Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 31 mars 2022, n° 20-22.594, (B), FRH

Rejet

Choses dont on a la garde – Garde – Transfert – Transfert à une autre personne – Détermination – Nécessité – Connaissance du vice de la chose

Choses dont on a la garde – Garde – Gardien – Propriétaire – Garde de la structure – Cas – Défaut du véhicule – Condition – Connaissance du vice

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 8 septembre 2020), M. [J] a confié son tracteur, assuré auprès de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est (la société Groupama), au garage exploité par la société Cheval afin de rechercher l'origine d'une fuite d'huile. Alors que M. [P], salarié du garage, s'était glissé sous le tracteur, il a demandé à M. [J] d'actionner le démarreur du véhicule. Celui-ci s'est alors mis en mouvement et a roulé sur M. [P], le blessant gravement.

2. Afin d'obtenir réparation des préjudices non couverts par la législation applicable en matière d'accident de travail, M. [P] a assigné M. [J] et son assureur, la société Cheval et son assureur, la société MMA Iard, M. [V] en qualité d'agent d'assurances, ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie devant un tribunal de grande instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [J] et la société Groupama font grief à l'arrêt de déclarer M. [J] entièrement responsable du préjudice subi par M. [P] et de les condamner in solidum à lui payer différentes sommes à titre de dommages-intérêts, alors « que le propriétaire d'un véhicule confié à un garagiste pour réparation en perd la qualité de gardien ; que le fait, pour ce propriétaire, de mettre en marche le moteur dudit véhicule en actionnant le contact, à la demande expresse du professionnel de la réparation, ne lui fait pas reprendre la garde de son véhicule puisqu'il n'a aucun pouvoir de direction ou de contrôle sur celui-ci, dès lors qu'il ne peut pas l'utiliser à sa guise de manière autonome ; qu'en retenant que M. [J] était demeuré gardien de son tracteur confié pour réparation à la société Cheval, au motif inopérant qu'il n'était pas établi que M. [J] ait averti M. [P] de l'absence de sécurité que présentait son tracteur lors de la mise en route, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 1er, devenu l'article 1242, alinéa 1er, du code civil, ensemble les articles 1er et 6 de la loi du 5 juillet 1985. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt relève que si le propriétaire d'un véhicule impliqué dans un accident de la circulation en est présumé gardien, il peut apporter la preuve qu'il en avait confié la garde à une autre personne et que, si l'accident trouve sa cause dans un défaut du véhicule, remis à un tiers lors de l'accident, la qualité de gardien peut, sauf si ce dernier avait été averti de ce vice, demeurer au propriétaire, en tant qu'il a la garde de la structure du véhicule impliqué. Il ajoute qu'il résulte des opérations d'expertise que le tracteur de M. [J], qui a roulé sur le corps de M. [P] et lui a occasionné des blessures, était un véhicule dangereux en ce que la sécurité de démarrage, vitesse engagée, n'était plus fonctionnelle et que selon un témoin, lorsque M. [J], à la demande de M. [P], a actionné la clef de contact tout en restant debout près du tracteur, celui-ci a démarré, a avancé et est passé sur le corps de M. [P].

5. L'arrêt retient ensuite que le tracteur ne se serait pas déplacé si une vitesse n'était pas restée enclenchée, que la cause de l'accident réside dans la défaillance du système de sécurité et que la preuve n'étant pas rapportée de ce que M. [J] avait averti M. [P] de cette absence de sécurité, il y a lieu de considérer qu'il était resté gardien de la structure de son véhicule.

6. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu décider que M. [J] avait conservé la garde de son véhicule, de sorte qu'il était tenu, en cette qualité, d'indemniser la victime en application de la loi du 5 juillet 1985.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.

2e Civ., 31 mars 2022, n° 20-19.992, (B), FS

Rejet

Dommage – Aggravation – Action en réparation – Prescription – Autonomie – Portée

L'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial.

En conséquence, se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que l'action de la victime tendant à l'indemnisation d'un préjudice de perte de droit à la retraite en lien avec son préjudice initial était prescrite et que les actions en indemnisation de l'aggravation du préjudice corporel, distinctes, n'avaient pu interrompre le délai de prescription.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 janvier 2020), Mme [Z] a été victime, le 7 juillet 1980, d'un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [T], assuré auprès de la société Gan assurances.

Une cour d'appel a liquidé son préjudice par un arrêt du 29 novembre 1985.

2. Mme [Z] a, par la suite, été indemnisée de l'aggravation de ses dommages, par deux décisions de cette même cour d'appel des 25 janvier 1995 et 12 septembre 2012.

