Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE

Com., 23 mars 2022, n° 20-15.475, (B), FRH

Cassation partielle

Dommage – Réparation – Partage de responsabilité – Co-contractants ayant commis des fautes – Fixation de la part de responsabilité de chacun – Proportion – Détermination

Lorsque chacune des parties contractantes est jugée responsable pour moitié de la résiliation du contrat, chaque partie doit réparer le préjudice subi par l'autre du fait de sa résiliation fautive en tenant compte de cette proportion, soit seulement à concurrence de 50 % de ce préjudice, la compensation ne devant s'opérer qu'après application au préjudice de chaque partie de ce coefficient.

Dommage – Réparation – Partage de responsabilité – Compensation

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société X-Gil Full System du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Filhet Allard et cie.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 décembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 19 septembre 2018, pourvoi n° 17-15.191), la société Seafrance ayant pour activité le transport maritime trans-manche, a conclu en 2007 un « contrat cadre » confiant à la société Spiral restauration et multi-activités (la société RMA devenue ensuite X-Gil Full System) la conception et l'installation d'un progiciel de gestion des ventes à bord de ses navires.

Le désaccord survenu entre les parties a conduit la société Seafrance à assigner en résiliation du contrat sa cocontractante, laquelle a appelé en garantie son assureur en responsabilité civile, la société Chubb european groupe SE (la société Chubb).

Par jugement du 16 novembre 2011 du tribunal de commerce de Paris, la société Seafrance a été mise en liquidation judiciaire, la SCP [U] et la Selarl FHB étant désignées en qualité d'administrateurs et la société BTSG en celle de liquidateur. Après résiliation du contrat aux torts partagés à parts égales entre les parties, le montant du préjudice subi par chacune d'elles a été fixé, puis a fait l'objet d'une compensation.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société X-Gil Full System fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il la condamne à payer à la société Seafrance la somme de 63 446,82 euros à titre de dommages-intérêts et de la condamner à payer aux organes de la procédure collective de la société Seafrance, une certaine somme, alors que :

« 1°/ en cas de partage de responsabilité, le juge doit rechercher le préjudice causé à chaque partie et leurs parts respectives de responsabilité avant d'en décider la compensation partielle ou totale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que chacune des sociétés avait contribué à la mauvaise exécution du contrat, étant définitivement acquis que chacune avait contribué au dommage à hauteur de 50 % ; qu'il en résultait que chacune d'elles devait participer, à hauteur de sa propre faute, à la réparation de l'ensemble des préjudices ; en considérant que chacune devait réparation du dommage de l'autre sans tenir compte de la part contributive de chacune, définitivement retenue à hauteur de 50 %, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1184 dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que la cour d'appel ne pouvait accorder à la société Seafrance l'ensemble des indemnités liées au retard dans l'exécution de la prestation alors qu'elle avait constaté que « les difficultés liées à la recette de l'application nécessitant la présence de salariés de la société Seafrance à Lyon sont dues à l'attitude de la maîtrise d'ouvrage ainsi qu'il a été préalablement rappelé » ; qu'en accordant cependant à la société Seafrance sa demande sur les indemnités liées au retard, la cour d'appel a violé l'article 1147 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016,

5. Il résulte de ce texte que, sauf cause étrangère, le débiteur d'une obligation contractuelle est tenu de réparer, le cas échéant par le paiement de dommages-intérêts, le préjudice causé à son cocontractant en raison de l'inexécution fautive, ou réputée fautive, de cette obligation.

6. Pour condamner la société X-Gil Full System à payer une certaine somme aux organes de la procédure collective de la société Seafrance, l'arrêt, après avoir évalué les préjudices respectivement causés aux parties, a ordonné la compensation entre les créances de chacune.

7. En statuant ainsi, alors que, chacune des parties contractantes étant jugée responsable pour moitié de la résiliation du contrat, elle devait réparer le préjudice subi par l'autre du fait de cette résiliation en tenant compte de cette proportion, soit seulement à concurrence de 50 % de ce préjudice, la compensation ne devant s'opérer qu'après application au préjudice de chaque partie de ce coefficient, la cour d'appel qui, en ordonnant la compensation sans tenir compte de cette proportion, a condamné chaque partie à indemniser intégralement le préjudice de l'autre, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il condamne la société Spiral restauration et multi-activités devenue la société X-Gil Full System à payer à la société Seafrance la somme de 63 446,82 euros à titre de dommages-intérêts, il condamne la société X-Gil Full System à payer à la société [U] partners, prise en la personne de M. [S] [U], la société BTSG, prise en la personne de M. [L] [G] et la société FHB, prise en la personne de M. [O], ès qualités, la somme de 171 334,37 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, dit que les intérêts dus pour une année entière pourront être capitalisés aux conditions de l'article 1343-2 du code civil, condamne la société X-Gil Full System aux dépens et à payer à la société [U] partners, prise en la personne de M. [S] [U], la société BTSG, prise en la personne de M. [L] [G] et la société FHB, pris en la personne de M. [O], ès qualités, la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Corlay ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Rapprochement(s) :

