Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

SECURITE SOCIALE, CONTENTIEUX

2e Civ., 17 mars 2022, n° 20-17.903, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Contentieux général – Procédure – Procédure gratuite et sans frais – Limite – Recours dilatoire ou abusif – Amende civile – Domaine d'application – Loi plus douce – Portée

Les dispositions de l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 abrogeant l'article R. 144-10, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, selon lequel une amende civile peut être prononcée lorsque la procédure est jugée dilatoire ou abusive, sont d'application immédiate aux instances en cours.

Viole l'article 2 du code civil et l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, l'arrêt qui se fonde sur un texte abrogé pour confirmer le jugement ayant prononcé une amende civile.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 décembre 2019), la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants de la Côte d'Azur, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF), a notifié à M. [T] (le cotisant) plusieurs mises en demeure pour le recouvrement des cotisations et majorations de retard dues pour la période comprise entre le mois d'octobre 2014 et le deuxième trimestre 2017.

2. Le cotisant a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Le cotisant fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement le condamnant au paiement d'une somme de 2 000 euros à titre d'amende civile, alors « que l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale ayant été abrogé au 1er janvier 2019 par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, la cour d'appel ne pouvait confirmer le jugement entrepris, fût-il antérieur à l'abrogation, en tant qu'il avait condamné le cotisant au paiement d'une amende sur le fondement de ce texte ; qu'à cet égard, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 11 du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. L'URSSAF conteste la recevabilité du moyen au motif qu'il est nouveau et incompatible avec la thèse soutenue par le cotisant devant la cour d'appel.

6. Cependant, le moyen ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par la cour d'appel, est de pur droit et peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.

7. En outre, il n'est pas incompatible avec la thèse antérieurement soutenue par le cotisant.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 2 du code civil et 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 :

9. Les dispositions du second de ces textes abrogeant l'article R. 144-10, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, selon lequel une amende civile peut être prononcée lorsque la procédure est jugée dilatoire ou abusive, sont d'application immédiate aux instances en cours.

10. L'arrêt confirme le jugement ayant condamné le cotisant au paiement d'une amende civile, tout en relevant que l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale, sur lequel se fonde l'URSSAF pour réclamer cette condamnation, a été abrogé.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un texte abrogé, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 9 et 10 que l'URSSAF doit être déboutée de sa demande en condamnation du cotisant au paiement d'une amende civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement ayant condamné le cotisant au paiement d'une amende civile, l'arrêt rendu le 13 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉBOUTE l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur de sa demande en condamnation du cotisant au paiement d'une amende civile.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Leblanc - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 abrogeant l'article R. 144-10, alinéa 5, du code de la sécurité sociale ; article 2 du code civil.

2e Civ., 17 mars 2022, n° 20-20.878, (B), FRH

Cassation

Contentieux spéciaux – Cour d'appel d'Amiens spécialement désignée – Compétence matérielle – Accident du travail – Tarification – Application – Cas – Décision de retrait des coûts moyens d'une maladie professionnelle du compte employeur et de refus d'inscription de ces coûts au compte spécial

Il résulte des articles L. 142-1, L. 142-2, 4°, et R. 242-6-5 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, que la cour d'appel spécialement désignée par les articles L. 311-16 et D. 311-12 du code de l'organisation judiciaire pour connaître du contentieux de la tarification (la juridiction de la tarification) est compétente pour statuer sur le recours d'un employeur contre la décision d'une caisse de refus d'inscription des coûts moyens d'une maladie professionnelle au compte spécial prévu au troisième de ces textes.

Par suite, viole ces textes et les articles 4 du code civil et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la juridiction de la tarification qui, saisie par un employeur d'un recours formé contre la décision d'une caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de rejet de sa demande d'inscription au compte spécial de la maladie professionnelle de son ancien salarié, déclare le recours mal fondé et dit la juridiction incompétente pour en connaître aux motifs que l'employeur contestait l'imputabilité de la maladie professionnelle du salarié en faisant valoir qu'elle n'avait pas été contractée à son service et qu'il ne justifiait pas d'un recours auprès des juridictions de sécurité sociale aux fins de contestation de l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 20 août 2020), M. [H] (le salarié), ancien salarié de la société [4] (la société), du 12 décembre 1988 au 11 avril 2003, en qualité de maçon et chef d'équipe, avant son départ à la retraite, a établi le 8 février 2018 une déclaration de maladie professionnelle pour un mésothéliome malin de la plèvre que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] a pris en charge au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles.