3. Alléguant une nouvelle aggravation de son état, Mme [Z] a assigné, les 17 et 25 octobre 2016, M. [T] et son assureur devant un tribunal de grande instance, afin d'obtenir la réparation de son préjudice. A cette occasion, elle a sollicité l'indemnisation d'un préjudice de perte de droits à la retraite lié aux conséquences de son dommage initial.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il la déboute du surplus de ses demandes indemnitaires, et y ajoutant, la déclare prescrite en sa demande d'indemnisation d'un préjudice de retraite au titre de son préjudice initial, alors « que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable excède ses pouvoirs en statuant au fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il avait débouté Mme [Z] du surplus de ses demandes indemnitaires au titre du préjudice de retraite résultant du dommage initial ; que, dans le même temps, elle a déclaré cette demande irrecevable comme prescrite ; qu'en déclarant la demande de Mme [Z] tout à la fois irrecevable et mal fondée, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel ayant constaté que la demande de réparation d'un préjudice de retraite avait été formée devant le premier juge au titre de l'aggravation de son préjudice, alors qu'elle était sollicitée devant elle au titre de l'indemnisation de son préjudice initial, c'est sans commettre d'excès de pouvoir qu'elle a confirmé le jugement en l'absence de lien de causalité avec l'aggravation et déclaré la demande présentée devant elle irrecevable comme prescrite.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de la déclarer prescrite en sa demande d'indemnisation d'un préjudice de retraite au titre de son préjudice initial, alors :

« 1°/ que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, pour déclarer prescrite la demande de Mme [Z], la cour d'appel considéré que « l'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial » ; qu'en se prononçant ainsi tandis que l'action tendant à la réparation du dommage initial comprend tous les chefs de préjudice qui n'ont pas encore été réparés de sorte qu'elle interrompt le délai de prescription de l'action tendant à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices non réparés qui sont consécutifs à ce dommage, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil, anciennement l'article 2244 du même code ;

2°/ que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, Mme [Z] faisait valoir qu'elle avait engagé plusieurs actions en réparation de son préjudice initial puis en réparation de l'aggravation de celui-ci et que ces actions qui constituaient des actes interruptifs du délai de prescription, concernaient l'indemnisation de son préjudice d'incapacité professionnelle dont fait partie le préjudice de retraite ; qu'en déclarant prescrite la demande de Mme [Z] tendant à l'indemnisation du préjudice de retraite au titre du dommage initial, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les demandes de Mme [Z] tendant à obtenir l'indemnisation de son préjudice d'incapacité professionnelle, à chaque aggravation, ne comprenaient pas virtuellement le préjudice de retraite, non réparé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil, anciennement l'article 2244 du même code. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt relève d'abord que Mme [Z] sollicitait l'indemnisation d'un préjudice de retraite résultant de son préjudice initial, alors que son état avait été consolidé avec une incapacité permanente partielle de 58 %, consacrant une incapacité de travail, ce dont elle avait parfaitement connaissance puisqu'elle n'a jamais repris d'activité salariée depuis son accident.

9. Retenant ensuite exactement que l'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la demande formée par Mme [Z] au titre de son préjudice de retraite était prescrite, puisque, si la demande en justice aux fins d'indemnisation de son préjudice initial avait interrompu le délai de prescription jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 1986, un nouveau délai de 10 ans avait commencé à courir à compter de cette date, lequel avait expiré le 16 décembre 1996.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Lévis -

2e Civ., 10 mars 2022, n° 20-16.331, (B), FRH

Cassation partielle

Dommage – Aggravation – Aggravation postérieure – Cas – Accident de la circulation

Dommage – Réparation – Réparation intégrale – Portée – Aggravation du dommage

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble,14 janvier 2020), le 30 mai 2009, M. [P], alors qu'il était passager d'un scooter assuré par la société MACIF (la MACIF), a été victime d'un accident de la circulation.

2. La société chargée de l'entretien de la chaussée à l'endroit de l'accident, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), a accepté de prendre en charge les dommages résultant de cet accident.

3. À la suite d'une expertise amiable organisée à son initiative, la MACIF a conclu le 6 octobre 2010 avec M. [P] une première transaction, prévoyant le paiement à ce dernier d'une indemnité globale réparant certains postes de préjudice et réservant l'indemnisation de divers autres postes.

4. Le 19 janvier 2011, M. [P] et la MACIF ont conclu une seconde transaction, aux termes de laquelle l'assureur a versé à la victime des indemnités complémentaires au titre du déficit fonctionnel permanent, de l'incidence professionnelle et de la perte de gains.

