité 8] (Angleterre) en a été confié à la société CMA CGM, qui a émis un connaissement le 22 mars 2013.

2. La marchandise ayant été endommagée, la société Barfoots a cédé ses droits relatifs au sinistre à la société SCL, laquelle a signé un acte de subrogation pour un montant de 27 840 euros « aux compagnies d'assurance Helvetia et autres ».

Les sociétés Helvetia, Watkins, Asco et la société Covea Fleet, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, (les assureurs) ont assigné la société CMA CGM en réparation.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident éventuel, qui est préalable

Enoncé du moyen

3. La société CMA CGM fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable des dommages en vertu des dispositions de la Convention de Bruxelles de 1924 originelle et de fixer l'indemnité due par elle à 823,96 DTS, alors :

« 1°/ que le transporteur n'est pas responsable de la perte résultant d'un acte ou d'une omission du chargeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le connaissement de la société CMA CGM du 22 mars 2013 mentionnait la température convenue de 1°C à l'intérieur du conteneur renfermant les épis de maïs ; que dans ses conclusions d'appel, la société CMA CGM faisait valoir que le 20 mars 2013, lors de l'empotage et du déclenchement de l'enregistreur de température, la température était bien plus élevée que celle requise au connaissement de conservation à +1°C, et que la marchandise n'avait donc pas été pré-réfrigérée à la bonne température par le chargeur ; qu'en écartant tout acte ou omission du chargeur quand il ressortait de ses propres constatations « qu'au chargement le 20 mars (la température) était de 11,0°C », la cour d'appel a violé l'article 4, § 2 (i) de la Convention du Bruxelles du 25 août 1924 ;

2°/ que le transporteur n'est pas responsable de la perte résultant d'un acte ou d'une omission du chargeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le connaissement de la société CMA CGM du 22 mars 2013 mentionnait la température convenue de 1°C à l'intérieur du conteneur renfermant les épis de maïs ; que la société CMA CGM faisait valoir que le 20 mars 2013, lors de l'empotage et du déclenchement de l'enregistreur de température, la température était bien plus élevée que celle requise au connaissement de conservation à +1°C, et que la marchandise n'avait donc pas été pré-réfrigérée à la bonne température par le chargeur ; qu'en se bornant, pour écarter tout acte ou omission du chargeur de nature à exonérer le transporteur maritime de toute responsabilité, à indiquer « qu'au chargement le 20 mars elle était de 11,0°C, alors que la marchandise avait été pré-refroidie à 3,5°C le même jour », la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant son arrêt de base légale au regard de l'article 4, § 2 (i) de la Convention du Bruxelles du 25 août 1924. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir énoncé que le transporteur est présumé responsable des dommages subis par la marchandise sauf s'il rapporte la preuve d'un des cas exonératoires énumérés à l'article 4.2 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement (la Convention), l'arrêt retient, par motifs propres, qu'aux termes du rapport d'expertise du 29 juillet 2013, la température constatée à l'intérieur du conteneur renfermant les 56 000 épis de maïs en vrac était comprise entre 2,3° et 4,9°C, qu'au vu des enregistreurs, elle avait été comprise entre 10,0° et 47,0°C pendant le voyage et qu'au chargement le 20 mars, elle s'élevait à 11,0°C cependant que la marchandise avait été pré-refroidie à 3,56°C le même jour. Après avoir constaté que le connaissement mentionnait certes une température au chargement convenue de 1,1°C, l'arrêt relève, par motifs adoptés, que seul le conteneur litigieux avait subi des avaries en cours de voyage et que, d'après le rapport d'expertise, la marchandise avait été raisonnablement pré-réfrigérée à une température convenable, mais que les appareils de réfrigération du conteneur avaient été inopérants pendant le transport.

5. Par ces constatations écartant le rôle causal dans la survenance du dommage du fait que le maïs avait été chargé à une température supérieure à celle indiquée sur le connaissement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter l'acte du chargeur comme cas excepté de la responsabilité du transporteur maritime prévu par l'article 4, 2, i) de la Convention.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. Les assureurs font grief à l'arrêt de réduire l'indemnité due par la société CMA CGM à 823,96 DTS, alors « que, dans leurs écritures d'appel, ils ont fait valoir que, même si la Convention de Bruxelles originelle était applicable, si la marchandise est dite individualisable et individualisée, la limitation sera calculée par nombre d'épis transportés réputés colis, dont le nombre était clairement précisé par le connaissement ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4.5 de la Convention de Bruxelles originaire du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement :

8. Aux termes de ce texte, le transporteur comme le navire, ne seront tenus en aucun cas des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant pour une somme dépassant 100 livres sterling par colis ou unité, ou l'équivalent de cette somme en autre monnaie, à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n'aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée au connaissement.

9. Pour limiter à 823,26 DTS l'indemnité due par la société CMA CGM, l'arrêt retient que les 56 000 épis de maïs étant empotés en vrac dans le conteneur, sans être conditionnés dans des cartons, des caisses ou des sacs pouvant être individualisés et manutentionnés séparément, ils constituaient un colis ou une unité unique.

10. En se déterminant ainsi, après avoir elle-même indiqué que la vente portait sur 56 000 épis de maïs pour un poids total de 19 040 kg, sans préciser, dès lors, si les parties au contrat de transport s'étaient ensuite référées, dans le connaissement, à une unité de fret et, dans l'affirmative, laquelle avait été choisie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il réduit l'indemnité due par la société CMA CGM, l'arrêt rendu le 2 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 4.5 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement.

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