Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

SANTE PUBLIQUE

1re Civ., 16 mars 2022, n° 20-15.172, n° 20-19.254, (B), FS

Cassation

Protection des personnes en matière de santé – Réparation des conséquences des risques sanitaires – Risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé – Indemnisation des victimes – Règlement amiable – Commission de conciliation et d'indemnisation – Saisine – Effets – Détermination

Aux termes de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) suspend les délais de prescription et de recours jusqu'au terme de la procédure de règlement amiable.

Selon les articles L. 1142-14 et L. 1142-15 du même code, lorsque la CCI estime qu'un dommage engage la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé, l'assureur de celui-ci doit faire une offre d'indemnisation à la victime dans les quatre mois de l'avis de la commission ; en cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, l'Office d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) peut être saisi par la victime à l'expiration de ce délai et se substituer à l'assureur ; en cas d'acceptation par la victime de son offre d'indemnisation, l'ONIAM est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage.

Il s'en déduit que, dans le cas où l'ONIAM s'est substitué à l'assureur et où la victime a accepté son offre d'indemnisation, la procédure de règlement amiable a atteint son terme, de sorte que le délai de prescription, suspendu depuis la saisine de la CCI, recommence à courir à compter du jour de cette acceptation.

Protection des personnes en matière de santé – Réparation des conséquences des risques sanitaires – Risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé – Indemnisation des victimes – indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) – Substitution à l'assureur – Offre – Règlement amiable – Terme – Détermination – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-15.172 et n° 20-19.254 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 11 février 2020), après avoir été opérée, le 7 janvier 2002, d'une hanche par M. [F] (le chirurgien) au sein de la société polyclinique Aguilera (la polyclinique), Mme [D] a présenté une infection.

3. Le 23 juillet 2012, elle a saisi d'une demande d'indemnisation la commission de conciliation et d'indemnisation (la CCI).

Par un avis du 19 juin 2013, rendu à l'issue d'une expertise, la CCI a estimé que l'infection était nosocomiale et que son évolution défavorable était entièrement imputable au comportement fautif du chirurgien et a fixé la date de la consolidation au 22 mars 2004.

Par un avis du 20 novembre 2013, notifié le 3 décembre 2013, elle a invité la société Chubb European Group Limited, en qualité d'assureur du chirurgien (l'assureur), à formuler une offre d'indemnisation à Mme [D].

4. En l'absence d'offre d'indemnisation de l'assureur, qui a refusé sa garantie, Mme [D] a demandé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) de se substituer à l'assureur et a accepté le 24 novembre 2014 les offres d'indemnisation présentées par celui-ci.

5. Les 19 et 20 janvier 2016, l'ONIAM a assigné la polyclinique et le chirurgien en remboursement des sommes versées à Mme [D] et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, aux droits de laquelle se trouve la caisse primaire d'assurance maladie de Pau (la caisse), qui a sollicité le remboursement de ses débours.

Le chirurgien a appelé en garantie l'assureur et le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé exerçant à titre libéral (le fonds de garantie).

Le chirurgien, la polyclinique, l'assureur et le fonds de garantie ont opposé la prescription.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 20-15.172 et sur le premier moyen du pourvoi n° 20-19.254, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

6. L'ONIAM et la caisse font grief à l'arrêt de déclarer l'action de l'ONIAM irrecevable comme prescrite, alors « que le délai de prescription décennale des actions tendant à mettre en cause la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est suspendu entre la saisine régulière de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation par la victime et le terme de la procédure amiable ; qu'en cas d'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation retenant la responsabilité de ce professionnel ou de cet établissement de santé suivi du silence ou du refus explicite de la part de son assureur de faire une offre, le terme de la procédure amiable mettant fin à la suspension du délai de prescription est constitué par l'acceptation, valant transaction, par la victime ou ses ayants droit de l'offre présentée par l'ONIAM ; qu'en retenant que la suspension du délai de prescription prenait fin, en l'absence d'offre de l'assureur à la victime, lors de l'expiration du délai de quatre mois faisant suite à la notification de l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, la cour d'appel a violé les articles L. 1142-7, L. 1142-14, L.1142-15 et L.1142-28 du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1142-7, L. 1142-14, L. 1142-15 et L. 1142-28 du code de la santé publique :

7. Selon le dernier de ces textes, les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.

8. Aux termes du premier, la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation suspend les délais de prescription et de recours jusqu'au terme de la procédure de règlement amiable.

9. Selon les deuxième et troisième, lorsque la CCI estime qu'un dommage engage la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé, l'assureur de celui-ci doit faire une offre d'indemnisation à la victime dans les quatre mois de l'avis de la commission ; en cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, l'ONIAM peut être saisi par la victime à l'expiration de ce délai et se substituer à l'assureur ; en cas d'acceptation par la victime de son offre d'indemnisation, l'ONIAM est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage.