5. Ayant subi plusieurs interventions chirurgicales entre le 20 février 2013 et le 23 mars 2015, et se prévalant d'une aggravation des blessures de M. [P] résultant de l'accident du 30 mai 2009, ce dernier et son épouse ont obtenu la désignation d'un expert médical en référé, puis ont assigné la MACIF, la société Axa ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère (la caisse), aux fins d'annulation de la transaction conclue le 19 janvier 2011 et d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier et le deuxième moyens et le quatrième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de M. et Mme [P], ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi principal, pris en leur deuxième branche, qui est identique

Enoncé du moyen

7. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de débouter M. [P] de ses demandes au titre de l'aggravation de son préjudice, de limiter à certaines sommes la condamnation de la MACIF au titre de la période ayant couru du 20 février 2013 au 26 avril 2015, et de déclarer irrecevable la demande formée par M. [P] au titre du poste de perte de gains professionnels futurs, alors « que l'aggravation du dommage peut résulter de nouveaux préjudices résultant des soins prodigués à la victime postérieurement à la consolidation, fût-ce pour améliorer son état séquellaire ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil, et L. 211-19 du code des assurances, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil, l'article L. 211-19 du code des assurances, et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

8. Selon le premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

9. Selon le second, la victime peut, dans le délai prévu par l'article 2226 du code civil, demander réparation de l'aggravation du dommage qu'elle a subi à l'assureur qui a versé l'indemnité.

10. L'arrêt, pour décider que M. [P] n'a pas été victime d'une aggravation de son préjudice postérieurement à la transaction conclue au mois de janvier 2011, énonce que, lorsqu'à la suite de sa consolidation une victime qui a bénéficié d'une indemnisation se soumet à de nouveaux soins médicaux ou chirurgicaux qui ont pour but d'améliorer son état, les conséquences de ces nouveaux soins ou interventions ne peuvent être qualifiées d'aggravation de l'état initial.

11. En statuant ainsi, alors que l'aggravation du dommage initial causé par un accident peut découler de nouveaux préjudices résultant des soins qui ont été prodigués à la victime postérieurement à sa consolidation, en vue d'améliorer son état séquellaire résultant de cet accident, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi incident de la société Axa

Enoncé du moyen

12. La société Axa fait grief à l'arrêt de fixer la créance globale de la caisse depuis la date de l'accident, jusqu'au 26 juin 2015, à la somme de 285 520,37 euros, alors :

1°/ qu'en accueillant la demande de la CPAM de l'Isère qui avait chiffré ses débours à hauteur de 285 520,37 euros, au simple motif que la prise en charge de M. [P] par la CPAM remontait au jour de l'accident, sans répondre aux conclusions par lesquelles l'exposante avait fait valoir que la caisse avait déjà été remboursée de ses débours, au titre du préjudice initial subi par M. [P], dans le cadre de l'exécution du second protocole régularisé le 19 janvier 2011, ce qui était établi par les pièces n° 12 et 13 produites par la MACIF, de sorte qu'elle ne pouvait en être payée une seconde fois, ces frais déjà réglés étant pourtant repris, dans la déclaration de créance de la caisse du 18 juillet 2018, à hauteur de 83 481,84 euros, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en faisant droit à la demande de la CPAM de l'Isère qui avait chiffré ses débours à hauteur de 285 520,37 euros, au simple motif que la prise en charge de M. [P] par la CPAM remontait au jour de l'accident, sans répondre aux conclusions par lesquelles l'exposante faisait valoir que la CPAM de l'Isère ne pouvait prétendre, pour la période postérieure au 20 février 2013 (tous les frais antérieurs lui ayant déjà été réglés), qu'au remboursement des frais se trouvant en lien avec les séquelles initiales subies par M. [P], outre que l'exposante ne pouvait avoir à payer des arrérages de rente viagère qu'elle avait déjà réglées sous forme de capital dans le cade de l'exécution du protocole du 19 janvier 2011, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

14. L'arrêt, pour fixer la créance globale de la caisse depuis le 30 mai 2009, date de l'accident, jusqu'au 26 juin 2015, retient qu'au vu du décompte de créance, il s'agit des débours de la caisse depuis l'accident, que la société Axa déclare prendre en charge les frais que la caisse a supportés entre le 20 février 2013 et le 26 avril 2015, tout en ajoutant avoir déjà remboursé les débours de la caisse du 30 mai 2009 au 30 mai 2010, et que force est de constater que le point de départ de la prise en charge de M. [P] par la caisse remonte au jour de l'accident.

15. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Axa, qui soutenait que la caisse avait déjà été remboursée de ses débours au titre du préjudice initial subi par M. [P], en exécution du second protocole régularisé le 19 janvier 2011, et que la société Axa ne pouvait être tenue de payer des arrérages de rente viagère qu'elle avait déjà réglées sous forme de capital en exécution du même protocole, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Mise hors de cause

16. ll n'y a pas lieu, s'agissant de la cassation prononcée sur le pourvoi incident de la société Axa, de mettre hors de cause M. et Mme [P], qui seront présents devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [P] de ses demandes au titre de l'aggravation de son préjudice, déclare irrecevable sa demande au titre des perte de gains professionnels futurs, et condamne la société MACIF à lui payer, au titre de la période ayant couru du 20 février 2013 au 26 avril 2015, les sommes de 28 102,50 euros (tierce personne à titre temporaire), 13 739,05 euros (DFT), 9 669,49 euros (PGPA), 300 euros (préjudice esthétique temporaire), 10 000 euros (souffrances endurées), 700 euros (préjudice esthétique permanent)], et en ce qu'il fixe à la somme de 285 520,37 euros la créance globale de la caisse depuis la date de l'accident jusqu'au 26 juin (en réalité, avril) 2015, l'arrêt rendu le 14 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. et Mme [P] ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

