Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

2e Civ., 10 mars 2022, n° 19-23.496, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Compétence administrative – Domaine d'application – Mesure préparatoire à une décision administrative – Chasse

L'exercice, par le conseil d'administration d'une association communale de chasse agréée, de la faculté de demander au préfet de prononcer la suspension du droit de chasser, sur son territoire, des propriétaires apporteurs de droit de chasse, conformément à l'article R. 422-63, 17°, a), du code de l'environnement, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1432 du 23 décembre 2019, constitue une mesure préparatoire à la décision préfectorale de sanction, susceptible d'être prise, dont elle n'est qu'un élément de la procédure d'édiction.

Par suite, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître des actions, notamment indemnitaires, fondées sur les irrégularités imputées à la décision du conseil d'administration d'une telle association de saisir, à cette fin, le préfet, dont la décision, le cas échéant, peut seule faire grief.

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Mesure préparatoire à une décision administrative

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [R] du désistement de son pourvoi.

Faits et procédure

2. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Romans-sur-Isère, 19 décembre 2018), rendu en dernier ressort, et les productions, à la suite de différends ayant opposé M. [D], membre de droit de l'association communale de chasse agréée de [Localité 3] (l'ACCA), à M. [R], président de l'association, ainsi qu'à sa garde-chasse, le conseil d'administration de l'ACCA, par lettre du 3 juin 2014, a demandé au préfet du département de suspendre temporairement le droit de chasse de M. [D] sur son territoire.

3. Par arrêté du 17 juin 2014, le préfet a suspendu le droit de M. [D] de chasser sur le territoire de l'ACCA jusqu'au 30 juin 2016 mais, par un jugement du 17 janvier 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision au motif que la procédure suivie devant le conseil de discipline de l'ACCA avait été entachée d'un défaut d'impartialité en ce que cette instance était présidée par M. [R], qu'une animosité personnelle opposait à M. [D].

4. Le 9 avril 2018, M. [D], qui n'avait pas formé de demande indemnitaire devant la juridiction administrative, a assigné l'ACCA et M. [R] devant une juridiction judiciaire afin qu'ils soient condamnés in solidum à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et d'agrément qu'il estimait avoir subi du fait de la privation irrégulière de son droit de chasser pendant deux ans sur son terrain naturel.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article R. 422-63, 17°, a) du code de l'environnement dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1432 du 23 décembre 2019 :

6. Selon le dernier de ces textes, les statuts d'une association communale de chasse agréée doivent comprendre une disposition prévoyant la possibilité pour le conseil d'administration de l'association de demander au préfet de prononcer la suspension du droit de chasser, sur son territoire, des propriétaires chasseurs apporteurs de droit de chasse, en cas notamment de fautes graves ou répétées de leur part.

7. L'exercice, par le conseil d'administration d'une association communale de chasse agréée, de la faculté de saisir le préfet aux fins de suspension du droit de chasser d'un de ses membres, constitue une mesure préparatoire à la décision préfectorale de sanction susceptible d'être prise, dont elle n'est qu'un élément de la procédure d'édiction.

8. Pour écarter l'exception d'incompétence de la juridiction judiciaire soulevée par les défendeurs, le jugement retient que le litige opposant les parties relève des relations privées entre l'ACCA et l'un de ses membres et, partant, de la gestion interne de l'association.

9. La décision ajoute que la mesure litigieuse, prise par le conseil d'administration de l'association, n'a requis la mise en oeuvre d'aucune prérogative de puissance publique.

10. En statuant ainsi, alors que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître des actions, notamment indemnitaires, fondées sur les irrégularités imputées à une mesure préparatoire à l'édiction d'une décision administrative, laquelle peut seule faire grief, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens des pourvois, principal et incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 19 décembre 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Romans-sur-Isère ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Talabardon - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article R. 422-63, 17°, a), du code de l'environnement, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1432 du 23 décembre 2019.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère de mesure préparatoire de la décision de saisir une autorité disciplinaire, à rapprocher : CE, 7 novembre 2005, n° 271982, inédit au Recueil Lebon (p. 489). Sur la compétence de la juridiction administrative pour connaître d'un recours mettant en cause la légalité d'une mesure préparatoire à une décision administrative, à rapprocher : 1re Civ., 22 octobre 1991, pourvoi n° 90-14.198, Bull. 1991, I, n° 280 ; Soc., 15 juin 1994, pourvoi n° 92-17.704, Bull. 1994, V, n° 198 ; 1re Civ., 30 mars 1999, pourvoi n° 97-13.412, Bull. 1999, I, n° 116.

3e Civ., 9 mars 2022, n° 19-24.594, (B), FS

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Responsabilité des personnes morales de droit public – Dommages imputés à leurs services publics administratifs – Régime de droit public – Portée

Il résulte de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III que, sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public, en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs, est soumise à un régime de droit public et relève, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative.

Dès lors, méconnaît ces dispositions la cour d'appel qui, pour rejeter l'exception d'incompétence présentée par une commune, retient que, si le contentieux de la légalité des permis de construire relève de la compétence de la juridiction administrative, les demandeurs entendent fonder leurs demandes sur l'article 544 du code civil et sur l'article 1382 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et non sur une éventuelle illégalité du permis de construire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 septembre 2019), la société XL construction a édifié un immeuble sur le territoire de la commune de [Localité 6] (la commune).

2. Le syndicat des copropriétaires [Adresse 8] (le syndicat des copropriétaires), la société civile immobilière Roosendaal France (la SCI) et M. et Mme [J], copropriétaires, l'ont assignée ainsi que la société Atelier Baraness et Cawker, architecte, et la commune, en indemnisation de leurs préjudices découlant du rehaussement de l'immeuble et de la construction hors-sol sur une zone non aedificandi.

3. La commune a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La commune fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence, alors « que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action mettant en cause la responsabilité d'une personne publique du fait des dommages causés à l'occasion de l'exercice de prérogatives de puissance publique ; qu'en considérant, pour retenir la compétence du juge, que l'action dirigée contre la commune de [Localité 6] n'était pas fondée sur une éventuelle illégalité du permis de construire mais sur la responsabilité de la commune, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

5. Il résulte de ces textes que, sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public, en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs, est soumise à un régime de droit public et relève, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative.

6. Pour rejeter l'exception d'incompétence, l'arrêt retient que, si le contentieux de la légalité des permis de construire relève de la compétence de la juridiction administrative, le syndicat des copropriétaires, la SCI et M. et Mme [J] entendent fonder leurs demandes à l'encontre de la commune sur l'article 544 du code civil et sur l'article 1382 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et non sur une éventuelle illégalité du permis de construire accordé à la société XL construction.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. La responsabilité pouvant incomber à la commune étant soumise à un régime de droit public, il y lieu de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour en connaître.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître des demandes formées par le syndicat des copropriétaires [Adresse 8], la société civile immobilière Roosendaal France et M. et Mme [J] à l'encontre de la commune de [Localité 6] ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir de ce chef.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jariel - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 6 février 2019, pourvoi n° 18-11.217, Bull., (cassation sans renvoi), et les arrêts cités.

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