10. Il s'en déduit que, dans le cas où l'ONIAM s'est substitué à l'assureur et où la victime a accepté son offre d'indemnisation, la procédure de règlement amiable a atteint son terme, de sorte que le délai de prescription, suspendu depuis la saisine de la CCI, recommence à courir à compter du jour de cette acceptation.

11. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action engagée par l'ONIAM, l'arrêt retient que la suspension du délai de prescription a pris fin, en l'absence d'offre de l'assureur à la victime, lors de l'expiration du délai de quatre mois faisant suite à la notification de l'avis de la commission de conciliation et d'indemnisation, soit le 2 avril 2014.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

13. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la polyclinique, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société polyclinique Aguilera ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Foussard et Froger ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles L. 1142-7, L. 1142-14, L. 1142-15 et L. 1142-28 du code de la santé publique.

1re Civ., 16 mars 2022, n° 20-12.020, (B), FS

Cassation

Transfusion sanguine – Virus d'immunodéficience humaine (VIH) – Contamination – Indemnisation – Principe de réparation intégrale – Déficit fonctionnel – Absence de consolidation – Indifférence

Le préjudice spécifique de contamination comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination et inclut, outre les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrances, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle et les préjudices esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis, ainsi que le seul risque de la survenue d'affections opportunistes consécutives à la contamination. Il n'inclut ni le déficit fonctionnel, ni les autres préjudices à caractère personnel liés à la survenue de ces affections.

Il résulte de l'article L. 3122-1 du code de la santé publique et du principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que l'absence de consolidation de la victime contaminée par le VIH ne fait pas obstacle à l'indemnisation du déficit fonctionnel qui est éprouvé à la suite de cette contamination et de ses conséquences.

Transfusion sanguine – Virus d'immunodéficience humaine (VIH) – Contamination – Préjudice spécifique – Définition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 novembre 2019), après avoir reçu plusieurs culots de sang lors de sa naissance le 21 octobre 1983, M. [F] a présenté une infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), diagnostiquée en 1986, et a déclaré un sida en 1991.

2. Le 16 février 1993, le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles l'a indemnisé d'un préjudice spécifique de contamination.

3. En mars 2005, M. [F] a développé une leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP) en lien avec sa contamination, dont il a conservé d'importantes séquelles cérébrales.

4. Mme [U], sa mère, désignée en qualité de tutrice, a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) d'une demande d'indemnisation complémentaire. Après avoir ordonné une expertise, l'ONIAM a indemnisé les préjudices économiques et rejeté la demande relative aux déficits fonctionnels temporaire et permanent subis par M. [F].

5. Mme [U], ès qualités, a formé un recours devant la cour d'appel qui a statué après avoir ordonné une nouvelle expertise.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

6. Mme [U], ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre des déficits fonctionnels, alors « qu'en jugeant que le préjudice de contamination incluait l'ensemble des « affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie », quand il n'inclut que l'angoisse suscitée par le risque d'affections opportunes, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale, ensemble les articles L. 3122-1 du code de la santé publique et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-1 du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

7. Le préjudice spécifique de contamination comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination et inclut, outre les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrances, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle et les préjudices esthétique et d'agrément générés par les traitements et soins subis, ainsi que le seul risque de la survenue d'affections opportunistes consécutives à la contamination. Il n'inclut ni le déficit fonctionnel, ni les autres préjudices à caractère personnel liés à la survenue de ces affections.

8. Pour rejeter les demandes d'indemnisation au titre des déficits fonctionnels temporaire et permanent subis par M. [F], l'arrêt retient que le préjudice de contamination inclut l'ensemble des affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Mme [U], ès qualités, fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en jugeant que le déficit fonctionnel causé par l'infection du VIH ne pouvait être indemnisé qu'à la condition que la maladie soit susceptible de consolidation, quand tout dommage doit être indemnisé sans perte ni profit pour la victime et que la consolidation ne permet que de distinguer le déficit fonctionnel temporaire et le déficit fonctionnel permanent sans pourtant qu'en son absence, le juge ne puisse refuser d'indemniser le préjudice subi, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 3122-1 du code de la santé publique et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-1 du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

11. Il résulte de ce texte et de ce principe que l'absence de consolidation de la victime contaminée par le VIH ne fait pas obstacle à l'indemnisation du déficit fonctionnel qui est éprouvé à la suite de cette contamination et de ses conséquences.

12. Pour rejeter les demandes d'indemnisation au titre des déficits fonctionnels subis par M. [F], l'arrêt retient encore que leur réparation, s'ajoutant au préjudice spécifique de contamination déjà indemnisé, suppose que le VIH ne soit plus une maladie évolutive mais une maladie susceptible de consolidation.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article L. 3122-1 du code de la santé publique ; principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-17.241, Bull. 2009, II, n° 226 (rejet).

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