3e Civ., 16 mars 2022, n° 18-23.954, (B), FS

Cassation partielle

Dommage – Réparation – Conditions – Troubles du voisinage – Responsabilité de plein droit – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2018), Mme [E] [Z] et M. [I] [Z] (les consorts [Z]) sont respectivement usufruitière et nu-propriétaire d'un pavillon qui constitue l'habitation principale de Mme [Z], assurée en multi-risques habitation auprès de la société Filia-Maif.

2. Le 26 janvier 2007, le pavillon voisin a été vendu par MM. [S] et [L] [G] et Mme [D] épouse [G] (les consorts [G]) à M. et Mme [F], assurés depuis le même jour auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

3. Le 3 mars 2007, Mme [Z] a déclaré à son assureur un sinistre dégâts des eaux dans son pavillon, puis a assigné, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, M. et Mme [F], les consorts [G] et la société Axa en réalisation des travaux rendus nécessaires par les infiltrations et en paiement de dommages-intérêts.

4. M. et Mme [F] ont appelé en garantie les consorts [G] et la société Axa.

5. M. [Z] et la société Filia-Maif sont intervenus volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de les déclarer responsables, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, des désordres affectant le pavillon de Mme [Z] dans la proportion de 60 % et de les condamner au paiement de diverses sommes, alors « que le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l'immeuble vendu avant la cession ; qu'en imputant aux seuls acquéreurs la responsabilité d'un trouble anormal de voisinage dont la cour d'appel relevait elle-même qu'il trouvait sa cause dans des conduites fuyardes dont les premiers désordres « remontaient à 1997 et 2005 », à une époque où les consorts [G] étaient propriétaires du bien en sorte qu'ils devaient nécessairement assumer une part du dommage ainsi causé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »

Réponse de la Cour

8. L'action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble, responsable de plein droit.

9. Ayant constaté que le trouble subsistait alors que M. et Mme [F] étaient devenus propriétaires du fonds à l'origine des désordres, la cour d'appel en a exactement déduit que leur responsabilité devait être retenue, peu important qu'ils n'aient pas été propriétaires de ce fonds au moment où les infiltrations avaient commencé à se produire.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la société Axa, alors « que la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres survenus entre la prise d'effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d'expiration ; qu'en l'espèce, la cause génératrice du dommage résidait dans un événement continu puisqu'elle était constituée par des fuites d'eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui s'étaient poursuivies après la vente survenue en 2007 ; qu'en jugeant toutefois que « les désordres litigieux ne rentr(ai)ent (...) pas dans le champ temporel d'application du contrat d'assurance », pour être survenus en 1997 et 2005, quand il était constant que la cause génératrice du dommage s'était poursuivie après le mois de janvier 2007 et, partant, pendant la prise d'effet de l'assurance souscrite par les acquéreurs du bien considéré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences qui découlaient de ses propres constatations, a violé l'article L. 124-5 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 124-5, alinéa 1er, du code des assurances :

12. Selon ce texte, la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation.

13. Pour écarter la garantie d'Axa, l'arrêt retient que le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage, en l'espèce les fuites sur le réseau des canalisations enterrées de la propriété de M. et Mme [F], dont l'origine remonte à 1997 et 2005, soit antérieurement au 25 janvier 2007, date de prise d'effet de l'assurance multirisques habitation.

14. En statuant ainsi, alors que, dans les assurances « dégâts des eaux », l'assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d'assurance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

15. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la société Axa, alors « que, pour être valables, les clauses d'exclusion de garantie insérées dans une police d'assurance doivent être formelles et limitées ; qu'en l'espèce, d'une part, les conditions particulières du contrat d'assurance stipulaient que l'assureur garantissait la réparation pécuniaire des dommages causés par les « dégâts des eaux », tandis que les conditions générales ajoutaient, d'autre part, qu'étaient expressément garantis les dégâts des eaux provenant de « conduites non enterrées », tandis que, enfin, les exclusions ne mentionnaient pas expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, de telle manière que ces dernières ne faisaient l'objet que d'une exclusion indirecte ; qu'en jugeant que l'absence de prise en charge des dégâts des eaux provenant de conduites enterrées ne faisaient pas l'objet d'une clause d'exclusion de garantie, la cour d'appel a violé l'article les articles L. 113-1 et L. 112-4 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances :

16. Selon le premier de ces textes, les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

17. Selon le second, les clauses d'exclusion de garantie doivent être formelles et limitées.

18. Pour exclure la garantie de la société Axa, l'arrêt retient que les conditions générales du contrat d'assurances ne couvrent pas les dommages provenant d'une canalisation enterrée chez l'assuré, qu'il s'agit d'une non-garantie qui n'a pas à répondre au formalisme édicté par l'article L. 112-4 du code des assurances.

19. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les exclusions de garantie mentionnaient expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, à défaut de quoi ceux-ci faisaient l'objet d'une exclusion indirecte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. Mise hors de cause

20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les consorts [Z] et la société Filia-Maif, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [F] contre la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Met hors de cause Mme [E] [Z], M. [I] [Z] et la société Filia-Maif.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Maunand - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; article L.124-5, alinéa 1, du code des assurances ; articles L.113-1 et L. 112-4 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 16-19.657, Bull. 2017, III, n° 114 (cassation partielle), et l'arrêt cité. 2e Civ., 18 mars 2004, pourvoi n° 03-10.062, Bull. 2004, II, n° 129 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 16 mars 2022, n° 20-19.786, n° 20-19.787, n° 20-19.788, n° 20-19.789, n° 20-19.790, n° 20-19.791, n° 20-19.792, n° 20-19.793, n° 20-19.794, n° 20-19.795 et suivants, (B), FS

Rejet

Faute – Fabricant – Médicaments à usage humain – Manquement à une obligation de mise en garde spéciale – Caractérisation – Mention insuffisante

Selon l'article R. 5121-138 du code de la santé publique, l'étiquetage d'un médicament doit comporter, de manière lisible et compréhensible, une mise en garde spéciale si elle s'impose pour ce médicament.

Conformément à l'article L. 5121-8 du même code, la validation, par l'autorité de santé, de la notice et de l'étiquetage du produit ne fait pas, à elle seule, obstacle à une responsabilité pour faute du fabricant.

Une cour d'appel, qui énonce que la modification de l'excipient d'un médicament justifiait une mise en garde spéciale dès lors que le fabricant et l'exploitant avaient connaissance du risque important de réactions négatives chez une fraction de patients non spécifiquement identifiables, que l'information délivrée aux professionnels de santé n'était pas de nature à assurer celle des patients et que, si la notice répondait aux exigences réglementaires en ce qu'elle mentionnait le mannitol et l'acide citrique dans la composition du nouveau médicament, cette seule mention, dans un texte dense et imprimé en petits caractères, était insuffisante alors que ce changement aurait pu être présenté de manière positive au regard de sa finalité de stabilisation du principe actif et signalé efficacement sur les boîtes, ainsi que par des mentions apparentes dans la notice ou un document supplémentaire joint à celle-ci, a pu en déduire que le fabricant et l'exploitant ont commis une faute.

Faute – Fabricant – Médicaments à usage humain – Manquement à une obligation de mise en garde spéciale – Caractérisation – Mention insuffisante – Exonération – Exclusion – Validation par l'autorité de santé

Dommage – Réparation – Préjudice indemnisable en raison du manquement du fabricant à son devoir d'information – Conditions – Préjudice effectivement éprouvé

Une cour d'appel, qui retient que des patients ont justifié de la prise de la nouvelle formule d'un médicament et ressenti différents troubles concomitamment à celle-ci, qu'en l'absence de toute information sur la modification de la composition et de possibilité de rattacher ces troubles à cette modification, ils se sont trouvés désemparés pour faire face à ces troubles et engager les démarches appropriées auprès des professionnels de santé et qu'ils ont subi un préjudice moral temporaire jusqu'à ce qu'ils aient été informés de la modification, a fait ainsi ressortir que ce préjudice a été effectivement éprouvé par chacun des patients et était imputable au défaut d'information sur la modification du médicament, de sorte qu'elle a pu en mettre la réparation à la charge du fabricant et de l'exploitant.

Dommage – Réparation – Préjudice indemnisable en raison du manquement du fabricant à son devoir d'information – Nature – Détermination – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-19.786, 20-19.787, 20-19.788, 20-19.789, 20-19.790, 20-19.791, 20-19.792, 20-19.793, 20-19.794, 20-19.795, 20-19.796, 20-19.797, 20-19.798, 20-19.799, 20-19.800, 20-19.801, 20-19.802, 20-19.803, 20-19.804, 20-19.805, 20-19.806, 20-19.807, 20-19.808, 20-19.809, 20-19.810, 20-19.811, 20-19.812, 20-19.813, 20-19.814, 20-19.815, 20-19.816, 20-19.817, 20-19.818, 20-19.819, 20-19.820, 20-19.821, 20-19.822, 20-19.823, 20-19.824, 20-19.825, 20-19.826 et 20-19.827 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 25 juin 2020), au mois de mars 2017, à la demande de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les sociétés Merck Santé et Merck Serono (les sociétés Merck), respectivement fabricant et exploitant du Levothyrox, médicament à marge thérapeutique étroite prescrit pour le traitement de l'hypothyroïdie, ont modifié sa composition en remplaçant l'un des excipients, le lactose monohydraté, par du mannitol et de l'acide citrique.

