Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

REFERE

2e Civ., 3 mars 2022, n° 21-13.892, (B), FRH

Rejet

Mesures conservatoires ou de remise en état – Trouble manifestement illicite – Existence d'une contestation sérieuse

Selon l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2019-1333, applicable au litige, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Une cour d'appel, qui constate qu'une société n'avait à l'égard d'une autre qu'une obligation de moyens et que l'interprétation des obligations contractuelles mises à la charge de chacun justifiait un débat devant le juge du fond, peut en déduire que le droit à la poursuite des relations commerciales n'apparaissait pas avec l'évidence requise devant le juge des référés et que le trouble manifestement illicite invoqué n'était ainsi pas caractérisé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 2 mars 2021), la société La Ferme du Piton est membre d'une société coopérative agricole, la société Avi-Pôle Réunion, dont les statuts et le règlement intérieur, par une clause d'engagement d'apport total, lui imposent de livrer la totalité de sa production à la coopérative.

2. Des contrats de partenariat ont été signés, notamment entre la coopérative et un provendier, ainsi qu'une société d'abattage.

Les interventions auprès la société la Ferme du Piton ont pris fin le 31 décembre 2018, après un refus, tant de la société d'abattage que de la société chargée de la livraison des aliments, d'intervenir en raison de la dangerosité du chemin d'accès.

3. La société la Ferme du Piton a été placée en redressement judiciaire par jugement du 21 août 2018, désignant la Selarl [K] prise en la personne de M. [K] en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de continuation a été adopté, par un jugement du 4 février 2020, nommant la Selarl [K], prise en la personne de M. [K], en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

4. Par acte d'huissier de justice du 27 février 2019, la société La Ferme du Piton a saisi un président d'un tribunal de grande instance, statuant en référé qui, par ordonnance du 6 juin 2019, a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite et ordonné à la société Avi-Pôle Réunion de poursuivre les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société la Ferme du Piton conformément au statut et au règlement intérieur de cette dernière, aux conditions et volumes/prix habituels existants avant le 17 juillet 2018, et ce sous astreinte, outre une condamnation à une provision.

5. La société Avi-Pôle Réunion a interjeté appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. La société la Ferme du Piton fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que soit constaté un trouble manifestement illicite et à ce que soit ordonné sous astreinte la poursuite des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Avi-Pôle Réunion, et de la débouter de sa demande d'indemnité provisionnelle alors « que, de deuxième part, le président du tribunal peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel avait justement relevé que la société Avi Pôle Réunion était tenue d'exécuter ses obligations à l'égard de ses associés, « quels que soient les moyens et techniques mis en ?uvre par elle »; qu'en jugeant pourtant que le trouble manifestement illicite n'était pas caractérisé en ce que les obligations pesant sur la société Avi Pôle Réunion, qui a suspendu ses interventions auprès de la société La Ferme du Piton à raison d'un chemin difficile d'accès, devaient faire l'objet d'un débat devant le juge du fond, la cour d'appel, qui s'est bornée à caractériser une contestation sérieuse d'interprétation du contrat qui n'est pourtant pas exclusive d'un trouble manifestement illicite, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable au litige, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

9. Ayant constaté, d'une part, que la société Avi-Pôle Réunion n'avait qu'une obligation de moyens à l'égard de la société La Ferme du Piton et que sa décision de suspendre ses interventions faisait suite à un arrêté municipal interdisant la circulation des véhicules de plus de 3.5 tonnes sur le chemin d'accès vers l'exploitation, d'autre part, que l'interprétation des obligations contractuelles mises à la charge de chacun justifiait un débat devant le juge du fond s'agissant de l'obligation de s'adapter aux difficultés d'accès à l'élevage, la cour d'appel a pu en déduire que le droit à la poursuite des relations commerciales n'apparaissait pas avec l'évidence requise devant le juge des référés et que le trouble manifestement illicite invoqué n'était pas caractérisé.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bonnet - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2019-1333.