Sur le calcul du montant du préjudice en cas de faute réciproque dans un contrat synallagmatique, à rapprocher : Com., 6 mars 1984, pourvoi n° 82-11.350, Bull. 1984, IV, n° 92 (rejet).

1re Civ., 16 mars 2022, n° 20-12.020, (B), FS

Cassation

Dommage – Réparation – Réparation intégrale – Préjudice personnel – Déficit fonctionnel – Virus d'immunodéficience humaine (VIH) – Absence de consolidation – Indifférence

Dommage – Réparation – Evaluation du préjudice – Préjudice spécifique de contamination par le virus d'immunodéficience humaine (VIH) – Exclusion – Préjudice à caractère personnel du déficit fonctionnel

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 novembre 2019), après avoir reçu plusieurs culots de sang lors de sa naissance le 21 octobre 1983, M. [F] a présenté une infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), diagnostiquée en 1986, et a déclaré un sida en 1991.

2. Le 16 février 1993, le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles l'a indemnisé d'un préjudice spécifique de contamination.

3. En mars 2005, M. [F] a développé une leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP) en lien avec sa contamination, dont il a conservé d'importantes séquelles cérébrales.

4. Mme [U], sa mère, désignée en qualité de tutrice, a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) d'une demande d'indemnisation complémentaire. Après avoir ordonné une expertise, l'ONIAM a indemnisé les préjudices économiques et rejeté la demande relative aux déficits fonctionnels temporaire et permanent subis par M. [F].

5. Mme [U], ès qualités, a formé un recours devant la cour d'appel qui a statué après avoir ordonné une nouvelle expertise.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

6. Mme [U], ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre des déficits fonctionnels, alors « qu'en jugeant que le préjudice de contamination incluait l'ensemble des « affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie », quand il n'inclut que l'angoisse suscitée par le risque d'affections opportunes, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale, ensemble les articles L. 3122-1 du code de la santé publique et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-1 du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

7. Le préjudice spécifique de contamination comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination et inclut, outre les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrances, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle et les préjudices esthétique et d'agrément générés par les traitements et soins subis, ainsi que le seul risque de la survenue d'affections opportunistes consécutives à la contamination. Il n'inclut ni le déficit fonctionnel, ni les autres préjudices à caractère personnel liés à la survenue de ces affections.

8. Pour rejeter les demandes d'indemnisation au titre des déficits fonctionnels temporaire et permanent subis par M. [F], l'arrêt retient que le préjudice de contamination inclut l'ensemble des affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Mme [U], ès qualités, fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en jugeant que le déficit fonctionnel causé par l'infection du VIH ne pouvait être indemnisé qu'à la condition que la maladie soit susceptible de consolidation, quand tout dommage doit être indemnisé sans perte ni profit pour la victime et que la consolidation ne permet que de distinguer le déficit fonctionnel temporaire et le déficit fonctionnel permanent sans pourtant qu'en son absence, le juge ne puisse refuser d'indemniser le préjudice subi, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 3122-1 du code de la santé publique et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-1 du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

11. Il résulte de ce texte et de ce principe que l'absence de consolidation de la victime contaminée par le VIH ne fait pas obstacle à l'indemnisation du déficit fonctionnel qui est éprouvé à la suite de cette contamination et de ses conséquences.

12. Pour rejeter les demandes d'indemnisation au titre des déficits fonctionnels subis par M. [F], l'arrêt retient encore que leur réparation, s'ajoutant au préjudice spécifique de contamination déjà indemnisé, suppose que le VIH ne soit plus une maladie évolutive mais une maladie susceptible de consolidation.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article L. 3122-1 du code de la santé publique ; principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-17.241, Bull. 2009, II, n° 226 (rejet).

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