3. A compter du 27 mars 2017, la nouvelle formule du Levothyrox (Levothyrox NF) a été mise sur le marché, l'ancienne formule (Levothyrox AF) ne bénéficiant plus d'une autorisation de mise sur le marché sur le territoire national.

4. De nombreux patients traités au moyen du Levothyrox NF ayant fait état d'effets indésirables, l'importation temporaire de Levothyrox AF et la mise sur le marché en France d'autres spécialités pharmaceutiques à titre d'alternatives thérapeutiques ont été autorisées.

5. Mme [BA] [IUH] et d'autres patients traités par Levothyrox (les requérants) ont assigné les sociétés Merck devant le tribunal d'instance de Lyon en indemnisation, à titre principal, sur le fondement d'une responsabilité pour faute et, à titre subsidiaire, sur celui de la responsabilité du fait des produits défectueux.

6. Par jugements du 5 mars 2019, ce tribunal s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes principales et incompétent au profit du tribunal de grande instance de Lyon pour statuer sur les demandes subsidiaires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen des pourvois

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Merck font grief aux arrêts de dire qu'elles ont commis une faute en n'informant pas les usagers du Levothyrox du changement de sa formule par des mentions clairement lisibles sur l'emballage et la notice du produit et que cette faute a causé un préjudice moral aux requérants et de les condamner à leur payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, tels l'existence d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit ; que l'information relative à un produit, que ce soit sur sa notice ou son emballage, participe de sa sécurité, son absence étant de nature à caractériser un défaut extrinsèque de sécurité ; qu'est en conséquence irrecevable l'action en responsabilité délictuelle pour manquement à l'obligation d'information relative aux risques liés à un produit, cette action n'étant pas fondée sur une faute distincte du défaut de sécurité de ce produit ; qu'en l'espèce, pour condamner les sociétés Merck, la cour d'appel a relevé que, « les demandeurs soutiennent que les sociétés Merck, mettant sur le marché un produit dont la dangerosité était connue par sa biodisponibilité individuelle incertaine, avaient, à leur égard, une obligation d'information à laquelle elles n'ont pas satisfait, quant aux risques de survenance d'effets indésirables chez certains malades après le changement de formule du médicament Levothyrox », qu'il en résultait que leur action en responsabilité civile délictuelle à l'encontre des sociétés exposantes, qui n'était pas fondée sur une allégation de faute distincte d'un éventuel défaut de sécurité du médicament litigieux, devait être déclarée irrecevable ; qu'en retenant néanmoins que « le choix de Merck de ne pas mentionner, par un message d'alerte, le changement de formule sur la boîte et de ne pas le faire ressortir dans la notice est une faute qui engage sa responsabilité », cependant que l'action engagée était manifestement irrecevable, la cour d'appel a violé les articles 1245-17 et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Les requérants contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que les sociétés Merck ne sont pas recevables à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à leurs propres écritures.

9. Dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Merck, qui ne contestaient pas la dissociation de compétence opérée par le premier juge, ont soutenu que leur responsabilité pouvait être recherchée, soit au titre de la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux, soit pour faute, que, les requérants s'étant fondés sur le régime de responsabilité pour faute, ce choix leur imposait de démontrer une faute délictuelle, par conséquent la violation caractérisée d'une obligation légale ou réglementaire ayant entraîné un préjudice direct en lien causal avec la faute, et qu'elles n'avaient commis aucune faute.

10. Le moyen, qui conteste la recevabilité de l'action en responsabilité délictuelle, est donc incompatible avec ces écritures et, partant, irrecevable.

Sur le deuxième moyen des pourvois

Enoncé du moyen

11. Les sociétés Merck font le même grief aux arrêts, alors :

« 1°/ que selon les textes, européens et nationaux, le fabricant doit mentionner différentes informations sur l'emballage et dans la notice du médicament, dont les mises en garde spéciales qu'impose le cas échéant celui-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, tout en constatant expressément que la notice du Levothyrox « répondait aux exigences réglementaires » en la matière, ce qui impliquait qu'elle contenait toutes les mentions requises par ces textes, notamment en ce qui concernait les mises en garde spéciales éventuelles qu'imposait le médicament, a néanmoins retenu que le fait « que la notice ne contenait pas de mention significative du changement de formule mais un simple remplacement (manitol au lieu de lactose) et ajout (acide citrique) de termes dans un texte dense et imprimé en petits caractères » ne satisfaisait pas à l'obligation d'information du patient qui s'imposait aux sociétés Merck en vertu de ces mêmes exigences réglementaires ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 54 g) et 59 c-IV) de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, R. 5121-138, 7°, et R. 5121-149, dernier alinéa, du code de la santé publique, ensemble l'article 1240 du code civil ;