2e Civ., 31 mars 2022, n° 21-12.296, (B), FRH

Rejet

Provision – Attribution – Conditions – Obligation non sérieusement contestable – Applications diverses – Préjudice – Absence de consolidation – Déficit fonctionnel permanent supérieur ou égal à un taux déterminé

C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'une cour d'appel, statuant en référé, en l'état d'une expertise médicale constatant, malgré l'absence de consolidation au jour de l'expertise, que le déficit fonctionnel permanent ne sera pas inférieur à 55 %, fixe le montant de la provision allouée à la victime au montant qu'elle retient.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 17 décembre 2020), rendu en matière de référé, M. [Z], après avoir subi deux opérations chirurgicales pratiquées par Mme [W] au sein d'un établissement privé de soins, a été affecté d'un pneumopéritoine ayant nécessité un traitement médical prescrit par ce médecin, qui a provoqué un choc septique à la suite duquel il a été transféré dans un centre hospitalier et a subi une amputation de la jambe gauche au niveau de la cuisse.

2. Après qu'une expertise judiciaire a conclu à un défaut de prise en charge dans les règles de l'art de l'épisode infectieux, incombant tant à Mme [W] qu'au centre hospitalier et précisé que la victime n'était pas consolidée mais que son déficit fonctionnel permanent ne serait pas inférieur à 55 %, M. [Z] et son assureur, la société Aon France ont assigné Mme [W] et son assureur, la société La Médicale, en référé-provision.

3. La société AG2R Réunica prévoyance, devenue la société AG2R prévoyance, est intervenue volontairement à l'instance en qualité de tiers payeur et a sollicité une provision au titre des dépenses de santé actuelles qu'elle a exposées.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche et le second moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. Mme [W] et la société La Médicale font grief à l'arrêt, statuant en matière de référé, de les condamner à payer à M. [Z] la somme de 100 000 euros à titre de provision, à valoir notamment, sur l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent, alors :

« 2°/ que subsidiairement, le juge des référés ne peut accorder une provision que dans la limite du montant non sérieusement contestable de l'obligation ; que le montant de l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent est fixé en considération de l'âge de la victime à la date de consolidation du dommage ; qu'en décidant que M. [Z] pouvait prétendre à une provision au titre de son déficit fonctionnel permanent qui aurait pu atteindre la somme de 167 475 euros et qui a été limitée par la demande à la somme de 152 350 euros, sans indiquer en quoi l'obligation n'était pas sérieusement contestable à hauteur de ce montant, ce qui supposait d'indiquer quelles étaient les modalités de calcul appliquées, s'agissant notamment de l'âge de M. [Z] à la date de consolidation de son dommage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;

3°/ que très subsidiairement, le juge des référés ne peut accorder une provision que dans la limite du montant non sérieusement contestable de l'obligation ; que le montant de l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent est fixé en considération de l'âge de la victime à la date de consolidation du dommage ; qu'en décidant cependant, pour fixer à la somme de 167 475 euros limitée par la demande à 152 350 euros, le montant de la provision à laquelle M. [Z] pouvait prétendre au titre de son déficit fonctionnel permanent, qu'il convenait de prendre en compte l'âge de M. [Z] à la date des opérations d'expertise, bien que son état de santé ne fût pas consolidé à cette date, de sorte que M. [Z] ne pouvait prétendre au versement d'une indemnité au titre de son déficit fonctionnel permanent à compter de cette date, la cour d'appel, qui a ainsi accordé une provision excédant nécessairement le montant non sérieusement contestable de l'obligation, a violé l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Sous couvert de griefs non fondés de violation de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, devenu 835, alinéa 2, du code de procédure civile et de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine par laquelle la cour d'appel a caractérisé, à hauteur du montant qu'elle a retenu, l'existence d'une obligation non sérieusement contestable.

7. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Richard ; SARL Cabinet Briard -

Rapprochement(s) :

2e Civ., 10 novembre 1998, pourvoi n° 96-17.087, Bull. 1998, II, n° 271.

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