2. Après que l'incidence financière de cette maladie ait été inscrite à son compte employeur, la société a fait assigner, le 5 novembre 2019, la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de [Localité 3] (la caisse), devant la juridiction de la tarification, afin d'obtenir que les conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée par le salarié soient inscrites au compte spécial.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de déclarer son recours mal fondé et de dire que la cour est incompétente pour juger de ce litige, alors « que la contestation par l'employeur d'une décision de prise en charge d'une maladie sur le fondement d'un tableau de maladie professionnelle devant la juridiction du contentieux général peut uniquement porter sur la régularité de la décision de prise en charge et son bien-fondé au regard des conditions du tableau ; que relève en revanche de la compétence du juge de la tarification la contestation du dernier employeur portant, non pas sur le bien-fondé de la décision de prise en charge, mais sur le fait que celle-ci ne résulte pas d'une exposition au risque au sein l'un de ses établissements, de sorte que les dépenses afférentes doivent être retirées de son compte employeur ; qu'au cas présent, la société, qui ne contestait pas le caractère professionnel de la maladie du salarié devant la cour d'appel d'Amiens, demandait le retrait de son compte employeur des dépenses afférentes à son affection au motif que le salarié n'avait pas été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au cours de sa carrière professionnelle au sein de son entreprise, et que sa maladie résultait exclusivement de son exposition au risque pour le compte d'employeurs précédents ; qu'en déboutant la société de son recours au motif qu'« elle ne justifie pas d'un recours près du contentieux général de la sécurité sociale ayant pourtant toute compétence pour juger de ce litige », la cour d'appel a violé les articles L. 142-1 et L. 143-1 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable au litige, ensemble les articles 4 du code civil, 12 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 142-1, L. 142-2, 4°, R. 242-6-5 du code de la sécurité sociale, 4 du code civil et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte des trois premiers de ces textes, dans leur rédaction applicable au litige, que la cour d'appel spécialement désignée par les articles L. 311-16 et D. 311-12 du code de l'organisation judiciaire pour connaître du contentieux de la tarification est compétente pour statuer sur le recours d'un employeur contre la décision d'une caisse de refus d'inscription des coûts moyens d'une maladie professionnelle au compte spécial prévu au troisième texte.

5. Pour déclarer le recours de l'employeur mal fondé et dire que la cour d'appel est incompétente pour juger de ce litige, l'arrêt énonce que les contestations relatives à l'opposabilité à l'égard de l'employeur de la décision de prise en charge d'une maladie au titre de la législation professionnelle, doivent être portées devant la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie puis, devant les juridictions de la sécurité sociale compétentes. Il constate que la société fait valoir qu'aucune exposition au risque de la maladie en son sein n'a été démontrée par la caisse primaire d'assurance maladie et qu'elle n'est pas l'exposante au risque de l'amiante. Il relève que la société, au soutien de son argumentaire, ne produit que son recours auprès de la caisse relatif à la contestation de l'imputation sur son compte employeur 2018 et fondant sa demande sur l'article 2, 3°, de l'arrêté du 16 octobre 1995, ainsi que son compte employeur pour les années concernées. Il en déduit que la société ne justifiant pas d'un recours auprès des juridictions de la sécurité sociale, elle échoue dans l'administration de la preuve et que la cour n'est pas compétente pour juger de ce litige.

6. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie d'un recours relevant de sa compétence, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 août 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 142-1, L. 142-2, 4°, et R. 242-6-5 du code de la sécurité sociale ; articles L. 311-16 et D. 311-12 du code de l'organisation judiciaire ; article 4 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Avis de la Cour de cassation, 13 mars 2020, n° 19-70.021 (non-lieu à avis).

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