2°/ que la faute délictuelle peut procéder de la violation d'une norme spécifique ou, en l'absence d'une telle norme, du manquement au devoir général de prudence et de diligence ; que le fait de se conformer aux prescriptions de la norme spécifique exclut en soi tout manquement au devoir général de prudence et de diligence ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que l'obligation d'information qui s'imposait aux sociétés Merck était une obligation réglementaire mise à la charge du fabricant par les textes européens et nationaux, au travers des mentions devant figurer sur la notice et l'emballage du médicament, et que la notice du Levothyrox « répondait aux exigences réglementaires » en la matière ; qu'elle a cependant retenu, pour décider que les sociétés exposantes avaient commis une faute engageant leur responsabilité délictuelle, qu'il existait, à la charge de ces dernières, une obligation d'information allant « au-delà de l'exigence légale », dès lors que « l'approche principalement réglementaire de l'information sur le médicament a pour conséquence de reléguer au second plan la réflexion sur son appropriation par le public et les professionnels de santé » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le respect par les sociétés Merck de l'obligation d'information imposée par les exigences réglementaires en la matière excluait tout manquement de leur part à un devoir général de prudence et de diligence, la cour d'appel a derechef violé les articles 54 g) et 59 c-IV) de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, R. 5121-138, 7°, et R. 5121-149, dernier alinéa, du code de la santé publique, ensemble l'article 1240 du code civil ;

3°/ que si l'absence d'opposition de l'autorité compétente à la mise sur le marché ou à la modification de l'étiquetage ou de la notice du produit ne fait pas obstacle à l'engagement de la responsabilité du fabricant du fait des produits défectueux, cette validation administrative caractérise cependant la conformité de l'étiquetage et de la notice du produit aux exigences réglementaires en la matière, excluant par là-même toute faute délictuelle du fabricant à cet égard ; qu'en effet la notice et l'étiquetage ne sauraient avoir été validés par l'autorité compétente, et être en même temps sources de responsabilité délictuelle pour faute du fabricant en raison d'une non-conformité aux exigences réglementaires vérifiées par cette autorité ; qu'en retenant en l'espèce, que « la responsabilité de Merck est donc engagée sans que la validation administrative de sa démarche puisse constituer une cause d'exonération », cependant que cette validation de l'autorité compétente excluait toute faute délictuelle des sociétés Merck tenant à un non-respect des exigences réglementaires vérifiées par cette autorité, la cour d'appel a violé les articles 54 g), 59 c-IV) et 61 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, R. 5121-138, 7° et R. 5121-149, dernier alinéa, et L. 5121-8 du code de la santé publique, ensemble l'article 1240 du code civil ;

4°/ que selon les textes, européens et nationaux, le fabricant doit mentionner différentes informations sur l'emballage et dans la notice du médicament, dont les mises en garde spéciales qu'impose le cas échéant celui-ci ; qu'une mise en garde a pour objet spécifique d'éviter la réalisation d'un risque en mettant en évidence ce qu'un certain comportement peut provoquer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que les sociétés Merck n'avaient pas la « possibilité de présenter [les risques] autrement que par la liste des effets indésirables déjà connus » et que la mention « nouvelle formule » aurait pu être présentée « de manière positive au regard de sa finalité de stabilisation du principe actif » ; qu'en jugeant néanmoins que « le choix de Merck de ne pas mentionner, par un message d'alerte, le changement de formule sur la boîte et de ne pas le faire ressortir dans la notice est une faute qui engage sa responsabilité », cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que la mention relative à la nouvelle formule du médicament qu'il était reproché aux sociétés Merck de ne pas avoir apposé sur la notice et l'emballage du Levothyrox ne pouvait en aucune manière participer à la mise en garde prévue par les textes réglementaires visés, la cour d'appel a violé les articles 54 g) et 59 c-IV) de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, R. 5121-138, 7° et R. 5121-149, dernier alinéa, du code de la santé publique, ensemble l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. La notice et l'emballage d'un médicament doivent comporter différentes informations.

13. Ainsi, l'article R. 5121-138 du code de la santé publique, relatif à l'étiquetage du conditionnement, exige que soient portées certaines mentions, de manière lisible, clairement compréhensible et indélébile, parmi lesquelles la liste des excipients et une mise en garde spéciale si elle s'impose pour ce médicament.

14. Les articles R. 5121-148 et R. 5121-149 du même code, relatifs à la notice, imposent que soient portées certaines mentions, selon le même mode, parmi lesquelles une liste des excipients dont la connaissance est nécessaire pour une utilisation efficace et sans risque du médicament, une description des effets indésirables observés lors de l'usage normal du médicament et, le cas échéant, la conduite à tenir, ou encore la composition qualitative complète en substances actives et excipients, ainsi que la composition quantitative en substances actives, en utilisant les dénominations communes pour chaque présentation du médicament ou du produit.

15. Selon l'article L. 5121-8 du même code, l'accomplissement des formalités ayant permis d'obtenir une autorisation de mise sur le marché n'a pas pour effet d'exonérer le fabricant et, s'il est distinct, le titulaire de cette autorisation, de la responsabilité que l'un ou l'autre peut encourir dans les conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché du médicament ou produit.

16. Il s'en déduit que la validation par l'autorité de santé de la notice et de l'étiquetage du produit ne fait pas, à elle seule, obstacle à une responsabilité pour faute du fabricant.

17. La cour d'appel a énoncé que les sociétés avaient eu connaissance d'un nombre non négligeable de personnes sujettes à un déséquilibre thérapeutique dans le cas d'un changement de formule du Levothyrox et, à la suite de celui déjà intervenu dans d'autres pays, d'un risque important de réactions négatives chez une fraction de patients non spécifiquement identifiables, que l'impossibilité de substituer le produit en cause devait les conduire à être particulièrement attentives à l'information individuelle des patients, que l'information relative à ce changement et délivrée aux professionnels de santé n'était pas de nature à assurer celle des patients, que l'information de ceux-ci leur offrait la possibilité, lors de la survenance éventuelle de troubles, d'appréhender leur origine et mieux envisager la suite à donner avec leur médecin traitant et que, dès lors, la modification de l'excipient justifiait une mise en garde spéciale.

18. Elle a retenu que le changement de formule n'avait pas été indiqué sur les boîtes et que, si la notice répondait aux exigences réglementaires en ce qu'elle mentionnait le mannitol et l'acide citrique dans la composition du nouveau médicament, cette seule mention, dans un texte dense et imprimé en petits caractères, était insuffisante, alors que ce changement aurait pu être présenté de manière positive au regard de sa finalité de stabilisation du principe actif et signalé efficacement sur les boîtes et par des mentions apparentes dans la notice ou un document supplémentaire joint à celle-ci.

19. Elle a pu en déduire qu'en ne procédant pas, dans ces circonstances, à une telle information les sociétés Merck avaient commis une faute.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen des pourvois

21. Les sociétés Merck font le même grief aux arrêts, alors :

« 1°/ que, indépendamment des cas dans lesquels le défaut d'information sur les risques inhérents à un traitement a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage en refusant que ce traitement lui soit administré, le non-respect par un professionnel de santé de son devoir d'information ne cause un préjudice réparable au patient auquel l'information était due que dans le cas où un des risques inhérents au traitement se réalise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a réparé « le préjudice moral consécutif au défaut d'information » allégué par les patients, tout en relevant expressément que celui-ci était « indépendant de la réalisation du risque, en l'occurrence de la détermination du lien entre la prise du nouveau médicament et les troubles apparus » et qu'il importait donc peu « qu'il faille établir ou écarter le lien entre le changement de formule et les troubles subis » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en l'absence de réalisation du risque que le respect par le professionnel de santé de son obligation d'information aurait permis d'éviter, aucun préjudice moral consécutif au défaut d'indemnisation ne pouvait être réparé, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;

2°/ que, en tout état de cause, indépendamment des cas dans lesquels le défaut d'information sur les risques inhérents à un traitement a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage en refusant que ce traitement lui soit administré, le non-respect par un professionnel de santé de son devoir d'information ne cause un préjudice réparable au patient auquel l'information était due que dans le cas où un des risques inhérents au traitement se réalise ; que la cour d'appel a elle-même constaté en l'espèce que « pour bon nombre d'autres patients, le lien reste à établir médicalement, si les troubles se sont résorbés sans changement de médicament ou, au contraire, ont persisté malgré une nouvelle prescription » et encore qu' « on ne saurait exclure que, pour une partie des patients, la corrélation faite par ceux-ci entre les troubles et la prise du médicament modifié soit erronée ou, à tout le moins, non médicalement établie » ; qu'en accordant cependant à tous les demandeurs la réparation d'un préjudice moral consécutif à un défaut d'information relatif au changement de formule du Levothyrox, sans constater que chacun d'entre eux aurait ressenti des troubles correspondant à la réalisation de risques dus au changement de formule et n'ayant pas été révélés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

22. La cour d'appel a retenu que les requérants avaient justifié de la prise du Levothyrox NF et ressenti différents troubles concomitamment à celle-ci, qu'en l'absence de toute information sur la modification de sa composition et de possibilité de les rattacher à cette modification, ils s'étaient trouvés désemparés pour faire face à ces troubles et engager les démarches appropriées auprès des professionnels de santé et qu'ils avaient subi un préjudice moral temporaire jusqu'à ce qu'ils aient été informés de cette modification.

23. Ayant ainsi fait ressortir que ce préjudice avait été effectivement éprouvé par chacun des requérants et était imputable au défaut d'information sur la modification de l'excipient, la cour d'appel a pu en mettre la réparation à la charge des sociétés Merck.

24. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article R. 5121-138 et L. 5121-8 du code de la santé publique ; article 1240 du code civil.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.